Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
8 octobre 2019 2 08 /10 /octobre /2019 23:41

Au sujet du Chapitre 2019

 

29 septembre 2019, Saint Michel Archange

 

 

Abyssus...

 

Le récent Chapitre du Bon Pasteur a laissé dans l’étonnement plusieurs observateurs. Son résultat voit l’élection comme Supérieur Général d’un prêtre presque inconnu originaire d’Amérique latine. Ordonné dans la Fraternité Saint Pie X qu’il abandonna pour le diocèse de San Bernardo au Chili, il y célébra la messe réformée pendant une quinzaine d’années avant d’arriver au Bon Pasteur après 2014. Ce prêtre s’appelle Luis Gabriel Barrero et est assez peu connu par les prêtres, par les séminaristes et par les fidèles. 

 

Que s’est-il vraiment passé au Chapitre et comment expliquer cet événement ? Voilà la question  adressée à notre Rédaction par certains lecteurs. La réponse à cette dernière est une analyse de la crise identitaire de l’Institut, étayée aussi par les confirmations récentes parvenues jusqu’à nous par des confrères de l’IBP, parmi lesquels certains Pères Capitulaires.  

 

Nous ne reviendrons pas sur ce que nous avons déjà largement écrit et argumenté, mais pour comprendre ce qui est arrivé ces derniers temps il est capital de relire nos articles couvrant la période qui s’étend de la demande de nous aligner sur l’herméneutique de la continuité, en mettant de côté concrètement la critique constructive, et de renoncer “à tout exclusivisme” (avec une réaction pas franche, pas vraiment filiale, mais servile) jusqu’au « putsch de Fontgombault » duquel est sortie la classe dirigeante de l’époque 2013-2019. Ce qui s’est passé était en partie prévisible, ne serait-ce que comme conséquence de l’anéantissement de l’identité et de la conscience selon lequel on avale ce qui est contraire à ses propres spécificités.  

 

En bref, au Chapitre 2019 le candidat sortant M. l’Abbé Philippe Laguérie n’a pas été réélu. On nous a rapporté qu’il a eu seulement deux voix lors de l’élection du Supérieur Général. Il s’est ensuite présenté à l’élection de simple Assistant, mais là encore on nous a rapporté qu’il a eu seulement deux voix. Son concurrent, M. l’Abbé Vella, jadis un des plus fidèles de l’Abbé Laguérie, mais qui cette fois se présentait comme candidat indépendant, a obtenu peu de voix à l’élection du Supérieur Général. M. l’Abbé Raffray, lui aussi pilier de l’administration Laguérie, devenu son concurrent au Chapitre, a eu également très peu de voix. Cependant, l’événement inattendu a été que dès le début le candidat qui avait le plus de voix était un certain Padre Barrero; certains des votants nous ont avoué que personne ne savait bien quel avait été son passé et que la plupart ignorait le fait que pendant plusieurs années il avait choisi le rite reformé en abandonnant le rite traditionnel. Sic !

 

Il n’a pas fallu longtemps aux Pères Capitulaires pour comprendre que toutes ces voix ne pouvaient qu’être la conséquence d’un plan lié à une composante de l’IBP dépendante de l’association brésilienne « Montfort », qui dérive d’une scission de la TFP, dont elle a su maintenir les méthodes d’organisation et les stratégies de commandement. Les électeurs français se sont trouvés en minorité, et cela aussi parce qu’il semble que l’Abbé Aulagnier - depuis toujours lié à la « Montfort » et à certains financiers du giron de la TFP qui par un complexe système “redistribuent” les dons atlantiques - ait déjà pris depuis longtemps (mais avec discrétion) le parti sud-américain, qui est particulièrement à la mode.

 

Le reste est connu, Padre Barrero - avec un coup de pouce de la Pologne - est devenu le nouveau Supérieur Général; l’Abbé Aulagnier a gardé sa place de premier Assistant Général; l’Abbé Vella a pu rester second Assistant Général, maigre consolation pour ce qui en substance est une défaite. L’Abbé Laguérie disparait complètement de la scène et dans le communiqué officiel il n’y a même pas les remerciements habituels. Spontanément, vient à l’esprit : “il n’a pas accepté les vrais amis, et voilà”. Concernant d’autres détails sur le déroulement et la “préparation” du Chapitre, comme ils ne sont pas essentiels à la compréhension de ce qui s’est réellement passé, mieux vaut ne pas en parler.

 

Les faits parlent d’eux-mêmes, il ne nous semble pas qu’il faille ajouter grand-chose, si ce n’est que la dérive que nous dénonçons depuis 2012 a connu une accélération plus rapide que prévue et que la dénaturation identitaire de la société sur le long terme a mené à une véritable “mutation génétique”. Il faut noter également que tous les membres du nouveau Conseil Général non seulement ne sont pas des fondateurs, mais qu’aucun d’entre eux n’était membre de l’Institut à l’automne 2006, lorsqu’au milieu de grands sacrifices et avec peu de monde naissait l’IBP (l’Abbé Vella arriva en 2007, l’Abbé Aulagnier en 2011 - juste à temps pour voter au Chapitre de 2012 - et le nouveau Supérieur Général seulement en 2014). Il nous semble qu’il faut renouveler un appel aux confrères de l’IBP qui nous ont contactés, reconnaissant implicitement que nous défendons encore l’identité de l’IBP-2006, la validité de cette ligne et de ces présupposés, même si désormais nous sommes réunis dans la Communauté Saint Grégoire le Grand : aujourd’hui, face à des signes si évidents, le moment de revenir sur certaines options et sur certaines stratégies utilitaristes qui ont démontré à un tel point leur échec n’est-il pas arrivé ?

 

La Rédaction de “Disputationes Theologicae

Partager cet article
Repost0
29 juin 2019 6 29 /06 /juin /2019 22:04

Jésus les avait-il?

 

 

(III)

29 juin, Saints Pierre et Paul

 

 

Ici la première partie. Ici la deuxième partie

 

La colère

 

La colère est une passion qui touche l’âme lorsqu’elle se rend compte qu’une injustice lui a été infligée; la tristesse conséquente pousse donc au désir de vengeance, dans l’espoir de rétablir la justice lésée[15]. Le mot «vengeance» est à prendre dans le sens classique, que saint Thomas lui attribue, c'est-à-dire le rétablissement d’un certain équilibre selon l’ordre de la justice. Dans ce sens la colère se porte « per se » vers un bien (la justice), mais «per accidens» elle se porte vers le mal (l’auteur de l’acte injuste)[16]. La colère est donc en étroite relation avec la justice. C’est en effet l’appréhension de l’injustice dans l’intelligence qui va causer le mouvement appétitif et corporel. Le rapport étroit de cette passion avec la justice va intervenir aussi dans l’évaluation morale. Ce qui va déterminer la bonté morale d’un geste de colère sera en effet le rapport de justice entre la réaction de l’homme en colère et la dimension de l’offense subie[17].

 

Notre Seigneur, « le Juste » selon l’Ecriture, ne pouvait donc qu’éprouver de la colère face aux vraies injustices[18]. L’épisode évangélique qui a le plus d’éclat, en raison des transmutations corporelles[19] qu’il a engendrées et de l’extériorisation conséquente et visible, est sans doute l’expulsion des marchands du Temple. « Le Juste de Dieu » renverse les tables, cause la destruction des biens vendus et chasse les vendeurs. La vision du Temple profané, la nonchalance envers le lieu sacré des vendeurs et des « maiores » du Sanhédrin (qui auraient dû, au contraire, préserver la Maison de Dieu), engendrent dans le Christ la tristesse face à l’offense faite à Dieu. Cette offense réclame une juste vengeance, un rétablissement de la juste vénération pour le Temple. Cela ne peut rester seulement un souhait ou une prédication, mais doit s’exprimer par le châtiment des offenseurs, dans un geste de zèle profond pour tout ce qui est consacré à Dieu : « zelus domus tuae comedit me » (Ps 69, 10 ; Jn 2, 16-17). La réaction du Christ ne doit pas paraître disproportionnée, au contraire elle tient compte du terme de l’offense qui est Dieu et du sujet qui a offensé, des hommes, de simples créatures. Elle prend donc des proportions majeures, parce que le dédain de l’inférieur (dans ce cas une créature) envers le supérieur (dans ce cas le Créateur) est plus grave que l’offense entre deux personnes du même niveau ; elle est plus grave et donc elle réclame en proportion une réaction majeure[20]

 

Pour une raison analogue Jésus-Christ s’indigne avec plus de véhémence envers ses amis qu’envers les autres. Il est naturel que nous nous attendions à plus de ceux qui nous sont proches, parce que le lien d’amitié exige un rapport plus grand de respect et d’amour[21]. Jésus aura des paroles particulièrement dures pour saint Pierre qui veut l’éloigner de la Passion : « retire-toi de moi, Satan » (Mt 16, 23). Non seulement saint Pierre est quelqu’un de proche, mais il est aussi en plus grande possession de la finalité de l’œuvre rédemptrice, par la connaissance qu’il en a. Sa responsabilité est donc plus grande, et plus grande sera donc aussi la réaction de vengeance.

 

Jésus est particulièrement dur aussi envers ses disciples, lorsqu’ils sont injustes avec les enfants qui l’entourent : « voyant cela Jésus se fâcha » (Mc 10, 14). En effet la colère peut être mue aussi par une injustice faite aux personnes qu’on aime[22], et il est aussi injuste de s’en prendre à ceux qui ne peuvent pas se défendre, tels des enfants. Voilà donc la juste réaction du Christ qui rééquilibre l’abus de ses disciples.

 

Les mots que Jésus réserve aux pharisiens sont eux aussi un indice clair de l’indignation que provoquent en lui ces « serpents et race de vipères » (Lc, 23, 33) : « à l’intérieur vous êtes remplis de cupidité et de méchanceté » (Lc 11, 39). C’est le désir de rétablir la justice, de remettre ces « hypocrites » (Mc 7, 6)  à leur place, pour que leur réputation soit celle qui leur est due et pour qu’ils n’éloignent pas les hommes de Dieu, avec leur extérieur faussement pieux (Mt 23, 1-7). Jésus dans sa colère cherche un bien, qui est surtout celui d’une idée juste de ce qu’est la religion, mais per accidens il doit diriger ses invectives vers des hommes concrets, qu’il faut reprendre pour le bien commun et pour le leur. Là aussi le Christ montre qu’on peut et qu’on doit parfois se mettre en colère, et pas seulement d’une façon impersonnelle ou indéterminée. Cela pourrait être non pas de la vertu, mais de la lâcheté. Parfois la colère exige une action ponctuelle et un destinataire qu’on puisse repérer (individu ou personne morale), dit saint Thomas[23]. L’unique condition toujours requise pour le bon exercice de la colère est que la réaction reste proportionnée, opportune et raisonnablement mesurée[24].           

 

 

Conclusion

 

La vie du Christ à l’instar de la nôtre est marquée par les passions, parce que celles-ci sont naturelles et nécessaires à l’homme. Chez l’homme cependant, les passions telles que nous les connaissons sont en connexion avec un appétit sensitif qui a perdu l’état d’équilibre originaire, en recevant une certaine inclination au mal : il s’agit du « fomes peccati ». L’ordination donnée à l’origine n’est plus présente et chez nous les passions sont souvent occasion de péché. La perfection de nature et de grâce dans le Christ ne le soumettait pas aux dérèglements issus du péché originel[25].

Dans ce cadre il y a donc une triple distinction à introduire selon saint Thomas [26] :

 

              1) par rapport à l’objet, dans le Christ les passions ne pouvaient que tendre au bien, alors que chez nous elles se dirigent souvent vers ce qui est illicite.

 

            2) par rapport au principe d’opération, dans le Christ les mouvements de l’appétit sensitif étaient toujours en harmonie parfaite avec la raison et sous sa domination, alors qu’en nous les mouvements préviennent souvent le jugement de la raison et ils se soustraient à son autorité.

 

              3) par rapport à l’effet, chez le Christ les passions ne dépassaient jamais de façon désordonnée la sphère sensitive et elles ne troublaient jamais la raison et la volonté, alors qu’en nous elles arrivent à obscurcir l’intelligence et à conditionner la volonté en troublant l’esprit.

 

Dans le cas des passions du Christ, en raison des distinctions mentionnées, l’usage du mot distinctif de « propassions » est classique pour indiquer les mouvements de l’appétit sensitif qui ne dépassent pas leur cadre et ne troublent pas la raison et la volonté, dans une parfaite conformité à la perfection et à la rectitude de la nature[27]. La perfection naturelle et surnaturelle du Christ n’est nullement atteinte par l’usage des passions; au contraire ce sont les passions elles-mêmes qui rendent possible cette perfection dans l’action. Il en va de même dans la vie morale de tout homme. Sans oublier que chez les hommes les passions nécessitent souvent d’être contenues en raison du péché originel, il faut cependant rejeter comme fausse et dangereuse l’opinion qui assimile la vie chrétienne à une vie sans passions, alors que la philosophie et la Révélation nous  démontrent la nécessité de chacune d’elles. La perspective du théologien moraliste ne peut donc pas être seulement orientée vers la modération contraignante des passions. Au contraire, l’exemple donné par le Christ rappelle qu’il peut aussi y avoir péché lorsque l’on réprime injustement une passion raisonnable et proportionnée.  Ne pas se mettre en colère lorsque cela est nécessaire ou ne pas donner suite à un juste mouvement d’audace peut constituer une faute morale : même la colère, souvent décrite comme la plus nuisible des passions, peut être bonne et nécessaire parce qu’elle est naturelle à l’homme en tant qu’homme. Ce qui est naturel a une raison d’être et donc une bonté et peut alors être utilisé raisonnablement. C’est là le fondement de la doctrine des passions de saint Thomas qu’on peut synthétiser en rappelant que la nature ne fait rien en vain: «Natura nihil facit frustra»[28].

 

 

[15] S. Th., Ia IIae, q. 46, a.1, corpus.

[16] S. Th., Ia IIae, q. 46, a 1, corpus.

[17] S. Th., Ia IIae, q. 46, a. 7, corpus.

[18] S. Th., IIIa, q. 15, a 9, corpus.

[19] S. Th. Ia IIae, q. 48, a. 2, corpus : « appetitus potissime tendit ad repellendum iniuriam per appetitum vindictae. Et ex hoc sequitur magna vehementia et impetuositas in motu irae »

[20] S. Th. Ia IIae, q. 47, a. 4, corpus : « indigna despectio est maxima provocativa irae ».

[21] S. Th., Ia IIae, q. 47, a. 4, ad tertium, Cet article est plutôt  relatif au mépris des amis, la raison est dans le fait qu’on prétend plus d’un proche et de quelqu’un qui nous connait, que non des autres.

[22] S. Th., Ia IIae, q. 47, a. 1, ad secundum : “ nous concevons de la colère contre ceux qui font du mal aux autres (….) c’est qu’ils (ces derniers) nous sont liés de quelque manière, parenté, amitié ou simple communauté de nature ».

[23] S. Th. Ia IIae, q. 47, a.7, ad tertium.

[24] Ibidem, corpus.

[25] S. Th, IIIa, q. 15, a. 2, corpus.

[26] S. Th, IIIa, q. 15, a. 4, corpus.

[27] A. PIOLANTI, Dio Uomo, Roma 1995, p. 485.

[28] S. Th., IIa IIae, q. 158. a. 8, ad secundum.

 

Partager cet article
Repost0
1 mai 2019 3 01 /05 /mai /2019 19:53

Aujourd’hui une vérité oubliée

 

31 mai 2019, Marie Reine

 

Mattia Preti, Jésus admoneste la femme adultère

Palerme - Palazzo Abatellis

 

 

 

Aujourd’hui les pécheurs publics se multiplient. Le concubinage, même entre personnes issues du milieu catholique, connaît un “boom” impressionnant, et passe aux yeux de l’opinion publique comme une chose normale. Les dits divorcés-remariés réalisent la prétention contenue dans l’association de ces deux mots “divorcés” et “remariés” et cela comme si de rien n’était.

 

Décidément, Jean XXIII n’avait pas eu le don de clairvoyance lorsque dans l’allocution Gaudet Mater Ecclesia, il avait affirmé: «non pas qu’il manque des doctrines fallacieuses, des opinions et des concepts dangereux […] mais […] désormais les hommes par eux-mêmes semblent être enclins à les condamner».

 

Les unions entre personnes de même sexe ont été légalisées en France par le gouvernement Hollande et en Italie par le gouvernement Renzi d’une façon qui singe le mariage. Elles ont été promulguées en Italie en 2016, le jour même de l’Assomption - avec une impiété dont on peut se demander si elle relève du simple hasard - et juste une semaine après se déclenchait la succession de tremblements de terre qui a flagellé l’Italie a plusieurs reprises.

 

Ces péchés, ceux des pécheurs publics précisément, ont une gravité particulière. Et cela pour deux motifs. Tout d’abord en raison de leur nature publique, par le scandale (au sens évangélique) qui en découle et par la relativisation de l’institution fondamentale de la famille qui en dérive.

 

L’autre raison est que dans ce genre de situation on demeure dans le péché, péché qui s’en trouve structuré : dans le péché ordinaire on tombe et on est relevé par le Bon Dieu qui relève celui qui est tombé, alors que ces situations tendent à nous laisser par terre (même avec l’illusion d’être debout). C’est pour ces raisons que l’Église a toujours exprimé avec force la particulière gravité des péchés de ce genre. Et aujourd’hui, alors que les péchés publics se répandent? Certes, les mass-média lorsqu’ils donnent l’idée que l’Église aujourd’hui admet tout cela sont souvent les instruments d’un système et sont malicieux et superficiels. Mais, il est vrai aussi que la lumière doit se mettre sur le chandelier comme l’enseigne l’Evangile. Et lorsqu’un bien qui touche à la foi ou à la morale a été menacé, semper et ubique l’Eglise réagit avant tout en soulignant ce bien, en le professant d’une manière plus explicite. Est-ce là ce que nous voyons arriver aujourd’hui sur ce sujet? En rappelant que l’œuvre de Miséricorde est d’admonester les pécheurs, pensons au passage suivant de la parole de Dieu: “Fils de l’homme je t’ai constitué sentinelle […] mais de sa mort, à toi je te demanderai des comptes”. Et en rappelant l’unique perspective catholique sur ce sujet nous renvoyons à notre article sur ce qu’a fait Sainte Marguerite de Cortone.

 

 

Association de Clercs “Saint Grégoire le Grand”

 

Partager cet article
Repost0
12 avril 2019 5 12 /04 /avril /2019 21:48

La (tardive) non-réponse de la Congrégation

 

12 avril 2019, Vendredi de la Passion

 

 

Le 26 septembre 2018 nous avons envoyé une lettre contenant trois “questions d’éclaircissements spécifiques” à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Une fois passé un délai de trois mois sans réponse, le 28 décembre 2018 nous l’avons publiée (voir ici), en y ajoutant un commentaire et en invitant les lecteurs à l’envoyer eux-aussi. 

Au mois de mars, l’Archevêque de Camerino a reçu la lettre suivante de la Congrégation (pourquoi l’Archevêque plutôt que ceux qui avaient écrit ?) à son tour il nous l’a transmise :

 

      CONGREGATIO                                   26 février 2019                                                
   PRO DOCTRINA FIDEI                                          
      Palazzo del S. Uffizio 
   00120 Città del Vaticano

    ——

Prot. N. 1801/1933 ̶ 69145


Excellence, 


     Récemment le Rév. Don Stefano Carusi, Prêtre de ce Diocèse, avec trois autres signataires (Abbé Louis-Numa Julien, Abbé Jean-Pierre Gaillard, Kl. Lukasz Zaruski), a soumis à cette Congrégation certaines questions relatives au dit “Troisième secret” de Fatima.

    Comme vous le savez, ce qui fait référence au troisième secret de Fatima a déjà été largement rendu public il y a quelques années  ̶  par la volonté de Jean-Paul II  ̶  à travers la publication Le Message de Fatima (2000), édité par ce Dicastère (cf Annexe).

    Dans ce livret, sont reproduites intégralement la première et la deuxième partie manuscrite de la relation faite par Sœur Lucie Do Santos le 31 août 1941, destinées à l'évêque de Leiria ̶ Fatima, et la troisième partie, écrite le 3 janvier 1944. 
En d'autres occasions, Sœur Lucie a eu la possibilité de rapporter à son neveu prêtre que tout ce qui concerne le secret de Fatima a été publié.
    En considération de cela, je Vous prie de transmettre aux demandeurs - si Vous l’estimez opportun - copie de la publication Le Message de Fatima.

    En Vous remerciant pour ce qui est dit plus haut, je profite de la circonstance pour Vous assurer de mes sentiments distingués.

 Votre dévoué

+ Giacomo MORANDI
Archevêque tit. de Cerveteri
Secrétaire

 

(En Annexe : Le Message de Fatima)
—————————————————

A Sua Eccellenza Rev.ma
Mons. Francesco MASSARA

Arcivescovo di Camerino ‒ San Severino Marche
Piazza Cavour, 7
62032 Camerino (MC)

 

Ici la reproduction de l’original


Une lettre de ce type correspond à ce que nous avons relevé dans l’article du 31 mai 2018 (voir ici), auquel nous renvoyons les lecteurs : “Ce phénomène est vraiment remarquable : à plusieurs reprises du côté officiel au sujet de Fatima on a recours à des démentis génériques d’une manière ou d’une autre, en refusant certaines réponses précises et le dialogue direct”.

Nous avions envoyé trois brèves questions ; la Congrégation n’a pas donné trois réponses spécifiques.

On préfère renvoyer à la publication « Le Message de Fatima (2000) ». Et pourtant - les lecteurs qui ont suivi les débats contrastés sur ce sujet le savent, tout comme on le sait aussi à l’intérieur de la Congrégation - il existe une littérature qui met en évidence de manière large et articulée parmi les incohérences continuelles d’une certaine ligne, le fait que ce livret exigerait pour le moins une mise au point plutôt que des renvois génériques. 

Par exemple, il omet de reporter traduit et dans le texte un passage présent dans une citation en note : « que tanto ansiais por conhecer ». Par exemple, il nous informe que S.S. Jean-Paul II aurait lu le Troisième Secret entre le 18 juillet et le 11 août 1981, en omettant l’affirmation du porte-parole du Vatican de l’époque Navarro-Vals selon lequel le Pape l’avait déjà lu une première fois peu de jours après son élection (“Washington Post”, 1er juillet 2000). Même omission de la première lecture et même dédoublement de date que pour S.S. Paul VI : le 27 mars 1965 selon cette publication, 27 juin 1963 selon le témoin Mgr Capovilla (dans ses “Note riservate”, écrites en 1967).

Si deux documents relatifs au Troisième Secret n'existent pas et n'ont jamais existé, le livret officiel donnerait non seulement des rapports incomplets, mais aussi des informations erronées : il soutient qu’après la lecture « le pape Jean XXIII décida de renvoyer l’enveloppe scellée au Saint-Office »; alors que son secrétaire Mgr Capovilla témoigne dans ses Notes réservées (1967) qu’après la lecture de Jean XXIII le Secret resta dans l’Appartement pontifical et que c’est encore là que Paul VI le trouva sur son indication.

Ce livret offre aussi un exemple - et nous nous arrêtons ici - de la fiabilité desdites “confirmations” attribuées à Sœur Lucie (comme cette phrase extraite de la lettre dont il est question plus haut qui ne cite pas les références de l’affirmation exacte : “elle a eu la possibilité de rapporter à son neveu prêtre”). 
Le livret soutient qu’à propos de la date pour la publication de 1960, la Sœur aurait dit en 2000 à Mgr Bertone, à l’époque Secrétaire de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi : « Ce n’est pas la Dame, mais c’est moi qui ai mis la date de 1960 ». Dans son livre “La dernière voyante de Fatima” ( “L’ultima veggente di Fatima”, 2007) le Cardinal Bertone rappelle avec force : la Sœur lui aurait dit aussi: «Cela a été ma décision […] la Sainte Vierge ne m’a rien communiqué à ce sujet». Cependant, le Cardinal Bertone lui-même a montré à la télévision le 31 mai 2007, les enveloppes contenant le Secret ; sur deux (pourquoi deux enveloppes jumelles ?) paraissait l’écrit autographe de Sœur Lucie, rédigé lorsqu’elle était dans la fleur de l’âge, qui attribue la date de 1960 à un « ordre exprès de Notre Dame ». Un « ordre exprès ». Que penser de l’assertion contraire rapportée plus haut ?

Ensuite, quant au Premier et au Deuxième Secret, le Cardinal Angelo Amato, lui aussi par le passé Secrétaire de cette même Congrégation, a affirmé à un Congrès et sur le quotidien du Saint Siège (le 7 mai 2015), qu’il y a à ce sujet « certains ajouts faits en 1951 ». Vu que cela semble une nouveauté, spontanément on se demande : parlait-il de choses qu’il ne connaissait pas bien ou sinon quels sont ces “ajouts” ?

Les questions que nous avons posées restent telles quelles. Et, en conscience, deux questions émergent avec plus de force : Quelle est la gravité de ce sujet - dont on reconnait l’existence en privé à Rome - pour qu’on persiste ainsi dans un refus d’éclaircissement ? Quels désastres doivent encore se produire pour qu’on s’en occupe à nouveau ?


La Rédaction de Disputationes Theologicae

Partager cet article
Repost0
21 mars 2019 4 21 /03 /mars /2019 19:37

Jésus les avait-il?

(II)

21 mars, Saint Benoit

 

Sebastiano Conca, Agonia nell'Orto degli Ulivi, Torino - Palazzo Reale

 

Ici la première partie.

 

Passions de l’irascible et réalisme de l’Evangile

Le texte inspiré rend témoignage de la véridicité de l’Incarnation, autant dans l’aspect le plus proprement physique de la chair du Christ, percée par des clous sur la croix, que dans la description des passions de l’âme du Christ, mentionnées avec leurs effets de redondance sur le corps. C’est à ce dernier propos que les évangiles dévoilent l’humanité de Jésus, dans son aspect plus proprement “moral”, et fournissent un modèle de vie ordonnée. Relativement aux passions de l’irascible plusieurs passages seraient à citer ; on se limitera dans cette étude à quelques exemples significatifs pour chacune des cinq passions, en essayant de suivre en parallèle l’analyse spéculative que saint Thomas donne dans la Somme de Théologie.

 

Espoir et désespoir

L’espoir, par rapport au désir son analogue dans le concupiscible, prévoit un aspect d’effort supplémentaire et une tension de l’âme vers le bien difficile à obtenir1. Lorsque le Christ annonce sa Résurrection, la glorification de son corps et le salut des hommes (Mt 16, 21 ; 20, 19 ; 22, 31) - non seulement avant les tourments de la Passion, mais aussi après sa Résurrection - il annonce une œuvre bonne, mais difficile et même unique. Un travail ardu est requis pour atteindre un tel bien. La grandeur du bien stimule alors une passion qui va le diriger vers l’action et lui permettre d’y tendre malgré les difficultés : c’est l’espoir que le Christ même a éprouvé. Cette passion, selon le texte sacré, devait se manifester aussi dans son corps et dans son attitude, parfois au point de devenir contagieuse pour ceux qui l’entourent. C’est l’effet qu’on constate sur les foules et sur les disciples. Sans exclure l’œuvre surnaturelle et invisible de la grâce, il y a sans doute ici un mode humain dans l’extériorisation de l’espoir du Christ. Ainsi en témoignent les disciples d’Emmaüs. Ces derniers confessent l’ardeur que Jésus leur avait transmise en leur parlant de la gloire future et du ciel : « n’est-il pas vrai que notre cœur était tout brûlant au-dedans de nous lorsqu’il nous parlait en chemin et qu’il nous expliquait les Ecritures ? » (Lc 24, 33). Ce passage montre aussi que l’espoir du Christ et de ceux qui l’écoutent est ordonné et rationnel ; il ne s’agit pas d’une chimère car il se porte vers un véritable bien. L’évangéliste donne même le fondement rationnel de cette passion : en effet, la certitude de la possibilité d’obtenir le bien dont on parle repose sur la fidélité de Dieu à ses promesses. L’annonce aux prophètes est véridique, car Dieu ne trompe pas, et ce bien ardu de la résurrection, vrai bien pour l’homme, peut être obtenu (Lc 24, 25-27).

 

La grandeur du bien espéré demande cependant souvent un effort ardu “proportionné” ; ce dernier aspect peut raisonnablement décourager et engendrer une répulsion, parce qu’il va exiger de renoncer à d’autres biens. Au Jardin des Oliviers, par exemple, l’humanité du Christ ne peut qu’être accablée par la pensée qui se présente aux yeux de son intelligence. L’appréhension intellective de tous les tourments qu’Il va endurer, ainsi que le mal physique qui va s’ensuivre pour son corps, laissent Jésus dans l’angoisse la plus profonde : « il commençait à éprouver de la tristesse et de l’angoisse » (Mt 26, 37). Son âme est « triste jusqu’à la mort » (Mt 26, 37).

 

Ce qui détermine le désespoir est justement cette appréhension intellective du mal futur comme imminent et inévitable, un mouvement de répulsion est naturel. L’objet de souffrance est saisi par l’intellect et il ne peut qu’engendrer un mouvement de l’appétit2. Le bien est considéré « selon son rapport à l’impossibilité de l’obtenir […] et c’est ainsi que le désespoir se rapporte à l’objet »3. Jésus désespère par exemple du bien de son intégrité physique. Lui-même attribue ces effets à la nature humaine, à la matérialité de sa chair : «l’esprit est ardent, mais la chair est faible» (Mt 26, 41).

Chez Jésus a lieu aussi le mouvement de répulsion connexe au désespoir, celui que saint Thomas appelle « un mouvement d’un certain éloignement »4. Chez le Christ cependant la passion reste toujours sous l’emprise de la raison, qui ordonne tout à une cause supérieure. Le mouvement normal de la nature qui ne veut pas sa destruction, n’empêche pas la volonté de rester ferme dans sa tendance au bien supérieur qu’on a choisi (les thomistes distinguent voluntas ut natura et voluntas ut ratio)5 : Jésus accepte et veut le bien lié à cette douleur, ainsi que les moyens nécessaires pour y parvenir, parce que telle est la volonté du Père (voluntas ut ratio) : « Mon père, si ce calice ne peut pas passer sans que je boive, que votre volonté soit faite !» (Mt 26, 42). Cependant sa nature (voluntas ut natura) ne peut pas aimer sa destruction : voilà d’où naissent les expressions de répulsion chez le Christ. Notre-Seigneur va aussi user du moyen surnaturel de soutien dans le désespoir, la prière. Celle-ci aide l’acceptation patiente d’une volonté supérieure qu’il est impossible de changer : « veillez et priez » (Mt 26, 41).

 

C’est encore le désespoir que Jésus éprouve, très humainement, dans l’élan d’attachement pour sa ville et son Temple. Dans l’évangile de Luc, on Le voit regarder la ville sainte de Jérusalem et en imaginer la ruine. L’objet de cette représentation est la fin d’un bien, la fin de cette belle ville qui a marqué son existence terrestre et qui garde toutes les mémoires de son peuple : « ils te détruiront, toi et tes habitants et ils ne laisseront pas dans ton enceinte pierre sur pierre » (Lc 19, 44). La destruction de sa patrie est devenue inévitable à cause du refus du Sauveur, qui n’est rien d’autre que sa propre personne, ce qui redouble sa douleur. Le mouvement de l’âme est tel que la commotion le touche et, dès que l’objet apparaît à sa vue (Jésus connaît aussi par science acquise)6, l’effet corporel s’ensuit et Il verse des larmes: « en voyant la ville il pleura sur elle » (Lc 19, 41).

 

 

Crainte et audace

« La crainte se rapporte à un mal futur » dit saint Thomas et les mouvements qui l’accompagnent parviennent même à donner une certaine « contraction ». C’est pour cela que le nom de « passion » lui convient souverainement7. Le fait que le mal soit futur et non pas présent n’est pas une raison pour laquelle les conséquences sur le corps devraient être moindres. Au contraire, la transmutation corporelle peut même être plus grande lorsque l’objet est seulement représenté8, que lorsqu’il est présent. Cela peut se produire parce que le remède à ce mal n’est pas encore survenu : en effet la passion d’audace (le contraire de la crainte, à laquelle elle apporte une certaine solution)9, survient généralement dans un deuxième temps, en respectant les suites temporelles de notre intelligence discursive. On appréhende le mal, on le craint, et il faut alors un remède pour le dépasser.

 

En suivant la description de la Passion de Jésus-Christ on serait tenté de voir cette succession décrite par les évangélistes : à Gethsémani, lorsque la Passion future se faisait présente à son esprit, « Il commença à être pris par la terreur et la frayeur » (Mc 14,33). D’une telle terreur ne pouvait que s’ ensuivre le désir de fuir le mal10 : « Père, s’il est possible éloignez de moi ce calice » (Mc 14, 36 ; Mt 26,39). Les conséquences physiques ne manquent pas et le corps en ressent jusqu’à la sueur de sang (Lc 22, 44). La disproportion du mal par rapport à la capacité de le supporter est justement l’aspect le plus effrayant chez celui qui craint, et qui se voit seul face à l’incapacité de résister11. L’évangile, sous un angle plutôt pédagogique, rend raison de cet état, qui semble réclamer - même chez le Christ - de l’aide, le recours à un autre qui ne soit pas dans le même état : c’est l’ange consolateur de saint Luc (Lc 22, 43). Dans le Christ certes il n’y avait pas d’erreur ; l’ange n’a donc pas un rôle de conseiller contre un jugement erroné causé par la passion. Cependant on pourrait voir ici une certaine analogie avec la disposition au conseil dans la crainte, dont parle Saint Thomas12. Le Christ a voulu se faire consoler par un autre, en enseignant de la sorte que le recours à autrui, lorsque on est en difficulté, peut être une chose bonne et le signe d’une saine humilité.

 

L’évangile insiste, en nous montrant presque une passion après l’autre, en dévoilant l’utilité de chaque passion, comme remède à une difficulté précédente. Face à un mal aussi grand que celui qui s’annonce pour le Vendredi Saint, il faut un mouvement proportionné qui puisse permettre de l’affronter et de penser en triompher. C’est l’audace qui « agresse le danger imminent pour le vaincre»13. Saint Jean nous dit que Jésus non seulement ne cherche pas à fuir, mais qu’Il avance seul vers les soldats du Sanhédrin et Judas. Il leur répond avec fermeté, tout en sachant ce qui va lui arriver: « Jésus en sachant ce qui allait lui arriver, avança et leur dit: “qui cherchez vous?”» (Jn 18, 4-8 ). Il n’hésite pas à leur dire qu’Il est prêt à les suivre, et cela même sur un ton impérieux. Il sait qu’il faut affronter ce mal pour un plus grand bien (les bienfaits qui suivront son sacrifice), en effet «par accident on peut poursuivre un mal, mais en raison du bien qui s’y joint»14. Jésus, pris par l’audace, va ressentir - le ton de ses mots le dévoile - ce mouvement corporel, ce qui va lui permettre de monter au Calvaire pour obtenir un bien sans mesure.

 

FIN IIème PARTIE

 

 

1 S. Th., Ia IIae, q. 40, a. 1.

2 S. Th., Ia IIae, q. 40, a.2 corpus.

3 S. Th., Ia IIae, q.40. a 4, corpus.

4 Ibidem.

5 S. Th., IIIa, q. 18, a. 3, corpus.

6 Sur l’intellect agent chez le Christ: S. Th., IIIa, q. 9, a. 4, corpus.

7 S.Th., Ia IIae, q. 41, a.1, corpus.

8 S. Th., Ia IIae, q.41, a1, ad primum, ad secundum.

9 S. Th., Ia IIae, q. 45, a 1, corpus.

10 S. Th., Ia IIae, q. 41, a.3, corpus; IIIa q. 15, a. 7, corpus.

11 S. Th. Ia IIae, q. 41, a.4, corpus.

12 S. Th., Ia IIae, q. 44, a. 2.

13 S. Th., Ia IIae, q. 45, a 1, corpus.

14 S Th. Ia IIae, q. 45, a. 2, corpus.

Partager cet article
Repost0
2 février 2019 6 02 /02 /février /2019 13:51

Jésus les avait-il?

2 février 2019, Présentation de l’Enfant Jésus au Temple

 

A. Zanchi, La cacciata dei mercanti dal tempio, Venezia - Scuola Grande di San Fantin

 

Introduction

La question de l’existence et de la nature des passions dans le Christ revêt une importance non seulement dogmatique - relativement à la réalité de l’Incarnation - mais aussi ascétique et morale. Si Jésus Christ peut être vrai modèle de toute vie morale, c’est bien parce qu’il est Perfectus Homo, parce qu’il est homme en tout, jusque dans les passions. Il n’a pas choisi de prendre une partie d’humanité en en délaissant une autre ou de prendre seulement la noblesse de l’intelligence, sans avoir toutes les limites d’un être matériel. Il a voulu partager tout ce qui est propre à l’homme, y compris la matérialité corporelle et donc la passibilité. Cependant il ne faut pas oublier que toute considération de l’humanité de Jésus-Christ doit toujours prendre en compte en même temps le fait que la Personne de Jésus Christ est le Verbe, qu’il est Dieu. Jésus-Christ est vrai homme, mais aussi vrai Dieu. Au sujet des caractéristiques de son humanité, il faut donc se souvenir qu’elles demandent à être traitées avec des distinctions spécifiques, qui cependant ne mettent nullement en discussion l’« intégralité » de son Incarnation.

Il y a eu à toute époque, et encore plus de nos jours, une tendance à délaisser et parfois à évacuer le rôle nécessaire des passions dans la vie morale d’un homme. De plus, certaines passions de l’irascible, telle que la colère par exemple, sont parfois vues comme “toujours nuisibles”, donc à réprimer systématiquement. Une tendance à regarder la vie chrétienne de façon édulcorée et presque apathique, se conjugue à une vision de Jésus-Christ qui s’inspire plus de l’ataraxie idéaliste des stoїciens que de la familière humanité de l’Evangile. Dans un tel cadre on arrive parfois à attribuer à Jésus-Christ, et donc à recommander au chrétien, une vie morale qui se réduit à un combat sans distinctions contre toute sorte de passions.

La spéculation thomiste au contraire analyse l’homme avec ses passions, en partant des toutes les données de la réalité naturelle. L’indéniable présence en toute homme du concupiscible et de l’irascible conduit Aristote d’abord, s. Thomas par la suite, à donner une description et une division des passions humaines en partant de l’examen du réel : chacune d’elles doit avoir un rôle dans la régulation de la vie morale, parce que ce qui est naturel ne peut pas être vain ; Natura nihil facit inane, comme dit un adage classique. L’Homme-Dieu lui-même, en assumant la nature humaine, a voulu se servir de chacune des passions, pour montrer de quelle façon, dans le dessein de la création, elles sont toutes nécessaires et utiles, de telle sorte qu’une injuste répression peut même devenir immorale.

Il importe dans ce cadre de préciser la notion de “passion” et plus précisément de “passion de l’irascible”, pour ensuite aborder les différentes passions selon Saint Thomas, tout en ayant un regard fixé sur l’Evangile, dans le but de voir le parallèle possible entre vie morale de l’homme et l’exemple concret donné par le Christ.

 

Les passions de l’irascible

Saint Thomas, tout au long de la question 22 de la Prima Secundae, aborde la notion de passion selon son double usage au sens large et au sens propre. Dans notre cadre nous concentrons l’analyse sur son sens propre, c’est à dire lorsque la passion est prédiquée pour un être matériel. Plus spécifiquement nous allons concentrer notre attention, dans le cas de l’homme, non pas sur les passions dites « du corps », telles que la faim, la soif ou la maladie, mais sur les passions dites plus proprement « de l’âme ».

Les passions de l’âme sont, selon la définition du Damascène1, les mouvements de l’appétit sensitif, provoqués par l’imagination ou la représentation d’un bien ou d’un mal et accompagnés d’une perturbation du corps. Les mouvements de l’appétit sensitif - à la différence de ceux de l’appétit intellectif - sont nécessairement en lien avec un mouvement corporel, matériel. C’est cet aspect qui va donner à la passion son caractère propre. Pour parler proprement de passion il faut donc une certaine matérialité2. L’élément intellectif, vu dans son antériorité appréhensive, reste toutefois en rapport avec sa “conséquence” appétitive. Une connaissance intellective va susciter, en raison de l’union de l’âme et du corps, le mouvement corporel, qui va être en connexion avec le mouvement appétitif en vue d’une action 3.

Saint Thomas va ensuite diviser les passions selon les deux espèces de tendances appétitives. Dans le cas de l’appétit concupiscible (qui se rapporte au bien en tant qu’il est agréable aux sens et en tant qu’il convient à la nature du sujet)4, on aura six passions. Le bien dont il est question peut être considéré de trois façon ; 1) en soi : on aura donc la passion d’amour ; 2) comme absent : on aura le désir ; 3) comme présent : on aura la joie. Dans le cas du mal (bien qui manque) nous avons le même parallèle, 1) mal considéré en soi : on aura la passion de haine ; 2) considéré comme absent : on aura la fuite ; 3) considéré comme présent : on aura la tristesse5.

L’appétit irascible, en revanche, se rapporte au bien considéré par rapport à la difficulté de son obtention, vu sous la ratio de l’ardu (arduum)6. Dans ce cas Saint Thomas distingue cinq passions, selon qu’on regarde son aspect de bonum ou son aspect de arduum. Il y aura deux couples de contraires et une passion qui n’a pas de contraire. Si le bien ardu est futur on a l’espoir, on se porte vers le bien qui peut être atteint au prix de difficultés, mais vu sous la ratio de la possibilité de l’atteindre; son contraire est le désespoir, le bien ardu se présentant comme ne pouvant pas être atteint et il y a alors une répulsion, non pas du bien, mais de son côté ardu. Par rapport au mal qui n’est pas encore présent et qui “sépare” du bien, on peut avoir la crainte, qui est la fuite du mal, ou son contraire, l’audace qui fait affronter le mal, en vue de l’obtention de ce bien difficile7. La cinquième est la colère qui apparaît lorsque le mal est présent8. Celle-ci n’a pas de contraire parce que dans le cas du bien présent on aurait la joie, qui est une passion du concupiscible. Comme on le voit, selon la division de l’Aquinate, les passions sont à voir comme des forces vives, qui peuvent faciliter l’action et la porter à terme. En particulier dans le cas des passions de l’irascible elles sont un soutien pour affronter le mal ou les difficultés et conduire à l’obtention du bien difficile.

Les passions ne sont donc pas de soi en contraste avec la vie morale, mais elles sont à son service. Certes, dans l’état actuel un certain désordre touche la nature humaine en raison du péché originel et cela devient plus évident encore lorsque les passions interviennent. Cela ne rend pas les passions immorales, mais fait que leur moralité est à évaluer en rapport à leur conformité à la droite raison et à l’usage libre de la volonté. Elles ne doivent pas obscurcir l’intelligence, ni empêcher l’action voulue, parce que dans ces deux cas elles s’avèrent alors nuisibles à la vie morale. Considérées en soi, elles peuvent être vues comme indifférentes dit Saint Thomas, mais elles sont bonnes et utiles lorsque elles sont bien ordonnées9.

Comme on le voit tout au long de l’histoire, l’appétit des grands hommes nécessitait de grandes passions pour qu’ils soient mû et qu’ils achèvent leurs actions difficiles; ainsi, en considération de la grandeur de son œuvre, il est même de convenance que Notre-Seigneur ai eu de fortes passions, aussi dans l’appétit irascible.

Fin Ière partie

 

 

1 S. Th., Ia IIae, q 22, a. 3, sed contra.

2 S. Th., Ia IIae, q. 22, a. 2, ad tertium.

3 S. Th., Ia IIae, q. 22, a. 2, ad primum.

4 S. Th., Ia Pars, q. 82, a. 5, corpus.

5 S. Th., Ia IIae, q. 23, a. 4, corpus.

6 Le bien dans le cadre de l’irascible est regardé sous une différente perspective : « secundum quod est repulsivum et impugnativum eius quod fert nocumentum » . S Th., Ia Pars, qu. 82, a. 5, corpus.

7 S. Th., Ia IIae, q. 23, a. 2, corpus.

8 S. Th., I-II, q. 23, a. 1-4.

9 S. Th. I-II, q. 56, a. 4.

Partager cet article
Repost0
28 décembre 2018 5 28 /12 /décembre /2018 13:08

Devant ces questions precises Rome ne dément pas

 

28 décembre 2018, Saints Innocents

 

 

Nous publions le texte de la lettre envoyée le 26 septembre 2018 (et à nouveau transmis le 8 décembre dernier) par laquelle nous avons adressé certaines questions d’éclaircissements spécifiques à la Révérendissime Congrégation pour la Doctrine de la Foi sans recevoir aucun ... démenti.

 

Nous invitons tous nos lecteurs à coopérer pour avoir une réponse explicite en envoyant le texte présent à l’adresse suivante:

 

Révérendissime Congrégation pour la Doctrine de la Foi

Palazzo del Sant’Offizio 

00120 Città del Vaticano

 

Nous demandons à cette Révérendissime Suprême Congrégation :

 

1 - Si Sœur Lucie Dos Santos, voyante de Fatima, a jamais rédigé un écrit connexe au Troisième Secret de Fatima et explicatif de la vision, un écrit dont l’objet est sa signification c’est-à-dire l’interprétation.

 

2 - Si le texte du Troisième Secret de Fatima a été écrit une fois seulement ou, d’une quelconque autre manière, plusieurs fois.

 

3 - Quels sont les “certains ajouts faits en 1951” - selon l’assertion du Cardinal Angelo Amato, déjà secrétaire de cette Congrégation, pendant un Congrès et sur l’Osservatore Romano du 7 mai 2015 - par Soeur Lucie aux “deux premières parties” du Secret.

 

Dans la confiance filiale que ces questions posées à l’Autorité ecclésiastique ne se heurtent pas au mur du silence, nous Vous remercions pour Votre attention courtoise, avec l’assurance de nos prières ferventes.
 

Don Stefano Carusi

 

Abbé Louis-Numa Julien

 

Abbé Jean-Pierre Gaillard

 

Kl Lukasz Zaruski

Partager cet article
Repost0
20 novembre 2018 2 20 /11 /novembre /2018 13:20

Notes sur la récente correspondance avec le cardinal Brandmüller

24 octobre 2018, Saint Raphaël Archange

 

 

Au milieu d’une des plus violentes tempêtes qui secoue la situation ecclésiale actuelle, de manière clairement non fortuite, deux lettres sont apparues dans la presse écrites par Benoit XVI au Cardinal Brandmüller au mois de novembre 2017, dont l'authenticité ne semble faire aucun doute. Certains lecteurs nous ont demandé un commentaire qui ne se limite pas à la surface - ou au débat idéologique auquel nous avons assisté -, mais qui analyse le message lancé et relancé par le Pape Benoit, comme François l’a également appelé plusieurs fois, au sujet de la notion de “Pape émérite” (non encore clarifiée) et aux circonstances du renoncement évoqué dans un parallèle déconcertant (l’emprisonnement par les nazis, éventuellement prévu par Pie XII). Nous avons déjà traité cette question de façon générale au mois de juin 2016 dans un article (cf: De quel genre est la “démission” de Benoit XVI?), auquel nous renvoyons, et qui semble trouver des confirmations en ces révélations de 2017 qui contiennent de nouveau des références à des titres que celui qui renonce à la Papauté ne devrait plus avoir et à un pouvoir qu’il ne devrait plus exercer.

 

Dans la lettre du 9 novembre 2017, en répondant à une critique du Cardinal Brandmüller sur le fait que “la construction du Pape émérite [est] une figure qui n’existe pas dans la totalité de l’histoire de l’Eglise”, le Pape Benoit ne nie pas qu’il s’agisse d’une nouveauté, mais il s’interroge et demande presque lui-même  l’avis de son interlocuteur, historien notoire de l’Eglise. Il fait ensuite un parallèle - assez inquiétant précisément - avec Pie XII et la prévision de son emprisonnement par les nazis. En effet, le Pape Pacelli avait prévu son retour au Cardinalat dès l’instant même où il aurait été fait prisonnier. A ce moment le Pape Ratzinger écrit : “Si ce simple retour au Cardinalat aurait été possible, nous le savons pas”. Dans ce passage, à notre avis, il n’est pas question d’une impossibilité métaphysique - quiconque connait un peu de théologie ou d’histoire de l’Eglise sait que cela est possible -, mais il semble presque que le Pape Ratzinger soit en train de dire que celui qui renonce au Souverain Pontificat pourrait par la suite ne plus avoir aucun pouvoir sur le rôle et sur l'éventuelle juridiction que celui qui renonce peut s’attribuer à lui-même. “Renommer” au Cardinalat pourrait revenir en effet à son successeur. Et il nous semble que le doute théologico-canonique invoqué tourne autour précisément de cette éventuelle “compétence exclusive” du successeur sur le Cardinalat du prédécesseur.

 

Mais le Pape Ratzinger va au-delà et - dans le passage suivant de la lettre citée - dissipe tout doute sur le fait qu’il soit “redevenu” seulement un Cardinal : “Dans mon cas, cela n’aurait certainement pas eu de sens de simplement réclamer un retour au Cardinalat”. Il invoque une raison médiatique qui, en elle-même, ne semble pas être très contraignante; en effet, peut-être que les raisons profondes de l’impossibilité d’un simple retour au Cardinalat sont aussi ailleurs. Ou peut-être des campagnes médiatiques dévastatrices étaient à craindre.

 

Il ajoute ensuite une phrase dont l’interprétation n’est pas évidente : “par le Pape émérite, j’ai cherché à créer une situation dans laquelle je suis absolument inaccessible aux médias et dans laquelle il est bien clair qu’il existe un seul Pape”. Même si, dans les faits, deux personnes distinctes semblent porter en partie le même titre et les mêmes symboles.

 

Une réflexion s’impose ici, et nous y reviendrons aussi à la fin de cet article. Si Benoit XVI n’est certainement pas redevenu Cardinal et si le renoncement au munus est “plein”, cela veut dire qu’Il est désormais seulement un Evêque, dépourvu entre autres de juridiction tant sur un troupeau déterminé que sur n’importe quel autre baptisé déterminé. Mais il ne semble pas en être ainsi comme nous le verrons dans la conclusion.

 

Puis la lettre du 23 novembre 2017 a été diffusée. Nous faisons remarquer que seules les lettres dont Benoit XVI est l’auteur sont publiées alors que nous ne pouvons faire que des déductions des écrits du Cardinal Brandmüller, qui par ailleurs, selon ce que dit le destinataire, semble s’être engagé à ne plus revenir sur le sujet. Il ne semble donc pas impossible de penser que l’auteur de la divulgation de ces courriers  ne soit pas Son Eminence comme cela a été soutenu peut-être trop rapidement.  

 

Les références à la “fin de mon pontificat” dans un contexte qui semble presque le prolonger d’une certaine manière jusqu’à aujourd’hui, ainsi que les références à un jugement - donné en 2017 - de “mon pontificat dans son ensemble” sont à considérer dans un chapitre à part. Le ton semble être celui de quelqu’un qui, sincèrement affligé par la situation ecclésiale actuelle, exerce cependant un rôle qui n’est pas seulement celui - aucunement juridictionnel - de la prière. Puis, le texte donne une référence (explicite, documentée, avec le nom de l’éditeur, le lieu et la date de publication) d’un livre en partie déjà connu, mais qui après une pareille divulgation sera destiné à une plus large diffusion : il s’agit de “La Rinuncia” de Fabrizio Grasso[1].

Apparemment ce texte est invoqué surtout par rapport à la situation d’ “agitation” ecclésiale qui s’est créée, mais il a une thèse de fond qui ne peut pas être passée sous silence ici. Quelle est donc la thèse de fond de ce livre qualifié  d’ “emblématique” par le Pape Benoit ? Selon les mots de son auteur : “la thèse [du livre] est qu’en ayant de fait deux Papes le ministère s’est élargi ou s’est divisé, donc l’autorité et la potestas se sont multipliées ou divisées, mais tant dans le cas où celles-ci se soient multipliées que dans le cas où celles-ci se soient divisées il est en acte, et nous le voyons tous les jours, nous le voyons dans les journaux, un dispositif politique qui fait que Benoit et François sont perçus comme ami ou ennemi suivant la sensibilité de celui qui regarde et de celui qui lit les gestes des deux Papes et les déclarations des deux Papes; cela signifie qu’en ayant deux Papes, et que l’autorité et la potestas, qui était primauté d’un seul Pontife, ayant été démembrées, la représentation de Jésus-Christ comme sujet politique, comme sujet historique vient à manquer, parce que nous ne savons plus à qui faire référence pour cette potestas et pour ce pouvoir” (nous avons conservé le style oral de la déclaration)[2]

 

Nous précisons que l’auteur du livre “emblématique”, Fabrizio Grasso, souligne ailleurs aussi qu’en parlant de “deux Papes” il se réfère principalement à la situation politique agitée qui s’est créée “de facto” et pas nécessairement “de iure”. Ses affirmations et d’autres passages de sa thèse peuvent être partagés seulement en partie, mais ils ne sont pas nécessairement en contradiction avec ce qui est affirmé par le Pape Ratzinger c’est-à-dire sur la possibilité d’un seul Pape; ils renvoient plutôt à la question centrale c’est-à-dire que, si de facto s’est créée une confusion presque comme s’il y avait deux Papes c’est parce que ce qui s’est produit de iure est quelque chose d’assez singulier, comme au fond le relevait aussi le Cardinal Brandmüller.

 

Après une admonition à ne pas évaluer hâtivement et superficiellement l’ensemble de Son Pontificat à cause de la triste situation de l’Eglise aujourd’hui, le Pape Ratzinger poursuit et semble aussi faire allusion - intelligenti pauca - à ce qu’avait déjà dit Mgr Gänswein à propos du “Pontificat d’exception”; tout cela semble renvoyer à une situation extraordinaire pour l’Eglise sous plusieurs aspects, dont la potestas et son exercice ne sont pas les derniers. 

 

La conclusion de cette deuxième lettre est à lire attentivement avec tout ce qu’elle implique: 

 

Avec ma Bénédiction apostolique je suis

Ton

Benoit XVI”. 

 

Or, notoirement, la Bénédiction Apostolique est quelque chose de bien documenté dans l’histoire et dans la praxis de l’Eglise, qui a institué une Aumônerie s’occupant d’accorder cette Bénédiction sur mandat juridictionnel du Pape, déléguée seulement par le Souverain Pontife à certains Evêques et prêtres pour des circonstances extraordinaires. Cependant, quiconque en est le dernier et immédiat dispensateur matériel n’est rien d’autre qu’un instrument du pouvoir pontifical qui lui est transmis stablement ou transitoirement[3].

La Bénédiction Apostolique est donc synonyme de Bénédiction Papale et ne peut être accordée que par le Souverain Pontife à ses sujets sur lesquels il exerce la juridiction qui lui a été conférée par le Christ. Celui qui a été Pape, mais qui serait redevenu un simple Evêque et qui, de son propre aveu, n’est même pas redevenu Cardinal, non seulement, en règle générale ne bénit pas un Cardinal (son supérieur quant au pouvoir de juridiction) mais certainement n’accorde pas la Bénédiction Apostolique. Nous faisons ensuite remarquer l’importance de l’adjectif “ma”: il ne s’agit pas en effet d’une simple Bénédiction Apostolique qui - sur délégation papale - peut être dispensée par un prélat, mais il s’agit de “ma Bénédiction Apostolique” (laquelle en soi comporte aussi d’ordinaire l’indulgence plénière). Elle est en soi un exercice de juridiction, juridiction personnelle de celui qui est en train de l’accorder. Sinon elle ne pourrait pas être dite “mienne” mais seulement “apostolique” ou “papale”.

 

Les éléments sur lesquels on peut raisonner ne manquent pas, y compris la visite systématique des nouveaux Cardinaux à Sa Sainteté Benoit XVI. Mais, en faisant abstraction de la possibilité théologique et canonique de certaines éventualités de partage du pouvoir papal, déjà invoquées dans le discours de Mgr Gänswein sur le “ministère élargi” et par la possibilité de la distinction entre “munus” et “ministerium” (cf: De quel genre est la “démission” de Benoit XVI?), cette lettre fait surgir une question : quel pouvoir juridictionnel du Bienheureux Apôtre Pierre faut-il avoir gardé pour soi pour qu’une bénédiction soit en même temps propre (“ma”) et surtout “Apostolique”? 

 

La Rédaction de “Disputationes Theologicae

 

Lettre du 7 novembre 2017

 

 

Lettre du 23 novembre 2017

 

 

[1] F. Grasso, La Rinuncia. Dio è stato sconfitto?, Catania 2017.

[2] Presentazione del libro di Fabrizio Grasso "La Rinuncia. Dio è stato sconfitto?" (Algra Editore), 5 septembre 2017, http://www.radioradicale.it/scheda/518241/presentazione-del-ibro-di-fabrizio-grasso-la-rinuncia-dio-e-stato-sconfitto-algra.

[3] Cf. Paenitentiaria Apostolica, Enchiridion indulgentiarum, Roma 1999, normae 7 e 18; concessiones 4 e 12; CIC (1917), can 468, § 2;  CIC (1983), can. 530, § 3; Rituale Romanum, Roma 1952, Tit. VI, Cap. VI, p. 230 e ss.

 

Partager cet article
Repost0
5 août 2018 7 05 /08 /août /2018 14:12

Un souvenir de lui en quelques anecdotes  

5 août 2018, Notre Dame des Neiges

 

La Messe Pontificale à Sainte Marie Majeure

 

Le Cardinal Castrillon s’est éteint le 17 mai dernier. Parmi ses nombreuses charges il fut pendant des années le responsable de la Commission Pontificale Ecclesia Dei. Cette circonstance nous donna l’occasion de le connaitre, d’apprécier ses qualités, de recevoir de lui des indications d’aide sincère mais aussi d’être en désaccord sur certains points. S’il est vrai qu’il restait un homme de Curie d’une certaine période historique, il est aussi vrai que ce qui frappait chez lui était son attitude directe, immédiate, sans affectation courtisane. Il était également un grand connaisseur - et souvent un tisseur - de cette toile politique qui est, elle aussi, une partie de la vie de l’Eglise Romaine, mais nous n’avons pas souvenir qu’avec nous il ait revêtu « le masque du pouvoir ». Son physique robuste même, indiquait l’homme concret qui avait connu les âpretés du ministère rural, à une époque où les déplacements n’étaient pas faciles. Lors d’une rencontre internationale du Clergé, qui eut lieu en Colombie en 1998 en préparation de l’Année Sainte, il monta à cheval et fit presque un rodéo, montrant quel cavalier il était encore malgré son âge vénérable. Descendant de cheval, il prit le microphone et dit aux prêtres présents qu’il avait dû apprendre à monter à une époque où le cheval était l’unique moyen pour le prêtre de rejoindre certains villages isolés. Et il termina en disant aux confrères « je vous souhaite d’utiliser tous les moyens possibles pour amener Jésus Christ ». Voilà comment était le Cardinal Castrillon et cet esprit se reflétait immanquablement dans sa direction de la Commission « Ecclesia Dei ». Cette charge était certainement difficile car tous les choix ne dépendaient pas de lui ; plusieurs forces faisaient pression dans un sens restrictif, en arrivant parfois même au véritable abus canonique et ecclésial. N’oublions pas que des hostilités furent exprimées même de la part de l’Osservatore Romano, nous en avions parlé dans un article en février 2011 (L’Osservatore Romano attaque « Dominus Jesus » et la Commission Ecclesia Dei).

 

Notre souvenir nous permet de témoigner d’un homme de médiation, qui - surtout pendant le Pontificat tant contesté de Benoit XVI - sut défendre certains choix avec détermination et autorité. Sur plusieurs points nous ne pouvons pas dire que nous avions les mêmes positions, mais il faut reconnaitre qu’au sujet de la Messe, qu’il appelait souvent « grégorienne », il eut de belles et courageuses paroles. Des paroles et des actes. Parce que ce fut lui qui, le 24 mai 2003 célébra à Sainte Marie Majeure cette fameuse Messe pontificale ; aujourd’hui nombreux sont ceux qui l’ont oubliée, mais à l’époque il fallait du courage, et lui il l’eut. On pourrait légitimement discuter de l’intention de « récupérer les traditionalistes », certains parlèrent même seulement - non sans une certaine myopie idéologique - de « tromperie » ou de « miroir aux alouettes », il est néanmoins incontestable que peu de Cardinaux - spécialement Préfet de Congrégation et encore moins papabile - auraient osé en ces temps-là revêtir ces ornements-là, pour ce rite-là et dans cette basilique-là.        

 

Sur ce sujet, il était aussi auto-ironique et facétieux, ne rougissant pas de citer en souriant l’épithète de « requin » que Mons. Williamson lui avait attribuée, et ajoutait ensuite avec bonhomie, qu’au fond pour son habilité politique, il l’avait bien méritée. Il reconnaissait en même temps que - quoique d’un bord opposé - cet Evêque de la Fraternité avait été honnête à son égard tant en public qu’en privé, et il allait même jusqu’à dire que d’un certain côté il était, paradoxalement, celui parmi les quatre évêques de la FSSPX qui avait le moins une mentalité schismatique.

 

C’est sous son mandat que fut accordée “l’exclusivité du rite traditionnel” à une Société, et, en honnête homme, il resta fidèle à ses engagements. Sous sa présidence cet accord ne fut jamais mis en discussion, malgré les pressions d’en haut et malgré la disponibilité à le brader, précisément de la part de ceux qui auraient dû le défendre. Concernant le Concile Vatican II, il répétait - en simplifiant volontairement - que les passages conciliaires pouvaient se distinguer en trois typologies : la première contenait des affirmations partageables par tout catholique ; la seconde comportait des ambigüités, mais il était possible d’en interpréter le contenu à la lumière de la Tradition ; la troisième typologie pouvait paraitre difficilement conciliable avec la Tradition. Sur ces passages nous devions nous engager - il nous le dit de vive voix - à une « étude sérieuse et constructive », à une « critique sérieuse et constructive ». Ce fut lui qui nous dit avec force : « ceci est un grand service à rendre à l’Eglise »! Après l’avoir approuvée, au lieu de se retirer comme firent tant d’autres, il nous incitait à la « critique constructive » et nous disait que se soustraire à une telle charge équivalait à se servir davantage soi-même plutôt qu’à servir l’Eglise.

 

Nous le savons bien et nous ne voulons pas le cacher même en cette occasion : tous les choix auxquels il souscrivit ne furent pas pleinement partageables. Notre pensée va à la mise sous commissaire en l’an 2000 de la Fraternité Saint Pierre, qui constitua un précédent très triste et même trop imité. Cependant il est aussi vrai qu’un chef de Dicastère ne fait pas toujours ce qu’il veut, et d’ailleurs, sa gestion, par la suite, nous donna l’impression qu’il voulait presque se faire pardonner cette erreur. Il aura certainement fait des erreurs, mais dans la direction de l’Ecclesia Dei il représenta souvent le sens du concret et le bon sens, en déclarant ouvertement qu’il cherchait à composer les situations et non pas à les compliquer. Exaspérer les situations avec des vexations ne produit jamais de bons fruits. Lorsqu’il s’agissait de trouver des médiations et de donner des conseils pratiques d’une utilité incontestable, il fut toujours disponible et affable, même lorsqu’il avait plus d’une raison pour être en colère…la faute n’en incombe pas toujours « uniquement à la Curie Romaine »…

 

A celui qu’il devait aider, il demandait une certaine compréhension des difficultés objectives de la situation, lesquelles, pour celui qui gouverne, ne rendent pas toujours la solution évidente. Les ennemis de l’Eglise et du Pape, parmi lesquels certains posèrent de véritables pièges, en exploitant les faiblesses mondaines d’un certain traditionalisme, étaient bien à l’œuvre et il nous le rappelait.

 

Ensuite arriva la tempête de 2009, qui avait des cibles précises et préméditées, dont une très importante… Quant à la manière dont il fut traité il est licite de soupçonner que quelques vengeances se soient abattues sur lui, entre autres aussi à cause de ses nettes positions au Conclave de 2005 et de la phrase qu’il y prononça.

 

Ce fut ainsi que la Commission Ecclesia Dei finit par être rattachée à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, et, de fait, son rôle fut redimensionné à celui de médiateur avec la FSSPX et ses « doctrines » à surveiller. Lors d’une rencontre récente, sans cacher à quel point cela lui avait fait mal, pendant qu’il nous révélait aussi certains aspects douloureux, il regrettait que de cette manière la Commission Ecclesia Dei se retrouvait dans une position d’extrême faiblesse et que son rôle en ressortait réduit et altéré.

 

Ainsi, si nous devions synthétiser notre souvenir nous parlerions d’un Cardinal courageux et fidèle aux engagements qu’il avait pris. Pacta sunt servanda et lui ne trahit jamais avec nous la parole donnée, même lorsqu’il était difficile de la maintenir.

 

Que Dieu veuille raccourcir son temps de purification en Purgatoire et que, du lieu où il se trouve et d’où il voit toute chose sous une autre lumière, il se souvienne d’intercéder pour ces prêtres qu’il a encouragés et même ordonnés au Sacerdoce.  

 

Communauté “Saint Grégoire le Grand”

Partager cet article
Repost0
Published by Disputationes theologicae
22 juin 2018 5 22 /06 /juin /2018 13:40

22 juin 2018, Saint Paulin de Nole

 

 

 

Intercommunion:

les fausses raisons doctrinales de Kasper

 

Face au retentissement mondial suscité par l’intention de l’épiscopat allemand de procéder à une normative canonique locale qui inclut la possibilité, et même la convenance, de faire accéder à la communion sacramentelle les protestants unis dans le mariage avec un conjoint catholique, l'Archevêque de Philadelphie, Charles J. Chaput, a voulu préciser de manière très opportune que la question ne concerne pas une Conférence épiscopale nationale prise singulièrement mais l’Église Catholique toute entière. C'est une question qu'il faut résoudre sur la base de la réaffirmation explicite et sans équivoque du dogme eucharistique. L’Évêque a déclaré:

 

«Qui peut recevoir l'Eucharistie, et quand, et pourquoi, ce ne sont pas là des questions allemandes. Si, comme l'a dit Vatican II, l'Eucharistie est la source et le sommet de notre vie de chrétien et le sceau de notre unité catholique, alors les réponses à ces questions ont des implications pour toute l’Église. Elles nous regardent tous. Et dans cette lumière j'offre ces points de réflexion et de discussion en parlant simplement comme un des nombreux Évêques diocésains» (Charles J. Chaput, Un modo gentile di nascondere la verità, déclarations enregistrées par le blog “First Things”, Source : magister.blogautore.espresso.repubblica.it 25/052018).

 

Le premier et essentiel « point de réflexion et de discussion » c'est évidemment (Mgr Chaput ne le dit pas, mais moi je l'affirme avec une certitude morale suffisante) l'intention anti-dogmatique et au final anti-ecclésiale qui anime les propositions des Évêques allemands et l'encouragement qu'ils ont reçu de la part du Pape François lui-même lorsqu'ils ont interpellé le Vatican tant au sujet de la praxis que de la doctrine qui devrait la justifier. En ce qui concerne le Pape Bergoglio, l'intention antidogmatique qui oriente son pontificat me semble évidente ; comme lui-même l'a explicitement déclaré (cf. l'exhortation apostolique Evangelii gaudium), la stratégie de fond de ses initiatives pastorales consiste dans le fait de « mettre en route des processus » de prise de conscience pour toute l’Église en vue de sa radicale « réforme ». Il a toujours dit que l’Église Catholique doit devenir « une Église en sortie », « une Église synodale », capable d'accomplir le projet indiqué par Vatican II pour obtenir finalement l'unité des chrétiens (cf : décret Unitatis redintegratio, 21 novembre 1964). Cela doit se faire non pas comme le Concile et les Papes du post-Concile l'avaient indiqué – c'est-à-dire en réaffirmant que l’Église du Christ « subsistit » dans l’Église Catholique, par sa doctrine et ses institutions juridiques[1] – mais au contraire en éliminant de manière graduelle et systématique sa doctrine définie de façon irréformable (les dogmes) et ses institutions juridiques fondamentales, considérées comme des obstacles qui jusqu'à présent s'opposaient au chemin de l'œcuménisme, surtout envers les protestants.

 

Le Cardinal Kasper, qui au Vatican a dirigé le Conseil Pontifical pour l'Unité des Chrétiens et qui avec le pape François est devenu le théologien officiel du Saint Siège, a eu recours au plus subtil (quoique ingénu) subterfuge dialectique pour justifier le renoncement à garder fermement dans les rapports avec les protestants le dogme eucharistique et les normes du droit canonique plusieurs fois confirmés par l'autorité ecclésiastique compétente. Il a écrit récemment :

 

« Pour un vrai luthérien, qui se base sur les écrits confessionnels, la présence réelle du Christ dans l'Eucharistie est obvie. Le problème ce sont les protestants libéraux et les réformés (calvinistes). C'est surtout avec eux qu'il faut éclaircir le problème dans des colloques pastoraux. Certes, on ne peut pas demander à un protestant ce qu'on demande normalement à un catholique. Il suffit de croire : « ceci est (est) le corps du Christ donné pour toi ». Sur cela aussi Luther a beaucoup insisté. Les doctrines plus développées sur la transsubstantiation ou consubstantiation, même un fidèle catholique « normal » ne les connaît pas... » ( Interview de Andrea Tornielli à Walter Kasper du 13 mai 2018, “Il Concilio e due encicliche ammettono casi di eucarestia ai protestanti”, Source: lastampa.it/vaticaninsider/ita 14/05/2018).

 

Il feint d'ignorer, ce très mauvais théologien et ce très mauvais pasteur, que pour Luther la « présence réelle » qu'il a parfois admise, n'est jamais conçue par lui et par ses successeurs dans le sens que l’Église Catholique confère à une telle formule dogmatique, c'est-à-dire comme le résultat de la « transsubstantiatio », en vertu de laquelle, après la Consécration, il n'y a plus sur l'autel la « res » de ce pain et de ce vin, mais la « res » du Christ lui-même, « son Corps, son Sang, son Âme et sa Divinité ». Bref, la « présence réelle », comme l'entend l’Église Catholique, est la présence du Christ en Personne « sous les espèces du pain et du vin », qui après la consécration sont des accidents matériels (sensibles comme tous les accidents matériels) qui ne conduisent pas, comme cela arrive d'ordinaire, à la connaissance d'une substance matérielle. Ce sont désormais des accidents que Dieu garde dans l'être (pour qu'ils servent de « signes » sacramentels) sans leur inhérence naturelle à la substance de ce morceau de pain et de ces gouttes de vin parce qu'il y a maintenant (invisible pour notre connaissance sensible, mais connaissable par la foi dans la parole du Christ lui-même) la personne du Verbe Incarné. Les fidèles doivent croire à la présence du Christ sous les espèces sacramentelles comme à un mystère révélé par le Christ lui-même (mysterium fidei) et formalisé par l’Église dans une formule dogmatique (articulus fidei) qui fait connaître le mystère en recourant à des termes métaphysiques (« substance » et « accidents ») compréhensibles par tous parce qu'ils coïncident avec les certitudes du sens commun[2]. Donc les catholiques qui ont la foi saisissent la « présence réelle » du Christ dans l'Eucharistie, non pas dans un sens faible, idéaliste et spiritualiste, comme Luther, mais dans un sens fort, réaliste et absolu. En effet, le concile de Trente a clairement défini ce dogme en s’opposant aux protestants. De la même façon, juste après Vatican II, le pape Paul VI le réaffirme par l’encyclique Mysterium fidei (3 septembre 1965) face aux hérésies luthériennes qui pénétraient la théologie catholique par le néo-modernisme.

 

Cependant, ni les dogmes du Concile de Trente, ni son explication et actualisation de la part du Pape Paul VI ne constituent un problème pour Kasper qui a toujours soutenu que le Magistère ecclésiastique n'a « rien à dire » ni sur cette question ni sur aucune autre question doctrinale qui constitue la matière enseignée jusqu'à aujourd'hui par les théologiens allemands sous le nom traditionnel de « dogmatische Theologie ». Pour Kasper en revanche, ont « leur mot à dire » les théologiens qui interprètent l’Écriture à leur grès en faisant abstraction du Magistère et en justifiant n'importe quel arbitraire exégétique et herméneutique par la théorie de l' « historicité du dogme », enseignée par le plus autorisé des théologiens contemporains l'allemand Karl Rahner. En effet, déjà en 1967 Walter Kasper, alors âgé de 34 ans, soutenait qu'après le Concile la théologie devait changer de méthode. Jusqu'à cette époque le théologien partait des dogmes et de leur interprétation authentique de la part du Magistère pour ensuite appliquer la doctrine de la foi à son propre temps, il fallait maintenant au contraire partir de la (présumée) culture de son propre temps. Voilà ses mots :

 

« Le dogme maintenant ne peut plus paraître comme une grandeur relative et historique qui a seulement une signification fonctionnelle. Le dogme est relatif, en tant qu'il est en rapport avec la Parole originaire de Dieu, qu’il sert à indiquer, et avec les problématiques d'un temps déterminé, et en tant qu'il aide à entendre avec exactitude l’Évangile dans les différentes situations » (Walter Kasper, Per un rinnovamento del metodo teologico, (titre originel : Zur Methode der Theologie), Queriniana, Brescia 1969, p. 123).

 

Il s'agit des hérésies luthériennes qui avec le modernisme et le néo-modernisme ont pénétré même dans la théologie catholique du XXème siècle.  Dans la 4ème édition de mon traité sur Vraie et fausse Théologie[3] j'ai souligné la façon dont toutes ces hérésies démolissent l'ensemble de toutes les vérités catholiques sur l’Église : de l'Eucharistie, en tant que sacrement de la « présence réelle » et en tant que Sainte Messe, qui est le sacrifice du Christ qui se renouvelle de manière non sanglante[4] jusqu’à la conception du légitime ministre de l'Eucharistie (le prêtre validement ordonné) et jusqu'au charisme de la « infallibilitas in docendo » conférée par le Christ à la hiérarchie sacrée (et non aux théologiens et encore moins aux chefs d'une communauté ecclésiale « autogérée » ou  « autocéphale »). C'est donc à juste titre que l’Évêque américain cité plus haut voit dans la praxis déjà illégitimement mise en acte par les évêques allemands et justifiée maintenant par Kasper au nom de fausses raisons doctrinales, une attaque contre l'unité de l’Église et la dissolution de la vérité dogmatique professée chaque dimanche par les catholiques de chaque partie du monde pendant la Sainte Messe au moment où ils disent : « Credo... in unam sanctam, catholicam et apostolicam Ecclesiam ». Mgr Chaput écrit en effet :

 

« Si l'Eucharistie est vraiment le signe et l'instrument de l'unité ecclésiale, alors, si nous changeons les conditions de la communion ne redéfinissons nous pas de fait qui est l’Église et ce qu'elle est ? Qu'on le veuille ou non la proposition allemande inévitablement fera exactement cela. C'est le premier stade d'une ouverture de la communion à tous les protestants, ou à tous les baptisés, parce qu'au final le mariage n'est pas l'unique raison pour consentir la communion aux non-catholiques. La communion présuppose une foi et un credo communs y compris la foi surnaturelle dans la présence réelle de Jésus-Christ dans l'Eucharistie, avec les sept sacrements reconnus par la tradition pérenne de l’Église catholique. En renégociant dans les faits cette réalité, la proposition allemande adopte une notion protestante d'identité ecclésiale. Le simple baptême et une foi en Jésus-Christ semblent suffisants, non plus la croyance dans le mystère de la foi comme l'entendent la tradition catholique et ses conciles. Le conjoint protestant devra-t-il croire dans les ordres sacrés comme l’Église catholique l'entend, c'est-à-dire en les voyant comme logiquement connexes à la foi dans la consécration du pain et du vin comme corps et sang du Christ ? Ou bien les Évêques allemands sont-ils en train de suggérer que le sacrement des ordres sacrés pourrait ne pas dépendre de la succession apostolique ? Dans ce cas, nous aborderions une erreur plus profonde encore. La proposition allemande coupe le lien vital entre la communion et la confession sacramentelle. Vraisemblablement elle n'implique pas que les conjoints protestants doivent aller confesser les péchés graves comme prélude à la communion. Mais cela est en contradiction avec la pratique pérenne et l'enseignement dogmatique explicite de l’Église catholique, du Concile de Trente, de l'actuel Catéchisme de l’Église catholique, tout comme du magistère ordinaire. Cela implique, comme son effet, une protestantisation de la théologie catholique des sacrements. Si l'enseignement de l’Église peut être ignoré ou renégocié, y compris un enseignement qui a reçu une définition conciliaire (comme dans ce cas-ci, à Trente), alors tous les conciles peuvent-ils être historiquement relativisés et renégociés ? Plusieurs protestants libéraux modernes mettent en discussion ou repoussent ou simplement ignorent comme bagage historique l'enseignement sur la divinité du Christ du concile de Nicée. Aux conjoints protestants sera-t-il demandé de croire dans la divinité du Christ ? S'ils ont besoin de croire dans la présence réelle du Christ dans les sacrements, pourquoi ne devraient-ils pas partager la foi catholique dans les ordres sacrés ou dans le sacrement de la pénitence ? S'ils croient en toutes ces choses pourquoi ne sont-ils pas invités à devenir catholiques pour trouver la manière de rentrer dans une visible et pleine communion ?  […] Si les protestants sont invités à la communion catholique, les catholiques seront-ils exclus de la communion protestante ? S'il en est ainsi, pourquoi devraient-ils en être exclus ? S'ils n'en sont pas exclus, cela n'implique-t-il pas que la vision catholique sur les ordres sacrés et la consécration eucharistique valide soient en effet fausses et, si elles sont fausses, que les croyances protestantes soient vraies ?  […] L'intercommunion […] ne sera-t-elle pas vue par plusieurs comme une façon gentille de tromper ou de cacher des enseignements ardus, dans le contexte de la discussion œcuménique ? L'unité ne peut pas être construite sur un procédé qui cache systématiquement la vérité de nos différences. L'essence de la proposition allemande de l'intercommunion est que la sainte communion puisse être partagée même lorsqu'il n'y a pas une véritable unité de l’Église. Mais cela frappe le cœur même de la vérité du sacrement de l'Eucharistie, parce que de par sa nature même l'Eucharistie est le corps du Christ. Et le « corps du Christ » est autant la présence réelle et substantielle du Christ sous les apparences du pain et du vin, que l’Église elle-même, la communion des croyants unis au Christ le chef. Recevoir l'Eucharistie signifie annoncer de manière solennelle et publique, devant Dieu et dans l’Église qu'on est en communion autant avec Jésus qu'avec la communauté visible qui célèbre l'Eucharistie » (Charles J. Chaput, un modo gentile di nascondere la verità, cit.).

 

Tout ce discours de l’Évêque américain est louable pour sa courageuse défense de la foi catholique, mais aussi pour la précision du langage dogmatique, sans laquelle aucune défense de la foi ne peut être sans équivoque. Cela vaut surtout pour la traduction du terme « présence réelle » (qui synthétise le dogme de la présence du Christ dans l'Eucharistie « vere, realiter et substantialiter ») dans un langage populaire mais dogmatiquement précis, en parlant de « présence réelle et substantielle du Christ sous les apparences du pain et du vin ». Et c'est cela, seulement cela qu'il faut dire toujours et en toute occasion quand on parle de l'Eucharistie. En effet, l'expression « corps du Christ », sans cette explication centrée sur la « personne » (au sens métaphysique du terme), se prête à toute équivoque : équivoque dans laquelle tombe involontairement le même Chaput lorsque, en voulant suivre la rhétorique de Kasper et de tant d'autres théologiens sur la signification conviviale et communautaire de l'Eucharistie, il écrit (dans le passage cité plus haut) que

 

« L’Eucharistie est le corps du Christ. Et le « corps du Christ » est autant la présence réelle et substantielle du Christ sous les apparences du pain et du vin, que l’Église elle-même, la communion des croyants unis au Christ le chef. Recevoir l'Eucharistie signifie annoncer de manière solennelle et publique, devant Dieu et dans l’Église qu'on est en communion autant avec Jésus qu'avec la communauté visible qui célèbre l'Eucharistie ».

 

Si nous ajoutons à la confusion du fait de parler, sans autres explications, de « corps du Christ » en référence à l'Eucharistie, pour ensuite utiliser le même terme, non seulement en se référant au Corps mystique, mais aussi (comme le font beaucoup de théologiens et aussi le Pape François, qui parle toujours de « chair du Christ ») en se référant à l'humanité souffrante, au dedans et en dehors de l’Église, alors l'équivoque est vraiment délétère, et c’est précisément le dogme eucharistique qui en souffre le plus. Je continue de soutenir que la bonne théologie et la bonne catéchèse doivent s'exprimer clairement dans des termes réalistes, c'est-à-dire centrés sur la « personne » au sens métaphysique du terme. Il faut dire seulement cela et toujours cela : dans l'Eucharistie il y a Jésus en Personne et les espèces sacramentelles nous permettent de nous mettre en contact sacramentel avec ce même Jésus, maintenant glorieux au ciel et qui reviendra dans la Parousie. Je me souviens qu'il y a 70 ans, lorsque dans ma paroisse les catéchistes me préparaient à la Première Communion j'entendais dire seulement cela (et c'était suffisant : le reste est de trop) : tu recevras Jésus, la Communion est la rencontre avec Jésus... Le sens commun perçoit tout de suite et très bien la signification métaphysique essentielle du dogme, celle pour laquelle le terme « substance » (que Paul VI a justement qualifié d’incontournable pour désigner ce qu'est vraiment l'Eucharistie) indique une réalité individuelle ; lorsqu'il s'agit d'une substance rationnelle, cette substance est une personne (« rationalis naturae individua substantia » enseigna Boèce). La communion eucharistique me sembla à l'époque, et continue de me sembler maintenant, le mystère (cru parce que l’Église le dit) de la possibilité que j'avais d'une rencontre personnelle entre moi et Dieu fait Homme.

  

Antonio Livi

 

Articles connexes:

L’Eucarestia secondo Kasper (Prima parte)

L’Eucarestia secondo Kasper (Seconda parte)

 

“Progetto Kasper” e attacco alla divina costituzione della Chiesa

     Verso una “Nuova Chiesa”, passando dal matrimonio?

 

L’ “intercomunione” coi Luterani

Riflessioni di Mons. Gherardini

 

L’exhumation intéressée du Père Dupuis

Répétition générale de Vatican III, contre Dominus Jesus

 

 


[1] Congregatio pro Doctrina Fidei, Responsa ad quaestiones de aliquibus sententiis ad doctrinam de Ecclesia pertinentibus, 29 juin 2007.

[2]  Antonio Livi, Metafisica e senso comune. Sullo statuto epistemologico della “filosofia prima”, Leonardo da Vinci, Roma  2005.

[3] Cf. Antonio Livi, Vera e falsa teologia. Come distinguere l’autentica “scienza della fede” da un’equivoca filosofia religiosa,quatrième édition, avec son Appendice  “Gli equivoci della teologia morale dopo la “Amoris laetitia”, Leonardo da Vinci, Roma  2018.

[4] Vedi Antonio Piolanti, L’Eucaristia,  6 volumi, Elle Di Ci ( Libreria Dottrina cristiana), Torino  1957.

Partager cet article
Repost0
Published by Disputationes theologicae