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30 avril 2018 1 30 /04 /avril /2018 10:48

L'importance de la vertu de force

 

30 avril 2018, Sainte Catherine de Sienne

 

Giovanni di Paolo, Sainte Catherine de Sienne à la Cour Pontifical d'Avignon

n'abandonne pas la guerre pour le juste jugement.

 

 

Sur la guerre juste Saint Thomas d'Aquin a écrit des mots incisifs qui sont une indication particulièrement actuelle pour les chefs d’États, mais aussi une suggestion morale pour chacun d'entre nous, surtout lorsqu'il s'agit de ne pas sous-évaluer l'exercice que nous devons faire de la vertu de force. En effet, un christianisme doucereux a fait souvent oublier que dans certains cas il y a un vrai devoir d'entrer en guerre lorsque est en jeu le bien de la patrie, mais aussi lorsqu'il est nécessaire de rétablir la justice, et cela - dit Saint Thomas - même en prenant des risques pour soi-même. Nous publierons de brefs articles sur des thèmes politiques qui nous touchent de près sur le plan naturel et surnaturel mais aussi sur le plan international, ecclésial et personnel.

 

 

Faire la guerre (même dans le sens le plus large du terme) n'est pas un péché

 

Saint Thomas commence son discours sur la guerre en affirmant qu'il existe une opinion selon laquelle faire la guerre ou dans un sens plus large s'opposer avec la force ou résister aux abus serait toujours un péché. Il rapporte la pensée de Saint Augustin qui avait déjà dû dissiper des doutes sur ce sujet en rappelant que dans l’Évangile on ne trouve aucune interdiction aux militaires d'exercer leur métier1.

 

Cependant, souligne l'Aquinate, il faut que la guerre soit juste et une telle justesse dérive au moins de trois caractéristiques. Dans les guerres qui regardent les royaumes il n'est pas permis à tout le monde de déclarer la guerre, mais cela doit être une décision  prise par l'autorité, c'est-à-dire par le prince légitime qui a parmi ses attributions celle de conduire l'action guerrière. En effet, un homme privé, pour un éventuel rétablissement de la justice, dans des conditions ordinaires, recourt au jugement du supérieur et n'a pas la faculté de déclarer une guerre. La sauvegarde de la tranquillité de l'ordre revient en soi au prince; il déclare la guerre à celui qui trouble l'ordre tant de l'intérieur que de l'extérieur (un cas à part est celui de l'autorité qui va contre le bien commun, sujet sur lequel nous reviendrons). C'est pour ce motif que le prince porte une épée, pour défendre la justice et pour être ce « vindex » dont parle Saint Paul (Rom 13,4). « Vengeur » est à prendre ici dans le sens le plus classique du terme c'est-à-dire dans le sens de « venger la colère divine », synonyme de « rétablir la justice ». Ce « vindex » est donc le protecteur du pauvre qu'il doit sauvegarder des exactions des iniques. En plus d'être une action du prince, la guerre juste doit avoir une caractéristique fondamentale la « causa justa », c'est-à-dire que celui auquel on déclare la guerre le mérite. C'est pour cela que Saint Augustin dit qu'on a l'habitude de définir comme guerres justes celles qui vengent l'injustice commise par une société qui refuse de réparer et persiste dans la prévarication. Troisièmement, la guerre juste doit être accompagnée de la droite intention de celui qui combat, c'est-à-dire que le but doit être la promotion du bien et l'extirpation du mal ou du moins le freiner, pour réprimer les méchants et soulager les bons. Cependant, il ne suffit pas que le prince légitime défende une cause juste parce que - toujours selon Saint Augustin - une telle guerre serait illicite si l'intention était par exemple le désir de nuire, la cruauté dans l'exercice de la vengeance, un tempérament implacable, la férocité dans la conduite de la guerre ou la soif de pouvoir2.

 

Mais comment concilier alors ce que l'on vient de dire avec le commandement divin de ne pas restituer le mal pour le mal ? Le Saint Évêque d'Hippone dit que quand on est obligé de conduire une guerre, une disposition générale de l'âme à la douceur et au renoncement à se défendre est nécessaire pour être fidèle à l’Évangile. Mais cela pourrait se dire aussi au sujet d'une résistance à actuer aux formes les plus diverses. Toutefois, à un certain moment l'intervention de la force devient  nécessaire surtout si le bien commun ou le bien de ceux contre lesquels on combat est en jeu. Ici émerge un autre aspect trop souvent oublié, c'est-à-dire le devoir d'aimer le prochain jusqu'au point de lui déclarer la guerre. Pour son bien. Cela peut être un geste d'amour que de lui enlever la liberté de faire le mal impunément et surtout lui soustraire son bonheur tranquille de malfaiteur, qui renforce la crânerie des impunis et leur mauvaise volonté. En paraphrasant Saint Augustin on pourrait ajouter qu'en plus de combattre pour le bien commun, on combat cet ennemi intérieur qui lutte à l'intérieur de notre ennemi3. Et cela pour son véritable bien. Telle est la charité qui doit animer l'action de s'opposer - même par l'épée si nécessaire - à l'injustice. Cependant, rappelle Saint Augustin à Boniface, il faut toujours tenir présent que le but de la guerre est la paix : « la paix n'est pas recherchée pour faire la guerre, mais la guerre se conduit pour obtenir la paix. Aies donc toujours l'âme pacifique lorsque tu guerroies, afin qu'en gagnant tu puisses conduire au bien de la paix ceux que tu auras soumis »4.

 

 

L'importance de s'exposer soi-même dans la guerre juste

 

Dans un lieu parallèle Saint Thomas rappelle que certaines guerres sont à faire et que, suivant son état, dans certains cas il n'y a pas d'excuses qui valent. S'il y a un bien important à poursuivre il faut aller jusqu'au bout, en exerçant précisément la vertu de force, qui nous fait aller même à l'encontre de la mort ou du moins nous rend prêt à la risquer. Sa propre vie mais aussi - notamment dans les guerres que l'on fait sans armes - d'autres biens comme l'aisance ou la réputation doivent être mis au service de la cause du bien. Ce qui signifie que l'homme doit être prêt à aller même à l'encontre de la mort dans la défense du bien commun par la guerre juste5. Ici Saint Thomas fait un ajout, en donnant une indication à chacun d'entre nous sur le devoir de combattre même si nous ne sommes pas des soldats chargés de défendre le sol de la patrie, mais de simples militants dans la guerre pour le triomphe de la foi attaquée ou de la justice naturelle piétinée. Il y a en effet deux types de guerres justes, le premier est appelé général lorsque l'on combat dans les rangs de l'armée et le second est appelé particulier c'est-à-dire celui qui peut concerner les personnes privées, chacun d'entre nous. Cela se vérifie lorsqu'un homme ne s'écarte pas du juste jugement (« non recedit a justo judicio »)6, qu'il reste ferme dans le choix juste, sans trembler devant le danger de mort ou de n'importe quelles autres menaces. La vertu de force exige en effet une fermeté d'âme contre les intimidations et les dangers même mortels, non seulement dans une éventuelle guerre officiellement déclarée par l'autorité mais aussi dans notre guerre particulière, qui à juste titre peut être dite guerre comme l'écrit le Docteur commun7. Même la défense d'un jugement objectivement juste peut - et parfois doit - aller jusqu'à la guerre. Non seulement parce qu'il peut y avoir le devoir pour le bien commun d’exercer la vertu de force en rétablissant la vérité, mais aussi pour ne pas commettre un péché contre l'intelligence, en soumettant cette grande vertu à la tranquillité de sa petite vie et de son propre intérêt personnel.

 

La Rédaction de Disputationes Theologicae 

 

 

 

 


1 S. Thomas d’Aquin, S. Th., IIª-IIae q. 40 a. 1 s. c.

2 Ibidem, c.

3 Ibidem, ad 2. “Ad secundum dicendum quod huiusmodi praecepta, sicut Augustinus dicit, in libro de Serm. Dom. in monte, semper sunt servanda in praeparatione animi, ut scilicet semper homo sit paratus non resistere vel non se defendere si opus fuerit. Sed quandoque est aliter agendum propter commune bonum, et etiam illorum cum quibus pugnatur. Unde Augustinus dicit, in Epist. ad Marcellinum, agenda sunt multa etiam cum invitis benigna quadam asperitate plectendis. Nam cui licentia iniquitatis eripitur, utiliter vincitur, quoniam nihil est infelicius felicitate peccantium, qua poenalis nutritur impunitas, et mala voluntas, velut hostis interior, roboratur.

4 Ibidem, ad 3. “Ad tertium dicendum quod etiam illi qui iusta bella gerunt pacem intendunt. Et ita paci non contrariantur nisi malae, quam dominus non venit mittere in terram, ut dicitur Matth. X. Unde Augustinus dicit, ad Bonifacium, non quaeritur pax ut bellum exerceatur, sed bellum geritur ut pax acquiratur. Esto ergo bellando pacificus, ut eos quos expugnas ad pacis utilitatem vincendo perducas.

5 Ibidem, IIª-IIae, q. 123 a. 5 c. “Sed pericula mortis quae est in bellicis directe imminent homini propter aliquod bonum, inquantum scilicet defendit bonum commune per iustum bellum”.

6 Ibidem, “Potest autem aliquod esse iustum bellum dupliciter. Uno modo, generale, sicut cum aliqui decertant in acie. Alio modo, particulare, puta cum aliquis iudex, vel etiam privata persona, non recedit a iusto iudicio timore gladii imminentis vel cuiuscumque periculi, etiam si sit mortiferum”.

7 Ibidem, “sed etiam quae imminent in particulari impugnatione, quae communi nomine bellum dici potest”.

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19 mars 2018 1 19 /03 /mars /2018 07:46

Vers une nouvelle “doctrine” de l’Eucharistie?

 

27 février 2018, Saint Gabriel de l’Addolorata

 

 

La subversion dont nous sommes spectateurs concerne la possibilité d’élargir “dans certains cas” la communion eucharistique, même à des personnes publiquement séparées de l’Eglise par l’hérésie et le schisme. Elle découle non seulement du complexe qui consiste à se conformer aux critères du monde, en capitulant devant lui, et non seulement d’une mentalité d’inspiration luthérienne quant à la nature et à l’action de la grâce sanctifiante comme nous l’avons déjà écrit, mais aussi d’une doctrine eucharistique erronée et faussée qui, en privilégiant le symbolisme eucharistique, “survole” - dans le meilleur des cas - la réalité de la “transsubstantiation”.

 

La mentalité “symboliste” au détriment de celle réaliste a gagné depuis quelques décennies une très large place dans les discussions théologiques, en sapant les bases de presque tous les dogmes. Dans cet article, en se basant sur les études de certains théologiens de l’Ecole Romaine nous exposerons brièvement certains traits de cette pensée et de ses déviations dans le domaine eucharistique. Déviations qui seront analysées sous l’angle de la compatibilité qu’elles présentent avec des affirmations scandaleuses liées à l’interprétation d’Amoris Laetitia et avec des nouvelles pratiques, comme l’intercommunion avec les protestants, qui semblent l’application - en version  moderniste et phénoménologique - de l’hérésie eucharistique luthérienne et de ses dérivés les plus récents.

 

 

L’insidieuse “modernisation” de la théologie eucharistique

 

La tentative de “moderniser” la théologie, eucharistique dans notre cas, en mettant de côté les “formules de la Scolastique” est un vieil adage des modernistes depuis plus d’un siècle désormais. Elle bénéficie aussi de l’apport de savants qui - hier comme aujourd’hui - se disent être animés par des intentions pastoralement oecuméniques, en vue d’arriver à l’“unité sacramentelle” tant désirée avec le monde protestant. L’Allemagne, à la suite des philosophies allemandes du XIXème siècle et en raison de la proximité physique avec le monde protestant, s’est toujours distinguée sur ce point par une certaine nervosité[1].

 

A partir de l’après-guerre, des textes anonymes dactylographiés sur le symbolisme eucharistique commencèrent aussi à se glisser dans les athénées catholiques. L’un d’entre eux se rendit particulièrement fameux au point de susciter de nombreuses études et même les interventions de Humani Generis et de Mystici corporis, qui semblaient en condamner directement certains passages[2]. Mgr Piolanti, après l’avoir défini comme “le point de rencontre de toutes les innovations de la théologie moderne” - dans lequel l’erreur était “divulguée de manière aussi tenace que cachée” - faisait une brève prémisse introductive sur les intentions affirmées par celui qui l’avait écrit : “l’Auteur, du début, affirme vouloir inaugurer une nouvelle méthode, tout en restant dans le champ de la foi catholique. Le but d’une telle innovation est d’arriver à une connaissance plus profonde du mystère et adaptée aux exigences modernes”[3]. De telles déclarations de respect de la doctrine définie sont une constante, très souvent trompeuse, du mouvement des théologiens et des ecclésiastiques “novateurs” qui se diffusera de manière exponentielle jusqu’à nos jours, en ayant une accélération suite au Concile Vatican II. L’ “élan d’actualisation” finissait presque toujours dans l’adoption de la phénoménologie moderne, posée comme fondement du discours théologique, et avec comme corollaire le renoncement à la métaphysique thomiste de l'Etre et particulièrement aux notions abhorrées de “substance” et d’ “accident”. Par des tons charmeurs la vérité se mélangeait à l’erreur en rendant difficile son individuation et en même temps on affirmait immanquablement - là aussi, hier comme aujourd’hui - ne pas vouloir changer la doctrine de l’Eglise. En 1965, il y eut une intervention de Paul VI, visant dans ce cas spécifique Schoonenberg et Schillebeeckx mais sans les nommer, par l’encyclique Mysterium fidei[4], qui sur certains points constitua d’une certaine manière un barrage aux déviations, même si le cancer nécessitait une amputation plus drastique. 

 

 

Ubiquisme luthérien et symbolisme eucharistique

 

Le point de départ pour une analyse du symbolisme eucharistique moderniste semble devoir se retrouver dans la théorie protestante ubiquiste. Mons. Gherardini en expliquant cette position rappelait que pour Luther l’omniprésence du Christ adviendrait en raison de l’union hypostatique, laquelle “met le Christ en dehors des créatures, aussi lointain d’elles que Dieu en est lointain, et aussi présent à elles, aussi profondément en elles que Dieu même est auprès d’elles et intime”. Ainsi pour Luther “l’Humanité [du Christ] en sort tout puissante et immense, c’est-à-dire douée de toutes les perfections absolues de la nature divine”, y compris l’ubiquité. En synthèse: “l’idée générale est que le corps du Christ est en dehors de toute catégorie de lieu, de la sorte que le Christ, même en tant qu’homme, peut être partout présent et Il a voulu l’être justement dans l’Eucharistie”[5].

 

En s’inspirant du postulat luthérien, que nous venons de citer, la présence du Christ en Palestine et dans l’Eucharistie elle-même devient, dans l’élaboration de certains théologiens, un “signe spécial” de la présence spirituelle du Christ qui jouit de l’ubiquité. L’Eucharistie devient “symbole efficace pour appeler les hommes naturellement dissipés à se recueillir et à se concentrer en eux-mêmes, de manière à s’adresser au Christ, et, renouvelés dans l’esprit, à établir une relation mutuelle avec lui, qui implique la présence spirituelle ou pneumatique de Jésus avec eux”[6]. Dans cette perspective, on notera que le discours s’est déplacé sur l’aspect symbolique et surtout relationnel en faisant fi de la “substance” et de la doctrine sacramentaire de la “transsubstantiation” dans leur acception classique. 

 

Ici il est nécessaire de rappeler que pour la phénoménologie qui s’appuie sur des fondements philosophiques aux contours néo-platoniciens, toute chose sensible est image du monde supérieur ou intelligible, donc “la réalité la plus profonde d’une chose consisterait dans sa valeur symbolique”[7]. Il arrive dans ce genre de théorie une sorte de dissolution de l’ens dans la conscience, dans laquelle ce dernier se vide. La réalité est privée de son épaisseur dérivant de son acte d’être (participé de l’Etre subsistant divin) et est réduite à l’ombre d’un archétype idéal. De-là aussi la fonction du symbole, qui est une création naturelle de la personne pour exprimer les idées et elle-même, et pour “faire revivre” intentionnellement l’archétype idéal dans l’intériorisation de la conscience[8]. Parler de “symbole” pour l’Eucharistie, le symbole étant dans un tel contexte la réalité plus profonde, n’implique pas la négation de ce que de tels novateurs peuvent encore appeler “présence réelle”, et même, pour eux, une telle présence symbolique, qui “dilate” la “présence pneumatique” du Christ réalisée par l’intelligence et le coeur, est certainement “réelle”. Mais elle n’est pas nécessairement la présence “substantielle” dont parle la foi catholique et qui fut définie par le Concile de Trente[9]. On notera aussi le rôle que l’intelligence et le coeur du fidèle viennent à assumer dans la détermination de cet “élargissement” symbolico-relationnel de la présence du Christ.

 

 

Transsignification et transfinalisation 

 

Dans les théories de la “transsignification” les plus diffusées, ce qui arriverait dans l’Eucharistie est décrit comme une manifestation de la souveraine volonté du Christ, qui fait que le pain et le vin se transforment totalement. “Se transforment totalement” est à entendre dans ce cas qu’ils prennent de manière totale et profonde une signification, c’est-à-dire celle de corps et sang de Jésus. Mgr Piolanti commente ainsi: “ la transsubstantiation est donc une transsignification, dépendante de la suprême seigneurie du Christ glorieux, qui transfigure selon sa souveraine sagesse tout le réel; dans le cas de l’Eucharistie il confère une nouvelle signification profonde au pain et au vin en les rendant son corps et son sang”[10].

 

Dans ces théologies, qui prendront par la suite l’appellation de “hollandaises”, à titre d’exemple, on affirme que le corps du Christ après la Résurrection serait déjà partout où l’on croit en Lui en vertu d’une présence “pneumatique”; dans l’Eucharistie Il s’offrirait par le don de son corps et de son sang (présents parce que transsignifiés). Ils seraient les symboles de l’Alliance, offerts à ceux qui, en acceptant sa proposition, veulent entrer en communion interpersonnelle avec Lui. Une fois  contournées le questions de l’ “être en soi” des choses dans ce cas de l’Eucharistie, et du “qu’est que cette substance” après que le prêtre ait prononcé les paroles de la Consécration, on remarquera comment toute l’argumentation est encadrée principalement selon l’ “être pour nous” du Christ et de l’Eucharistie.

 

Donc dans le mystère eucharistique, en développant d’une certaine façon le passage “ubiquiste” de Luther cité plus haut, qui renvoyait déjà la présence du Christ à l’intimité, l’aspect de la jonction du Christ avec les fidèles va avoir une prééminence absolue. Le Christ, pneumatiquement présent partout est présent dans les espèces du pain et du vin pour se donner à l’Eglise, et même on pourrait dire que dans une telle vision il s’agit d’une “présence spéciale”, sous les signes du pain et du vin, parce qu’ils ont été transsignifiés et donc transfinalisés. En faisant abstraction de l’ “être en soi et pour soi” des choses, qu’on affirme être impossible à déterminer, celles-ci sont considérées seulement dans leur “être pour nous”, c’est-à-dire en les rapportant à la valeur qu’elles ont en relation à la personne humaine. Voilà pourquoi après les paroles du Christ prononcées sur le pain et le vin, ces derniers changent totalement de signification en vertu d’un processus anthropologique : de signes de la nutrition deviennent signes de la personne du Christ, au sens de son extension naturelle à eux. Les signes sont ainsi introduits “dans la sphère de la corporéité du Christ”, ils ont par volonté divine cette nouvelle signification et cette nouvelle finalité, qui les rend symboles “naturels” de la personne du Christ et de ses rapports interpersonnels[11]. Il faut ajouter que l’ambiance de la réciprocité personnelle qui s’est réalisée lors de la dernière Cène, du banquet évocateur de l’Alliance dans lequel règne l’atmosphère de l’amitié et de la rencontre, produit la véritable “présence” d’une personne à l’autre. Dans ce cadre - où la conscience qui s’exprime et exprime elle-même devient la patronne - on comprend pourquoi “la présence du Christ dans l’Eucharistie est uniquement orientée à la donation mutuelle, pour établir une communion réciproque”[12].

 

Nous précisons que les concepts de transsignification et de transfinalisation, pris en soi et entendus dans un sens thomiste, n’impliquent pas forcément l’hérésie eucharistique. Au contraire, s’ils sont utilisés selon l’orthodoxie, ils pourraient ajouter des idées intéressantes pour la vie spirituelle, mais le problème central est que de telles définitions doivent jaillir de la transsubstantiation comme d’une unique source et ne doivent pas ni ne peuvent pas fonder la doctrine eucharistique indépendamment de cette réalité de foi.

 

 

Vers la (con)fusion entre Communion sacramentelle et Communion spirituelle

 

La finalité de la “présence” est ainsi devenue, dans la pensée de tant d’auteurs et de fidèles inconscients, presque exclusivement la “communion”. Karl Rahner écrivait : “une telle présence durable et réelle du Christ (“présence réelle”) reste cependant nécessairement rapportée à l’acte par lequel l’Eglise la pose et à sa finalité qui est justement sa réception (“manger”) de la part du croyant”[13]. Cependant la notion de Communion, si elle ne dérive plus d’une saine théologie de la transsubstantiation, de la Communion à la réalité du Corps, Sang, Ame et Divinité de Notre Seigneur Jésus-Christ, présents “per modum substantiae”, devient un concept plutôt confus, qui la fait ressembler à celle qu’on appelle communément “communion spirituelle”, avec en plus la complication des aspects phénoménologiques que l’on vient de citer. 

 

 La Communion spirituelle est une aspiration fervente à pouvoir s’unir dans d’autres circonstances au Corps et au Sang du Christ transsubstantiés, si nécessaire après s’être amendé de ce qui empêche la Communion sacramentelle. On entend désormais à ce propos des discours dans lesquels la perspective apparait complètement renversée et la Communion sacramentelle aux saintes espèces devient seulement une amplification en intensité de la Communion spirituelle. La Communion sacramentelle semble seulement avoir “en plus” l’accès “au symbole vrai et propre”, au pain et au vin transsignifiés, transfinalisés, ou du moins “symbolisant la présence”. S’il en était ainsi l’accès sacramentel à l’Eucharistie par rapport à la Communion spirituelle deviendrait presque seulement une appropriation plus profonde de l’échange interpersonnel et spirituel ou une acceptation vraiment pleine du “don eucharistique”, transsignifié et transfinalisé “pour nous”. Et tout ce qu’on vient de décrire arriverait indépendamment du fait que la transsubstantiation soit la source et le fondement de n’importe quel autre “échange spirituel” entre le Christ et le fidèle qui communie, parce qu’au fond cela est devenu un “problème de théologien scolastique” dépassé et - dans la perspective d’un “néoplatonisme protestantisant” -  la réalité du symbole compte beaucoup plus que la “réalité corporelle”, fusse-t-elle même celle de la substance du “corps du Christ”.

 

A ce moment il serait licite de se poser la question : quelle serait alors dans la vision que l’on vient de décrire la différence entre la Communion sacramentelle aux saintes espèces et la Communion seulement spirituelle? Walter Kasper, en commentant l’invitation que faisait Benoit XVI à celui qui ne peut pas accéder à l’Eucharistie de faire seulement la Communion spirituelle, s’exprimait ainsi : “cependant elle soulève différentes interrogations. En effet, celui qui reçoit la communion spirituelle est une seule chose avec Jésus-Christ [...] Pourquoi, donc, ne peut-il pas recevoir la communion sacramentelle ?”. Mons. Livi commentait ainsi dans cette revue : “Kasper montre ne pas savoir distinguer la “communion de désir” de la communion sacramentelle au sens vrai et propre, qui est pour lui un acte purement “spirituel” et symbolique, sans une réelle rencontre du fidèle avec le Christ, le Verbe Incarné”[14].

 

Il est clair que si la doctrine sous-jacente est celle qui a été décrite, toutes les distinctions catholiques à propos de l’accès à l’Eucharistie en viennent littéralement à se dissoudre. Non seulement la nature même de l’Eucharistie est altérée et elle n’est plus associée à des critères métaphysiques certains, mais la distinction même de “âme en état de grâce” ou “en état de péché mortel”, sous-entendant elle aussi clairement une distinction entre la substance et l’accident, entre le naturel et le surnaturel, entre la possession de la foi et celle de la charité, entre foi surnaturelle et simple sens religieux, se résout uniquement dans le monde de la “relation interpersonnelle entre Jésus et le croyant autour du symbole de la présence pneumatique du Ressuscité”. Ce qui compte en effet est d’accepter la proposition de rencontre spirituelle avec le Dieu vivant qui s’offre à moi dans les “dons eucharistiques”. Pourquoi alors renoncer à la Communion même sacramentelle “seulement” parce qu’on est en état de péché mortel ou séparé de l’Eglise catholique ? Effectivement - si par absurde les choses en étaient ainsi - cela n’aurait pas beaucoup de sens de “s’abstenir de la rencontre”.

 

Dans les desseins du Cardinal Kasper d’élargir la Communion sacramentelle aux pécheurs publics qui ne changent pas de vie et dans les toutes récentes conclusions du Cardinal Marx de donner le Corps du Christ (même celui objectivement transsubstantié) aux Protestants, ne peut-on pas voir apparaitre une certaine cohérence avec quelques-uns des principes exposés ci-dessus ?

 

Don Stefano Carusi

 

 

 

Pour approfondir:

L’ «intercommunion» avec les Luthériens, Réflexions de Mgr Gherardini

L’Eucharistie selon Kasper (I), (II) 

L’influence de Luther derrière la “thèse Kasper”?

 

 

 

[1] Significatif pour l’époque aussi l’intervention du Saint Office de 1940 à propos de l’oeuvre “Der Chist als Christus”, Decretum S. Officii, 30 oct. 1940, in Acta Apostolicae Sedis (AAS), 32 (1940).

[2] Voir par exemple Pie XII, Enc. Humani generis: AAS 42 (1950), p. 578.

[3] A. Piolanti, Il Mistero Eucaristico, Città del Vaticano 1996, p. 346.

[4] Paul VI, Enc. Mysterium Fidei, in AAS 57 (1965), pp.753-774; Denz. nn. 4410-4413. Sur le climat théologique à la veille de la publication de l’encyclique, sur sa genèse et les collaborateurs de sa rédaction, cf aussi M. Cagin (Ed.), “Cahiers de Rome du Cardinal Journet”, in Correspondance Journet-Maritain, Vol. VI, p.795, 823. 

[5] B. Gherardini, Gesù Cristo, in A. Piolanti (Ed.), Il Protestantesimo ieri e oggi, Roma 1958, p. 776.

[6] A. Piolanti, Il mistero Eucaristico, cit., p. 356-357.

[7] Ibidem, p. 272.

[8] Arriver à l’être pour le jésuite J. B. Lotz, par exemple “implica anche il soggetto, il fatto che le cose del mondo sono riportate all’uomo, interiorizzate. Soggetto e oggetto si compenetrano vicendevolmente al punto che tale interiorizzazione è un vedere, una visio, l’essere (non un’intuizione, perché questo escluderebbe ogni interiorizzazione, ogni reditio, ogni resolutio, ogni mediazione)”, M. Marassi, Introduzione, in J. B. Lotz, M. Marassi, Esperienza trascendentale, Milano 1993, p. LVIII, LIX.

[9] H. Denzinger, Enchiridion Symbolorum definitionum et declarationum de rebus fidei et morum, edizione bilingue (Ed. P. Hünermann), Bologna 1995, (Denz.) - les références sont relatives au texte latin - n. 1636: “dopo la consacrazione del pane e del vino Nostro Signore Gesù Cristo, vero Dio e vero uomo è contenuto veramente, realmente e sostanzialmente sotto le specie di quelle cose sensibili, non vi è infatti contraddizione che il nostro stesso Salvatore sieda sempre nei cieli alla destra del Padre, secondo il modo naturale di esistere e il fatto che parimenti in molti altri luoghi la sua sostanza sia sacramentalmente presente in mezzo a noi”. Denz. n. 1642: “con la consacrazione del pane e del vino si opera la conversione di tutta la sostanza del pane nella sostanza del corpo di Cristo, Nostro Signore, e di tutta la sostanza del vino nella sostanza del Suo sangue. Questa conversione, quindi convenientemente e propriamente è chiamata transustanziazione”. 

[10] A. Piolanti, Il mistero Eucaristico, cit., p. 273.

[11]Non si parla di tranfinalizzazione e di transignificazione secondo la simbologia scolastico-intellettiva. Si asserisce invece una vera transfinalizzazione e transignificazione secondo la simbologia fenomenica-antropologica: nell’Eucarestia il pane e il vino non acquistano un significato e una finalità astratta, sovrapposta al loro essere, ma sono introdotti nella sfera della corporeità di Cristo, diventando così simboli naturali della sua persona e dei suoi rapporti interpersonali (alleanza tra lui e i fedeli) ”, Ibidem p. 282.

[12] Ibidem p. 278, pp. 279-287.

[13] Tale presenza durevole e reale di Cristo (“presenza reale”) resta però necessariamente rapportata all’atto con il quale la Chiesa la pone e alla sua finalità che è appunto la sua recezione (“mangiare”) da parte del credente” K. Rahner, H. Vorgrimler,  Dizionario di teologia (Ed G. Ghiberti, G. Ferretti ), Milano  1994, pp. 243-244.

[14] A. Livi, L’Eucharistie selon Kasper, in Disputationes Theologicae, 19 août 2015.

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21 décembre 2017 4 21 /12 /décembre /2017 10:45

Des exemples récents qui témoignent de cette nécessité

21 décembre 2017, Saint Thomas Apôtre

 

Le prêtre de la Fraternité Saint Pierre et la Pasteure à la cérémonie œcuménique

 

Le 6 décembre 2013 nous écrivions l’article suivant Les raisons d’une bataille: la parole aux exemples, signé par les Résistants de l’IBP qui donneront naissance à la Communauté Saint Grégoire le Grand. On y proposait une vue panoramique de la situation en montrant les fruits de certains choix que nous ne partagions pas, raison pour laquelle nous avons choisi de résister en société. Quatre ans après, nous recevons de nos lecteurs de la documentation témoignant de l’évolution de la situation sur le même chemin que nous avions décrit à l’époque. Cette situation a même empiré plus que prévu et oblige tout le monde à une réflexion sérieuse. Cette fois encore, nous laissons la parole aux exemples récents.

 

Un important membre de la Fraternité Saint Pierre assiste à un rite œcuménique

Une des plus importantes présence de la Fraternité Saint Pierre en France est celle de Bordeaux, dans l’église de Saint Bruno, où le 11 novembre dernier Son Eminence Révérendissime le Cardinal Ricard a voulu prier pour la paix de manière œcuménique. La “journée pour la paix” s’est déroulée dans cette même église le jour de la commémoration de la victoire française lors de la Première Guerre Mondiale. Etaient présents l’Archevêque de Bordeaux, certains prêtres diocésains et la pasteure de l’ “église” Protestante Unie de Bordeaux, Madame Valérie Mali, qui a pris la parole et guidé une prière. A cette cérémonie œcuménique pour la paix était également présent officiellement - dans le chœur et en surplis - le prêtre qui dirige l’apostolat de la Fraternité Saint Pierre à Bordeaux, l’Abbé de Giacomoni. Nous précisons que Madame Valérie Mali ne s’est pas distinguée seulement pour ses mérites dans la poursuite de l’ “unité luthérienne”, mais elle se glorifie d’avoir été la première à avoir “béni” - façon de dire - des “noces” homosexuelles à Bordeaux. La rencontre prenait donc accidentellement, en plus de son caractère œcuménique déclaré, une légère coloration LGBT.

Lorsque nous avons été informés de cet événement nous avons voulu penser que peut-être le prêtre de la FSSP n’était pas au courant et s’était retrouvé dans une situation inattendue. En ce cas, on aurait pu invoquer la faiblesse ou l’incapacité de réaction face à une situation imprévue, cependant la gravité du fait demeure car dès qu’on se rend compte d’une telle situation on a le devoir de se dissocier publiquement du scandale pour la foi. C’est pour cela aussi que dans un premier temps nous avions préféré ne pas commenter cet événement. Entre temps, les prêtres de la FSSP de Bordeaux ont déclaré autre chose : il ne s’agit pas d’une initiative autonome de l’Abbé de Giacomoni, mais d’un choix véritable, assumé de manière responsable par la FSSP car il y a deux ans déjà, disent-ils, les Supérieurs avaient choisi d’agir de la même façon que cette fois-ci. La justification doctrinale a été que - malgré la présence officielle dans le chœur de la pasteure luthérienne - il s’agissait d’une “Messe catholique”. La justification pastorale a été que leur présence aidait à “maintenir de bons rapports avec le Cardinal”. Nous ne croyons pas qu’il y ait beaucoup de choses à ajouter, sinon de répéter avec insistance ce que nous avons écrit dans notre article de 2013: La FSSP veut-elle faire la bataille doctrinale ?

Lorsqu’à l’IBP certains montrèrent avec franchise ecclésiale leurs réserves concernant le document Pozzo (Le “rite propre” et l’ “herméneutique de continuité” sont-ils suffisants?), document accepté d’abord seulement par les sommets de l’Institut, puis par tous, un prêtre de la FSSP (maintenant employé à la Curie Romaine) nous disait que sa Société recevait régulièrement des lettres de ce genre de la Commission Ecclesia Dei et que le choix général avait toujours été celui, même s’ils n’en partageaient pas le contenu, de ne faire aucune remontrance publique. Quels ont-été les résultats d’une telle politique?

Et - puisqu’il est juste de regarder les deux côtés de la médaille - était-il vraiment nécessaire que le Cardinal Ricard, membre influent de la Commission Ecclesia Dei, qui connait bien le monde Vetus Ordo, choisisse parmi les nombreuses églises de la ville, précisément celle de Saint Bruno où est célébrée la Messe traditionnelle ?

Nous savons bien que plusieurs prêtres de la Fraternité Saint Pierre ne partagent pas du tout ce qui s’est passé à Bordeaux, mais ne serait-il pas opportun d’aller ailleurs ou du moins de commencer à prendre publiquement position contre cette acceptation de facto de rites œcuméniques de la part de leur propre Fraternité?

Si tels sont les fruits de l’acceptation passive de la mise sous Commissaire de l’année 2000 et plus généralement du choix de ne pas s’opposer, même pas pour ce qui est inacceptable pour un catholique comme un rite œcuménique, le moment ne serait-il pas venu de réfléchir sérieusement à changer d’approche dans la bataille à mener pour l’Eglise? 

 

La Fraternité Saint Pie X, entre l’esprit bergoglien et l’esprit schismatique

Nous rapportons un épisode survenu il y a quelques mois dans un prieuré de la FSSPX. Dans le Centre de la France, un jeune se convertit, quittant la fausse religion dans laquelle il est né et fait le choix de la Tradition. N’étant pas baptisé et désirant se marier, il s’adresse aux prêtres de cette Fraternité qui lui demandent une année de préparation. Le catéchumène est jugé apte à recevoir le Baptême, mais on découvre que pendant la préparation il a assisté à une Messe (traditionnelle) célébrée par des prêtres de l’Institut du Christ-Roi. A ce moment, les prêtres de la FSSPX, après l’avoir durement repris et après avoir reporté le Baptême, demandent devant un témoin qu’avant toute chose le catéchumène s’engage moralement sur l’honneur sur trois points : 1) reconnaitre que la “Nouvelle Messe est dangereuse pour la Foi”; 2) ne jamais aller à des Messes traditionnelles célébrées en vertu du Motu proprio; 3) aller exclusivement aux Messes des prêtres de la Fraternité Saint Pie X ou en communion déclarée avec elle. S’il refuse, il ne sera pas admis au Baptême ni au Mariage qui est en vue. Les choses se passent ainsi car le jeune homme refuse de souscrire.

Nous précisons qu’il est compréhensible qu’un prêtre prenne les mesures nécessaires pour vérifier  la véracité de la conversion et que la demande des sacrements soit pleinement consciente et volontaire. Il est aussi compréhensible d’inviter les fidèles à réfléchir pour qu’ils sachent discerner l’opportunité d’assister à certaines cérémonies, même si elles sont célébrées dans le rite traditionnel. Mais demander un acte d’adhésion exclusive à la FSSPX et un rejet formel - non seulement dans certaines circonstances spécifiques mais un rejet de principe - des sacrements célébrés en dehors de ladite Fraternité cela ne parait pas admissible. En effet, nous ne voyons pas en quoi cela se distinguerait du rejet - systématique et pas seulement en raison des circonstances - de la communicatio in sacris avec d’autres membres de l’Eglise catholique, qui est une des conditions pour que l’on puisse parler de schisme. Peu importe qu’ils célèbrent le rite traditionnel et prêchent la doctrine catholique, il faut l’adhésion exclusive à la Fraternité. 

 

Malheureusement, cette position n’est pas une prérogative de jeunes prêtres inexpérimentés du Centre de la France, qui ont certainement exagéré aussi sur les modalités pratiques, mais elle est la suite logique de la doctrine enseignée officiellement à Ecône, soutenue en public par les Supérieurs et défendue aussi - quoique par intermittence, comme toujours - par Mgr Fellay, doctrine jamais rétractée publiquement (cf notre article de 2011: Des positions contradictoires et ambigües dans la Fraternité saint Pie X). 

 

Est-ce seulement la faute de jeunes prêtres inexpérimentés ou est-ce aussi la faute de celui qui - en cultivant l’ambiguïté - laisse dispenser au Séminaire un enseignement officiel d’une toute autre teneur que les déclarations au Vatican? En effet, à notre connaissance les professeurs en question n’ont pas été sanctionnés ou mutés par ces mesures violentes que la Fraternité sait prendre lorsqu’on ne suit pas la ligne du chef.

Mais l’ambiguïté encore plus hilarante consiste dans le fait que si le jeune catéchumène avait accepté de souscrire à la rupture de la communicatio in sacris avec quiconque est hors de la FSPPX, il aurait pu se marier validement dans certains Prieurés de cette Fraternité! En effet, suite aux tractations en cours avec le Vatican, elle a déjà obtenu la possibilité de marier validement grâce à la juridiction donnée par le Pape Bergoglio (privilège officiel jamais concédé à la Fraternité Saint Pierre, même pas après les rencontres avec les Luthériens...). Parallèlement à cela le Supérieur Général n’a pas encore précisé s’il est admissible que les fidèles doivent - pour pouvoir se marier avec la juridiction vaticane - déclarer leur rupture in sacris avec ceux qui sont hors de la FSSPX. Nous n’avons pas eu connaissance non plus d’une clarification du Vatican à ce sujet.

Est-ce cohérent tout cela? Est-ce cela la suprême recherche du bien des âmes même en s’opposant si nécessaire à la “Rome apostate et moderniste” (comme ils disent) ou bien est-ce rentrer pleinement dans la logique politicarde de la nouvelle pax bergogliana?

 

Le Supérieur de l’IBP: “Pleine communion, pleine communion avec Rome!”

Le Supérieur de l’Institut du Bon Pasteur nous a habitués à des positions contradictoires. Beaucoup se souviennent qu’il y a quelques années, déjà en tant que Supérieur d’un Institut de droit pontifical, il dirigeait la chorale - en surplis - lors d’un Mariage célébré par un prêtre sédévacantiste (mariage dont la validité est pour le moins douteuse). Il y a quelques mois cette même personne, en chaire de Saint Eloi à Bordeaux pour les 10 ans de l’Institut du Bon Pasteur, a expliqué aux fidèles sa position ecclésiale: pleine communion avec François, car grâce à lui la Tradition et le rite traditionnel sont reconnus (“ils ont pignon sur rue” dans la version originale). Les preuves en seraient que son Institut est reconnu par le Vatican et que François - en continuité avec Benoît XVI (sic) - ne parlerait plus continuellement de Vatican II comme le faisaient ses prédécesseurs. 

Mis à part la myopie (voulue?) de ne pas admettre que Vatican II est certes en partie dépassé mais cela en vue de préparer Vatican III, mis à part le fait que sa propre reconnaissance canonique apparait plus importante que la crise dans l’Eglise, un aspect de ce que nous appelons le “complexe du rallié” se manifeste de manière évidente : montrer le chemin parcouru vers “la pleine communion”. Nous laissons de côté pour des motifs de place ce que disait autrefois l’Abbé Laguérie - en partie même justement - non seulement sur les “ralliés” mais aussi sur le concept même de “pleine communion”. Il nous semble que nous sommes face à l’attitude typique de celui qui a été mis sous Commissaire et qui l’est peut-être encore. Nous ajoutons que - pour en rester aux faits - nous n’avons pas connaissance d’une quelconque prise de position publique sur les nouvelles règles en faveur des annulations de mariage (que certains ont même renommé “divorce catholique”), rien non plus sur le document bergoglien “Amoris Laetitia” et sur ses conséquences déjà désastreuses; rien non plus sur des thèmes contre lesquels autrefois on entendait des expressions véhémentes comme l’immigration sauvage et l’invasion islamique ou sur le Luthéranisme ouvert de certains pans de l’Eglise. Le silence règne dans les homélies et dans les publications. Tout va bien parce que ... la tradition et l’IBP ont une reconnaissance canonique. Ils peuvent, pour reprendre ses mots, avoir “pignon sur rue”.

Cela doit être un effet de la pleine communion avec François tant recherchée si le nouveau bulletin du Séminaire de Courtalain a pris un nom qui donne tout un programme et qui répond à un concept très cher à l’Abbé de Tanoüarn, désormais apparemment  le seul dans son Institut à se prononcer sur des thèmes brulants. Le fameux prêtre parisien disait en effet qu’il était temps que le Bon Pasteur reprenne, au sujet du dernier Concile, ce concept clé de Jean-Paul II: Vatican II est une “boussole”. On évoquait autrefois au Séminaire la “critique constructive” de Vatican II, aujourd’hui, après la mise sous Commissaire et la nomination d’un nouveau Recteur, son bulletin officiel s’appelle justement “La Boussole”. Au final, cela reflète idéalement l’évolution en acte: en effet, pris en soi il s’agit d’un nom comme un autre, mais pour l’oeil de celui qui surveille il est suffisamment évocateur. Inutile de chercher d’ailleurs dans “La Boussole” la moindre “indication pour le navigateur” qui ressemblerait même de loin à la critique constructive de Vatican II autrefois tant affichée.

Il ne s’agit pas seulement d’une question de “boussoles”, mais de ligne générale quand l’Abbé Laguérie dit en privée et dans des articles: “il y a un moment pour parler et un moment pour se taire”. On déduit clairement de l’ensemble de ce discours que le choix de ne pas s’exprimer, en plus d’être pleinement volontaire (et utile au maintien de certains acquis, mais de cela on n’en parle pas) dériverait de la constatation que simplement ce n’est pas le moment de parler. Mais alors quand faudrait-il parler sur la crise dans l’Eglise, sinon aujourd’hui alors que la maison brûle même sur la question de la famille qui jusqu’à présent n’avait pas été ouvertement attaquée? Nous l’avions dit à l’époque et nous le répétons aujourd’hui encore, accepter un Supérieur imposé et non élu par sa Société, accepter un état plus ou moins permanent de mise sous Commissaire est la voie suivie par tous les Instituts (que l’on pense aussi aux Franciscains de l’Immaculée) qui ensuite se sont rendus sur tout et ont déposé toute critique sur le nouveau courant ecclésial. Les Statuts de 2006 pourraient même se maintenir (sur le papier), mais s’ils demeurent seulement parce que - comme le dit un prêtre de l’IBP de Bordeaux - la Communauté Saint Grégoire le Grand résiste et que  Disputationes Theologicae parlerait du dernier acte d’une longue trahison et s’ils ne demeurent pas par conviction profonde et en vue d’une action conséquente, à quoi serviraient-ils? Ne serait-il  pas mieux alors de fusionner avec la Fraternité Saint Pierre, plus sérieuse et solide dans l’organisation, à la limite en s’accordant pour éviter quelques récents excès œcuméniques, mais en partageant ensemble le rite tridentin et la ligne du silence?

En conclusion pour nos lecteurs et surtout pour ceux qui nous ont demandé de commenter ces événements, nous pensons que quatre ans après l’article cité en ouverture et auquel nous vous renvoyons, ce que nous avons appelé la “troisième voie” (La nécessité théologique et ecclésiale d’une «troisième voie»: ni spirale “schismatique” ni conformisme “rallié” (I) - (II)) apparait plus que jamais nécessaire. Les résultats de la première (le servilisme “rallié”) et de la deuxième (la spirale “schismatique”), ou encore pire de l’amalgame schizophrène des deux sont sous les yeux de tout le monde. Ex fructibus eorum cognoscetis eos. C’est pour cela que nous avons voulu relater des exemples concrets et récents, résultats naturels des choix faits en amont. Les menaces - plus ou moins canoniquement présentables - que nous recevons pour ce genre de publications, ne nous ont pas fait peur dans le passé et ne le feront pas maintenant; nous répondons à ces menaces que la bataille se conduit sur un terrain qui n’est pas celui des intimidations. Et c’est aussi pour cela que, malgré les indéniables difficultés et les inévitables limites des “vases d’argile”, le message principal que nous voudrions transmettre consiste principalement à chercher de témoigner qu’une résistance ecclésiale au nouveau courant est possible. Il suffit de le vouloir, avec la grâce de Dieu et vos prières pour notre résistance.

 

Don Stefano Carusi

Abbé Louis-Numa Julien

Abbé Jean-Pierre Gaillard

Kl. Lukasz Zaruski

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16 décembre 2017 6 16 /12 /décembre /2017 12:30
Un exemple très actuel
 
30 novembre 2017, Saint André Apôtre
 
Les Vallombrosiens de Saint Salvi brutalisés à la suite
de la dénonciation de Saint Jean Gualbert
 
 
Le texte suivant, retranscrit en italique, est affiché à la porte du monastère de Vallombreuse, et contient en peu de lignes quelques conseils essentiels et utiles dans ce nouveau “siècle de fer” de l’Eglise : détermination à ne se rendre en aucune façon complices des démolisseurs de l’Eglise et patience dans la foi qui apporte la victoire.
 
“La vie de Jean Gualbert, écrite par Atton de Pistoie, dans les premières années du XIIème siècle, indique comme événement fondateur de la vocation du jeune Jean, le pardon concédé au meurtrier de son frère, qui s’agenouilla devant lui les bras ouverts. Il se rendit dans l’église voisine de Saint Miniat al Monte (Florence), le crucifix inclina miraculeusement la tête pour agréer le geste accompli. Cet événement le conduisit à demander au Père Abbé de l’accueillir dans sa communauté.
 
L’expérience monastique de Jean Gualbert fut tout de suite marquée par une véritable recherche de la perfection et par une rigueur morale absolue qui trouvèrent leur expression concrète dans sa ferme opposition à la simonie. En effet, dès qu’il apprit que le nouveau Père Abbé de Saint Miniat, Aubert, avait obtenu son élection par simonie et après avoir pris conseil auprès de l’ermite Teuzon, il le dénonça publiquement et quitta la communauté pour rechercher une nouvelle voie qui lui permettrait de vivre son choix radical de vie monastique.
 
Après un long pèlerinage et un arrêt auprès de l’Abbaye de Camaldoli, Jean Gualbert s’arrêta dans un lieu solitaire des Apennins de la Toscane : Vallombreuse. Là, selon la tradition, il trouva deux ermites, Paul et Gantelme : avec eux et avec l’appui du Père Abbé Garin de Settimo, naquit le premier foyer de la future congrégation vallombrosienne.
Le premier document qui signale avec certitude la naissance de la nouvelle communauté est daté du 27 janvier 1037 : Albert, clerc de Florence, déclare s’être uni aux “fratres in Christo simul congregati in loco Valle umbrosa ubi et Aquabelli vocatur”.
 
La nouvelle communauté s’engagea activement contre la corruption ecclésiastique, épousant les valeurs du fondateur, choix qui porta Jean Gualbert et ses moines à un conflit ouvert avec l’évêque de Florence, Pierre Mezzabarba, coupable de simonie. La dénonciation publique déclencha la colère de l’évêque qui, appuyé par l’aristocratie florentine, ordonna l’assaut du monastère vallombrosien de Saint Salvi, proche des murailles de la cité de Florence, espérant ainsi réprimer l’opposition ouverte des moines. L’attaque eut lieu de nuit, pendant que la communauté monastique célébrait l’Office des Matines : les assaillants entrèrent dans l’église, brutalisèrent les moines, détruisirent l’édifice en mettant même le feu au monastère. Jean Gualbert loua le courage de ses moines, capables de souffrir au nom de la foi et il vit la fin de la lutte contre Pierre Mezzabarba le 13 février 1068 quand le moine Pierre (ensuite nommé Igné), qu’il avait choisi pour affronter l’épreuve du feu, dans le but d’établir qui disait la vérité, sortit indemne des flammes.
 
Peu après le Pape Alexandre II, à la vue du résultat de l’ordalie, déposa l’évêque simoniaque mettant définitivement fin à la question. Ce fut à ce moment que Jean vit son travail de réforme du milieu ecclésiastique publiquement reconnu.
 
A peine cinq ans après l’épreuve du feu, le 12 juillet 1073, Jean Gualbert mourut à Passignano, entouré de l’affection de ses moines auxquels il confia son testament spirituel :
Ego Johannes credo et confiteor Fidem quam Sancti Apostoli praedicaverunt et Sancti Patres in quatuor Conciliis confirmaverunt ( Moi Jean je crois et professe la foi que les Saints Apôtres prêchèrent et que les Saints Pères dans les quatre Conciles confirmèrent).
 
Il fut canonisé sous le pontificat de Célestin III, en 1193, mais pour des raisons inconnues le rite de l’elevatio des reliques survint beaucoup plus tard : le 10 octobre 1210. Depuis ce temps-là, cette date est devenue particulièrement importante et s’est ajoutée à celle du 12 juillet, commémoration de son dies natalis
 
En 1595, Clément VIII l'inséra dans le calendrier universel et en 1951 il fut proclamé patron des gardes forestiers italiens par le Pape Pie XII.”
 
Que Saint Jean Gualbert intercède pour l’Eglise en proie à des nouvelles formes de simonie matérielle et spirituelle.
 
Association de Clercs “Saint Grégoire le Grand”
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1 octobre 2017 7 01 /10 /octobre /2017 10:07

Le souvenir qu'il nous laisse

31 octobre, Vigile de Tous les Saints

Mgr Gherardini dans son bureau

 

“Priez pour moi parce que l’heure est proche”. Il y a presque une année désormais voici quelles étaient ses dernières paroles d’au-revoir sur le seuil, quand, immanquablement, il raccompagnait à la porte après une visite. Et cela avec un beau sourire, sourire de celui qui est en paix, tranquille et détendu, sachant que sa bataille, malgré les mille limites de la nature humaine, il l’avait combattue, “bonum certamen certavi”. Maintenant, était venu le temps de la prière et du repos, dans son “ermitage” à l’intérieur du palais des Chanoines de Saint Pierre au Vatican. Il n’en avait pas été toujours ainsi, et la situation de la crise de la foi dans l’Eglise, la préoccupation - oserais-je dire l’angoisse - de savoir ce que lui demandait vraiment le Seigneur, l’avaient à certains moments fatigué, presque exténué. Lui qui, sur la dangerosité des projets autour du Nouvel Offertoire de la Messe, s’était déjà exprimé dès 1967, comme il aimait le rappeler, confessait qu’à certains moments il n’avait plus la force d’écrire et de parler, au point de se demander justement s’il n’y avait pas quelques interventions préternaturelles qui voulaient obtenir son silence ou l’inactivité. Je cite de mémoire : “si je devais dire tout ce qu’il y à dire sur le Concile et ce qui a suivi, je devrais être dur”, disait-il encore au téléphone en 2008. Monseigneur Gherardini s’interrogea longtemps sur l’opportunité d’une intervention écrite sur le sujet. Et ce fut un choix laborieux. Il disait, en parlant de son passé à l’université du Latran : “j’avais peur de faire scandale au sujet de l’Eglise, surtout auprès des séminaristes, compte tenu de mon rôle de professeur”. Qui l’a connu sait que sa réserve à prendre la parole publiquement sur tous les maux qui affligeaient l’Eglise n’était pas l’alibi du carriériste, mais une vraie préoccupation, découlant en partie de son esprit romain et en partie de la formation reçue par les prêtres de sa génération. Par la suite, il admettait avec simplicité que :“pendant des années j’ai fait l’impossible pour pouvoir lire le numéro 22 de Lumen Gentium en cohérence avec la Tradition et le Magistère”, et - avec cette honnêteté intellectuelle qui accompagnait toujours ses pas - il déclarait finalement qu’il avait dû capituler et confesser ouvertement que la Nota Praevia non plus, sur la question du Primat du Pape et de la collégialité épiscopale, n’était pas satisfaisante. Il l’écrivit et signa ses écrits avec son nom et son prénom ainsi que sur plusieurs autres points controversés, avec humilité, avec force, avec amour de l’Eglise.

Le moment de la décision était venu : “je savais que j’en avais les capacités et je suis arrivé à la conclusion que Dieu me le demandait, je ne voulais pas me présenter devant Lui et qu’Il me dise : tu pouvais faire et tu n’as pas fait”. Ainsi, d’un seul jet, comme il le faisait quand il avait l’inspiration, et avec la facilité de celui qui maîtrise pleinement son sujet, il écrivit “Vatican II, un débat à ouvrir” et toujours en 2009 pour le site Disputationes Theologicae :“Quelle valeur magistérielle pour le Concile Vatican II ?”, article qui était en chantier depuis une année. C’était comme s’il ne se sentait pas prêt. Finalement il m’appela tout joyeux et me dit d’une voix retentissante :“Voici - à tambour battant - ce que vous m’avez demandé”. Et oui, car Mgr Gherardini était aussi homme d’expressions linguistiques bien trouvées et recherchées, même si parfois peu usitées. Il maniait la langue italienne de manière charmante et assurée même si de temps à autre il fallait relire deux ou trois fois sa prose “asiane”. A celui qui timidement faisait allusion à son style pas toujours très agile, il répondait sèchement : “j’écris ainsi”, mais après il admettait de bon grès que toutes ces subordonnées pouvaient demander un certain effort de la part du lecteur, sans parler des traductions... Cependant, la complexité des sujets qu’il traitait et leur délicatesse, dans lesquels étaient en jeu la doctrine et l’autorité de l’Eglise, réclamaient une expression linguistique adéquate, éloignée du rationalisme des modernes et de la parataxe du sic et non.

Il était certainement homme de caractère, et disait de lui même :“je n’ai jamais eu peur de personne, j’ai même été imprudent parfois, mais si les principes étaient en jeu...” et il racontait de cette fois où il avait dû répondre à ce fameux Cardinal qu’il ne devait pas s’immiscer dans la ligne éditoriale de Divinitas, parce que :“c’est à moi, la revue est à moi !”. Donc - en assumant entièrement la responsabilité - les articles de “complaisance théologique” n’auraient pas été publiés. En octobre 2014, alors qu’on voyait des nuages menaçants poindre à l’horizon, nous soutenant sur certains choix de positions, il nous disait de ne pas oublier que “nous vivons des temps terribles, très difficiles” et il ajouta ensuite presque méditatif : “tenir sur les principes, c’est déjà énorme”. Comme pour nous dire de ne demander rien d’autre que la fidélité. Il continua :“il faut être disposé à la souffrance, c’est impossible de ne pas souffrir”, il conclut amèrement : “aujourd’hui il n’y a plus de témoins, la prière est importante, mais cela ne suffit pas, il faut des martyroi, jusqu’à l’effusion du sang” et ajouta enfin “du vrai sang”.

Parlant ensuite des chantages et des menaces qui étaient déjà dans l’air pour tous et desquels lui aussi avait été victime dans le passé, il éleva la voix et dit uniquement:“avec la Maçonnerie on ne cède jamais”. De la Maçonnerie personne n’en avait parlé, mais - comme diraient les thomistes - il savait promptement remonter aux causes...

En rentrant chez moi je notai ces quelques phrases, elles semblaient presque un testament spirituel et prenaient un ton prophétique. A la fin de la rencontre, présageant désormais du peu d’années qu’il lui restait, il nous dit presque pour nous rassurer “à peine arrivé là-haut la première pensée sera pour vous”. Presque pour nous dire :“regardez plutôt l’Eglise de là-haut que les petitesses des hommes d’Eglise d’ici-bas, quand j’y serai je vous aiderai”. Mgr Gherardini fut un homme de parole sur terre, il le sera aussi du Ciel.

Dans les dernières rencontres il rappelait aussi de temps en temps la souffrance causée par tous ceux qui l’avaient abandonné; déjà en 2009 ses prises de positions lui valurent la défection d’ “amis” de longue date. Puis vers 2014 avec le vent nouveau qui soufflait, beaucoup de caméléons, jadis admirateurs du grand théologien, commencèrent à déserter sa maison en s’éclipsant. Il s’en attristait, mais sans grande peine. Désormais sa situation de “retraite érémitique” lui permettait de penser davantage à Dieu et lui donnait beaucoup de temps pour prier. Cette sérénité, presque d'ascète désormais, se lisait dans ses yeux bleus azur et profonds.

Sur son talent théologique, beaucoup de choses ont déjà été dites, et d’autres encore seront dites. Ce qui marquait le plus notre regard était cette esprit de synthèse profonde lorsqu’il parlait de la scientia Dei et cette vision, presque celle d’un aigle en vol, percevant toutes choses d’en haut et dans leur ensemble. “J’ai eu de grands maîtres” s’esquivait-il comme pour se justifier d’un talent qu’il ne voulait pas s’attribuer. Sa mémoire reconnaissante allait tout de suite à Pietro Parente (au Parente théologien, spécialement celui des premières années d’études et d’enseignement) et ensuite à l’inoubliable Mgr Piolanti, qui lui avait enseigné - un peu comme Saint Thomas - à prendre le bon partout où il se trouve, le purifiant des contours pollués, surtout sans se perdre dans les idéologismes. C’est aussi cela l’Ecole Romaine. Quand il y avait des questions théologiques disputées, après avoir écarté catégoriquement les hérésies qui pouvaient naitre de la discussion, à celui qui, trop empressé par la fougue de la jeunesse, demandait une réponse péremptoire, il donnait une réponse qui était le sommet entre deux excès, en se prévalant de sa phrase récurrente “si vis theologus esse distingue frequenter”, énoncée sans aucune prétention.

Et lorsqu’un grand théologien - désormais récompensé par les plus hautes charges ecclésiastiques et dans la “ferveur post-conciliaire” peut-être plus engagé à maintenir le prestige du rang qu’à défendre pleinement la doctrine de l’Eglise - reprocha à Mgr Gherardini la trop grande rigueur d’une réponse en lui disant :“mais qu’as-tu écris !”, il répondit simplement : “J’ai écrit ce que Vous m’avez enseigné quand vous étiez mon professeur sur la chaire de l’Université”.

Mais il se tromperait celui qui verrait seulement en Mgr Gherardini le théologien. Lui-même rappelait souvent que “le prêtre est père, maître et ami” et il était aussi un confesseur délicat qui ciblait précisément les difficultés; en témoignent les nombreuses religieuses présentes à son enterrement, à qui il avait offert depuis de nombreuses années sa direction spirituelle. Peut-être n’avaient-elles pas toutes lu ses écrits théologiques, mais toutes avaient expérimenté sa profondeur et - avec plus de gratitude peut-être que beaucoup de théologiens - elles étaient toutes présentes pour le pleurer le jour de son dernier adieu.

Et enfin, l’ “ami”, parce que Mgr Gherardini avait une conception très haute de l’amitié, et pour cela - là où l’amour de la vérité l’imposait et parce qu’il fuyait toute duplicité - il savait refuser à certains le salut, comme l’exige l’Evangile devant l’hérésie ou plus simplement devant l’hypocrisie. Mais si on était loyal en amitié et si elle se fondait vraiment sur une unité d’intention - “idem velle, idem nolle” - alors on découvrait que sous son apparence d’ecclésiastique toscan distingué, grand et très maigre, se cachait un coeur qui compatissait avec l’ami sans ombre d’affectation et à qui répugnaient tous faux-semblants surtout curialesques. Il tenait à l’amitié et en avait parfois souffert, admettant qu’un de ses défauts était de beaucoup tarder à voir le mal dans le prochain, jusqu’à ce qu’il se résolve à ouvrir les yeux, omnia munda mundis . Mais ensuite il tournait son regard vers les Hauteurs. C’est peut être aussi pour cela qu’un de ses derniers efforts théologiques fut dédié à Marie, à la Mère de Dieu, à qui il consacra de nombreuses pages. Il retraça les gloires de la Reine des Cieux avec tant de sagesse et d’amour filial, que l’on peut penser - pour reprendre les paroles de l'homélie funèbre du Cardinal Comastri - que lorsque la Sainte Vierge le rencontrera dans le Paradis elle pourra bien lui dire : “bene scripsisti de me”.

                                                                                                               Don Stefano Carusi

 

 

Voici les articles que Mgr Gherardini a publié dans notre revue :

 

La valeur « magistérielle » de Vatican II (5 mai 2009)

Le « Dieu de Jésus-Christ » (29 janvier 2011)

Eglise-Tradition-Magistère (7 décembre 2011)

Antonio Piolanti - In memoriam (27 mai 2013)

Hommage à Pie IX (29 septembre 2014)

L’ « intercommunion » avec les Luthériens (26 novembre 2015)

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29 septembre 2017 5 29 /09 /septembre /2017 13:38

29 septembre, Saint Michel Archange

(II)

 

La responsabilité de l'homme dans le péché est niée

 

POUR LIRE LA PREMIERE PARTIE CLIQUER ICI

 

Origine métaphysique du péché

De Dieu en tant que Cause Première vient radicalement toute la perfection nécessaire pour pouvoir agir de la créature rationnelle. Tout ce qui est de l’être dans l’opération de l’agent libre, même mauvaise, doit être reconduit à la causalité universelle de l’esse. Pourtant la motion divine ne peut pas s’étendre à l’aspect malicieux du péché car elle ne peut pas être à l’origine de la destruction de l’ordo ad finem introduite par le mal commis.

La possibilité même de « l’existence » du péché est due à la condition de la créature rationnelle en tant que créature. En effet, dans une substance créée l’acte d’être n’est pas subsistant (le propre du Créateur) mais participé, c’est-à-dire reçu dans un sujet (l’essence) réellement distinct de l’esse, le sujet qui est alors comme une puissance par rapport à l’acte d’être. La composition de l’acte et de la puissance est propre donc à la créature comme telle et c’est justement cette potentialité par rapport à la perfection de l’acte qui entraine la possibilité même d’avoir une perfection ou non, que ce soit une simple absence ou un mal à proprement parler : « Privatio autem non sit nisi in ente in potentia, quia hoc privari dicimus quod natum est habere aliquid et non habet »[1].

Le mal du péché, c’est-à-dire un manque d’actualité due pour agir bien dans l’ordre moral, ne peut être que la conséquence du fait que la créature rationnelle, « tirée du néant » par la Création et en puissance par rapport à l’être et au bien, ne possède la perfection de l’être et du bien que par la participation. C’est aussi le cas de la volonté créée qui, étant un bien particulier (par participation), ne possède pas par nature la ratio de Bien Universel, étant son objet adéquat et sa fin ultime[2].

La volonté créée,  par sa nature de créature, n’étant pas sa fin ultime, est en puissance à s’inscrire dans l’ordo ad finem par les opérations volontaires qui la rendent parfaite dans la tension intentionnelle vers la fin ultime ; cependant la volonté étant radicalement en puissance par rapport à son objet propre et sa fin, elle peut être assujettie à une privation de cet ordo ad finem par un acte volontaire défaillant qui est désordonné et désordonnant[3].

La défaillance de l’acte doit être donc associée uniquement à la défectibilité de la volonté de l’agent créé devenant (de façon volontaire) une cause déficiente, et qui par conséquence n’émet pas d’opération qui participerait de façon suffisante à l’actualité de l’être pour être bonne et parfaite dans l’ordo ad finem[4].

Quant à Dieu, qui est la seule source de l’actualité de l’esse (son effet propre), il ne fait que proportionner le degré d’actualité nécessaire à l’opération, et cela en prenant compte de la nature et de l’état de la cause seconde, donc aussi de la possibilité de la perfection ou de l’imperfection de l’acte volontaire due à l’état de créature.[5]

 

Conclusion

Sous l’aspect physique aucune opération volontaire n’échappe à la causalité divine car chaque opération doit avant tout être, c’est-à-dire elle doit avoir une certaine participation à l’actualité de l’esse. S’il s’agit d’un acte moral bon, la causalité divine est présente aussi sous l’aspect moral, Dieu attirant l’agent libre en tant que Bien suprême[6]. S’il s’agit de l’acte moral mauvais, il serait par contre nécessaire de bien distinguer le rôle de Dieu et de l’homme dans la constitution métaphysique d’un tel agir.

Quant à l’aspect physique, la créature ne peut pas être une source radicale de l’actualité (ce qui revient à l’Ipsum Esse Subsistens) de l’acte peccamineux qui, en tant qu’opération, doit s’inscrire dans la causalité universelle de l’esse pour avoir (au travers de la substance)  d’une certaine actualité, sans laquelle il « tomberait dans le néant »[7].

Quant à la malice de l’acte, qui consiste formellement dans un désordre moral, la défaillance de l’opération volontaire ne peut avoir pour cause (déficiente) que la créature rationnelle qui, ayant reçue toute sa perfection de l’être et de l’agir de Dieu, est par soi beaucoup plus « proche » du néant que de l’être et du bien[8]. C’est par le biais de cette défectibilité, propre à l’être en puissance, par rapport à l’actualité de l’esse et au bien, que la créature rationnelle peut « introduire » une privation d’une perfection due dans l’ordre de l’opération volontaire, c’est-à-dire le péché.

L’action de Dieu s’arrête alors au niveau de la causalité purement matérielle, c’est-à-dire que Dieu, en englobant par sa causalité universelle l’opération d’un agent créé, soutient aussi dans l’acte l’opération qui est de fait le sujet d’un mal à cause d’une défaillance libre d’une créature rationnelle. Cependant la responsabilité formelle du défaut de l’acte volontaire, qui devient alors immoral, tombe sur la créature rationnelle qui, en raison de sa défectibilité radicale, défaille dans son choix libre et commet le péché. Pour cela Dieu n’est en aucune mesure la cause du péché sous son aspect formel de reatus culpae. S. Thomas le résume bien dans le corpus du De Malo, q. 3, a. 2:

« Puisque Dieu est le premier principe du mouvement de tous les êtres, certains d'entre eux sont mus par lui tout en se mouvant aussi eux-mêmes, comme ceux qui sont doués du libre arbitre. […] Si au contraire, ils manquent à l'ordre requis, il en résulte un acte désordonné, qui est l'acte du péché; et ainsi, ce qu'il y a là d'acte se ramène à Dieu comme à sa cause, mais ce qu'il y a de désordre ou de déformation n'a pas pour cause Dieu, mais seulement le libre arbitre.

C'est pourquoi on dit que l'acte du péché vient de Dieu, mais que le péché ne vient pas de Dieu ».

 

Łukasz Zaruski  

 

 

[1] Saint Thomas d’Aquin, Ibid, a. 2, co.

Aussi : « Ad primum ergo dicendum quod in Angelis non est potentia ad esse naturale. Est tamen in eis potentia secundum intellectivam partem, ad hoc quod convertantur in hoc vel in illud. Et quantum ad hoc, potest in eis esse malum ». Saint Thomas d’Aquin, Summa Theologiae, Ia, q. 63, a. 1, co.

« S. Tommaso indica la ragione profonda di tale defettibilità : tratti dal nulla, gli esseri creati sono composti di potenza e di atto : ora la potenza, com’è soggetto dell’atto, così può ben esserlo della privazione dell’atto, e dunque anche del male, ch’è la privazione di bene. » A. Piolanti, Ibid., p. 216.

[2] « Unde et natura rationalis, quae ordinata est ad bonum absolute per actiones multifarias, non potest habere naturaliter actiones indeficientes a bono, nisi ei naturaliter et immutabiliter insit ratio universalis et perfecti boni; quod quidem esse non potest nisi natura divina. Nam Deus solus est actus purus nullius potentiae permixtionem recipiens, et per hoc est bonitas pura et absoluta. Creatura vero quaelibet, cum in natura sua habeat permixtionem potentiae, est bonum particulare. Quae quidem permixtio potentiae ei accidit propter hoc quod est ex nihilo. Et inde est quod inter naturas rationales solus Deus habet liberum arbitrium naturaliter impeccabile et confirmatum in bono: creaturae vero hoc inesse impossibile est, propter hoc quod est ex nihilo » Ibid., ad 1.

[3] « Nella misura in cui una volontà sarà in potenza al proprio oggetto, se lo dovrà conquistare, o non lo possiederà in modo perfetto, si darà per lei la possibilità a esserne privata, cioè possibilità di male e di peccato. » A. Piolanti, Ibid.

[4] « Malum quod in defectu actionis consistit, semper causatur ex defectu agentis. In Deo autem nullus defectus est, sed summa perfectio, ut supra ostensum est. Unde malum quod in defectu actionis consistit, vel quod ex defectu agentis causatur, non reducitur in Deum sicut in causam. » Saint Thomas d’Aquin, Summa Theologiae, Ia, q. 49, a. 2

 « Mais la volonté finie, comme telle, peut se détacher, se mettre en « discorde » avec la volonté de Dieu. Ceci n’est pas une perfection, car ce n’est pas une participation mais un manque de participation. C’est une déviation, une chute véritable, qui donc se rapporte à la seule créature. » C. Fabro , Ibid., p. 498, n. 159.

« Le caractère de déformité morale du péché exprime une “chute” hors de l’être et doit s’attribuer à un défaut du libre arbitre, imputable seulement à la créature ». Ibid., p. 500, n. 162.

[5] « Licet causa prima maxime influat in effectum, tamen eius influentia per causam proximam determinatur et specificatur. » Saint Thomas d’Aquin, De Potentia, q. 1, a. 4, ad 3.

« Causa prima magis influit in effectum quam secunda, ideo quidquid perfectionis est in effectu, principaliter reducitur ad primam causam; quod autem est de defectu, reducendum est in causam secundam, quae non ita efficaciter operatur sicut causa prima. » Ibid., q. 3, a. 7, ad 15.

[6] « Deus sit primum principium motionis omnium, quaedam sic moventur ab ipso quod etiam ipsa seipsa movent, sicut quae habent liberum arbitrium: Quae si fuerint in debita dispositione et ordine debito ad recipiendum motionem qua moventur a Deo, sequentur bonae actiones, quae totaliter reducuntur in Deum sicut in causam » Saint Thomas d’Aquin , De Malo, q. 3, a. 2, co.

[7] « Ciò non significa che nessuna creatura possa muovere un’altra all’azione, ma solo che questa mozione positiva di una creatura nei riguardi di un’altra, sia essa fisica sia morale, suppone la mozione metafisica immediata di Dio, che resta sempre l’unico principio di ogni actualità sia accidentale sia sostanziale. » A. Piolanti, Ibid., p.135.

[8] « Il male è la discesa dell’essere verso il nulla, il bene è l’ascesa verso Dio : non è nè nulla nè Dio, ma s’inserisce quasi per una legge naturale nel bene creato, che essendo finito è soggetto alla molteplicità e alla limitazione e quindi alla defettibilità nell’essere et nell’operare. » P. Parente, Ibid., p. 533.

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15 juillet 2017 6 15 /07 /juillet /2017 11:33

Pour disculper l'homme accusent-ils Dieu?

15 juillet, Saint Henri Empereur

 

 

L’abolition du péché avec l’effacement de la notion d’acte mauvais volontaire de la créature et de la responsabilité de cette dernière dans son accomplissement, est l’élément déconcertant qui apparait dans les interventions des “prophètes” de la “nouvelle morale” et qui parfois semble même se présenter dans certaines interventions officielles. Au point de vue spéculatif, les voies suivies par les novateurs ne peuvent  pas toujours être rapportées à un système, cependant la forte influence de la pensée hégélienne sur la pensée moderne a poussé, de manière plus ou moins consciente, certaines “théologies” vers une mentalité panthéiste. La confusion investie souvent aussi le rapport entre le Créateur et la créature dans les actes libres, en arrivant parfois à attribuer de manière confuse à l’un et à l’autre les actes moraux objectivement mauvais. La moralité de l’acte libre est mise ainsi en discussion et par cette voie on peut également arriver à disculper complètement la créature de toute responsabilité dans le péché, en parvenant ainsi à introduire la contradiction en Dieu. Avant d’approfondir un tel aspect il faut tout d’abord approcher la question de la causalité divine et plus particulièrement des rapports entre Dieu Cause première et le péché, en distinguant ce qui est attribuable à l’Auteur de l’être et ce qui est par contre la faute de la créature faillible.

 

Dans le travail qui suit, en faisant recours à Saint Thomas d’Aquin, on montre l’inconsistance de cette structure de pensée qui, si elle n’attribue pas ouvertement à Dieu l’acte moral mauvais de la créature, promeut du moins une confusion très dangereuse qui finit même par presque soutenir une responsabilité de Dieu dans le péché. Lorsqu’on veut déresponsabiliser complètement l’homme, sur les pas d’une voie plus ou moins panthéiste, le danger peut aussi être celui d’introduire la contradiction dans la Cause Première, en posant ainsi les prémisses de la négation de Dieu.

                                                                                                            La Rédaction

 

Dieu est-il la cause du péché?

(I)

Parmi tous les maux le péché, le mal commis, constitue la plus grande tragédie pour l’homme (comme d’ailleurs pour l’ange) car il introduit un désordre radical par rapport au bien dans sa propre vie  morale, et a fortiori dans la vie sociale[1]. Le mal et les souffrances (dont l’homme est souvent la cause) deviennent aussi très souvent un argument contre l’existence de Dieu Bon et la source infinie de toute bonté[2]. Dieu a bien créé des gens mauvais et les faiblesses des hommes, est-il aussi responsable de leurs péchés ? Cause Première est-elle également une cause de toutes ces atrocités et ces erreurs commis par les hommes au cours de l’histoire ? Si sans Dieu nous ne pouvons rien faire, ni de bon ni de mauvais, sommes-nous responsable de nos choix ? Pour donner une réponse à de telles questions au plan théologique il faudrait bien distinguer le rôle de Dieu et le rôle de l’homme dans le péché.

Pour ce but on essayera d’établir dans ce travail quel est le rapport entre Dieu et les différents aspects de l’acte peccamineux. Le péché comme tel est un mal commis ou autrement dit une opération volontaire mauvaise. D’abord c’est une opération, un acte second dont la volonté est le principe. Pour cela on parlera avant tout du rôle de Dieu par rapport à l’exercice même de l’acte volontaire en tant que tel. Ensuite, après avoir précisé aussi la nature du péché en tant qu’un mal de l’opération, on examinera si un rapport causal (et éventuellement de quel type) entre Dieu et une telle opération mauvaise est possible. Dans la dernière partie on parlera de l’origine métaphysique de la malice du péché pour pouvoir répondre enfin à la question si Dieu a une part quelconque dans l’acte peccamineux et s’il en est responsable.

 

Fondement métaphysique d’une action de la créature libre

La doctrine révélée de la Création et la métaphysique de l’esse de Saint Thomas présentent une vision des créatures comme profondément dépendantes du Créateur dans tout leur être mais aussi dans tout leur agir[3].

Par la Création Dieu seul, l’Ipsum Esse Subsistens, fait participer aux créatures l’esse ut actus qu’il possède de façon substantielle. Cet esse participé aux créatures apparaît comme la perfection la plus radicale ; c’est l’acte de tous les autres actes et la perfection la plus intense et la plus universelle, car chaque autre perfection dans la créature, avant d’être une telle ou une telle perfection, doit surgir du néant et être[4].

En effet, l’esse (ut actus) est la source de toute actualité de la substance créée (par la médiation du principe formel quo qu’est la forme substantielle), c’est-à-dire de son être en acte substantiel, mais aussi des êtres accidentels en acte qui, étant inhérents à la substance, dépendent radicalement de son actualité[5]. Il s’ensuit que l’action, un des accidents de la substance, n’échappe pas à l’influence de la Cause première dans l’ordre de la causalité universelle de l’esse, et pour cela l’actualité accidentelle dans l’ordre de l’agir ne peut pas être extrinsèque à la causalité première de Dieu[6]. Cette omniprésence de la causalité universelle de l’esse qui arrive jusqu'à soutenir dans l’acte l’opération de la créature est appelée communément la motion divine.

Aucune action n’échappe à la motion divine. L’influence de la Cause première est également nécessaire quant à l’exercice même de l’activité volontaire d’une créature libre[7]. Cela vaut aussi bien pour l’acte bon comme pour l’acte mauvais, tous les deux étant des opérations d’une substance[8]. Quant à l’acte moral bon, une participation à l’actualité de l’esse est indispensable pour qu’il soit, et surtout pour qu’il soit bon et parfait (une participation à une certaine perfection de l’esse est a fortiori une participation au bien, ens et bonum convertuntur), c’est-à-dire pour pouvoir inscrire effectivement l’agent dans l’ordo ad finem. Il faudra par contre distinguer le rôle métaphysique de Dieu dans l’acte mauvais (le péché) qui, jouissant d’une certaine manière de l’actualité de l’esse (donc du bien), détourne pourtant l’agent libre de sa fin.

Péché comme un mal de l’opération

Le péché est formellement une opération libre défaillante, ou autrement dit un mal commis (reatus culpae). Sous son aspect générique de mal, le péché s’oppose au bien, c’est une sorte d’absence d’un bien (donc d’une certaine actualité de l’être). Pour cela le mal n’est pas un être, per se il ne jouit en aucune manière de la perfection de l’esse[9].

Plus précisément, le mal (donc aussi le péché) est une privation, une absence de perfection due, pouvant apparaitre uniquement dans un être en puissance qui est (en tant qu’en puissance) un sujet assurant la continuité entre les deux termes qui sont la possession en acte d’une perfection et l’absence de celle-ci[10].

Le mal en général, étant une sorte de privation, présuppose alors toujours un sujet qui serait un « hôte » pour un tel « parasite ». Le mal peut en effet s’introduire au niveau de l’acte premier, c’est-à-dire de la perfection de l’être substantiel, et cela est un mal physique (reatus poenae) ; cependant l’opération d’une créature rationnelle peut être également privée de la perfection due pour agir moralement bien dans l’ordre de l’opération (l’acte second), et cela est justement le mal commis, le péché (reatus culpae)[11].

En effet, le mal peut apparaitre aussi dans l’ordre de l’agir dans lequel l’agent libre, par l’opération de la volonté, se dirige librement (et rationnellement) vers un bien et en jouit[12]. Quant à l’acte moral bon, celui-ci possède toute la bonté (donc aussi toute l’actualité de l’être) nécessaire pour mettre l’agent dans un ordo ad finem. A l’acte peccamineux manque cette perfection nécessaire, ce qui au lieu de produire l’ordre moral produit un désordre par lequel est coupée la relation intentionnelle entre la créature et sa Fin ultime. Il faudra alors expliquer si Dieu, qui par la causalité universelle soutient dans l’acte chaque opération (bonne comme mauvaise), peut être également une cause, d’une manière ou d’une autre, de l’acte défaillant par lequel la créature se sépare de lui.

 

Dieu et le péché

Dieu ne peut pas être une cause du péché per se. En effet, le mal comme tel ne peut jamais avoir une cause per se, car étant une absence de bien dû, il ne peut être l’objet du vouloir d’un agent (dont l’objet du vouloir per se c’est le bien) que per accidens, ni être causé per se comme un être venant à l’existence par les biais d’un agent (car le mal est un non-ens), ni être fait dans l’ordre (le mal est un non-ens ne pouvant pas entrer dans l’ordre)[13].

Dieu ne peut pas être non plus une cause per accidens du péché (comme c’est le cas pour le mal de la peine). Par le péché l’agent libre se détourne de sa Fin ultime ; mais l’œuvre de Dieu ad extra, la Création, est une participation de l’esse qui implique, à côté de la causalité efficiente et exemplaire, aussi la causalité finale. Le Créateur, le Bien Suprême la Fin ultime, étant l’auteur de l’exitus du cosmos (et de l’homme) est aussi l’auteur du reditus de toute créature, spécialement de la créature rationnelle[14]. Pour cela Dieu en étant un principe du péché, même per accidens, se nierait Lui-même en tant que la Fin ultime[15]. Il s’ensuit que Dieu ne peut être en aucune manière une cause du péché en tant que cela est une opération défaillante qui détruit l’ordo ad finem d’une créature rationnelle.

A SUIVRE…

Łukasz Zaruski

 

[1] « Il male morale, tutto proprio della creatura razionale, supera in intensità ed estensione il male fisico e sconvolge continuamente la vita individuale e sociale dell’umanità, che ne sente il doloroso disagio » P. Parente, Teologia Viva II, Dio e i problemi dell’uomo, Rome, Belardetti, 1955, p. 539.

[2] La constatation du mal en tant que tel est d’ailleurs le premier argument contre l’existence de Dieu mentionné par Saint Thomas dans son article de la Somme sur les quinque viae : « Videtur quod Deus non sit. Quia si unum contrariorum fuerit infinitum, totaliter destruetur aliud. Sed hoc intelligitur in hoc nomine Deus, scilicet quod sit quoddam bonum infinitum. Si ergo Deus esset, nullum malum inveniretur. Invenitur autem malum in mundo. Ergo Deus non est. » Saint Thomas d’Aquin, Summa Theologiae, Ia, q. 2, a. 3, arg. 1.

[3] Quant au Magistère, on peut citer par exemple : « Et non seulement Dieu, par sa Providence, soutient et gouverne toute la création ; mais c’est Lui qui en réalité communique le mouvement et l’action à tout ce qui se meut et à tout ce qui agit ; et de telle sorte qu’Il prévient, sans l’empêcher, l’influence des causes secondes ». Catechismo Tridentino, Siena 1992, Cantagalli, p. I, art. 1, n. 30.

[4] « Comme tous les actes et toutes les perfections de l’être sont actualités par l’esse (participé), qui est l’acte κατ΄ξοχήν, acte et toujours acte et seulement acte, même si par participation, Dieu, qui est l’esse (par essence) et par suite cause propre directe et immédiate de l’esse participé, est cause propre directe et immédiate de tous ces actes et de toutes ces perfections. » C. Fabro, Participation et causalité,  Béatrice-Nauwelaerts, Louvain-Paris, 1961, p. 406.

[5]« Actualitas formae accidentalis causatur ab actualitate subiecti. » Saint Thomas d’Aquin, Summa Theologiae, Ia, q. 77, a. 6, co.

« Inter essentiam igitur et habentem essentiam non cadit aliqua potentia media quantum ad actum ipsius essentiae in habentem, qui est esse; sed ipsa essentia dat esse habenti: et iste actus est quasi actus primus. Egreditur etiam ab essentia alius actus, qui est etiam actus habentis essentiam sicut agentis, et essentiae sicut principii agendi: et iste est actus secundus, et dicitur operatio  » Saint Thomas d’AquinDe Veritate, q. 27, a. 1, ad 3.

« Poichè l’attualità di ogni accidente procede e dipende continuamente dall’attualità della sostanza e questa procede e dipende continuamente dalla immanenza operativa di Dio, necessariamente anche l’azione, accidente dinamico della creatura, si fonda nella continua e intrinseca attività creatrice di Dio ». A. Piolanti, Dio nel mondo e nell’uomo, Rome, LEV, 1994, p. 131.

[6] « Alors puisque l’être réel de l’essence et de ses principes substantiels et accidentels est en vertu de l’esse participé, et ce dernier, à son tour est en acte par la participation de l’Esse subsistens (création et conservation), à la même manière l’agir de la créature, ou son passage à l’acte, la “ vibration ” de ses principes opératifs, se fait en vertu de la vibration intime, et radicale de l’acte d’esse et par conséquent, en dernière instance en vertu de la vibration intime, profonde, immédiate, efficace… exercée et produite dans l’acte d’esse de l’être par participation, par Dieu, qui est l’Esse par essence. Ceci nous fait comprendre que le mode propre par lequel Dieu atteint, et par la suite, meut la créature, est le mode “ constitutif ” ou fondant de l’être et de l’agir, c’est-a-dire celui de la “ causa efficiens et conservans ”. » C. Fabro, Ibid.,  p. 408.

[7] « Deus movet voluntatem hominis, sicut universalis motor, ad universale obiectum voluntatis, quod est bonum. Et sine hac universali motione homo non potest aliquid velle. » Saint Thomas d’Aquin, Ibid.,  Ia-IIae, q. 9, a. 6, ad 3.

[8] « Ora non ripugna attribuire a Dio il peccato come azione fisica, anzi è necessario attribuirglielo, perchè ogni azione metafisicamente è atto, perfezione, e perciò non può trovare la sua ragion d’essere esclusivamente nella creatura, che è potenza ». P. Parente, Ibid. p. 543.

[9] « Oportet ergo quod malum, quod universaliter opponitur bono, opponatur etiam ei quod est esse. Quod autem est oppositum ei quod est esse, non potest esse aliquid. » Saint Thomas d’Aquin, De malo, q. 1, a. 1, co.

« Essendo il male opposto al bene, che è ente (essenza ed essere), non può equivalere a una natura o forma ossia ad un ente, ma a qualche cosa che si oppone all’ente (natura ed essere) e quindi è come una privazione di natura e di essere » P. Parente, Ibid., p. 529.

[10] « Cum autem malum, ut supra dictum est, nihil aliud sit quam privatio debitae perfectionis; privatio autem non sit nisi in ente in potentia, quia hoc privari dicimus quod natum est habere aliquid et non habet; sequitur quod malum sit in bono, secundum quod ens in potentia dicitur bonum. » Saint Thomas d’Aquin,  Ibid. a. 2, co.

 « Privatio autem et forma privata in eodem subjecto sunt ». Saint Thomas d’Aquin, Contra Gentes, III, c. 11.

[11] « Malum, sicut supra dictum est, est privatio boni, quod in perfectione et actu consistit principaliter et per se. Actus autem est duplex, primus, et secundus. Actus quidem primus est forma et integritas rei, actus autem secundus est operatio. Contingit ergo malum esse dupliciter. Uno modo, per subtractionem formae, aut alicuius partis, quae requiritur ad integritatem rei ; sicut caecitas malum est, et carere membro. Alio modo, per subtractionem debitae operationis ; vel quia omnino non est ; vel quia debitum modum et ordinem non habet. » Saint Thomas d’Aquin, Summa Theologiae, Ia, q. 48, a. 5.

[12] « Et hoc ideo est quia, cum bonum simpliciter consistat in actu, et non in potentia, ultimus autem actus est operatio, vel usus quarumcumque rerum habitarum; bonum hominis simpliciter consideratur in bona operatione, vel bono usu rerum habitarum. Utimur autem rebus omnibus per voluntatem. » Ibid, a. 6, co.

« Duplex est perfectio ; scilicet prima, et secunda : prima perfectio est forma uniuscuiusque, per quam habet esse ; unde ab ea nulla res destituitur dum manet ; secunda perfectio est operatio, quae est finis rei, vel id per quod ad finem devenitur et hac perfectione interdum res destituitur. » Saint Thomas d’AquinDe Veritate, q. 1, a. 10, ad s.c. 3.

[13]«  Primo quidem, quia illud quod per se causam habet, est intentum a sua causa; quod enim provenit praeter intentionem agentis, non est effectus per se, sed per accidens. [...] Malum autem, in quantum huiusmodi, non potest esse intentum, nec aliquo modo volitum vel desideratum; quia omne appetibile habet rationem boni, cui opponitur malum in quantum huiusmodi. […] Secundo idem apparet, quia omnis effectus per se habet aliqualiter similitudinem suae causae, vel secundum eamdem rationem, sicut in agentibus univocis, vel secundum deficientem rationem, sicut in agentibus aequivocis; omnis enim causa agens agit secundum quod actu est, quod pertinet ad rationem boni. […] Tertio idem apparet ex hoc quod omnis causa per se, habet certum et determinatum ordinem ad suum effectum; quod autem fit secundum ordinem non est malum, sed malum accidit in praetermittendo ordinem. Unde malum, secundum quod huiusmodi, non habet causam per se. » Saint Thomas d’Aquin, De Malo, q. 1, a. 3, co.

[14] « La causa finale è nell’ordine intenzionale la prima delle cause ; metafisicamente si definisce come “ciò in funzione di cui […] si partecipa l’essere.” Il partecipante, nella sua integrità ontica, è teso tutto verso il partecipato, in cui ha ragione totale del suo essere : il suo dinamismo dice essenziale intezionalità verso il partecipato. Da esso esce in qualche modo, attraverso la finalità. È l’exitus rerum a Deo e il reditus rerum in Deum » A. Piolanti, Ibid., p. 583.

[15] « Peccatum enim, prout nunc de peccato loquimur, consistit in aversione voluntatis creatae ab ultimo fine. Impossibile est autem quod Deus faciat voluntatem alicuius ab ultimo fine averti, cum ipsemet sit ultimus finis. » Saint Thomas d’Aquin Ibid., a. 1, co.

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31 mai 2017 3 31 /05 /mai /2017 12:38
Vigilate et orate, invitation à ne pas manquer une opportunité...
 
31 mai 2017, Fête de Marie Reine
 

 
L’Eglise est en train de traverser son Vendredi Saint, elle est face à une situation qui n’a quasiment rien d’ordinaire et comme on dit: à situations extraordinaires, remèdes extraordinaires. Au jardin de Gethsémani Jésus invite à la vigilance et à la prière (“vigilate et orate”, Mt 26,41). Par le travail de cette revue nous cherchons à stimuler la vigilance, spécialement en ce qui regarde les erreurs sur la foi et sur la morale, mais aussi sur certains choix ecclésiaux discutables. Nous voudrions que ces lignes aident aussi à diffuser les invitations du Ciel à intensifier la prière réparatrice et surtout la dévotion aux cinq premiers samedis du mois. Nous demandons aussi au Seigneur qu’Il délivre les coeurs de l’orgueil du rationalisme (pseudo) intellectualiste qui dédaigne les actes de dévotion.
 
Il est notoire que Soeur Lucie de Fatima diffusa et demanda de diffuser cette pieuse pratique par tous les moyens. Nous nous unissons à cette oeuvre de diffusion demandée par la Sainte Vierge, invitant tout le monde à ne pas gâcher une opportunité si généreusement donnée par le Ciel, et qui tout en apaisant la colère divine pour les offenses commises, nous garantit l’assistance de Marie à notre dernière heure, avant le Jugement Eternel.
 
La Communauté Saint Grégoire le Grand commencera un cycle du mois de juin jusqu’au mois d’octobre dans la maison de Camerino (pour plus d’informations écrire à:
 
Association de Clercs Saint Grégoire le Grand
 
 
 
Quelques indications pratiques pour accomplir la requête des cinq premiers samedis du mois
 
1) Recevoir la Sainte Communion pendant les cinq premiers samedis du mois à la suite (pour des raisons justifiées on peut demander au prêtre de reporter cela au premier dimanche du mois).
 
2) Se confesser. Il est possible de le faire dans l’intervalle de huit jours avant ou huit jours après le premier samedi, pourvu que la Communion soit reçue en état de grâce.
 
3) Récitation du Très Saint Rosaire (par Rosaire on entend les cinq mystères d’un chapelet).
 
4) Une méditation de quinze minutes sur les mystères du Rosaire. La méditation demandée est quelque chose de simple, accessible à tous, sur un ou plusieurs mystères du Rosaire. Plus bas nous donnons quelques indications et orientations données par Soeur Lucie elle-même.
 
 
La Communion et la Confession doivent être offertes en réparation pour les offenses qui outragent la Très Sainte Vierge Marie:
 
“Ma fille, le motif (du chiffre cinq) est simple. Il y a cinq sortes d’offenses et de blasphèmes proférés contre le Coeur Immaculé de Marie :
 
1) les blasphèmes contre l’Immaculée Conception;
 
2) les blasphèmes contre Sa Virginité;
 
3) les blasphèmes contre Sa Maternité divine, refusant en même temps aussi de La reconnaitre comme Mère des hommes;
 
4) les blasphèmes de ceux qui cherchent publiquement à infuser dans le coeur des enfants l’indifférence, le mépris ou encore la haine contre tout ce qui concerne cette Mère Immaculée;
 
5) les offenses de ceux qui l’outragent directement dans Ses saintes images.
 
 
Le 10 décembre 1925, la Très Sainte Vierge apparut à Soeur Lucie avec l’Enfant Jésus. Ce dernier déclara:
 
“Aie compassion du Coeur de ta Très Sainte Mère entouré d’épines que les hommes ingrats Lui enfoncent à tout moment, sans qu’il n’y ait personne qui fasse un acte de réparation pour les enlever”.
 
La Très Sainte Vierge ajouta:
 
“Toi, au moins, cherche à me consoler et dis à tous ceux qui, durant cinq mois consécutifs, le premier samedi, se confesseront et recevront la Sainte Communion, réciteront un rosaire et me tiendront compagnie pendant quinze minutes, méditant sur les quinze mystères du Rosaire, en esprit de réparation, que je promets de les assister à l’heure de leur mort par toutes les grâces nécessaires pour le salut de leur âme”.
 

 
Appendice sur les quinze minutes de médiation requises
 
La pratique de ce bref moment de méditation est à prendre avec la même simplicité que la Très Sainte Vierge utilise - “et me tiendront compagnie pendant quinze minutes, méditant sur les quinze mystères du Rosaire” - on peut s’arrêter sur un ou plusieurs des mystères, selon la facilité de chacun, sans oublier le “tenir compagnie” dans un esprit de réparation. Par exemple concernant le mystère de l’Annonciation, Soeur Lucie, sans que cela soit l’unique méthode, méditait ainsi:
 
“Voici mon mode de méditer sur les mystères du Rosaire durant les premiers samedis du mois : Premier Mystère, l’Annonciation de l’Ange Gabriel à Marie.
 
Premier Prélude: imaginer qu’on est en train d’observer et écouter l’Ange qui salue la Très Sainte Vierge par ces paroles : “Je vous salue Marie pleine de grâce”.
 
Second Prélude: je demande à la Très Sainte Vierge Marie de remplir mon âme d’un profond sentiment d’humilité.
 
Premier point: je méditerai sur le mode par lequel le Ciel proclame la Très Sainte Vierge Marie pleine de grâce, bénie entre toutes les femmes et destinée à devenir la Mère de Dieu.
 
Second point: l’humilité de la Très Sainte Vierge, se reconnaissant Elle-même et se proclamant Elle-même la servante du Seigneur.
 
Troisième point: Comment dois-je imiter la Très Sainte Vierge, dans Son humilité; quelles sont les erreurs d’orgueil de jugement téméraire à cause des quelles j’offense plus spécialement le Seigneur, et les modes par les lesquels je peux chercher à les éviter, etc...
 
Le deuxième mois, je médite sur le second mystère joyeux. Le troisième mois, sur le troisième mystère joyeux, et ainsi de suite, en suivant la même méthode de méditation. Quand j’ai fini les Cinq Premiers Samedis, j’en recommence cinq autres et je médite sur les mystères douloureux, puis les mystères glorieux, et quand j’ai fini je recommence avec les mystères joyeux.”
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26 mai 2017 5 26 /05 /mai /2017 21:07

Saint Thomas d’Aquin sur le devoir d’aider ceux qui nous sont proches

30 avril 2017, Sainte Catherine de Sienne

Sainte Elisabeth de Hongrie aide ses compatriotes

 

Dans l’article publié ces derniers mois (Immigration et ordre dans la charité, laccueil” désordonné des migrants est la négation de l'amour de Dieu) nous avons abordé la question de l’ordre dans l'exercice de la charité, nous référant particulièrement au problème de l’immigration, y compris de l’immigration islamique, surtout par rapport au bien commun de la société naturelle et surnaturelle. Cet article, en étroite relation avec le précèdent, dont il est un développement, veut offrir des commentaires des passages de Saint Thomas qui décrivent l’exercice de la charité surtout par rapport au problème de savoir s’il est juste ou non de s’occuper d’abord de ses propres compatriotes plutôt que des étrangers. Y a-t-il matière à pécher et même à pécher de manière grave lorsqu’un étranger est traité de la même manière qu’un membre de notre famille, de notre nation ou même qu’un compagnon d’armes ? Nous verrons la réponse de Saint Thomas d’Aquin en restant dans le sillage de la question 26 de la Secunda Secundae de la Summa Theologiae.

 

Saint Thomas aborde le problème par un argument tiré de Saint Augustin et qui contient déjà in nuce la réponse qu’il développera par la suite. En effet, d’un côté il semblerait qu’il faille aider tous les hommes de manière égale, mais d’un autre côté, il n’est pas possible d’aider tout le monde et il faut tenir compte du fait que nous sommes unis à certains par des circonstances de temps et de lieu, ou pour d'autres motifs, presque comme si “le sort” nous les avait confiés, dit l’Evêque d’Hippone[1].

 

D’un côté en effet, il est vrai que la raison d’un tel amour envers les hommes étant Dieu, elle a une égale nature pour tous et il est aussi vrai que le bien que nous désirons pour chaque homme est le bien suprême de la vie éternelle dont la nature est la même pour tous. Mais il n’en découle pas le devoir pour chacun d’entre nous d’aimer également tout le monde, parce que l’exercice de la charité est à ordonner aussi en relation à la situation spécifique et concrète de chacun. Nous devons donc avoir envers tous sans distinction, l’amour que Saint Thomas appelle “amour de bienveillance”, qui, littéralement veut dire vouloir le bien pour tous les hommes. Cependant ne pouvant pas faire du bien à tous, nous devrons être inégaux dans l’ “amour de bienfaisance” (mot à prendre dans le sens le plus large du terme bene facere)[2]. C’est-à-dire que, sans exclure positivement personne de notre amour de bienveillance, selon lequel nous désirons pour chacun le bien suprême et éternel, nous devons aimer de manière différenciée le prochain quant à la bienfaisance. Cet amour de bienfaisance aura une intensité différente selon que le prochain sera plus ou moins lié à nous selon diverses circonstances.

 

Saint Thomas dit donc avec clarté que pèche bien plus gravement celui qui refuse son amour à une personne qui lui est objectivement plus proche et qu’il devrait aimer que celui qui refuse son amour à une personne lointaine. Et pour appuyer et expliquer une telle assertion il cite les paroles du Lévitique : “quiconque maudira son père et sa mère qu’il soit mis à mort[3]. Peine de mort qui n’est pas prévue pour celui qui maudit un autre que son père et sa mère. Il est bien plus grave pour un fils d’éprouver de la haine pour ses propres parents, que d’éprouver de la haine pour une personne quelconque. Il s’en suit évidemment que nous devons aimer d’avantage certains de nos proches plutôt que d’autres, en raison du lien objectif et inégal qui nous unit à eux, lien qui ne peut pas être établi ni par notre choix ni par l’égalitarisme à la mode.

 

Saint Thomas spécifie donc que, s’il est vrai que par rapport à la nature du bien surnaturel que nous voulons pour tous il n’y a pas de différence, pour tous en effet nous devons vouloir la béatitude éternelle, il est aussi vrai qu’il y a une intensité différente dans l’amour de charité et dans la bienfaisance que nous devons prodiguer au prochain, cette différente intensité nait de la plus ou moins grande proximité de la personne à aimer. Saint Paul dit que si quelqu’un ne prend pas soin des personnes de sa propre famille il est pire que l’infidèle (1 Tim 5,8). La dilection interne de la charité, avec ce qu’elle comporte d'extérieur, doit s’exercer d’abord envers celui qui nous est plus proche[4]. Chacun de nous doit “proportionner” l’amour de charité à ce qu’il est, à la situation dans laquelle la Providence l’a mis, à la famille dans laquelle Dieu l’a fait naître, à la patrie dans laquelle il a grandi. D’où le devoir primaire d’aimer de charité plus intense ceux qui nous sont plus proches; si à tous nous devons l’amour de charité de manière indistincte, à certains, en raison d’un autre amour d’amitié (au sens le plus large du terme) qui nous lie à eux, nous devons un amour de charité plus grand[5]. Et c’est ainsi que l’ordre même de la charité nous “commande” d’aimer davantage d’abord nos consanguins, ensuite ceux auxquels nous sommes liés pour d’autres raisons et Saint Thomas cite, tout de suite après les membres de la famille, les concitoyens[6].

 

On pourrait dire que sur les proches, sur les membres de la famille, sur les concitoyens nous avons d’une certaine façon un “mandat divin d’amour”, presqu’une responsabilité sur eux, qui nous vient de l’ordre voulu par Dieu Créateur, sur lequel l’ordre surnaturel se greffe.

 

Nous devons avoir une plus grande charité pour ceux qui nous sont unis par le sang, soit parce que l’amour que nous leur portons est plus intense, soit parce que nous les aimons sous un plus grand nombre de rapports[7], Saint Thomas est en train de nous expliquer que selon le type de lien qui nous unit nous sommes tenus à une dilection particulière et ordonnée envers certains avant d’autres. Par exemple, en ce qui regarde notre origine naturelle nous devons aimer principalement les consanguins, en ce qui regarde les relations sociales nous devons aimer principalement nos concitoyens et en ce qui regarde la guerre notre dilection doit aller d’abord vers nos compagnons d’armes[8]. Par exemple, dans la distribution des ressources familières, dit le Saint Docteur en commentant Saint Ambroise, un père est tenu de nourrir ses propres enfants naturels plutôt que d’éventuels fils spirituels[9]. C’est l’ordre des choses, que l’ordre surnaturel ne va pas bouleverser mais perfectionner. De façon analogue donc on doit dire du devoir des citoyens et des gouvernants, lesquels in primis doivent s’occuper des citoyens de leur propre Civitas avant de s’occuper de ceux des autres villes. Et un tel amour de charité doit s’adresser plus intensément aux concitoyens justement par rapport aux choses qui regardent la vie civile, dit Saint Thomas, c’est-à-dire que le soutien dérivant de l’intervention publique, par exemple, doit respecter cette plus grande intensité qui comporte inégalité d’amour et de traitement entre les compatriotes et les étrangers. Ainsi seulement l’intervention civique pourra être vraiment juste et surtout vraiment charitable.

 

A la lumière de l’enseignement de Saint Thomas d’Aquin, affirmer que les étrangers doivent être aimés et aidés de manière égale par rapport aux concitoyens ne paraît pas conforme à la doctrine catholique sur la charité. Elever à la dignité de principe le devoir de traiter de manière égalitaire, tant dans le milieu familial que dans celui de la Civitas, ses propres enfants comme les enfants des autres, ses propres concitoyens comme les étrangers, les fils de l’Eglise comme les infidèles musulmans, non seulement n’est pas conforme au droit naturel mais apparait aussi en contradiction avec la Divine Révélation et la Tradition catholique qui nous enseignent la charité ordonnée.

 

Don Stefano Carusi

 

 

P.S.: Saint Thomas offre une dernière considération dans la question 26 sur la charité, citée plus haut, à propos de la bienfaisance trop facile et du rapport entre bienfaiteur et bénéficiaire: “nous aimons d’avantage les choses que nous obtenons au prix d’un effort, celles par contre qui nous arrivent facilement, d’une certaine façon nous les méprisons”[10]. On pourrait en tirer un dernier avertissement indirect de l’Aquinate en matière de charité ordonnée: les aides excessives, complètement gratuites et de plus souvent souverainement injustes, parce que donnés en enlevant ce qui est dû à ses propres enfants ou à ses propres concitoyens au bénéfice de ceux qui sont loin ou des étrangers, parfois même ouvertement hostiles à la nation qui les accueille, peuvent engendrer aussi le mépris de celui qui reçoit les bénéfices et se retourner gravement contre les sociétés qui ont renié non seulement la justice, mais aussi l’ordre qui nous est offert par la foi et la charité.

 

 

 

[1] Saint Thomas d’Aquin, S. Th., IIa IIae, q. 26, a. 6, arg. 1: “Dicit enim Augustinus, in I de Doct. Christ., omnes homines aeque diligendi sunt. Sed cum omnibus prodesse non possis, his potissimum consulendum est qui pro locorum et temporum vel quarumlibet rerum opportunitatibus, constrictius tibi quasi quadam sorte iunguntur”.

[2] Ibidem, ad 1: “Ad primum ergo dicendum quod dilectio potest esse inaequalis dupliciter. Uno modo, ex parte eius boni quod amico optamus. Et quantum ad hoc, omnes homines aeque diligimus ex caritate, quia omnibus optamus bonum idem in genere, scilicet beatitudinem aeternam. Alio modo dicitur maior dilectio propter intensiorem actum dilectionis. Et sic non oportet omnes aeque diligere. Vel aliter dicendum quod dilectio inaequaliter potest ad aliquos haberi dupliciter. Uno modo, ex eo quod quidam diliguntur et alii non diliguntur. Et hanc inaequalitatem oportet servare in beneficentia, quia non possumus omnibus prodesse, sed in benevolentia dilectionis talis inaequalitas haberi non debet. Alia vero est inaequalitas dilectionis ex hoc quod quidam plus aliis diliguntur. Augustinus ergo non intendit hanc excludere inaequalitatem, sed primam, ut patet ex his quae de beneficentia dicit”.

[3] Ibidem, s.c.: “Sed contra est quod tanto unusquisque magis debet diligi, quanto gravius peccat qui contra eius dilectionem operatur. Sed gravius peccat qui agit contra dilectionem aliquorum proximorum quam qui agit contra dilectionem aliorum, unde Levit. XX praecipitur quod qui maledixerit patri aut matri, morte moriatur, quod non praecipitur de his qui alios homines maledicunt. Ergo quosdam proximorum magis debemus diligere quam alios”.

[4] Ibidem, a. 7, s.c.: “Sed contra est quod dicitur I ad Tim. V, si quis suorum, et maxime domesticorum curam non habet, fidem negavit et est infideli deterior. Sed interior caritatis affectio debet respondere exteriori effectui. Ergo caritas magis debet haberi ad propinquiores quam ad meliores”. Ibidem, corpus.

[5] Ibidem, corpus: “Sed intensio dilectionis est attendenda per comparationem ad ipsum hominem qui diligit. Et secundum hoc illos qui sunt sibi propinquiores intensiori affectu diligit homo ad illud bonum ad quod eos diligit, quam meliores ad maius bonum. Est etiam ibi et alia differentia attendenda. Nam aliqui proximi sunt propinqui nobis secundum naturalem originem, a qua discedere non possunt, quia secundum eam sunt id quod sunt”.

[6] Ibidem, corpus: “Et sic hoc ipsum quod est diligere aliquem quia consanguineus vel quia coniunctus est vel concivis, vel propter quodcumque huiusmodi aliud licitum ordinabile in finem caritatis, potest a caritate imperari. Et ita ex caritate eliciente cum imperante pluribus modis diligimus magis nobis coniunctos”.

[7] Ibidem, a. 8, corpus.

[8] Ibidem: “Sic igitur dicendum est quod amicitia consanguineorum fundatur in coniunctione naturalis originis; amicitia autem concivium in communicatione civili; et amicitia commilitantium in communicatione bellica. Et ideo in his quae pertinent ad naturam plus debemus diligere consanguineos; in his autem quae pertinent ad civilem conversationem plus debemus diligere concives; et in bellicis plus commilitones”.

[9] Ibidem, ad 2.

[10] Ibidem, a. 12, corpus.

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22 février 2017 3 22 /02 /février /2017 10:17

La critique constructive est légitime. Mais...

22 février 2017, Chaire de Saint Pierre

 

 

Mgr Guido Pozzo

Archevêque titulaire de Bagnoregio

Secrétaire de la Commission Pontificale

“Ecclesia Dei”

 

Du Vatican, 27 janvier 2017

 

Chère Rédaction

En référence à Votre lettre du 15 janvier 2016, je n’ai pas de difficulté à répondre qu’il n’y a aucun contraste entre ce que j’ai exposé dans ma conférence du 4 avril 2014 dans le siège de l’Institut du Bon Pasteur et ce que j’ai déclaré à Zenit dans l’interview mentionnée. Dans ladite conférence j’ai proposé, entre autres, certaines considérations et réflexions visant à clarifier et préciser l’enseignement de Vatican II sur la liberté religieuse et à propos du caractère pastoral du Concile Vatican II. Il n’y a donc aucune limitation à discuter, examiner, approfondir et clarifier des matières concernant le rapport Eglise et Etat en matière de liberté religieuse, des questions œcuméniques ou relatives au dialogue inter-religieux. Mon intention lors de cette rencontre était justement celle de porter une contribution à la clarification et à la nécessaire précision de certains thèmes, surtout compte-tenu des indications du Pape Benoit XVI, non pas donc pour fermer le discours, mais pour l’orienter dans le sens correct, c’est-à-dire non en contraste avec l'enseignement du Magistère constant de l’Eglise, mais dans la ligne du développement cohérent et de l’explicitation.

Cependant, l’essentiel est ce que Mgr Fellay lui-même a déclaré dans un interview de l’année dernière : “nous pouvons exposer le problème et voir les ambiguïtés, mais c’est justement Rome qui a l’autorité pour éclaircir”. Je crois que cela vaut pour la FSSPX comme pour les autres.

En vous communiquant ce qui précède, avec mon respect distingué.

+ Guido Pozzo

Archevêque tit. de Bagnoregio

 

***

 

Nous remercions Son Excellence Mgr Pozzo pour cette lettre (ici l’original), nous adhérons certainement à ce que Mgr Fellay a déclaré à cette occasion et que Mgr Pozzo pose comme pilier: “nous pouvons exposer le problème et voir les ambiguïtés, mais c’est justement Rome qui a l’autorité pour éclaircir”. Nous ajoutons que, si la vérité historique vaut quelque chose, ce pilier est depuis toujours constitutif de notre position. Mais, sans reprendre au début ce que nous avons déjà exposé, la question qui demeure est double. Quant à Mgr Fellay, qui proclamait la nécessité absolue d'éclaircir et corriger les principes de la crise de manière préliminaire à n’importe quel accord: un tel éclaircissement a-t-il été fait ou est-il encore à faire ? Et quant à l’ouverture de principe contenue dans la réponse de Mgr Pozzo, le tout est de voir - au-de-là des intentions personnelles - comment elle se concrétise. Ce seront aussi les faits qui apporteront cet éclaircissement.

 

La Rédaction de Disputationes Theologicae

Association de clercs Saint Grégoire le Grand

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