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La Liberté religieuse : une position claire de Mgr De Castro Mayer

par Disputationes theologicae

publié dans Quelle valeur magistérielle pour Vatican II

 

« Le 15 octobre dernier, j’ai eu l’honneur d’écrire à Votre Sainteté en lui assurant mon filial respect aux ordres reçus.

Parmi ces ordres il y avait celui selon lequel, dans l’éventualité qu’ « en conscience je ne fus pas d’accord avec les actes de l’actuel Magistère Ordinaire de l’Eglise », « je manifeste librement au Saint Siège » mon avis. C’est ce que je vais faire, avec toute la révérence due à l’Auguste Vicaire de Jésus-Christ, en soumettant à Votre Sainteté les trois études annexes ». 

 

 

Mons_-Castro.JPG 

Mgr De Castro Mayer     

 

Le nœud théologique de la “liberté religieuse”, ainsi qu’il est décrit dans le document conciliaire “Dignitatis Humanae” – au n. 2 en particulier – a suscité d’innombrables études et propositions interprétatives dans la lignée rebaptisée aujourd’hui «  de la continuité herméneutique ». Jusqu’à présent les tentatives, bien qu’étant d’une extrême érudition théologique, se sont avérées fort peu convaincantes.

L’évêque du diocèse de Campos, Mgr De Castro Mayer – aujourd’hui injustement oublié – s’était adressé respectueusement au Pape Paul VI, en sa qualité de membre de l’Eglise enseignante ; les évêques, avant d’instruire leur troupeau, reçoivent un enseignement de la part du Souverain Pontife, et la praxis veut qu’ils fassent appel à lui pour savoir quelle est l’interprétation authentique d’un texte qui leur à été proposé. Dans l’étude et la supplique de l’évêque brésilien, la franchise théologique s’unit au respect filial – et théologique – envers le Successeur de Pierre. En fils dévot de l’Eglise, mais sans cacher la vérité, l’évêque mène une étude théologique d’une désarmante simplicité, en parcourant la pensée constante de l’Eglise. N’arrivant pas à trouver une solution à cette question et voyant clairement le danger de la situation, il s’adresse à celui qui du Christ même a reçu les clés, parce que – pour paraphraser le père grec Théodore Studite – sa parole, sa plume divine, ses écrits ont le pouvoir de dissiper les bandes de loups farouches qui infestent la maison de Dieu :  “Lupi graves irruerunt in aulam Domini (…) habes potestatem a Deo… Terreto, supplicamus, haereticas feras calamo divini verbi tui”.

Ce texte date de 1974, mais il mérite d’être proposé à nouveau, non seulement pour les raisons mentionnées, mais aussi pour la main qui l’a écrit, en réfléchissant ouvertement sur la nécessité d’une interprétation authentique du texte controversé, sans exclure que le Souverain Pontife puisse procéder à la révision d’un texte qui ne jouit pas de l’infaillibilité.

 

     S. C.

 

 

Suivent l’étude et la supplique de Mgr De Castro Mayer. 

 
 

25 janvier 1974

  Très Saint Père,

Humblement prosterné aux pieds de Votre Sainteté, je demande à soumettre à Votre considération les études annexes à la présente lettre

L’envoi de ces études se fait en obéissance à l’ordre de Votre Saintété, qui a été transmis avec la lettre de l’Eminentissime Cardinal Sebastiano Baggio à l’Eminentissime Cardinal Vincente Scherer, ordre dont ce dernier m’a mis au courant de vive voix, lors d’ une rencontre à Rio de Janeiro le 24 septembre dernier.

Le 15 octobre dernier, j’ai eu l’honneur d’écrire à Votre Sainteté en lui assurant mon filial respect aux ordres reçus.

Parmi ces ordres il y avait celui selon lequel, dans l’éventualité qu’ « en conscience je ne fus pas d’accord avec les actes de l’actuel Magistère Ordinaire de l’Eglise », « je manifeste librement au Saint Siège » mon avis. C’est ce que je vais faire, avec toute la révérence due à l’Auguste Vicaire de Jésus-Christ, en soumettant à Votre Sainteté les trois études annexes » 

En faisant cela – que Votre Sainteté daigne le remarquer – je ne fais rien d’autre qu’un acte d’obéissance à Votre vénérable détermination. Les appréciations ici exprimées ont été le fruit d’années de réflexion et de prière. Il n’est pas dans mes intentions de les rendre publiques, parce que je sais que ma réserve sera agrée par Votre Sainteté.

Saint Père, l’obéissance m’oblige maintenant de communiquer à Votre Sainteté des pensées qui pourraient  vous causer du chagrin. Je le fais cependant avec l’âme en paix, parce que je suis dans la voie de la sincérité et de l’obéissance, dans laquelle je compte rester avec la grâce de Dieu.

Cependant si ma conscience est tranquille en même temps mon cœur est triste.

En effet toute ma vie de Prêtre et d’Evêque a été marquée par l’engagement à être, dans mon champ d’action limité, en raison de ma dévotion sans restriction et de mon obéissance sans réserve, un motif de grâce pour les différents Papes sous l’autorité desquels j’ai successivement servi.

Par contre, dans la conjoncture présente, la dévotion et l’obéissance me portent à contrister Votre Sainteté.

A ce point il me revient en mémoire un épisode de l’Histoire de France du siècle passé. Chateaubriand en parle dans les Mémoires d'Outre Tombe. Une fois le roi Louis XVIII sollicitait son opinion au sujet d’une mesure que le monarque venait de rendre publique. La sincérité empêchait l’écrivain d’approuver une telle mesure. Cependant la crainte de contrister le Roi l’encourageait à se taire. Il renonça donc à exprimer sa pensée. Louis XVIII s’en étant aperçu lui ordonna formellement de parler en toute franchise. Et lui, en répondant au noble appel et avant de s’ouvrir au Roi, lui adressa cette demande : "Sire, pardonnez ma fidelité". C’est bien ce que je demande à Votre Saintété : pardonnez la fidélité avec laquelle j’exécute Vos ordres.

J’implore de Votre Sainteté compassion pour l’obéissance de cet évêque désormais septuagénaire et qui vit en ce moment l’épisode le plus dramatique de son existence. Et je demande à Votre Sainteté au moins une parcelle de cette compréhension et bienveillance que tant de fois Vous avez manifesté non seulement envers ceux qui Vous sont proches, mais aussi envers des personnes étrangères et même ennemies du Troupeau de l’Unique Pasteur.

Au fil des années a pris corps dans mon esprit la conviction que des actes officiels de Votre Sainteté n’avaient pas la consonance, que de toute mon âme je désirais voir, avec les actes des Pontifes qui Vous ont précédé.

Il ne s’agit certainement pas d’actes garantis du charisme de l’infaillibilité. Ainsi, cette conviction ne secoue en rien ma foi sans réserve dans les définitions du Concile Vatican I.

Craignant d’abuser du temps précieux du Vicaire du Christ, je m’abstiens de plus larges considérations et je me limite à soumettre à l’attention de Votre Sainteté trois études :

  1 – A propos d’Octogesima Adveniens;

  2 – A propos de la Liberté religieuse;

  3 – A propos de l’ "Ordo Missae" (l’auteur de ce dernier texte est l’avocat Arnaldo Vidigal Xavier da Silveira, à la pensée duquel je m’associe).

  Il serait superflu d’ajouter qu’en ce moment, comme en d’autres moments de ma vie, j’accomplirai, en toute la mesure ordonnée par les lois de l’Eglise, le devoir sacré de l’obéissance. Et dans cet esprit, avec un cœur de fils ardent et très dévoué au Pape et à la Sainte Eglise, j’accueillerais n’importe quelle parole de Votre Sainteté relatifs à ces éléments.

De façon spéciale je supplie Votre Sainteté de bien vouloir me communiquer :

  a) Si Elle trouve des erreurs dans la doctrine exposée dans les trois études annexes.

  b) Si Elle voit dans la position prise dans les études mentionnées au sujet des documents du Magistère Suprême quelque chose qui soit en désaccord avec la révérence qui leur est due de la part d’un Evêque.    

  En suppliant que Votre Sainteté veuille concéder à moi même et à mon diocèse le précieux bénéfice de la Bénédiction Apostolique, je suis de Votre Sainteté un fils humble et obéissant.

  Antonio De Castro Mayer

Eveque de Campos

 

 

   

Contre la liberté religieuse (Mgr A. de Castro Mayer)

 

En matière de liberté religieuse dans l’ordre civil, trois points capitaux, parmi d’autres, sont absolument clairs dans la tradition catholique :

  1) nul ne peut être contraint de force à embrasser la foi ;

  2) l’erreur n’a pas de droits ;

  3) le culte public des religions fausses peut éventuellement être toléré par les pouvoirs civils en vue d’un plus grand bien à obtenir ou d’un plus grand mal à éviter, mais en principe il doit être réprimé, même par la force s’il le faut.

   

C’est ce qui ressort, par exemple, des documents suivants :

  - Pie IX, encyclique Quanta cura (8 décembre 1864) :

  "De plus, contrairement à la doctrine de l’Ecriture, de l’Eglise et des saints Pères, [les sectateurs du naturalisme] ne craignent pas d’affirmer que « le meilleur gouvernement est celui où l’on ne reconnaît pas au pouvoir l’obligation de réprimer, par la sanction des peines, les violateurs de la religion catholique, si ce n’est lorsque la tranquillité publique le demande ».

  En conséquence de cette idée, absolument fausse, du gouvernement social, ils n’hésitent pas à favoriser cette opinion erronée, on ne peut plus fatale à l’Eglise catholique et au salut des âmes, et que Notre prédécesseur de récente mémoire, Grégoire XVI, appelait un délire, savoir que la « liberté de conscience et des cultes est un droit propre à chaque homme ; et qu’il doit être proclamé et assuré dans tout Etat bien constitué »".

  - Syllabus de Pie IX, liste d’erreurs condamnées :

  "Proposition 77. A notre époque il ne convient plus que la religion catholique soit considérée comme l’unique religion de l’Etat, à l’exclusion de tous les autres cultes (Condamnée dans l’allocution Nemo vestrum du 26 juillet 1855). (DS 2977).

  Proposition 78. C’est donc de façon louable que, dans certaines régions portant le nom de catholiques, la loi a pourvu à ce qu’il soit permis aux immigrants de pouvoir exercer publiquement leurs cultes respectifs (Condamnée dans l’allocution Acerbissimum du 27 septembre 1852)". (DS 2978).

  - Léon XIII, encyclique Libertas, du 20 juin 1888 :

  "Dans l’ordre social, la liberté digne de ce nom ne consiste donc pas à faire tout ce que l’on veut, ce qui procurerait au contraire confusion et désordre et aboutirait à l’oppression de tous, mais à être aidé par la loi civile à pouvoir plus facilement vivre selon les règles de la loi éternelle [n. 17 dans le texte latin]. […]

  Si l’on considère la liberté religieuse sur le plan des cités, elle entend que peu importe que l’Etat rende un culte à Dieu ou veuille qu’un culte lui soit publiquement rendu, qu’aucun culte ne soit préféré à un autre, mais qu’il faille les regarder comme égaux en droit, sans égard pour le peuple, si ce peuple professe la foi catholique [n. 36]. […]

  [Mais] c’est Dieu qui a créé l’homme sociable et l’a placé dans la compagnie de ses semblables pour pouvoir trouver dans cette vie en société les avantages dont il a naturellement besoin, sans qu’il puisse tout seul se les procurer. Il s’ensuit que la société civile, du seul fait qu’elle est une société, doit reconnaître Dieu pour son Père et son auteur, reconnaître son pouvoir souverain et lui rendre un culte. La justice, la raison s’opposent donc à ce que la cité soit athée, ou, ce qui reviendrait au même, à ce qu’elle soit d’un même sentiment à l’égard de toutes les religions ou se disant telles, et qu’elle accorde à chacune d’elles indistinctement les mêmes droits [n. 36].

  Puisqu’il est donc nécessaire à chaque Etat de faire profession d’une religion, il faut qu’il professe la seule qui est la vraie, et il n’est pas difficile de la reconnaître, surtout dans les pays catholiques, tant les signes de sa vérité y sont clairement marqués [n. 37]. […]

  Car le droit est un pouvoir moral ; et, comme on l’a dit et comme il faudra le redire sans cesse, il est absurde de penser que la nature l’ait donné indistinctement et indifféremment à la vérité et au mensonge, au bien et au mal. Ce qui est vrai, ce qui est honnête, voilà qui a le droit d’être propagé librement et prudemment dans le pays et de devenir le patrimoine du plus grand nombre possible. Mais les opinions fausses, qui sont la pire des infections pour les esprits, et les vices qui corrompent les âmes et les mœurs, il n’est que juste qu’ils soient réprimés par l’autorité publique pour les empêcher de se répandre au grand dam de la société. Les libertés, que s’arroge un esprit dévergondé, exercent une pression morale sur la masse moins instruite : il n’est que juste qu’elles soient réprimées par l’autorité des lois, non moins que les abus de la force au détriment des faibles. C’est d’autant plus nécessaire que la plupart des citoyens ne peuvent absolument pas ou ne peuvent qu’avec une extrême difficulté se garder des sophismes d’une dialectique captieuse, surtout lorsqu’elle flatte les passions [n. 39]. […]

  Pour ces motifs, tout en n’attribuant de droits qu’à ce qui est vrai et honnête, ce pouvoir moral ne s’oppose pas à ce que le pouvoir politique tolère certaines choses non conformes à la vérité et à la justice, en vue d’éviter un plus grand mal ou d’obtenir et de conserver un plus grand bien [n. 52]".

  - Pie XII, Allocution Ci riesce (6 décembre 1953) :

  "Une autre question essentiellement différente est celle-ci : dans une communauté d’Etats peut-on, au moins dans des circonstances déterminées, établir la norme que le libre exercice d’une croyance et d’une pratique religieuse en vigueur dans un des Etats-membres ne soit pas empêché dans tout le territoire de la communauté au moyen de lois ou d’ordonnances coercitives de l’Etat ? En d’autres termes, on demande si le fait de « ne pas empêcher » ou de tolérer est permis dans ces circonstances et si, par là, la répression positive n’est pas toujours un devoir.

  Nous avons invoqué tantôt l’autorité de Dieu. Bien qu’il lui soit possible et facile de réprimer l’erreur et la déviation morale, Dieu peut-il choisir dans certains cas de « ne pas empêcher » sans entrer en contradiction avec son infinie perfection ? Peut-il se faire que, dans des circonstances déterminées, il ne donne aux hommes aucun commandement, n’impose aucun devoir, ne donne même aucun droit d’empêcher et de réprimer ce qui est faux et erroné ? Un regard sur la réalité autorise une réponse affirmative. Elle montre que l’erreur et le péché se rencontrent dans le monde dans une large mesure. Dieu les réprouve; cependant il leur permet d’exister. Donc l’affirmation : l’erreur religieuse et morale doit toujours être empêchée quand c’est possible, parce que sa tolérance est en elle-même immorale – ne peut valoir dans un sens absolu et inconditionné. D’autre part, même à l’autorité humaine Dieu n’a pas donné un tel précepte absolu et universel, ni dans le domaine de la foi ni dans celui de la morale. On ne le trouve ni dans la conviction commune des hommes, ni dans la conscience chrétienne, ni dans les sources de la révélation, ni dans la pratique de l’Eglise. Pour omettre ici d’autres textes de la sainte Ecriture qui se rapportent à cet argument, le Christ dans la parabole de la zizanie a donné l’avertissement suivant : « Dans le champ du monde, laissez croître la zizanie avec la bonne semence à cause du froment » [Mt. 13, 24-30]. Le devoir de réprimer les déviations morales et religieuses ne peut donc être une norme ultime d’action. Il doit être subordonné à des normes plus hautes et plus générales qui, dans certaines circonstances, permettent et même font peut-être apparaître comme le parti le meilleur celui de ne pas empêcher l’erreur, pour promouvoir un plus grand bien.

  Par là se trouvent éclairés les deux principes desquels il faut tirer dans les cas concrets la réponse à la très grave question touchant l’attitude que le juriste, l’homme politique et l’Etat souverain catholique doivent prendre à l’égard d’une formule de tolérance religieuse et morale comme celle indiquée ci-dessus, en ce qui concerne la communauté des Etats. Premièrement : ce qui ne répond pas à la vérité et à la loi morale n’a objectivement aucun droit à l’existence, ni à la propagande, ni à l’action. Deuxièmement : le fait de ne pas l’empêcher par le moyen de lois d’Etat et de dispositions coercitives peut néanmoins se justifier dans l’intérêt d’un bien supérieur et plus vaste. […]

  Quant à la seconde proposition, c’est-à-dire à la tolérance, dans des circonstances déterminées, même dans des cas où l’on pourrait procéder à la répression, l’Eglise – eu égard à ceux qui avec une bonne conscience (même erronée, mais incorrigible) sont d’opinion différente – s’est vue conduite à agir et a agi selon cette tolérance, après que sous Constantin le Grand et les autres empereurs chrétiens elle fut devenue Eglise d’Etat, mais ce fut toujours pour des motifs plus élevés et plus importants; ainsi fait-elle aujourd’hui et fera-t-elle dans l’avenir si elle se trouve en face de la même nécessité. Dans de tels cas particuliers, l’attitude de l’Eglise est déterminée par la volonté de protéger le bonum commune, celui de l’Eglise et celui de l’Etat dans chacun des Etats d’une part, et de l’autre, le bonum commune de l’Eglise universelle, du règne de Dieu sur le monde entier [[1]]". 

 

  

En cette matière, la doctrine de la déclaration conciliaire Dignitatis Humanae ne s’accorde pas avec les documents que nous venons de citer. Voici, en effet, ce que nous lisons au n°2 :

  "Le concile du Vatican déclare que la personne humaine a droit à la liberté religieuse. Cette liberté consiste en ce que tous les hommes doivent être soustraits à toute contrainte, de la part soit des individus, soit des groupes sociaux et de quelque pouvoir humain que ce soit, de telle sorte qu’en matière religieuse nul ne soit forcé d’agir contre sa conscience, ni empêché d’agir, dans de justes limites, selon sa conscience, en privé comme en public, seul ou associé à d’autres".

 
Le texte est clair, et, à la rigueur, il dispense de commentaires. Il y a, selon la déclaration, un véritable droit [2] à la liberté religieuse au sens indiqué. L’immunité de contrainte est présentée comme un droit de tous à l’égard de tous : individus, groupes et Etat.

Il faut donc noter que la déclaration ne considère point certaines situations concrètes – encore que très fréquentes – qui conseilleraient la permission, la tolérance du culte faux. Au contraire, le texte fait abstraction des faits concrets et établit en principe que tout homme a le droit d’agir selon sa propre conscience, en particulier ou en public, en matière religieuse.

Les limites de la liberté religieuse établies par la déclaration (en disant « dans de justes limites ») ne sont pas suffisantes, à la lumière de l’enseignement traditionnel des Papes, pour la débarrasser des défauts signalés [3].

 

Un peu plus loin, le texte conciliaire poursuit :

  "Ce droit de la personne humaine à la liberté religieuse dans l’ordre juridique de la société doit être reconnu de telle manière qu’il constitue un droit civil".

Le texte est clair. Le motif, pour lequel la déclaration souhaite que la liberté religieuse, dans les termes indiqués, se mue en droit civil, consiste en ce que, dès avant toute disposition légale, l’homme aurait ce droit. Il s’agirait donc d’un vrai droit naturel [4]. Or ce principe s’oppose à l’enseignement des papes précédents.

Ce qui cause la perplexité est le fait que la Déclaration Dignitatis humanae ne défend pas seulement la liberté religieuse en termes qui sont en désaccord avec la Tradition, mais affirme « ex professo » (au n°1) – sans d’ailleurs apporter de preuves – que sa position ne se heurte pas aux enseignements traditionnels.

Or, puisque la liberté religieuse, que revendique l’homme dans l’accomplissement de son devoir de rendre un culte à Dieu, concerne son immunité de toute contrainte dans la société civile, elle ne porte aucun préjudice à la doctrine catholique traditionnelle sur le devoir moral de l’homme et des associations à l’égard de la vraie religion et de l’unique Eglise du Christ.

Or, la tradition doctrinale catholique sur le devoir moral des hommes et des sociétés à l’égard de l’Eglise catholique a toujours enseigné que la vraie religion doit être favorisée et soutenue par l’Etat tandis que le culte public et le prosélytisme des fausses religions doivent être empêchés, au besoin par la force (bien qu’ils puissent, évidemment être tolérés par égard pour certaines circonstances concrètes déterminées). Telle est la tradition doctrinale catholique, qui a toujours enseigné que c’est un devoir moral au sens exact du terme. C’est chose à quoi les sociétés, en tant que créatures de Dieu, sont obligées, de façon absolue, envers la vraie religion.

 

Au numéro 2 de la Déclaration Dignitatis humanae, nous lisons :

  "En raison de leur dignité [5], tous les êtres humains, en tant que personnes, c’est-à-dire doués de raison et de libre volonté et donc chargés de responsabilité personnelle, sont stimulés par leur nature même et tenus par obligation morale à chercher la vérité, celle surtout qui concerne la religion. Ils sont tenus aussi à adhérer à la vérité dès qu’ils la connaissent et à régler toute leur vie selon les exigences de cette vérité. Or, à cette obligation, les hommes ne peuvent satisfaire d’une manière conforme à leur propre nature que s’ils jouissent, outre la liberté psychologique, de l’immunité à l’égard de toute contrainte extérieure. Ce n’est donc pas dans une disposition subjective de la personne, mais dans sa nature même, qu’est fondé le droit à la liberté religieuse. C’est pourquoi le droit à cette immunité persiste en ceux-là mêmes qui ne satisfont pas à l’obligation de chercher la vérité et d’y adhérer; son exercice ne peut être entravé dès lors que demeure sauf un ordre public juste".

On voit donc que la Déclaration ne revendique pas la liberté religieuse uniquement pour les seuls adeptes des autres religions, mais pour tous les hommes. Donc, même pour ceux qui n’embrassent aucune religion et pour ceux qui nient l’existence de Dieu. Selon la Déclaration Dignitatis humanae, même ces derniers peuvent professer publiquement leurs erreurs et faire de la propagande pour leur irréligiosité. Nous ne voyons pas comment la Déclaration peut estimer que cet étrange « droit » au prosélytisme athéiste ne s’oppose point à la Tradition catholique.

 

A l’appui de son concept de la liberté religieuse, la déclaration conciliaire allègue quelques textes pontificaux. Ce sont :

  - l’encyclique Pacem in terris de Jean XXIII, dans les Acta Apostolicae Sedis de 1963, pages 260 à 261;

  - le Radio-message de Noël 1942 de Pie XII, dans les AAS de 1943, page 19;

  - l’encyclique Mit Brennender Sorge de Pie XI, dans les AAS de 1937, page 160;

  - l’encyclique Libertas de Léon XIII, dans les Actes de Léon XIII, t. II, 1888.

 

Examinons brièvement ces quatre textes pontificaux.

Voici ce que dit celui de l’encyclique Libertas de Léon XIII :

  "On loue également très haut cette [liberté] qu’on appelle liberté de conscience : si elle est entendue en ce sens qu’il est permis à chacun, selon son gré, de rendre un culte à Dieu ou de ne pas le faire, cela est réfuté de façon suffisante par les arguments donnés plus haut. Mais on peut l’entendre aussi en ce sens qu’il est permis à l’homme, dans l’Etat, de suivre la volonté de Dieu selon la conscience qu’il a de son devoir, et d’accomplir ses préceptes, sans que rien l’en empêche. Cette liberté véritable, digne des enfants de Dieu, qui protège de la façon la plus noble la dignité de la personne, est plus grande que toute violence et toute injustice; elle a toujours été souhaitée par l’Eglise et lui a toujours été particulièrement chère". [DS 3250]

Un tel texte peut-il constituer une authentique défense de la liberté religieuse au sens d’immunité de contrainte extérieure pour l’adepte de n’importe quelle religion ? L’expression : « Sans que rien l’en empêche » donne-t-elle à ce texte le sens d’une liberté religieuse entendue comme ci-dessus ?

Le vrai sens du texte ne permet point semblable interprétation. En effet, parlant de la liberté de suivre la volonté de Dieu et d’accomplir ses ordres, le texte met face à face l’homme d’un côté, et de l’autre la volonté de Dieu et ses ordres. Et il réclame pour l’homme la faculté d’exécuter cette volonté et ces ordres sans empêchements. On comprend aussitôt que ce texte traite de la volonté de Dieu et de ses ordres tels qu’ils se présentent officiellement et objectivement. Par ailleurs, l’interprétation favorable au texte de Dignitatis humanae serait tellement opposée à tout le contexte de l’encyclique, qu’il est difficile de comprendre comment le texte conciliaire peut s’en prévaloir. Léon XIII, qui venait de prendre la défense de la répression de ceux qui répandent l’erreur oralement et par écrit, ne pouvait aussitôt se contredire.

Le sens de la liberté que Léon XIII défend ici est clair. Comme le dit le même texte, il s’agit du droit de « suivre la volonté de Dieu et d’accomplir ses préceptes selon la conscience qu’il a de son devoir ». Selon la même encyclique, cette liberté a « pour objet un bien conforme à la raison » (n°6, voir n. 6-9). Elle ne s’oppose point au principe selon lequel l’Eglise ne concède de droits qu’ « à celui qui est loyal et honnête » (n°41). Elle est qualifiée elle-même de « légitime et honnête » (n°16), par opposition à celle que professent les libéraux, radicaux ou modérés.

En outre, le proche contexte du passage de Libertas que nous sommes en train d’analyser fait encore mieux ressortir son véritable sens, qui n’est pas celui que lui attribue Dignitatis humanae.

En effet, la commission du Secrétariat pour l’unité des chrétiens, citant le texte analysé (voir l’opuscule Schema Declarationis de Libertate Religiosa, 1965, page 19),  n’en a transcrit que le passage que nous avons reproduit ci-dessus. Si cette citation s’était étendue encore de quelques lignes, on aurait vu aussitôt que le passage ne se rapporte pas à la liberté religieuse entendue au sens d’immunité de contrainte extérieure contre la diffusion des fausses religions; car, aussitôt, Libertas ajoute :

  "C’est cette liberté que les apôtres ont revendiquée avec tant de constance, que les apologistes ont défendue dans leurs écrits, qu’une foule innombrable de martyrs ont consacrée de leur sang".

Or, la déclaration Dignitatis humanae ne présente pas la liberté religieuse – au sens d’immunité de contrainte extérieure pour les religions fausses – comme étant enseignée expressément par les apôtres, mais déclare seulement qu’elle « a des racines dans la Révélation divine ». Comment donc Léon XIII pourrait-il dire que les apôtres revendiquaient constamment une telle liberté « per se » ?

Et surtout, comment Léon XIII pourrait-il dire qu’ « une foule innombrable de martyrs » ont consacré de leur sang cette liberté ? Nous n’avons connaissance d’aucun martyr qui soit mort pour défendre le « droit » des nicolaïtes, des gnostiques, des ariens, des protestants ou des athées de propager leurs erreurs. Ce serait particulièrement étrange de parler d’une « foule de martyrs » ayant répandu leur sang à pareille intention. Il devient donc évident que le passage cité de Libertas ne concerne pas la liberté religieuse au sens d’immunité de contrainte extérieure pour les propagateurs de l’erreur.

 

Juste au début du paragraphe suivant, Léon XIII déclare :

  "Elle [cette liberté chrétienne] n’a rien de commun avec les dispositions factieuses et révoltées, et, d’aucune façon, il ne faut se la figurer comme réfractaire à l’obéissance due à la puissance publique ; car ordonner et exiger l’obéissance aux commandements n’est un droit de la puissance humaine qu’autant qu’elle n’est pas en désaccord avec la puissance divine et qu’elle se renferme dans les limites que Dieu lui a marquées. Or, quand on donne un ordre qui est ouvertement en désaccord avec la volonté divine, on s’écarte alors loin de ces limites et on se met du même coup en conflit avec l’autorité divine : il est donc juste alors de ne pas obéir". [Actes de Léon XIII, Paris, Bonne Presse, t. II, p. 221.]

Or « l’obéissance due à la puissance publique » et le droit qu’ont les citoyens de désobéir aux lois humaines injustes ne démontrent pas la liberté religieuse au sens d’immunité de contrainte extérieure dans la pratique des fausses religions. Ils concernent la vraie liberté, qui est la faculté de faire le bien, de suivre la volonté de Dieu, de pratiquer la religion catholique sans être empêché en cela par personne.

Un peut plus loin le texte de « Libertas » est encore plus clair :

  « Mais les partisans du Libéralisme, qui, en même temps qu'ils attribuent à l'Etat un pouvoir despotique et sans limites, proclament qu'il n'y a aucun compte à tenir de Dieu dans la conduite de la vie, ne reconnaissent pas du tout cette liberté dont Nous parlons et qui est unie intimement à l'honnêteté et à la liberté; et ce qu'on fait pour la conserver, ils l'estiment fait à tort et contre l'Etat »

Or il serait complètement absurde de dire que les libéraux sont opposés à la liberté religieuse au sens d’une immunité de coaction externe pour la diffusion des fausses religions. Il reste clair donc que Léon XIII propose la liberté « légitime et honnête » définie et défendue par lui-même dans l’Encyclique en question (cfr. p. 186), au nom de laquelle nous pouvons et par principe devons nous opposer aux lois injustes.

 

Ces considérations sur le texte de « Libertas », cité par « Dignitatis Humanae », rendent facile la compréhension du vrai sens des autres passages que la Déclaration conciliaire cite au même endroit.

Quand l’encyclique « Mit Brennender sorge » affirme, contre le nazisme, le droit du fidèle de connaître et pratiquer la religion [6], le texte n’affirme pas que l’erreur jouit de l’immunité dans l’ordre civil. De plus, il serait inconcevable que en quatre brèves lignes Pie XI essaie de défendre une nouvelle notion de liberté, en opposition avec les Papes précédents. Il est évident que de même que Léon XIII a proclamé, au nom de cette liberté, le droit de résister aux lois injustes et oppressives des gouvernements libéraux, Pie XI a proclamé, au nom de cette même liberté, le droit de résister au nazisme.

Et quand Pie XII, pendant la 2ème Guerre Mondiale, a revendiqué comme droit fondamental des personnes « le droit au culte de Dieu, soit-il privé ou publique, y compris l’action caritative religieuse » [7], le texte de son radio-message n’affirmait point – comme nous l’avons déjà observé à propos de « Mit Brenender Sorge » - le droit au culte faux rendu à Dieu dans une religion qui n’est pas vraie. Au contraire son sens naturel est que le droit de rendre à Dieu le vrai culte soit reconnu à l’homme, une fois seulement que le culte en question est celui qui Lui est dû.

De plus, il est évident que Pie XII n’avait pas l’intention de modifier la doctrine catholique concernant cette matière, mais il défendait uniquement la liberté « légitime et honnête » si clairement expliquée par Léon XIII. D’autant plus que dans l’Allocution « Ci riesce », où il a traité « ex professo » de la question, il nie tout droit à ce qui ne correspond pas à la vérité et à la norme morale.

 

Il en va de même pour le passage de Jean XXIII cité par « Dignitatis Humanae ». Celui-ci dit :

  "In hominis iuribus hoc quoque numerandum est, ut et Deum, ad rectam conscientiae suae normam, venerari possit, et religionem privatim publice profiteri".

Puisque le texte dit : « selon les droits dictés de la propre conscience » et non « selon les choses dictées par la propre conscience droite » (comme certains l’ont prétendu), il reste clair que Jean XXIII parle ici dans le même sens que Léon XIII dans « Libertas ». Cette interprétation s’impose encore plus clairement si l’on considère que pour éclaircir le sens du passage indiqué, Jean XXIII rapporte dans le texte principal de « Pacem in Terris » une page de Lactance et une de Léon XIII. Le passage de Lactance se réfère au « rendre les honneurs justes et dus à Dieu » [8], alors que celui de Léon XIII est exactement celui que nous avons commenté plus haut  (“Haec quidem vera, haec digna filiis Dei libertas…”).

 
 
À l’issue de cette étude nous jugeons opportun d’analyser et de résoudre une objection qui pourrait être formulée ainsi :

La Déclaration « Dignitatis Humanae » a été approuvée par la majorité de l’Épiscopat. Ne serait-elle donc pas garantie par le charisme de l’infaillibilité ou au moins comme document du Magistère Ordinaire n’obligerait-elle pas tous les fidèles ?

Nous répondons à cette objection par les remarques suivantes :

  1)      Comme il a été officiellement déclaré, le Concile Vatican II n’a pas eu l’intention de faire de nouvelles définitions solennelles. Pour cette raison la Déclaration « Dignitatis Humanae » n’est pas garantie par le charisme de l’infaillibilité, qui est le propre d’une définition solennelle.

  2)     Nonobstant cela, une résolution prise par la majorité de l’Épiscopat réuni en Concile et approuvée par le Souverain Pontife oblige tous les fidèles, même si elle n’est pas garantie par l’infaillibilité.

  3)     Cependant, cette obligation cesse quand se vérifie dans le même cas deux conditions : a) lorsqu’il est manifeste que l’Épiscopat universel n’a pas eu l’intention d’obliger de manière définitive les consciences ; et de plus lorsque b) il est clair qu’un tel document de l’Épiscopat universel est en contradiction avec une doctrine déjà établie comme certaine par le Magistère Ordinaire d’une longue série de Papes.

 

Texte revu par Daniel Pinhero (IBP)

 

 


 

Notes:

1.       Dans le même sens, on peut citer encore :  Pie VI, Lettre « Quod aliquantulum » dans La paix intérieure des Nations, Solesmes, p. 4-5 ; et Enc. « Adeo Nota », ib., p. 7; Pie VII, Lettre Apost. « Post tam diuturnitas », ib. Pp. 18-19; Grégoire XVI. Enc. « Mirari Vos », DS 2731 et ss. ; Pie IX. Enc. « Singulari Nos » dans la Paix intérieure des Nations  ; Léon XIII, Enc. « Humanum Genus » in BAC, Doc. Pont. II, p. 168 ; Enc. « Immortale Dei », ib. pp. 193-194, 204-205 et 207-208. Saint Pie X, Lettre « Vehementer Nos », ib. pp. 384-385 ; Pie XI, Enc. « Quas Primas », ib. p. 504 ; Lettre « Ci é domandato », ib. vol 5, p. 125; Enc. « Non abbiano bisogno », ib. II, p. 594 ; Pie XII, Lettre à l’Épiscopat Brésilien, AAS. 1950, p. 841.

On voit donc que les Papes ont enseigné de manière  insistante et claire que la propagande des fausses religions doit être « empêchée », « réprimée » (« Ci Riesce »), si nécessaire donc avec la coaction externe. Ainsi, ce n’est pas seulement l’erreur, considéré abstraitement, qui est déporvu des droits (« Libertas », BAC, p. 196 ; « Ci Riesce »), mais les personnes concrètes elles-mêmes qui diffusent l’erreur en matière religieuse n’ont point de droit (« Syllabus », prop. 78 ; Enc. « Libertas », BAC, p. 196) D’autre côté, les Papes n’ont pas condamné seulement la liberté religieuse absolue et illimité, qui offense la moralité et l’ordre publique (Enc. « Libertas ») Ils ont déclaré expressément que c’est la diffusion de l’erreur, en tant que telle, qui doit être empêchée, même dans les cas où elle ne nuirait point à l’ordre publique (Enc. « quanta Cura » e « Libertas » ; et « CI riesce »).  

2.       Au moment des débats conciliaires sur la liberté religieuse, certains auteurs traditionalistes, désireux de donner une explication orthodoxe au schéma, ont essayé de soutenir que, dans un sens ou l’autre, les adeptes des fausses religions jouissent d’un vrai droit de pratiquer publiquement leur religion et de la diffuser. Nous signalons deux tentatives.

Le Père Marcelino Zalba, S.J. a soutenu que la conscience invinciblement erronée engendre de vrais droits, bien que secondaires, i.e., qui cèdent face au droit supérieur du catholique, qui détient la vérité objective et entière (cfr. « Gregorianum », 1964, p. 94-102 ; « Periodica », 1964, p. 31-67). Cette thèse ne nous semble pas en accord ni avec les principes du droit naturel ni avec les enseignements des Papes antérieurs. L’erreur, en tant que telle, ne peut pas engendrer des vrais droits d’aucune espèce, mais seulement des droits putatifs.

Mgr. Temiño a proposé une deuxième théorie selon laquelle celui qui ne connait pas le catholicisme ou n’est pas persuadé de sa vérité, a le droit de professer sa religion, dans la mesure où celle-ci contient le droit naturel ou ne s’y oppose pas. Un tel droit doit cependant céder face à la religion catholique (« La conciencia y la libertad Religiosa », Burgos, 1965, p. 72). Une analyse approfondie de cette position dépasserait  les limites de notre étude. Qu’il suffise d’observer ici que la théorie de Mgr. Temiño ne justifierait, en aucun cas, ce qui est le point central de « Dignitatis Humanae » : l’affirmation d’un vrai droit d’immunité par rapport à la coaction externe pour chaque religion, en égalité de conditions avec la religion catholique.

 

 

3.       Quelles sont les  « limites dues » auxquelles revient le droit d’immunité de coaction externe en matière religieuse ?

Le sujet est traité ex professo au numéro 7 de « Dignitatis Humanae » : l’exercice de la liberté religieuse ne peut pas nuire à la composition pacifique des droits de tous les citoyens, ni à l’honnête paix publique basée sur la véritable justice, ni à la moralité publique.

En accord avec les documents d’une série de Papes, on voit que les religions fausses n’ont droit ni à l’existence ni à la propagande. On ne peut donc pas parler d’un véritable droit à l’immunité de coaction dans l’ordre civil. Ainsi, le problème des limites d’un tel droit est inexistant. Où il n’y a pas de droit, la question de ses limites ne se pose point. 

Qu’il nous soit permis cependant d’observer que « Dignitatis Humanae » propose pour la liberté en matière religieuse les mêmes limites que la Déclaration des Droits de l’Homme de l’ONU établi pour l’exercice de la liberté de conscience et de religion et qui se retrouvent de manière plus ou moins exacte dans les Constitutions libérales des nations modernes, inspirées des postulats de la Révolution Française.

De plus, il faut noter en particulier le caractère pluraliste de « Dignitatis Humanae », qui par sa nature s’adresse non seulement aux catholiques mais qui dirigera aussi les non-catholiques (gouvernements ou particuliers) en matière de liberté religieuse. Ainsi, lorsque elle parle de « composition pacifique de droits », à quels droit se rapporte-t-elle ? Est-ce que « Dignitatis Humanae » entend comme présupposé que les postulats du droit naturel, en tant que norme de coexistence, sont admis par tous ? La Déclaration conciliaire gagnerait beaucoup en le disant clairement. En effet, vue la largesse avec laquelle « Dignitatis Humanae » définit la liberté civile en matière religieuse, pourquoi exclure la conception marxiste de la religion, par exemple ? En sens contraire, pourquoi exclure la conception de la « paix publique honnête», de « vraie justice », que prêchent les gouvernements libéraux ou les gouvernements totalitaires, par exemple ?

L’indéfinition de « Dignitatis Humanae » quant aux limites du droit d’immunité de coaction externe en matière religieuse (droit qui n’existe point) est un élément qui favorise, en pratique, certaines tendances hétérodoxes dans leur lutte contre l’Église.

4.       Dans l’Aula Conciliaire, parlant au nom de la Commission du Secrétariat pour l’Unité des Chrétiens, Mgr. De Smedt a déclaré : « Libertas seu imunitas de qua agitur in Declaratione non (...) agit de relationibus inter fideles et auctoritates in Ecclesia », c’est-à-dire la liberté ou l’immunité de coaction dont traite la Déclaration ne porte pas sur la relation entre les fidèles et les autorités de l’Église (« Schema Declarationis de Libertate Religiosa », 1965, p. 25) Nous savons bien la grande importance qu’ont ces paroles pour l’interprétation du document conciliaire. Cependant nous ne pouvons pas ne pas regretter la grande confusion que certaines expressions de « Dignitatis Humanae » introduisent dans la doctrine concernant le pouvoir coercitif de l’Église sur ses sujets.

Pourquoi la déclaration de Mgr. De Smedt n’a-t-elle pas été incluse dans le texte conciliaire ? Cette omission, per se, dans un texte qui a pour but de traiter ex professo de l’immunité de coaction externe en matière religieuse et qui analyse de manière minutieuse les conséquences d’une telle immunité, mène naturellement le lecteur à penser que l’Église ne peut pas non plus exercer la coaction externe sur ses sujets.

De plus la Déclaration affirme la « liberté sociale et civile » en matière religieuse (sous titre et passim). Or le mot « social » dans son sens le plus commun et même technique comprend aussi l’Église.

Le texte conciliaire propose en des termes clairs, forts et universels le pour ainsi dire « droit » à l’immunité de coaction externe en matière religieuse, droit qui dans une saine logique ne peut point être concilié avec le droit que possède l’Église d’exercer la coaction sur ses sujets (imposer des peines, etc.). Comment l’Église pourrait-elle s’opposer à un droit qui se présente avec toutes les caractéristiques d’un droit naturel ?

Au numero 1 de « Dignitatis Humanae » on lit : « Pariter vero profitetur Sacra Synodus officia haec (religiosa) hominum conscientiam tangere ac vincire, nec aliter veritatem sese imponere nisi vi ipsius veritatis, quae suaviter simul ac fortiter mentivus illabitur ». Le Saint Synode professe également que ces devoirs (religieux) touchent et lient la conscience des hommes  et que la vérité ne s’impose que par la force de la vérité elle-même qui pénètre doucement et fortement dans les âmes.

Dans le contexte le sens devient clair : ces devoirs concernent et lient seulement la conscience. Comment l’Église peut-elle donc logiquement imposer des peines ? Et si l’on prend les mots dans leur sens naturel, comment concilier, par exemple, les peines médicinales  imposées par l’Église avec le principe que « la vérité ne s’impose que par sa force même de vérité » ? 

Puisque cette question va au-delà du but que nous nous sommes proposé dans la présente étude, nous voulons seulement la mentionner brièvement, en mettant en évidence le danger qui existe de réduire à néant la doctrine sur le pouvoir coercitif de l’Église. À ce sujet Léon XIII écrit dans l’Encyclique « Libertas » : « Certains, comme l’Église existe, ne la nient pas et ils ne peuvent donc pas la nier, mais ils nient sa nature et les droits propres d’une société parfaite, affirment que l’Église n’a pas de pouvoir législatif, judiciaire et coercitif et que lui revient seulement une fonction exhortative, persuasive, en dirigeant ses sujets et en les menant à agir spontanément par persuasion. Avec une telle opinion, ils faussent la nature de cette société divine, en vidant et diminuant son autorité, magistère et efficacité. » (BAC. Ib. 256/7) 

5.       Sans doute plusieurs Papes ont rapproché la liberté religieuse légitime et honnête de la dignité humaine (cf. Léon XIII, Enc. « Libertas » ; Lettre Apost. « Praeclara Gratulationis », dans  La Paix intérieure des Nations, Solesmes, pp 215-216 ; Saint Pie X, Lettre Apost. Notre Charge contre le Sillon. Pie XI, Enc. « Quas Primas » ; Pie XII, Radiomessage de Noël 1944, id. Noël 1949, allocution au « Katholikentag » dans Catolicismo, n. 24, décembre 1952)

Cependant ces Papes n’ont jamais déduit un droit au mal ou à l’erreur à partir de la dignité humaine. AU contraire, ils ont toujours enseigné que la dignité humaine n’est pas niée ni violée quand, dans les cas nécessaires, le mal est empêché. Et plus encore. Ils ont enseigné que la répression du mal  favorise le perfectionnement de l’individu et de la société et qu’elle constitue donc un postulat de la dignité humaine entendue dans son sens authentique. 

Lorsqu’elle déduit de la dignité humaine un véritable droit de professer publiquement l’erreur en matière religieuse, la Déclaration du Concile Vatican II adopte une position différente de celle des Papes antérieurs. Dans une saine logique elle se place dans une position intenable parce qu’on peut concevoir que la dignité humaine établisse un droit au mal seulement si elle est au-dessus au hors de l’ordre moral lui-même.

 

6.       Le texte de l’Encyclique est le suivant : «Der gläubige Mensch hat ein unverlierbares Recht, seinen Glauben zu bekennen und in den ihm gemässen Formen zu betätigen. Gesetze, die das Bekenntnis und die Betätigung dieses Glaubens unterdrücken oder erschweren, stehen im Widerspruch mit einem Naturgesetz» (AAS, 1937, p. 160). 

7.       Ces mots sont ceux du Radio-message de Pie XII qui se trouvent dans la documentation présentée au Concile : voir l’opuscule « Schema Declarationis de Libertate Religiosa », 1965, p.19.

8.      Haec condicione gignimur, ut generanti no Deo justa et debita obsequia praebeamus, hunc solum noverimus, hunc sequamur. Hoc vinculo pietatis obstriciti Deo et religati sumus, unde ipsa religio nomen accepit.” (AAS 1963 p. 260/1)

 

 


 

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