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20 novembre 2018 2 20 /11 /novembre /2018 13:20

Notes sur la récente correspondance avec le cardinal Brandmüller

24 octobre 2018, Saint Raphaël Archange

 

 

Au milieu d’une des plus violentes tempêtes qui secoue la situation ecclésiale actuelle, de manière clairement non fortuite, deux lettres sont apparues dans la presse écrites par Benoit XVI au Cardinal Brandmüller au mois de novembre 2017, dont l'authenticité ne semble faire aucun doute. Certains lecteurs nous ont demandé un commentaire qui ne se limite pas à la surface - ou au débat idéologique auquel nous avons assisté -, mais qui analyse le message lancé et relancé par le Pape Benoit, comme François l’a également appelé plusieurs fois, au sujet de la notion de “Pape émérite” (non encore clarifiée) et aux circonstances du renoncement évoqué dans un parallèle déconcertant (l’emprisonnement par les nazis, éventuellement prévu par Pie XII). Nous avons déjà traité cette question de façon générale au mois de juin 2016 dans un article (cf: De quel genre est la “démission” de Benoit XVI?), auquel nous renvoyons, et qui semble trouver des confirmations en ces révélations de 2017 qui contiennent de nouveau des références à des titres que celui qui renonce à la Papauté ne devrait plus avoir et à un pouvoir qu’il ne devrait plus exercer.

 

Dans la lettre du 9 novembre 2017, en répondant à une critique du Cardinal Brandmüller sur le fait que “la construction du Pape émérite [est] une figure qui n’existe pas dans la totalité de l’histoire de l’Eglise”, le Pape Benoit ne nie pas qu’il s’agisse d’une nouveauté, mais il s’interroge et demande presque lui-même  l’avis de son interlocuteur, historien notoire de l’Eglise. Il fait ensuite un parallèle - assez inquiétant précisément - avec Pie XII et la prévision de son emprisonnement par les nazis. En effet, le Pape Pacelli avait prévu son retour au Cardinalat dès l’instant même où il aurait été fait prisonnier. A ce moment le Pape Ratzinger écrit : “Si ce simple retour au Cardinalat aurait été possible, nous le savons pas”. Dans ce passage, à notre avis, il n’est pas question d’une impossibilité métaphysique - quiconque connait un peu de théologie ou d’histoire de l’Eglise sait que cela est possible -, mais il semble presque que le Pape Ratzinger soit en train de dire que celui qui renonce au Souverain Pontificat pourrait par la suite ne plus avoir aucun pouvoir sur le rôle et sur l'éventuelle juridiction que celui qui renonce peut s’attribuer à lui-même. “Renommer” au Cardinalat pourrait revenir en effet à son successeur. Et il nous semble que le doute théologico-canonique invoqué tourne autour précisément de cette éventuelle “compétence exclusive” du successeur sur le Cardinalat du prédécesseur.

 

Mais le Pape Ratzinger va au-delà et - dans le passage suivant de la lettre citée - dissipe tout doute sur le fait qu’il soit “redevenu” seulement un Cardinal : “Dans mon cas, cela n’aurait certainement pas eu de sens de simplement réclamer un retour au Cardinalat”. Il invoque une raison médiatique qui, en elle-même, ne semble pas être très contraignante; en effet, peut-être que les raisons profondes de l’impossibilité d’un simple retour au Cardinalat sont aussi ailleurs. Ou peut-être des campagnes médiatiques dévastatrices étaient à craindre.

 

Il ajoute ensuite une phrase dont l’interprétation n’est pas évidente : “par le Pape émérite, j’ai cherché à créer une situation dans laquelle je suis absolument inaccessible aux médias et dans laquelle il est bien clair qu’il existe un seul Pape”. Même si, dans les faits, deux personnes distinctes semblent porter en partie le même titre et les mêmes symboles.

 

Une réflexion s’impose ici, et nous y reviendrons aussi à la fin de cet article. Si Benoit XVI n’est certainement pas redevenu Cardinal et si le renoncement au munus est “plein”, cela veut dire qu’Il est désormais seulement un Evêque, dépourvu entre autres de juridiction tant sur un troupeau déterminé que sur n’importe quel autre baptisé déterminé. Mais il ne semble pas en être ainsi comme nous le verrons dans la conclusion.

 

Puis la lettre du 23 novembre 2017 a été diffusée. Nous faisons remarquer que seules les lettres dont Benoit XVI est l’auteur sont publiées alors que nous ne pouvons faire que des déductions des écrits du Cardinal Brandmüller, qui par ailleurs, selon ce que dit le destinataire, semble s’être engagé à ne plus revenir sur le sujet. Il ne semble donc pas impossible de penser que l’auteur de la divulgation de ces courriers  ne soit pas Son Eminence comme cela a été soutenu peut-être trop rapidement.  

 

Les références à la “fin de mon pontificat” dans un contexte qui semble presque le prolonger d’une certaine manière jusqu’à aujourd’hui, ainsi que les références à un jugement - donné en 2017 - de “mon pontificat dans son ensemble” sont à considérer dans un chapitre à part. Le ton semble être celui de quelqu’un qui, sincèrement affligé par la situation ecclésiale actuelle, exerce cependant un rôle qui n’est pas seulement celui - aucunement juridictionnel - de la prière. Puis, le texte donne une référence (explicite, documentée, avec le nom de l’éditeur, le lieu et la date de publication) d’un livre en partie déjà connu, mais qui après une pareille divulgation sera destiné à une plus large diffusion : il s’agit de “La Rinuncia” de Fabrizio Grasso[1].

Apparemment ce texte est invoqué surtout par rapport à la situation d’ “agitation” ecclésiale qui s’est créée, mais il a une thèse de fond qui ne peut pas être passée sous silence ici. Quelle est donc la thèse de fond de ce livre qualifié  d’ “emblématique” par le Pape Benoit ? Selon les mots de son auteur : “la thèse [du livre] est qu’en ayant de fait deux Papes le ministère s’est élargi ou s’est divisé, donc l’autorité et la potestas se sont multipliées ou divisées, mais tant dans le cas où celles-ci se soient multipliées que dans le cas où celles-ci se soient divisées il est en acte, et nous le voyons tous les jours, nous le voyons dans les journaux, un dispositif politique qui fait que Benoit et François sont perçus comme ami ou ennemi suivant la sensibilité de celui qui regarde et de celui qui lit les gestes des deux Papes et les déclarations des deux Papes; cela signifie qu’en ayant deux Papes, et que l’autorité et la potestas, qui était primauté d’un seul Pontife, ayant été démembrées, la représentation de Jésus-Christ comme sujet politique, comme sujet historique vient à manquer, parce que nous ne savons plus à qui faire référence pour cette potestas et pour ce pouvoir” (nous avons conservé le style oral de la déclaration)[2]

 

Nous précisons que l’auteur du livre “emblématique”, Fabrizio Grasso, souligne ailleurs aussi qu’en parlant de “deux Papes” il se réfère principalement à la situation politique agitée qui s’est créée “de facto” et pas nécessairement “de iure”. Ses affirmations et d’autres passages de sa thèse peuvent être partagés seulement en partie, mais ils ne sont pas nécessairement en contradiction avec ce qui est affirmé par le Pape Ratzinger c’est-à-dire sur la possibilité d’un seul Pape; ils renvoient plutôt à la question centrale c’est-à-dire que, si de facto s’est créée une confusion presque comme s’il y avait deux Papes c’est parce que ce qui s’est produit de iure est quelque chose d’assez singulier, comme au fond le relevait aussi le Cardinal Brandmüller.

 

Après une admonition à ne pas évaluer hâtivement et superficiellement l’ensemble de Son Pontificat à cause de la triste situation de l’Eglise aujourd’hui, le Pape Ratzinger poursuit et semble aussi faire allusion - intelligenti pauca - à ce qu’avait déjà dit Mgr Gänswein à propos du “Pontificat d’exception”; tout cela semble renvoyer à une situation extraordinaire pour l’Eglise sous plusieurs aspects, dont la potestas et son exercice ne sont pas les derniers. 

 

La conclusion de cette deuxième lettre est à lire attentivement avec tout ce qu’elle implique: 

 

Avec ma Bénédiction apostolique je suis

Ton

Benoit XVI”. 

 

Or, notoirement, la Bénédiction Apostolique est quelque chose de bien documenté dans l’histoire et dans la praxis de l’Eglise, qui a institué une Aumônerie s’occupant d’accorder cette Bénédiction sur mandat juridictionnel du Pape, déléguée seulement par le Souverain Pontife à certains Evêques et prêtres pour des circonstances extraordinaires. Cependant, quiconque en est le dernier et immédiat dispensateur matériel n’est rien d’autre qu’un instrument du pouvoir pontifical qui lui est transmis stablement ou transitoirement[3].

La Bénédiction Apostolique est donc synonyme de Bénédiction Papale et ne peut être accordée que par le Souverain Pontife à ses sujets sur lesquels il exerce la juridiction qui lui a été conférée par le Christ. Celui qui a été Pape, mais qui serait redevenu un simple Evêque et qui, de son propre aveu, n’est même pas redevenu Cardinal, non seulement, en règle générale ne bénit pas un Cardinal (son supérieur quant au pouvoir de juridiction) mais certainement n’accorde pas la Bénédiction Apostolique. Nous faisons ensuite remarquer l’importance de l’adjectif “ma”: il ne s’agit pas en effet d’une simple Bénédiction Apostolique qui - sur délégation papale - peut être dispensée par un prélat, mais il s’agit de “ma Bénédiction Apostolique” (laquelle en soi comporte aussi d’ordinaire l’indulgence plénière). Elle est en soi un exercice de juridiction, juridiction personnelle de celui qui est en train de l’accorder. Sinon elle ne pourrait pas être dite “mienne” mais seulement “apostolique” ou “papale”.

 

Les éléments sur lesquels on peut raisonner ne manquent pas, y compris la visite systématique des nouveaux Cardinaux à Sa Sainteté Benoit XVI. Mais, en faisant abstraction de la possibilité théologique et canonique de certaines éventualités de partage du pouvoir papal, déjà invoquées dans le discours de Mgr Gänswein sur le “ministère élargi” et par la possibilité de la distinction entre “munus” et “ministerium” (cf: De quel genre est la “démission” de Benoit XVI?), cette lettre fait surgir une question : quel pouvoir juridictionnel du Bienheureux Apôtre Pierre faut-il avoir gardé pour soi pour qu’une bénédiction soit en même temps propre (“ma”) et surtout “Apostolique”? 

 

La Rédaction de “Disputationes Theologicae

 

Lettre du 7 novembre 2017

 

 

Lettre du 23 novembre 2017

 

 

[1] F. Grasso, La Rinuncia. Dio è stato sconfitto?, Catania 2017.

[2] Presentazione del libro di Fabrizio Grasso "La Rinuncia. Dio è stato sconfitto?" (Algra Editore), 5 septembre 2017, http://www.radioradicale.it/scheda/518241/presentazione-del-ibro-di-fabrizio-grasso-la-rinuncia-dio-e-stato-sconfitto-algra.

[3] Cf. Paenitentiaria Apostolica, Enchiridion indulgentiarum, Roma 1999, normae 7 e 18; concessiones 4 e 12; CIC (1917), can 468, § 2;  CIC (1983), can. 530, § 3; Rituale Romanum, Roma 1952, Tit. VI, Cap. VI, p. 230 e ss.

 

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commentaires

C
Great post.thank you so much.Love this blog.
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