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5 août 2011 5 05 /08 /août /2011 14:39

 

Notre site a reçu la question suivante, qui dévoile certaines préoccupations non dénuées d’intérêt théologique :

« Selon l’article 19 de l’instruction « Universae Ecclesiae » tout ceux qui disent ou vont à la messe traditionnelle ne doivent pas être contre la validité et la légitimité de la Nouvelle Messe, donc ils ne peuvent pas mettre en doute le rite de Paul VI. Cela veut-il dire que, selon le document, il n’y a plus aucune possibilité de la critiquer ? Qu’en est-il de la liberté de débat théologique ? Ensuite, concernant les problèmes du nouvel Offertoire, ceux-ci semblent plutôt être sérieux. Ne peut-on plus en parler ? Si j’ai des objections sur la Nouvelle Messe devrais-je donc, selon l’instruction et pour être plus cohérent, me rapprocher de groupes qui sont en rupture avec Rome ? Je me demande ce que sont les positions de l’IBP … Et ce qu’en dit Disputationes ? »

Giacomo Santini

 

 

Réponse de Disputationes Theologicae (nous reviendrons plus tard de manière approfondie sur certains des points évoqués ici)

L’instruction « Universae Ecclesiae » dans son contexte :

 

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 Le Card. Ottaviani, ancien Prefet du Saint Office et co-auteur du Bref Examen Critique sur le NOM

 

 

Premièrement, selon les normes les plus élémentaires du réalisme thomiste, un document disciplinaire prend place dans un contexte historique et dans une situation particulière de l’Eglise. Avec un retard significatif – sans doute dû en partie aux oppositions que rencontre le Saint Père, à l’intérieur même de la Curie Romaine, et qui tendent à retarder ses projets – la Commission Ecclesia Dei a produit un texte qui, dans le contexte actuel, a été très courageux. Il est clair que le Pape, qui a approuvé le texte, et avec lui la Commission, veulent sortir de cette mentalité qui réduit l’usage de la Messe grégorienne à un indult pour esthètes nostalgiques – mentalité qui n’a certes pas servi l’Eglise. Il ne doit plus en être ainsi et même Rome l’affirme aujourd’hui. La Messe grégorienne, comme l’a appelé le card. Castrillon Hoyos, est présentée dans le document comme un rite vénérable, auquel on doit le plus grand respect ; il s’agit, comme l’a même appelé le journal Avvenire, d’un trésor précieux : une référence essentielle en liturgie, mais aussi une « médecine » qui doit être abondamment diffusée pour soigner un « malade », à savoir les célébrations « désacralisées » – mais cela  n’est évidemment qu’implicite dans le texte. Il s’agit cependant là d’une position tenue par le Saint Père depuis les années 70, au moment où il constata avec douleur l’effondrement liturgique et doctrinal de l’après-Concile. Le texte va dans ce sens, spécialement pour qui sait lire entre les lignes, mais, étant donnée la délicate situation au Vatican – dont il faut tenir compte, au nom même du réalisme thomiste –, le pape est contraint d’agir avec une très grande prudence, afin de ne pas heurter ceux qui, même parmi les prélats, sont très hostiles à son œuvre. Ces jours-ci, on a d’ailleurs pris connaissance de la révolte de certains épiscopats contre le Saint-Siège, du clergé autrichien et de nombreux théologiens allemands. Ces signes historique sont connectés entre eux et, de manière réaliste, sont déjà un fait conditionnant.

L’instruction, il va sans dire, possède un grand mérite : elle donne finalement à la Commission des pouvoirs effectifs contre les récalcitrants. Il est difficile de savoir, en pratique, quel sera le mode d’exercice de ces pouvoirs, mais, dans l’attente d’une structure canonique plus solide, le principe en est affirmé. Après cette esquisse rapide des raisons de l’instruction (qui est, peut-être, le premier d’une série de documents explicatifs) venons-en à l’article 19, objet de tant de polémiques, lequel doit être lu dans le texte latin, étant donné les erreurs syntaxiques et grammaticales de certaines traductions. Regardons donc le texte avec attention, sans se laisser détourner par les présentations tendancieuses qui en ont déjà été proposées, voyons ce qu’il affirme, puis donnons à son sujet quelques réflexions.

 

L’article 19.

Le texte de l’article s’adresse aux fidèles qui demandent la célébration de la Messe grégorienne (« Christifideles (…) postulantes auxilium ne ferant neque nomen dent »),  les invitant à ne pas soutenir des sociétés qui combattent de manière hostile et féroce les textes officiels sortis de la réforme liturgique (“inpugnent formam ordinariam” - “sint infensae”) et/ou qui sont hostiles au Souverain Pontife. Ce que l’article affirme est donc qu’une chose bien précise ne peut pas se faire : attaquer la validité ou la légitimité de tels textes. Il est évident que le texte vise précisément la Fraternité saint Pie X. La Commission, en plus de recevoir avec une délicatesse toute diplomatique les préoccupations exprimées par certains secteurs du monde catholique, a voulu en même temps admonester sévèrement ceux qui, dans les milieux dits « traditionalistes », attaquent le Pape et le missel de 1970 de façon extrême, méconnaissant le rôle passé et présent, en matière liturgique, de Pierre. Il arrive en effet d’entendre, même de la bouche d’ecclésiastiques « traditionalistes » de haut rang, des accusations catégoriques contre toute sorte de légitimité, et parfois même contre la validité de la messe promulguée par Paul VI. Il y a aussi des fidèles, totalement ignorants en théologie, qui ont la prétention de prononcer des sentences définitives et péremptoires à propos de toute messe célébrée selon un Missel promulgué par un Pape. Il y enfin des prêtres, dont certains ne sont pas totalement novices en théologie, qui en sont venus à soutenir, toujours avec une certitude infaillible, que le Novus Ordo n’a jamais été promulgué, ni jamais ne pourra l’être, en raison de son objet « mauvais en soi ». Il est en effet connu en théologie que ne peut avoir valeur de « loi » un acte prescrit dont l’objet est contraire à la loi naturelle ou à la loi divine. Après avoir ainsi comparé le Novus Ordo à un acte moral toujours mauvais – comme l’est par exemple l’adultère– il est clair que le Novus Ordo n’est pas une loi, comme ne pourrait l’être un décret prescrivant l’adultère. Cette thèse, parfois exprimée en syllogismes rigoureux par des prêtres qui sont par ailleurs dignes d’estime, n’est pas l’apanage des seuls sédévacantistes… mais aussi de ceux qui nient être eux-mêmes sédévacantistes sans se rendre compte que c’est là leur théologie et leur mentalité.

Dans certaines revues traditionalistes célèbres, à côté de justes observations critiques, ont parfois été ajoutées certaines affirmations qui, si elles ne nient pas directement la validité du rite, ont du moins équiparé l’assistance aux Messes du Nouvel Ordo à l’assistance à un rite protestant, auquel on ne peut jamais assister activement sans péché. Certains en sont même arrivés à parler – montrant par là quelques lacunes métaphysiques – de « présence réelle mauvaise » aux messes célébrées selon le Novus Ordo ; ou à éviter de mélanger les hosties consacrées dans les deux rites ; ou encore à déconseiller l’assistance aux Messes de tous les prêtres reconnus canoniquement par le Pape. En bref, on a atteint – et même parfois dépassé – le délire théologique, au moyen de doctrines eucharistiques douteuses, si ce n’est totalement hérétiques. Contre de telles positions « criées », irrespectueuses et en tout cas téméraires d’un certain monde traditionaliste, le Saint-Siège est intervenu et, en particulier avec l’article 19, a manifesté aux fidèles « traditionalistes » qui veulent demeurer à la fois avec ceux qui défendent ces thèses sédévacantistes et avec ceux qui sont liés au Pape que face au Motu Proprio il n’est désormais plus possible de rester assis entre deux chaises. Quant à ceux qui sont ouvertement sédévacantistes, leur cas est évidemment plus simple.

 

Le respect d’un texte liturgique approuvé par l’autorité n’est pas incompatible avec le droit de proposer des observations théologiques (cf. CIC, can. 212 et 215)

La question comporte deux aspects. D’une part, le Novus Ordo missae se présente comme une loi liturgique promulguée pour l’Eglise universelle, de sorte qu’il faille reconnaître l’assistance prudentielle que le Christ a promis à son Eglise jusqu’à la fin des temps. Certains, il est vrai, objecteront que les théologiens ne s’accordent pas sur la définition de l’infaillibilité des « faits dogmatiques » comme la liturgie – transeat. Il s’agit là effectivement de questions complexes et délicates, mais quoiqu’il en soit cela ne justifie pas qu’on « attaque avec hostilité » (« impugnent », « infensae ») le Missel en question et l’autorité qui l’a promulguée. Un tel respect envers l’autorité ne signifie pas, cependant, qu’il faille nier obstinément – comme celui qui se ferme les yeux volontairement, alors que le problème lui saute aux yeux – la gravité de l’actuelle situation liturgique. Car elle ne se limite pas, c’est évident, aux abus liturgiques ; elle réclame au moins une « réforme de la réforme », réclamée désormais par divers prélats. La liturgie réformée a besoin urgemment d’être révisée. On pourrait par exemple: 1) rétablir la célébration versus crucem – ce que le Pape fait déjà, dans une certaine mesure ; 2) revoir l’Offertoire – c’est ce que proposait le professeur Mons. Nicola Bux sur ce site il y a plus d’un an ; 3) donner la communion exclusivement sur la langue et à genoux – ce qui est l’opinion du card. Canizares lui-même, préfet de la Congrégation du Culte Divin ; 4) Réexaminer certaines traductions  et formulations – dans le sillage des dispositions prises par le Pontife régnant en faveur de la réintroduction du « pro multis » traditionnel dans la formule consécratoire du nouveau rite.

Le Saint-Père, il y a déjà longtemps, a lui-même dénoncé par écrit les problèmes posés par la réforme liturgique ; et l’article 19 n’impose pas de nier ces problèmes : il affirme que seule l’Autorité Suprême peut porter un jugement définitif sur une matière et une situation aussi délicate que celle de la question liturgique. Dans les milieux traditionalistes qui se veulent les plus « durs », il va donc falloir revoir les mentalités, et aussi les paroles, parfois plus dures encore, contre ceux qui célèbrent la nouvelle Messe ou qui y prennent part, comme si elle ne jouissait d’aucune approbation et qu’elle n’était ni plus ni moins qu’un rite acatholique. La question est bien plus complexe, et c’est ce qui est désormais reconnu. Il ne suffit pas d’être « traditionaliste » ; il faut aussi se forcer à faire quelques distinctions. Et avant tout, il faut apprendre à respecter l’autorité de Pierre et à agir avec un esprit de charité ecclésiale.

La fidélité à ces principes fondamentaux d’appartenance catholique n’avait toutefois pas empêché les cardinaux Ottaviani et Bacci de signer le « Bref examen critique du Novus Ordo Missae » ; ni empêché le cardinal Castrillon Hoyos d’écrire (de la part du Saint-Siège) que si on met en évidence certaines incohérences, la critique constructive devient un précieux service pour l’Eglise. Quel serait alors, si on ne souligne pas cet aspect, la spécificité de l’Institut du Bon Pasteur ? Quelle serait, autrement, la raison d’être de cette revue ? Cela veut dire que l’acceptation des principes de base mentionnés ici n’est rien d’autre qu’un simple signe de cohérence théologique et ecclésiale pour qui ne veut pas tomber dans le sédévacantisme pratique, même s’il est parfois inconscient. Et ce n’est pas pour autant que toutes les réserves tombent, ni que l’on doive agir ou parler contre sa propre conscience, ni encore que l’on se trouve ainsi obligé au servilisme ou empêché d’exprimer avec franchise ses critiques, même par rapport à la réforme liturgique. Telle avait été l’attitude du cardinal Alfredo Ottaviani. Nous faisons nôtres les observations sur le Novus Ordo du courageux préfet émérite du S. Office, que jamais personne ne pourra accuser d’avoir commis des actes illicites ou de désobéissance envers le Vicaire du Christ.

Don Stefano Carusi 

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20 avril 2011 3 20 /04 /avril /2011 09:19

Entre liturgie et théologie, à travers les déclarations de quelques-uns de ses principaux rédacteurs (Annibale Bugnini, Carlo Braga, Ferdinando Antonelli)

par Don Stefano Carusi

- Troisième partie -

 

7 – Samedi Saint

- [OHS 1956] : La bénédiction du cierge pascal est déplacée à l’extérieur de l’Eglise, avec un cierge qui doit donc être porté durant toute la cérémonie par le Diacre[1].

Avec la réforme opérée, tous les chandeliers de la Chrétienté, prévus spécialement pour le cierge pascal, et dont certains dataient des aubes du Christianisme, sont rendus inutilisables le jour du Samedi Saint. Sous le prétexte de retourner aux origines, les chefs-d’œuvre liturgiques de l’Antiquité sont transformés en inutiles pièces de musée. De plus, le nombre ternaire des invocations « Lumen Christi » perd tout son sens liturgique.

[MR 1952] : A l’extérieur, on bénissait le feu nouveau et les grains d’encens, mais non le cierge. Le feu était communiqué au Roseau (arundo), une sorte de manche muni de trois cierges à son sommet, lesquels étaient allumés progressivement au cours de la procession, à chaque invocation « Lumen Christi », d’où le nombre de trois invocations. Avec l’un de ces cierges, on allumait ensuite le cierge pascal, qui demeurait depuis le début de la cérémonie posé sur le chandelier pascal (dans de nombreuses églises paléochrétiennes la hauteur du chandelier avait déterminé la construction d’un ambon de même hauteur afin de pouvoir atteindre le cierge). Le feu (lumière de la Résurrection) était donc porté par le « Roseau » à trois flammes (la Sainte Trinité) jusqu’au grand cierge pascal (le Christ ressuscité), afin de symboliser que la Résurrection est opérée par la Sainte-Trinité[2].


http://1.bp.blogspot.com/_AuHgyRl_j7w/S7N30Z4eNqI/AAAAAAAAAI0/SH8dCJXS42Q/s400/Ambone.jpg Ambon et chandelier pascal

 

- [OHS 1956] : On décide que le cierge pascal doit être placé au centre du chœur, au terme de la procession avec le cierge, dans une église illuminée progressivement au fur-et-à-mesure des trois invocations : à chaque « Lumen Christi », on génuflecte vers le cierge, et à la troisième invocation, toute l’Eglise est illuminée[3].

Une fois inventée la procession avec le cierge, on décide de placer ce dernier au centre du chœur, où il devient donc le point de référence de la prière, comme il l’était déjà devenu durant la procession. Il devient ainsi plus important que la Croix : il s’agit là d’une étrange nouveauté qui modifie l’orientation de la prière à phases intermittentes.

[MR 1952] : Le cierge, au début de la cérémonie, est éteint, sur le chandelier placé le plus souvent côté évangile. Le Diacre et le Sous-diacre s’y rende avec le « Roseau » pour l’allumer durant le chant de l’Exultet. Il en résulte que les seuls cierges allumés à partir du feu béni – lumière de la Résurrection sont ceux du « Roseau », jusqu’au chant de l’Exultet[4]. 

 

- [OHS 1956] : Destruction du symbolisme de l’Exultet et de sa nature de bénédiction diaconale[5].

Certains réformateurs auraient voulu purement éliminer cette cérémonie, mais l’amour porté depuis toujours au chant de l’Exultet fit que d’autres s’opposèrent à la modification du texte : « La Commission, étant donné que les passages qui pourraient être éliminés sont peu nombreux, et d’importance réduite, pense qu’il est plus opportun de conserver le texte traditionnel »[6]. Le résultat fut l’énième confusion résultant de l’association entre un chant traditionnel et un rite totalement altéré. Il s’ensuit ainsi que l’un des moments les plus significatifs de l’année liturgique devient une pièce de théâtre d’une désarmante incohérence. En effet, les actions dont parle celui qui chante l’Exultet ont déjà été accomplies environ une demi-heure plus tôt, à la porte de l’Eglise : on chante l’insertion des grains d’encens, « suscipe Pater incensi huius sacrificium vespertinum »[7], alors qu’ils sont déjà fixés au cierge depuis un certain temps ; on magnifie l’illumination du cierge avec la lumière de la Résurrection, « sediam columnae huius praeconia novimus quam in honorem Dei rutilans ignis accendit »[8], alors que le cierge est allumé depuis longtemps, et la cire coule déjà abondamment. Il n’y a donc plus aucune logique. Le symbolisme de la lumière est lui-aussi totalement détruit lorsqu’on chante triomphalement l’ordre d’allumer toutes les lumières, symbole de la Résurrection, « alitur enim liquantibus ceris, quas in substantiam pretiosae huis lampadis apis mater eduxit »[9], mais dans une église qui est déjà toute illuminée par les cierges allumés au feu nouveau. Le symbolisme réformé est incompréhensible simplement parce qu’il n’est plus symbolique, puisque les paroles prononcées n’ont plus aucun rapport avec la réalité du rite. Le chant de la prière pascale constituait en outre, unie aux gestes qui l’accompagnaient, la bénédiction diaconale par excellence ; après la réforme, le cierge a été béni avec de l’eau à l’extérieur de l’église, mais on maintient pourtant une partie de l’antique bénédiction, à cause de sa grande beauté esthétique. Malheureusement, en agissant ainsi, la liturgie est réduite à une pièce de théâtre.

[MR 1952] : Le chant de l’Exultet commence devant le cierge éteint ; les grains d’encens y sont figés lorsque le chant parle de l’encens ; le cierge est allumé par le Diacre, et les lumières de l’Eglise sont allumées au moment où le chant fait référence à ces actions. Ce sont ces actions unies au chant qui constituent la bénédiction[10].


http://1.bp.blogspot.com/_AuHgyRl_j7w/S6-e-xaYxeI/AAAAAAAAAHM/PHpEtUVxYHw/s400/Exultet.jpg

Chant de l'exsultet

 

- [OHS 1956] : Introduction de l’incroyable pratique de diviser les litanies en deux parties, pour insérer au milieu la bénédiction de l’eau baptismale[11].

Un tel choix est tout simplement extravagant et incohérent : jamais on n’avait vu séparer en deux parties une prière impétratoire. L’introduction des rites baptismaux au milieu est d’une incohérence encore plus grande.

[MR 1952] : Une fois accomplie la bénédiction des fonts baptismaux, on chante les litanies, qui précèdent la Messe[12].

 

- [OHS 1956] : L’eau baptismale est bénie dans une bassine au milieu du chœur, le célébrant faisant face aux fidèles, et tournant donc le dos à l’autel[13].

En substance, on décide de substituer aux fonts baptismaux une vulgaire casserole qu’on installe au centre du chœur : ce choix est dicté, encore une fois, par l’obsession que tous les rites soient accomplis par « les ministres sacrés tournés vers le peuple »[14], mais dos à Dieu. Les fidèles doivent dans cette logique devenir « les véritables acteurs de la célébration […]. La Commission a accueilli les aspirations fondées du peuple de Dieu […] l’Eglise était ouverte à des ferments de rénovation »[15]. Ces choix, fondés sur un populisme pastoral que le peuple n’avait jamais réclamé, aboutiront à la destruction de tout le sens de l’architecture sacrée, depuis les origines jusqu’à aujourd’hui. Autrefois les fonts baptismaux étaient hors de l’église ou, durant les époques successives, à l’intérieur des murs de l’édifice, mais aux alentours de la porte d’entrée, puisque selon la théologie catholique le baptême est la porte, « ianua sacramentorum ». Il est le sacrement qui rend membre de l’Eglise celui qui est encore en-dehors d’elle ; il est le sacrement qui permet réellement l’accès dans l’Eglise, et il était donc figuré comme tel par les dispositions et les gestes liturgiques. Le catéchumène reçoit le caractère qui le fait membre de l’Eglise, et c’est pour cette raison qu’il doit être accueilli à l’entrée, purifié par l’eau baptismale, et ayant acquis par elle le droit d’accéder à la nef, en tant que nouveau membre de l’Eglise, en tant que fidèle. Mais comme fidèle, il accède seulement à la nef, et pas au chœur, puisque celui-ci est réservé au clergé, à savoir les membres de l’Eglise qui ont reçu le sacerdoce ministériel ou qui sont en relation avec lui. Cette répartition traditionnelle était fondée sur la distinction entre le sacerdoce qu’on appelle « commun » des baptisés et le sacerdoce ministériel, distinction qui est « essentielle » et non pas simplement une distinction d’espèces : ce sont deux choses diverses, et non pas deux degrés distincts d’une même essence. Mais les changements apportés, non seulement font accéder ici des fidèles au chœur (comme ils l’avaient déjà fait pour le Jeudi Saint), mais même des non-baptisés. Celui qui est encore la « proie du démon » parce qu’il a le péché originel est considéré de la même façon que celui qui a reçu l’ordination sacrée, et il accède au chœur en étant encore catéchumène : le symbolisme traditionnel est purement et simplement massacré.

[MR 1952] : La bénédiction de l’eau baptismale se fait aux fonts baptismaux, en dehors ou au fond de l’église. Les éventuels catéchumènes sont accueillis à l’entrée de l’église, reçoivent le baptême, et peuvent ensuite seulement accéder à la nef, mais ils n’entrent pas dans le chœur, comme il est logique, ni avant, ni après le baptême[16].

 

- [OHS 1956] : Altération du symbolisme du chant du Sicut cervus tiré du psaume 41[17].

Après avoir inventé un baptistère dans le chœur, on se trouve face à un problème pratique : il faut rapporter quelque part l’eau utilisée. On invente donc une cérémonie pour porter l’eau aux fonts, après l’avoir bénie devant les fidèles, et surtout après avoir administré un éventuel baptême.  La translation de l’eau baptismale s’accomplit en chantant le Sicut cervus, à savoir la partie du psaume 41 qui fait référence à la soif du cerf, soif déchaînée par la morsure du serpent, et qui ne s’éteint qu’un buvant l’eau salutaire. Mais ici, on ne tient pas compte du fait que le cerf était assoiffé de l’eau baptismale, après la morsure du serpent infernal : le baptême ayant déjà été conféré, le cerf n’a plus soif puisque, en figure, il a déjà bu ! Le symbolisme est donc non seulement modifié, mais presque inversé.

[MR 1952] : A la fin du chant des prophéties ; le célébrant se dirige vers les fonts baptismaux pour procéder à la bénédiction de l’eau et au baptême des éventuels catéchumènes. Pendant ce temps, on chante le Sicut cervus[18], qui précède donc en toute logique le baptême.

 

- [OHS 1956] : Invention ex nihilo de la « rénovation des promesses du baptême »[19].

On procède ici, d’une certaine façon, « à l’aveugle », avec des créations pastorales qui n’ont pas de véritable fondement dans l’histoire de la liturgie. Dans le sillage de l’idée selon laquelle les sacrements doivent revivre dans les consciences, on introduit donc un renouvellement des promesses du baptême, qui devient une sorte de « prise de conscience » du sacrement reçu dans le passé. Une tendance comparable avait déjà surgi dans les années vingt du siècle passé : en polémique voilée contre les décisions de saint Pie X permettant la communion des enfants dès l’âge de raison, était apparue l’étrange pratique de la « communion solennelle » ou « profession de foi » : l’adolescent, vers treize ans, devait « refaire » sa première communion, dans une sorte de prise de conscience du sacrement qu’il recevait depuis plusieurs années déjà. Cette pratique, même si elle ne remet pas en cause la doctrine catholique de l’« ex opere operato », accentue cependant dans le sacrement son aspect subjectif, aux dépens de son aspect objectif. Et elle a abouti, avec le temps, à l’obscurcissement et à la perte de sens du sacrement de confirmation. Un processus analogue se rencontrera en 1969, avec l’introduction le Jeudi Saint de la cérémonie du « renouvellement des promesses sacerdotales ». Avec une telle pratique, on introduit un lien entre l’ordre sacramentel et l’ordre sentimentalo-émotionnel, entre efficacité du sacrement et prise de conscience, phénomène qui n’a pas une grande place dans la tradition. Le terrain de ces innovations, qui n’ont aucun fondement ni dans l’Ecriture, ni dans la pratique de l’Eglise, semble être une faible conviction en l’efficacité des sacrements. Même si ce n’est pas en soi une innovation ouvertement erronée, elle semble toutefois tendre dangereusement vers des théories d’origine luthérienne, lesquelles, excluant le rôle de l’ « ex opere operato », tiennent que les rites sacramentaux servent davantage à « réveiller la foi » qu’à conférer la grâce. Reste d’autre part difficile à comprendre le véritable but visé par cette réforme : d’une part, on fait de grandes coupes dans les célébrations pour en réduire la longueur, et d’autre part, on y ajoute d’ennuyeux passages, qui appesantissent outre mesure la cérémonie.

[MR 1952] : Il n’y a pas de rénovation des promesses baptismales, de même qu’il n’y en a jamais eu sous cette forme dans l’histoire de la liturgie, ni en Orient ni en Occident.

 

- [OHS 1956] : Invention d’une admonition durant le renouvellement des promesses  baptismale, qui peut être récitée aussi en langue vulgaire[20].

Les accents de cette admonition moralisante trahissent terriblement l’époque de sa rédaction (le milieu des années cinquante), et elle apparaît aujourd’hui déjà désuète, en plus d’être passablement ennuyeuse. Les réformateurs introduisent de plus ici le mode typiquement aliturgique de se tourner vers les fidèles durant le rite, qui est une sorte d’hybride entre l’homélie et la célébration, et qui aura tant de succès dans les années suivantes.

[MR 1952] : Rien.

 

- [OHS 1956] : Introduction du Pater récité par tous, et éventuellement en langue vulgaire[21].

Le Notre Père est précédé d’une exhortation aux accents sentimentaux.

[MR 1952] : Rien.

 

- [OHS 1956] : Reprise, sans aucun sens liturgique, de la seconde partie des litanies, qui avaient été interrompues en plein milieu avant la bénédiction de l’eau baptismale[22].

On avait commencé à prier à genoux, pour le début des litanies avant la bénédiction de l’eau, et puis avaient suivi un grand nombre de cérémonies et de déplacements dans le chœur, jusqu’aux réjouissances pour un évènement comme la bénédiction de l’eau baptismale et pour un éventuel baptême ; mais après tout cela, on reprend la même prière litanique et impétratoire qui avait été interrompue une demi-heure plus tôt, au point précis où on l’avait laissée suspendue (difficile de savoir si les fidèles, eux, se souviennent de l’endroit où ils l’ont interrompue) : innovation incohérente et incompréhensible.

[MR 1952] : Les litanies, récitées intégralement sans interruption, se chantent après la bénédiction des fonts baptismaux, avant la Messe[23].

 

- [OHS 1956] : Suppression des prières au bas de l’autel, du psaume Judica me (Ps. 42) et du Confiteor au début de la Messe[24].

On décide que la Messe doit commencer en omettant la récitation du Confiteor et du psaume pénitentiel. Le psaume 42, qui rappelle l’indignité du prêtre qui va accéder à l’autel, n’est certes pas apprécié par les réformateurs, sans doute parce qu’il se récite en bas des marches, avant de pouvoir monter vers l’autel : lorsque la logique liturgique sous-jacente est celle de l’autel vu comme « ara crucis », comme lieu sacré et terrible où est rendue présente la Passion rédemptrice du Christ, on comprend aisément le sens d’une prière qui rappelle l’indignité de quiconque prétend gravir ces marches pour y accéder. La disparition du psaume 42, qui sera éliminé dans les années suivantes de toutes les Messes, semble au contraire vouloir préparer les esprits à une nouvelle ritualité de l’autel, qui symbolise désormais bien plus une table commune que le Calvaire, et qui par conséquent ne réclame plus ni la crainte sacrée ni le sens de sa propre indignité que le prêtre confessait dans le psaume 42.

[MR 1952] : La Messe commence avec les prières au bas de l’autel, avec le psaume 42, « Judica me Deus » et le Confiteor[25].

 

- [OHS 1956] : Dans le même décret, tous les rites de la Vigile de la Pentecôte sont éliminés, exception faite de la Messe[26].

Cette abolition hâtive a tout l’air d’avoir été ajoutée au dernier moment. La Pentecôte prévoyait depuis toujours une Vigile semblable dans ses rites à celle de Pâques. Mais la réforme de la Semaine Sainte, qui n’avait pas moyen de modifier celle de la Pentecôte, ne pouvait pas non plus laisser subsister côte à côte deux rites qui, en l’espace de cinquante jours, se seraient déroulés l’un dans la forme réformée, l’autre dans la forme traditionnelle. Dans la précipitation, on décide donc de supprimer ce qu’on n’avait pas eu le temps de réformer, et le couperet s’abat sur la Vigile de la Pentecôte. Il résultat d’une telle improvisation qu’on ne prit pas le temps d’harmoniser les textes de la Messe qui suivait traditionnellement les rites de la Vigile avec cette suppression, au point que certaines phrases prononcées par le célébrant, durant le canon, deviennent totalement incongrues. Car ce canon de la Pentecôte prévoyait que la Messe fût précédée des rites baptismaux, rites supprimés par la réforme de 1955 ; le célébrant parle donc maintenant, durant le Hanc igitur  propre à cette Messe, du rite baptismal de la Vigile, qu’il s’agisse de la bénédiction des fonts ou de la collation du sacrement : « pro his quoque, quos regenerare dignatus es ex aqua, et Spiritu Sancto, tribuens eis remissionem peccatorum »[27] - mais de ce rite, il ne reste aujourd’hui plus aucune trace. La Commission, dans sa hâte de supprimer, ne s’en était peut-être pas même rendu compte.

[MR 1952] : La Vigile de la Pentecôte possède ses rites de caractère baptismal, auxquels fait référence l’Hanc igitur de la Messe qui suit[28].

 

 

CONCLUSION

En conclusion, comme nous l’avons déjà affirmé, les changements ne se sont pas limités à des questions d’horaires, qui auraient pu légitimement modifiés de façon sensée, pour le bien des fidèles. Mais ils ont bouleversé les rites séculaires de la Semaine Sainte. Depuis le Dimanche des Rameaux, on a inventé une ritualité tournée vers le peuple, et dos à la croix et au Christ sur l’autel ; le Jeudi Saint, on fait accéder des laïcs au chœur ; le Vendredi, on réduit les honneurs dus au Saint-Sacrement et on altère la vénération de la croix ; le Samedi, non seulement on laisse libre cours à la fantaisie réformatrice des experts, mais on démolit le symbolisme relatif au péché originel et au baptême comme porte d’accès à l’Eglise. A une époque qui dit vouloir redécouvrir la Sainte Ecriture, on ampute les passages lus ces jours-ci, malgré leur importance, et on en retranche précisément les passages évangéliques relatifs à l’institution de l’Eucharistie dans les évangiles de saint Matthieu, de saint Luc et de saint Marc. Dans la tradition, chaque fois qu’on lisait en ces jours l’institution de l’Eucharistie, elle était mise en rapport avec le récit de la Passion, dans le but d’indiquer à quel point la dernière Cène était l’anticipation de la mort sur la croix le lendemain, et signifier ainsi la nature sacrificielle de la dernière Cène. Trois jours étaient consacrés à la lecture de ces passages : le Dimanche des Rameaux, le Mardi et le Mercredi Saint ; grâce aux réformateurs, l’institution de l’Eucharistie disparaît totalement du cycle liturgique annuel !

Toute la logique de la réforme va en fait dans le sens d’un mélange de rationalisme et d’archéologisme aux contours parfois fantaisistes. Nous ne voulons pas affirmer, cependant, que ce rite manque de l’orthodoxie nécessaire : non seulement parce que les arguments sont insuffisants pour porter un tel jugement, mais aussi parce que l’assistance divine promise par le Christ à son Eglise s’étend jusqu’à ce que la théologie appelle des « faits dogmatiques » (et parmi eux il faut placer la promulgation d’une loi liturgique universelle), et qu’elle empêche donc que se rencontre à l’intérieur d’un rite une expression explicitement hétérodoxe. Une fois ces précisions apportées, on ne peut cependant se dispenser de noter l’inopportunité et l’extravagance de certains rites de la Semaine Sainte réformée, tout en réclamant la possibilité et la licéité d’une discussion théologique sur cette question, dans la recherche de la véritable continuité de l’expression liturgique de la Tradition.

Nier que l’Ordo Hebdomadae Sanctae Instauratus soit l’œuvre d’un groupe de savants universitaires, auxquels se joignirent malheureusement un certain nombre d’expérimentateurs liturgiques, serait nier la réalité des faits ; avec le respect que nous devons à l’autorité papale qui a promulgué cette réforme, nous nous sommes permis d’avancer les critiques précédentes, puisque la nature expérimentales de ces innovations requiert que l’on en fasse un bilan.

Si selon le P. Braga, cette réforme fut le « bélier » qui déstabilisa la liturgie romaine des jours les plus saints de l’année, ce fut principalement parce qu’un tel bouleversement eut des répercussions notables sur tout l’esprit liturgique subséquent. En effet, le réforme marqua le début d’une déplorable attitude selon laquelle, en matière liturgique, on pourrait faire et défaire selon le bon plaisir des experts, et ainsi supprimer ou réintroduire un élément ou l’autre sur la base d’opinions historico-archéologiques, à propos desquelles on dut parfois se résoudre à admettre un peu plus tard que les historiens s’étaient trompés (le cas le plus marquant étant celui, mutatis mutandis, du si célèbre « canon d’Hippolyte »). La liturgie n’est pas un jouet entre les mains du théologien ou du symboliste le plus en vogue, la liturgie tire sa force de la Tradition, de l’usage que l’Eglise infailliblement en a fait, de ces gestes qui se sont répétés à travers les siècles, d’un symbolisme qui ne peut pas exister seulement dans l’esprit de quelques spécialistes originaux, mais qui au contraire répond au sens commun du clergé et du peuple qui a prié de cette façon pendant des siècles. Notre analyse est cependant confirmée par la synthèse du P. Braga, protagoniste de premier rang dans ces évènements : « ce qui n’était pas possible, psychologiquement et spirituellement, aux temps de Pie V et d’Urbain VIII à cause de la Tradition (et nous soulignons ce « à cause de la Tradition », nda), de l’insuffisante formation spirituelle et théologique, et du manque de connaissance des sources liturgiques, fut rendu possible au temps de Pie XII »[29]. Même en partageant l’analyse des faits, qu’il nous soit permis d’objecter que la Tradition, loin de constituer un obstacle à l’œuvre de réforme liturgique, en est au contraire le fondement. Traiter avec dédain l’époque qui a suivi le Concile de Trente, et considérer saint Pie V et ses successeurs comme des hommes « à la formation spirituelle et théologique insuffisante » est un prétexte et un argument presque hétérodoxe qui ne vise qu’à rejeter l’œuvre pluriséculaire de l’Eglise. Mais ce n’est un mystère pour personne que tel fut le climat des années cinquante et soixante ayant donné lieu à ces réformes. Sous prétexte d’archéologisme, on a fini par substituer à la sagesse millénaire de l’Eglise le caprice d’un arbitraire personnel. Et en agissant ainsi, loin de « réformer » la liturgie, on ne peut que la « déformer ». Sous le prétexte de restaurer des éléments d’antiquité, sur lesquels il n’existe que des études scientifiques de valeur douteuse, on se débarrasse de la Tradition, et après avoir déchiré le tissu liturgique, on bricole un raccommodage maladroit en y recousant une pièce d’authenticité improbable. L’impossibilité de ressusciter dans leur intégralité des rites qui, s’ils ont existé, sont morts depuis des siècles, a pour conséquence inévitable que le reste de l’œuvre de « restauration » soit abandonnée aux improvisations de la libre fantaisie des « experts ».

Le jugement global sur la liturgie de la Semaine Sainte, et pas seulement sur elle, en raison de son caractère d’assemblage artificiel et de mise en œuvre d’intuitions personnelles mal raccordées avec la Tradition, est dans son ensemble globalement négatif, et elle ne peut certainement pas constituer un modèle de réforme liturgique. Or nous avons analysé le cas de la réforme de 1955-56 parce qu’elle fut, selon Annibale Bugnini, la première occasion d’inaugurer une nouvelle façon de concevoir la liturgie.

Les rites nés de cette réforme ne furent pratiqués universellement dans l’Eglise que durant quelques années, dans une succession continuelle de réformes. Mais aujourd’hui, cette façon artificielle de concevoir la liturgie est sur le déclin : un vaste ouvrage de réappropriation des richesses liturgiques du rite romain est en train de s’imposer. Le regard doit alors immanquablement se porter vers ce que l’Eglise a fait durant des siècles, avec la certitude que ces rites séculaires bénéficient de l’onction du Saint-Esprit, et qu’en tant que tels, ils constituent le modèle indépassable de toute entreprise de véritable réforme. C’est ce qui faisait dire à celui qui était alors le cardinal Ratzinger, que « dans le cours de son histoire, l’Eglise n’a jamais aboli ni interdit des formes orthodoxes de la liturgie, car cela serait étranger à l’esprit même de l’Eglise »[30] – et ce sont de telles formes liturgiques, surtout lorsqu’elles sont millénaires, qui demeurent le phare pour toute véritable œuvre de réforme.

 



[1]OHS 1956, p. 86.

[2]MR 1952, p. 178.

[3]OHS 1956, p. 88.

[4]MR 1952, p. 178.

[5]OHS 1956, p. 89.

[6]N. Giampietro, op. cit., p. 318.

[7]OHS 1956, p. 94.

[8]OHS 1956, p. 94.

[9]OHS 1956, p. 94.

[10]MR 1952, pp. 179-185. D’un point de vue historique, on pourrait discuter l’évolution de cette connexion entre les parties chantées et les gestes, et assignant des époques diverses à l’introduction des gestes en rapport à l’évolution du texte. Toutefois, on ne peut nier le développement symbiotique de la gestualité rituelle avec la signification des paroles au cours de l’histoire ; ce développement s’étant stabilisé, d’une façon harmonieuse et significative, sous le sceau de la Tradition.

[11]OHS 1956, pp. 101-102; 113-114.

[12]MR 1952, p. 207.

[13]OHS 1956, p. 103.

[14]C. Braga, op. cit., p. 23.

[15]C. Braga, op. cit., p. 18-19.

[16]MR 1952, pp. 199 sv.

[17]OHS 1956, p. 111. Une rubrique pour le moins confuse est ajoutée au n. 23 pour l’usage éventuel d’un baptistère séparé de l’Eglise : dans ce cas, le Sicutcervus est chanté au moment opportun. On ne comprend pas le pourquoi de cette incongruité qui contredit la rubrique précédente. 

[18]MR 1952, p. 199.

[19]OHS 1956, p. 112.

[20]OHS 1956, p. 112.

[21]OHS 1956, p. 112.

[22]OHS 1956, pp. 113-115.

[23]MR 1952, p. 210.

[24]OHS 1956, p. 115.

[25]MR 1952, p. 210.

[26]OHS 1956, p.vi, note 16.

[27]MR 1952, p. 247.

[28]MR 1952, pp. 336 sv.

[29] C. Braga, op. cit., p. 18.

[30]J. card. Ratzinger, « Dix ans après le Motu proprio Ecclesia Dei », conférence du 24 octobre 1998.

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11 avril 2011 1 11 /04 /avril /2011 13:36

Entre liturgie et théologie, à travers les déclarations de quelques-uns de ses principaux rédacteurs (Annibale Bugnini, Carlo Braga, Ferdinando Antonelli)

par Don Stefano Carusi

- Deuxième partie -

 

 

5 – Jeudi Saint

- [OHS 1956] : Introduction de l’étole comme habit choral des prêtres[1].

C’est ici que commence le mythe de la concélébration du Jeudi Saint. Les réformateurs les plus audacieux veulent l’introduire à partir de cette réforme de la Semaine Sainte, mais les résistances – en particulier celles de membres de la Commission comme le card. Cicognani et Mons. Dante – empêchent l’introduction de cette nouveauté. Le P. Braga écrit : « Pour la participation des prêtres, la concélébration sacramentelle ne sembla pas réalisable (les mentalités, même de quelques membres de la Commission, n’y étaient pas encore préparées »[2]. En effet, il y avait alors encore un sentiment fortement hostile à la concélébration du Jeudi Saint, parce que non traditionnelle : « la concélébration tant consécratoire que purement cérémonielle est à exclure »[3]. Pour introduire l’idée de concélébration, on dût donc se contenter d’inventer la pratique de mettre l’étole à tous les prêtres présents[4] non plus seulement au moment de la communion, mais à partir du début de la Messe.

[MR 1952] : Les prêtres et les diacres présents revêtent l’habit choral habituel, sans l’étole, qu’ils ne portent qu’au moment de la communion, comme l’usage commun l’imposait[5].

 

- [OHS 1956] : On introduit la pratique de ne communier qu’avec des hosties consacrées ce jour-là[6].

On ne comprend pas pour quelle raison ceux qui assistent à la Messe ne peuvent communier avec des hosties consacrées précédemment. La pratique romaine du « Fermentum » - qui elle, par contre, est historiquement prouvée – était généralement de communier avec une partie de l’Eucharistie du dimanche précédent, afin d’indiquer la communion de l’Eglise dans le temps et dans l’espace, et exprimer ainsi la réalité du Corps du Christ. La présence eucharistique étant « réelle et substantielle », elle continue lorsque l’assemblée se disperse, et c’est donc au même titre qu’elle peut précéder la réunion de l’assemblée. Mais avec cette nouvelle rubrique, on introduit l’idée d’une présence réelle liée au jour de la célébration, d’où s’ensuit l’obligation de communier aux hosties consacrées le jour-même. Ce qui semble vouloir dire que ces hosties ont quelque chose de distinct de celles consacrées auparavant. Il faut noter aussi que cette obligation n’est pas seulement relative au symbolisme du tabernacle vide avant la Messe du Jeudi Saint, ce qui à la limite aurait pu avoir un certain sens, nouveau mais acceptable ; le texte affirme au-contraire explicitement que ceux qui communient ne doivent recevoir que des hosties consacrées ce jour-là[7]. La théologie sous-entendue ici ne semble pas des plus solides, tandis que le symbolisme inventé est largement discutable.

[MR 1952] : Il n’y a aucune mention d’une telle pratique : la communion est donc donnée comme d’habitude avec les hosties qui sont dans le tabernacle[8].

 

- [OHS 1956] : Le lavement des pieds n’a plus lieu à la fin de la Messe, mais au milieu de la célébration[9].

La réforme fait sans cesse appel à la « veritas horarum »[10], et use de cet argument comme un vrai cheval de bataille. Mais ici au contraire la succession chronologiques de l’évangile est totalement renversée : alors qu’autre part des fleuves d’encre étaient déversés pour dénoncer le scandale d’horaires qui n’étaient pas en stricte correspondance avec le récit évangélique, ici non seulement on anticipe un rite pour des exigences pratiques, mais on inverse même l’ordre chronologique des évènements à l’intérieur d’un même rite. Saint Jean écrit que Notre-Seigneur a lavé les pieds des Apôtres après la Cène : « et cena facta » (Jn. XIII, 2). Or pour un motif tout à fait inconnu, les réformateurs choisissent arbitrairement de placer le lavement des pieds au milieu de la Messe, ce qui a pour conséquence que des laïcs accèdent au chœur, où ils doivent ôter chaussures et chaussettes. C’est là une volonté claire de repenser la sacralité de l’espace presbytéral et de remettre en cause son interdiction aux laïcs durant les offices. Le lavement des pieds est donc déplacé au moment de l’Offertoire, en abusant de la pratique de couper en morceaux la célébration de la Messe en y insérant d’autres rites, pratique qui se fonde sur la très discutable division entre liturgie de la parole et liturgie eucharistique.

[MR 1952] : Le rite du Mandatum, c’est-à-dire le lavement des pieds, se faisait à la fin de la Messe, après le dépouillement des autels, non pas dans le chœur, mais dans un lieu réservé pour cela[11].

 

- [OHS 1956] : Omission du Confiteor du Diacre avant la Communion[12].

Le troisième Confiteor, tellement haï, est éliminé, sans tenir compte du fait que la confession du Diacre ou du servant, bien qu’héritée du rite de la communion extra Missam, est la confession de l’indignité de ceux qui vont communier à recevoir les Saintes Espèces. Ce n’est pas là un « doublon » de la confession du prêtre et des ministres au début de la Messe, puisqu’à ce moment-là, seuls les ministres sacrés récitent leur propre indignité de s’approcher de l’autel pour y officier (il est d’ailleurs récité à voix basse, pour ce motif, durant la Messe chantée) – ce qui est tout à fait distinct de l’indignité d’accéder à la communion.

[MR 1952] : Le Diacre doit chanter le Confiteor avant la Communion[13].

 

- [OHS 1956] : Après la fin de la Messe, lors du dépouillement des autels, on doit retirer aussi la croix d’autel et les chandeliers[14].

On décide ici que les autels doivent être totalement dépouillés, même de la croix : même si la rubrique du Jeudi Saint n’est pas explicite à propos de ce qu’il faut faire de la croix d’autel, on le déduit accidentellement de ce qui est écrit des rubriques du lendemain. Le Vendredi Saint, en effet, il est parlé explicitement d’un autel sans croix[15], d’où l’on en déduit qu’elle doit en être retirée la veille, ou bien transportée en privé durant la nuit (ce genre d’ambiguïté est inévitable lorsqu’on met la main à une liturgie qui bénéficie de la stratification opérée par la tradition, et qui supporte mal les incursions imposées avec trop d’empressement). C’est sans doute sur la base d’un certain archéologisme liturgique qu’on a voulu ainsi préparer les esprits au spectacle, dénué de sens théologique, d’une table nue au centre du chœur.

[MR 1952] : La croix demeure sur l’autel, voilée et entourée des chandeliers, trônant en attendant d’être dévoilée le lendemain[16].

 

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6 – Vendredi Saint

- [OHS 1956] : Est inventée l’expression de « action liturgique solennelle »[17], qui remplace la notion très antique de « Messe des présanctifiés » ou celle de « Feria Sexta in Parasceve ».

Le nom de « Présanctifiés » mettait en évidence le fait que la consécration des Saintes Espèces avait eu lieu lors d’un office précédent, lié au retour solennel de l’Eucharistie, qui est l’une des parties les plus importantes et les plus antiques du rite de ce jour. Mais cette notion de « présanctifiés » est vue avec antipathie par la Commission, qui décide de réformer ce nom, et avec lui la structure même du rite : il s’agit de « réduire les amplifications structurales du Moyen-âge, si peu cohérentes avec ce qu’on appelle la "Messe des Présanctifiés", aux sévères et pures lignes originales d’une grandiose communion générale »[18]. L’appellation de « in Parasceve » elle-même, dont les réminiscences hébraïques dénotent pourtant la plus haute antiquité, ne trouve pas même grâce à leurs yeux.

[MR 1952] : L’Office du Vendredi Saint est appelé « Missa Praesanctificatorum » ou « Feria Sexta in Parasceve »[19].

 

- [OHS 1956] : L'autel est dépourvu de la croix voilée[20].

L’image de la croix, et tout particulièrement celle de l’autel, avait été voilée au premier dimanche de la Passion, et elle demeurait à son emplacement naturel, à savoir au centre de l’autel, afin de n’être ensuite dévoilée solennellement et publiquement que le Vendredi Saint, jour du triomphe de la Passion rédemptrice. Les auteurs de la réforme ne semblent pas aimer cette croix d’autel, et décident donc de la remiser en sacristie au soir du Jeudi, de façon non-solennelle, avec les paniers qui servent à porter les nappes de l’autel dénudé – ou même, comme nous l’avons vu, durant la nuit, d’une façon que n’évoquent même pas les nouvelles rubriques. Ainsi, au jour le plus important de sa célébration, la croix a disparu de l’autel. Et disparaît en même temps le sens même de son dévoilement public, qui intervenait après qu’elle eût été exposée durant près de quinze jours, voilée, sur l’autel : maintenant, la croix revient d’une façon tout à fait aliturgique de la sacristie, comme si quelqu’un l’y avait cachée, pendant la nuit, dans une armoire.

[MR 1952] : La croix d’autel reste voilée à sa place sur l’autel dénudé, avec seulement les chandeliers[21].

 

- [OHS 1956] : La lecture de l’évangile n’est plus distingué du chant de la Passion.

Le tout, évangile et Passion, prend maintenant le nom plus narratif de « histoire de la Passion ». Le motif d’une telle modification n’est pas clair, étant donné que la Commission avait semblé être opposée à ce changement dans le cas analogue du dimanche des Rameaux[22]. L’intention est peut-être d’éliminer, comme c’est le cas ailleurs, tout signe qui fasse référence à la Messe, comme l’est la lecture de l’évangile – et ainsi justifier la suppression du nom de « Messe des Présanctifiés ».

[MR 1952] : L’évangile est chanté d’une façon distincte de la Passion, mais, en ce jour de deuil, sans encens ni cierges[23].

 

- [OHS 1956] : Les nappes d’autel ne sont plus en place dès le début de la cérémonie, mais elles y sont installées seulement pour la seconde partie. Le prêtre ne revêt plus la chasuble noire dès le début, mais il ne porte que l’aube et l’étole[24].

Le fait que le prêtre revête la chasuble même pour un rite qui n’est pas celui de la Messe au sens strict témoignait de la très haute antiquité de ces cérémonies, comme les membres de la Commission le reconnaissent. En effet, ils soutiennent d’une part que les cérémonies du Vendredi Saint étaient constituées « d’éléments qui étaient demeurés intactes [depuis l’Antiquité] »[25], mais d’autre part ils tiennent à introduire une modification qui sépare la liturgie eucharistique « de la première partie de la liturgie, la liturgie de la Parole »[26]. Cette distinction, encore en gestation à cette époque, devait être signifiée, selon les termes du P. Braga, par le fait que le célébrant ne porte au début de la cérémonie que l’étole, sans chasuble : « pour la liturgie de la Parole, [le célébrant] ne devait rester qu’avec l’étole »[27].

[MR 1952] : Le prêtre porte la chasuble noire ; arrivé au pied de l’autel il se prosterne, pendant que les acolytes déplient une seule nappe sur l’autel nu[28].

 

La question de la nouvelle prière pour les Juifs : c’est un problème accessoire pour une étude sur la Semaine Sainte. Elle doit être abordée dans une étude qui mettrait en évidence le malentendu philologique relatif à l’interprétation erronée du mot latin "perfidi – perfidia"[29].

 

- [OHS 1956] : Pour la septième oraison, est inventé le titre de « Pro unitate Ecclesiae »[30].

L’ambigüité de l’expression introduit l’idée d’une Eglise à la recherche de sa propre unité sociale, unité qu’elle ne possèderait pas encore. Selon la doctrine catholique traditionnelle et définie solennellement, l’Eglise ne manque pas d’unité sociale dans son état terrestre, puisqu’une telle unité est même une propriété essentielle de la véritable Eglise du Christ. L’unité n’est donc pas une caractéristique qui serait encore à chercher dans le dialogue œcuménique, puisqu’au contraire elle est déjà métaphysiquement présente dans l’Eglise. En effet, la phrase du Christ « ut unum sint » est une prière efficace de Notre-Seigneur, et qui est donc déjà, comme telle, réalisée. Ceux qui sont en-dehors de l’Eglise doivent retourner vers elle, retourner à l’« unité » qui se trouve en elle, et non point s’unir aux catholiques pour réaliser une unité qui n’existerait pas encore. Le but des réformateurs était en fait, nous  apprend le P. Braga[31], d’éliminer de cette prières certaines paroles encombrantes qui parlaient des âmes séduites par le démon et prisonnières de la malice de l’hérésie : « animas diabolica frauda deceptas » et « haeretica pravitate ». Dans la même logique, on voulait éliminer la conclusion qui souhaitait un retour des égarés à l’unité de la vérité du Christ dans son Eglise : « errantium corda resipiscant, et ad veritatis tuae redeant unitatem ». Néanmoins, il ne fut pas possible de réformer le texte même de l’oraison, puisqu’à l’époque, se lamente encore le P. Braga, « l’unité était conçue dans les termes de l’œcuménisme préconciliaire »[32]. On se contenta donc d’en réformer seulement le titre. Autrement dit, en 1956 l’unité de l’Eglise était encore conçue comme déjà existante et l’on demandait à Dieu d’incorporer à cette unité ceux qui en étaient éloignés ou séparés. Dans la Commission, il y avait donc des membres qui s’opposaient à l’œuvre d’érosion doctrinale, sans pouvoir cependant s’opposer à la création d’un hybride théologique, comme est le choix de conserver le texte traditionnel, mais sous un titre nouveau. Annibale Bugnini lui-même, une dizaine d’années plus tard, se rendra compte que prier pour la réalisation future de l’unité de l’Eglise est une hérésie : il en fera mention dans un article de l’Osservatore Romano qui critique le titre de la prière « pour l’unité de l’Eglise », pourtant introduit dix ans plus tôt par une Commission dont il était membre. Il y loue les nouvelles prières introduites en 1965 et explique que l’oraison en question a de nouveau changé de nom, devenant « prière pour l’unité des Chrétiens », parce que « L’Eglise a toujours été une ». En compensation, par contre, c’est à l’occasion de cette réforme de 1965 que sont éliminés les mots « hérétiques » et « schismatiques » de la même oraison[33]. Il est consternant d’observer ici que ces manœuvres subtiles ne se servent de l’art liturgique que pour véhiculer des nouveautés théologiques.

[MR 1952] : Le texte de l’oraison est le même qu’en 1956. On y prie pour que les hérétiques et les schismatiques retournent à l’unité de la Vérité : « ad veritatis tuae redeant unitatem »[34] ; il manque cependant le titre ambigu de l’oraison de 1956 : « Pro unitate Ecclesiae ».

 

- [OHS 1956] : Invention d’une procession du retour solennel de la croix depuis la sacristie[35].

Cette fois-ci, la croix revient liturgiquement, c’est-à-dire publiquement, et non plus entre les pots de fleurs et les chandeliers comme le soir précédent. En liturgie, ce qui est parti solennellement en procession doit revenir de la même façon. Ici au contraire l’innovation fait revenir solennellement un symbole qui avait été emporté la veille, en privé, au milieu d’autres objets. Quel est le sens de cette procession solennelle de la croix, inventée de toutes pièces ? Il semble qu’il s’agisse d’une tentative maladroite de restituer un rite qui était accompli à Jérusalem aux 4ème-5ème siècles, et dont nous avons connaissance dans le célèbre récit d’Egérie : « A Jérusalem l’adoration avait lieu sur le Golgotha. Egérie rapporte que la communauté se réunissait de bon matin. Devant l’évêque […] était alors portée la châsse d’argent qui contenait les reliques de la Croix »[36]. Mais la reconstitution, arbitraire, de cette procession de retour de la croix advient ici dans un contexte qui n’est plus celui du Calvaire des premiers siècles ; c’est celui de la liturgie romaine, qui depuis des siècles avait sagement élaboré et intégré d’éventuels apports hiérosolomytains au sein d’un rite pluriséculaire.

[MR 1952] : La croix était demeurée voilée sur l’autel depuis le premier dimanche de la Passion. Elle est alors dévoilée publiquement auprès de l’autel, c’est-à-dire à l’endroit où elle était restée[37].

 

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Le Pape Jean XXIII adore la croix selon les rubriques antérieures à la réforme


- [OHS 1956] : L’importance de la procession eucharistique est réduite[38].

Après avoir inventé la procession de la croix, la réforme décide au contraire de réduire celle du retour du Saint-Sacrement, qui devient un rite quasi-privé, dans une inexplicable inversion de perspective. Le Saint-Sacrement avait été porté la veille solennellement jusqu’au Reposoir, ou « autel du Tombeau » (nous utilisons délibérément ce nom de « Tombeau », puisque toute la tradition chrétienne l’appelle de la sorte, en particulier le Memoriale Rituum et la Congrégation des Rites, même si les membres de la Commission supportaient mal un tel terme[39] ; il nous paraît au contraire tout à fait théologique, et tout imprégné de ce sensus fidei qui fait souvent défaut à certains théologiens). Il semble pourtant logique et « liturgique » qu’à une procession solennelle comme celle du Jeudi Saint, succède un retour d’égale dignité le Vendredi : il ne s’agit de rien moins que le Corps du Christ ! Mais la réduction des honneurs à rendre au Saint-Sacrement pousse les auteurs à décider que c’est au Diacre d’aller le chercher à l’autel du Tombeau, pendant que le célébrant reste tranquillement assis à la banquette en l’attendant, et aura tout de même la délicatesse de se lever au passage des Espèces Eucharistiques portées par un subalterne. C’est peut-être pour ces motifs que Jean XXIII, en 1959, ne voulut pas appliquer cette rubrique lorsqu’il célébra le Vendredi Saint à Sainte-Croix-de-Jérusalem, et qu’il alla lui-même chercher le Très-Saint-Sacrement.

[MR 1952] : Le Saint-Sacrement retourne au sanctuaire dans une procession qui a la même solennité que celle du jour précédent. C’est le célébrant qui va le chercher, comme il convient, et non un subalterne qui l’attend, assis en silence[40].

 

- [OHS 1956] : Elimination des encensements dus à l’hostie consacrée[41].

Il est difficile de comprendre pourquoi le Vendredi Saint les honneurs rendus à Dieu devraient être inférieurs à ceux des autres jours.

[MR 1952] : L’hostie consacrée est encensée comme de coutume, tandis que le célébrant, lui, ne l’est pas[42]. Les signes de deuil sont donc clairs, mais ne s’étendent pas jusqu’à la Présence Réelle.

 

- [OHS 1956] : Introduction du Pater récité par les fidèles[43].

 « La préoccupation pastorale d’une participation consciente et active de la communauté chrétienne » domine : les fidèles doivent devenir de « véritables acteurs de la célébration […] C’est ce que demandaient les fidèles, surtout ceux sensibles à la nouvelle spiritualité […] La Commission a accueilli les aspirations fondées du peuple de Dieu »[44]. Il reste toutefois à démontrer que ces aspirations étaient bien celles des fidèles, et non pas celles d’un groupe de liturgistes avant-gardistes. Quant à la nature de la « nouvelle spiritualité » mentionnée ici avec ses « aspirations », on peut légitimement réclamer quelques éclaircissements sur ses fondements théologiques.

[MR 1952] : Le Pater est récité, comme toujours, par le prêtre[45].

 

- [OHS 1956] : Elimination de la prière sacrificielle au moment de la consommation de l’hostie[46].

Il est vrai que ce jour-là il n’y a pas, au sens strict, de sacrifice eucharistique avec séparation des espèces sacrées. Mais la consommation de la victime, immolée le jour précédent, est une partie, bien que non-essentielle, du sacrifice. Elle en est donc, en un certain sens, la continuation sacramentelle, puisque le Corps consommé est toujours un Corps immolé et sacrifié : c’est pour ce motif que la Tradition faisait mention du sacrifice dans les prières connexes à la consommation de l’hostie. Certains membres de la Commission déclarent cependant qu’après tant d’années de tradition, le moment était venu de corriger les erreurs : ils affirment alors que des expressions telles que « meum ac vestrum sacrificium » sont « totalement déplacées en cette occasion, puisqu’il ne s’agit pas d’un sacrifice, mais seulement d’une communion »[47]. On décida donc d’abolir ces prières pluriséculaires.

[MR 1952] : On conserve la prière « Orate, fratres, ut meum ac vestrum sacrificium… », mais vu le contexte singulier, elle n’est pas suivie de la réponse habituelle[48].

 

- [OHS 1956] : Elimination de l’immixtion d’une partie de l’hostie consacrée dans le vin du calice[49].

L’immixtion d’une partie de l’hostie consacrée dans le vin non-consacré (pratique connue dans le rite byzantin), ne consacre évidemment pas le vin, et cela n’a jamais été cru dans l’Eglise. Cette union manifeste cependant symboliquement, et non pas réellement, l’unité du Corps mystique dans la vie éternelle, cause finale de toute l’œuvre de la Rédemption célébrée en ce jour saint. Le « Mémoire » conservé dans les archives de la Commission affirme que cette partie du rite devait être absolument supprimée, parce qu’« au début du Moyen-âge, existait la croyance selon laquelle la seule immixtion du pain consacré dans le vin aurait suffi pour consacrer le vin lui-même, ce qui entraîna l’introduction de ce rite d’immixtion.  Les études sur l’Eucharistie ayant été approfondies, on s’est rendu compte du caractère infondé de telles croyances, mais le rite demeura »[50]. Une telle affirmation est scandaleuse, à cause de son absence de fondement historique et de méthode scientifique, mais elle comporte aussi des conséquences théologiques graves. Avant tout, il faudrait démontrer historiquement qu’au Moyen-âge la croyance dont il est question ait été vraiment diffusée. Quelques théologiens ont pu tenir des théories erronées, mais cela ne prouve pas que l’Eglise Romaine ait erré au point d’insérer une doctrine fausse dans la liturgie, avec cette intention théologique précise. Ici, il est même affirmé que l’Eglise Romaine, se rendant compte de la gravité de l’erreur, n’avait pas voulu jusqu’ici la corriger : ce qui revient à soutenir non seulement que l’Eglise peut changer d’opinion au cours des siècles sur un point si important, mais aussi qu’elle peut se tromper à propos d’un fait dogmatique (comme l’est la liturgie universelle), et cela durant plusieurs siècles. Peut-être cherchait-on ici un fondement pour justifier l’œuvre réformatrice commencée, œuvre qui s’attachait à corriger toutes les erreurs que des générations entières de Papes n’avaient pas vues, mais que l’œil vigilant de la Commission avait finalement démasquées. Une telle attitude, on le constate aujourd’hui, est toute imbue d’un pseudo-rationalisme journalistique en vogue dans les années cinquante. Elle se fondait trop souvent sur des études sommaires et peu scientifiques pour détruire en leur nom ce qu’on désignait facilement comme des « traditions médiévales », et pour introduire à leur place des « évolutions » utiles.

[MR 1952] : On mettait dans le vin une partie de l’hostie consacrée, mais on omettait alors, avec une cohérence théologique parfaite, les prières relatives à la consommation du Sang[51].

 

- [OHS 1956] : Le déplacement des horaires traditionnels, qui aurait pu être fait en harmonie avec les usages populaires, finit par créer de notables problèmes pastoraux et liturgiques.

Les pratiques de dévotion populaire s’étaient développées dans le passé en cohérence avec la liturgie. Un exemple parmi d’autres : en de très nombreux lieux, on expose encore aujourd’hui à partir de midi un grand crucifix, durant lequel sont prêchées les trois heures d’agonie de Notre-Seigneur (de midi à 15h). Mais à cause du changement d’horaire, on se trouve face à l’absurdité d’une prédication devant la scène de la Crucifixion, alors que la croix devrait encore être voilée, puisque le rite doit maintenant avoir lieu durant l’après-midi[52]. Certains diocèses sont donc contraints aujourd’hui de déplacer la cérémonie de l’ « Action liturgique » dans une autre église que celle où se déroulent les antiques pratiques de piété populaire, afin d’éviter que l’incongruité ne soit trop évidente. Nombreux sont les exemples qui pourraient ainsi être évoqués. Ils mettent tous en évidence que la réforme, qui se voulait « pastorale » par excellence, ne fut en aucune façon un gain pour la piété des fidèles : elle est née chez des experts qui n’avaient pas de véritable contact avec les paroisses, ni avec la dévotion et la piété populaire qu’eux-mêmes méprisaient aisément. Les réformateurs, cependant, se rendirent compte qu’il s’était créé durant l’après-midi du Vendredi Saint un « vide liturgique » ; ils cherchèrent donc à y remédier en « introduisant des éléments paraliturgiques, comme les trois heures d’agonie, la Via Crucis ou l’Addolorata »[53]. La Commission décida ainsi de remédier au scandale avec la pire des méthodes pastorales : celle qui bouscule les pratiques populaires, et sans aucune considération pour elles. L’inopportunité de cette « pastorale » montre que l’inculturation est un phénomène catholique de longue date, qui consiste à concilier dogme et piété en fonction des particularités locales, et non pas à imposer univoquement les expériences nées de l’idéologie de quelques « experts ».

[MR 1952] : Il n’y a pas de problèmes d’horaires ; liturgie et piété s’étaient développées à travers les siècles l’une en fonction de l’autre, sans pour cela se contraposer en un antagonisme aussi inutile qu’imaginaire.



[1] OHS 1956, p. 55, rubrique n. 4.

[2] C. Braga, op. cit., p. 26.

[3] N. Giampietro, op. cit., p. 294.

[4] C. Braga, op. cit., p. 27.

[5] P. Martinucci, op. cit., p. 201 (n. 24) ; p. 73 (n. 293).

[6] OHS 1956, p. 55. Cela implique de plus qu’il faut vider le tabernacle des hosties consacrées précédemment.

[7] OHS 1956, p. 55.

[8] MR 1952, pp. 154-sv.

[9] OHS 1956, p. 57.

[10] C. Braga, op. cit., p. 17.

[11] MR 1952, pp. 158-159.

[12] OHS 1956, p. 61.

[13] Caerimoniale Episcoporum, l. II, cap. XXIX, 3.

[14] OHS 1956, p. 64.

[15] OHS 1956, p. 65. Le Jeudi Saint, il est simplement écrit : “celebrans […] denudat omnia altaria ecclesiae » - on peut supposer que le transport de la croix est inclus dans ce vague passage. Cf. ibidem., p. 63, n. 7.

[16] MR 1952, p. 158.

[17] OHS 1956, p. 65.

[18] N. Giampietro, op. cit., p. 315.

[19] MR 1952, p. 160.

[20] OHS 1956, p. 64.

[21] MR 1952, p. 171.

[22] N. Giampietro, op. cit., pp. 304-305.

[23] MR 1952, p. 164.

[24] OHS 1956, p. 64.

[25] N. Giampietro, op. cit., p. 314.

[26] C. Braga, op. cit., p. 28.

[27] Ibidem., p. 30.

[28] MR 1952, p. 160.

[29] Sur la signification à attribuer à ce terme, nous renvoyons avant tout au décret de la Sacrée Congrégation des Rites du 10 juin 1948, in Acta Apostolicae Sedis, XL (1948), p. 342.

[30] Ajoutons ici une constatation, de l’ordre de l’histoire des usages : dans les missels consultés, ou dans les fascicules de l’ « Ordo », on trouve à cet endroit une suite de corrections manuscrites ajoutées en marge, ou de feuillets volants insérés entre les pages, et qui rappellent au célébrant, sans l’obliger à acquérir un nouveau missel, les innombrables corrections apportées à ces oraisons du Vendredi Saint, à intervalles réguliers depuis les années cinquante, signe non-équivoque d’une liturgie qui – qu’on nous concède l’expression – est en « évolution permanente ».

[31] C. Braga, op. cit., p. 30.

[32] Ibidem.

[33] A. Bugnini, “Le nuove orazioni del Venerdì Santo”, in Osservatore Romano, 19 mars 1965.

[34] MR 1952, p. 169.

[35] OHS 1956, p. 78.

[36] C. Braga, op. cit., pp. 30-31.

[37] MR 1952, p. 171.

[38] OHS 1956, p. 82.

[39] C. Braga, op. cit., p. 28. Cf. aussi la même aversion décrite dans N. Giampietro, op. cit., p. 312.

[40] MR 1952, p. 174.

[41] OHS 1956, p. 82.

[42] MR 1952, p. 174.

[43] OHS 1956, p. 83.

[44] C. Braga, op. cit., p. 18.

[45] MR 1952, p. 175.

[46] OHS 1956, p. 83.

[47] N. Giampietro, op. cit., p. 297.

[48] MR 1952, p. 174.

[49] OHS 1956, p. 83.

[50] N. Giampietro, op. cit., p. 297.

[51] MR 1952, p. 176.

[52] OHS 1956, p. iv.

[53] N. Giampietro, op. cit., p. 314.

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6 avril 2011 3 06 /04 /avril /2011 14:02

  Entre liturgie et théologie, à travers les déclarations de quelques-uns de ses principaux rédacteurs (Annibale Bugnini, Carlo Braga, Ferdinando Antonelli)

par Don Stefano Carusi

- Première partie -

« L’exigence de revoir et d’enrichir les formules du Missel Romain s’est fait sentir. Le premier pas d’une telle réforme a été l’œuvre de Notre Prédécesseur Pie XII, avec la réforme de la Vigile Pascale et du rite de la Semaine Sainte[1]. C’est cette réforme qui a constitué le premier pas de l’adaptation du Missel romain à la mentalité contemporaine »

Paul VI, Constitution apostolique "Missale Romanum", 3 avril 1969.


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INTRODUCTION

Au cours des dernières années, la publication de nombreuses études relatives à l’histoire du débat théologico-liturgique des années cinquante a jeté une lumière nouvelle sur la formation et sur les intentions – pas toujours ouvertement déclarées à l’époque – de ceux qui furent les rédacteurs matériels de certains textes majeurs de la réforme liturgique.

En ce qui concerne l’œuvre de réforme de la Semaine Sainte de 1955-56, nous voudrions ici nous arrêter sur les déclarations, enfin publiées aujourd’hui, du célèbre lazariste Annibale Bugnini, de son étroit collaborateur et secrétaire au "Consilium ad reformandam liturgiam", le P. Carlo Braga, et du futur cardinal Ferdinando Antonelli, afin d’établir d’une part si leur œuvre de réforme liturgique répondait ou non à un plus vaste dessein théologique, et pour analyser d’autre part la validité ou non des critères utilisés à cette époque et repris ensuite dans les réformes successives. Nous prendrons aussi en considération les annotations et les comptes-rendus des discussions de la commission préparatoire, conservés principalement dans les archives de la Congrégation des rites, mais qui, récemment publiés dans les travaux monumentaux de recherche en histoire de la liturgie de Mons. Nicola Giampietro, témoignent enfin de la teneur des débats.

En octobre 1949, auprès de la Congrégation des rites, fut formée une commission liturgique qui aurait dû s’occuper du rite romain en étudiant d’éventuelles réformes à envisager, et à appliquer si nécessaire. Malheureusement, le calme nécessaire à un tel travail ne fut jamais rendu possible, à cause des sollicitations continuelles des épiscopats français et allemands qui réclamaient, dans la plus grande précipitation, des changements immédiats. La Congrégation des Rites et la Commission s’étaient vues obligées de régler le problème des horaires de la Semaine Sainte, afin de bloquer les fantaisies de certaines "célébrations autonomes", en particulier dans le cas de la Vigile Pascale. Dans ce contexte, fut approuvé ad experimentum un document qui permettait de célébrer dans la soirée le rite du Samedi Saint : Ordo Sabbati Sancti, du 9 février 1951[2].

Dans les années 1948-49, cette Commission liturgique avait été érigée sous la présidence du Cardinal-Préfet Clemente Micara, remplacé en 1953 par le card. Gaetano Cicognani, et composée de Mons. Alfonso Carinci, des PP. Giuseppe Löw, Alfonso Albareda, Agostino Bea et Annibale Bugnini, auxquels fut adjoint en 1951 Mons. Enrico Dante, et en 1960 Mons. Pietro Frutaz, Don Luigi Rovigatti, Mons. Cesario d’Amato et enfin le P. Carlo Braga[3]. Ce dernier, en tant que proche collaborateur d’Annibale Bugnini, participa aux travaux des années 1955-56, bien que n’étant pas encore membre de la Commission[4], et fut en outre le co-auteur, avec Bugnini, des textes historico-critiques et pastoraux portant sur la Semaine Sainte[5], qui devaient se révéler par la suite être une sorte de sauf-conduit scientifique pour les modifications apportées. La Commission travaillait en secret et agissait sous la pression des épiscopats centre-européens[6] –dont on ne sait pas très bien s’ils se chargeaient de la seconder ou au contraire d’entraver ses travaux ; le secret fut d’ailleurs si bien conservé que la publication improvisée et inattendue de l’Ordo Sabbati Sancti instaurati, au début de mars 1951, « prit par surprise les membres de la Congrégation des rites eux-mêmes », comme en témoigne l’un des membres de la Commission, Annibale Bugnini[7]. C’est le même qui nous renseigne aussi sur la façon singulière selon laquelle les résultats des travaux étaient transmis au pape Pie XII : il était « tenu au courant par Mons. Montini, mais plus encore, chaque semaine, par le P. Bea, son confesseur » et il ajoute : « Grâce à cet intermédiaire, on put atteindre des résultats notables, même pendant les périodes où la maladie du Pape empêchait quiconque de s’en approcher »[8]. Une grave maladie de l’estomac obligeait en effet le Pape à une longue convalescence, et ce fut ainsi Montini et le futur card. Bea – qui eurent tant d’importance dans les réformes postérieures – qui assumèrent les rapports avec Pie XII, et non le cardinal-Préfet de la Congrégation des Rites, responsable de la Commission.

Les travaux de la Commission se prolongèrent jusqu’en 1955, au moment de la publication, le 16 novembre, du décret « Maxima Redemptionis nostrae Mysteria », qui devait entrer en vigueur pour Pâques de l’année suivante. L’épiscopat accueillit le décret de manières assez diverses, et, au-delà du triomphalisme de façade, nombreuses furent les plaintes contre les nouveautés introduites, au point que les demande pour pouvoir conserver le rite traditionnel se multiplièrent[9]. Mais désormais, la machine de la réforme liturgique avait été mise en marche, et en arrêter le progrès se révèlera impossible, et surtout inavouable, comme l’histoire le démontrera.

Malgré qu’on ait voulu que le chœur des liturgistes chantât à l’unisson, afin de faire montre d’une certaine unité d’intentions, quelques voix discordantes se levèrent parmi les spécialistes les plus autorisés, promptement réduites au silence malgré leur compétence. Ce fut non seulement le cas de certains épiscopats, mais aussi de certains liturgistes comme Léon Gromier, lequel – connu aussi pour son célèbre commentaire sur le Caerimoniale Episcoporum[10] – était consulteur auprès de la Congrégation des Rites et membre de l’Académie Pontificale de Liturgie. En juillet 1960, à Paris, il exprima dans son style corrosif mais avec une solide argumentation toutes les ambiguïtés et les contradictions de la réforme de la Semaine Sainte[11]. Le pape Jean XXIII lui-même, lorsqu’il célébra en 1959 le Vendredi Saint à Sainte-Croix de Jérusalem, suivit les usages traditionnels[12], prouvant ainsi qu’il ne partageait pas les innovations introduites depuis peu, et prenant acte de la valeur expérimentale de ces changements : certaines réformes introduites expérimentalement en 1955-56 se révélèrent d’ailleurs si incongrues dans le tissu rituel qu’elles durent être corrigées à nouveau par la réforme liturgique de 1969 – mais cela mériterait une étude à part.

Pour mettre en évidence l’importance de cette réforme de la Semaine Sainte, tant au niveau liturgique qu’au niveau historique, il faut mentionner ici une réflexion de deux des plus grands protagonistes de cet évènement, afin de mieux cerner les intentions de ceux qui y travaillèrent avec le plus de vigueur : le P. Carlo Braga, bras droit de Bugnini et directeur durant des années de la célèbre revue liturgique Ephemerides Liturgicae, décrit avec audace la réforme du Samedi Saint comme « un bélier qui a pénétré dans la forteresse de notre liturgie jusqu’ici bien trop statique »[13] ; le futur card. Ferdinando Antonelli, lui, la qualifie en 1956 comme étant « l’acte le plus important dans l’histoire de la liturgie depuis saint Pie V »[14].

 

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LES INNOVATIONS EXAMINEES DANS LE DETAIL

Venons-en maintenant à une analyse détaillée, afin de mettre en relief certains des changements les plus visibles apportés par l’Ordo Hebdomadae Sanctae Instauratus de 1955-56, et qui puisse expliquer pourquoi cette réforme a pu constituer un « bélier » contre le cœur de la liturgie romaine, et en quel sens une réforme pourtant mineure a pu avoir tant d’importance pour l’histoire de la liturgie. Nous procèderons de la façon suivante : après avoir exposé chacune des innovations, nous y apporterons un commentaire, basé autant que possible sur les témoignages et déclarations des rédacteurs matériels des textes, ainsi qu’un bref rappel de la pratique traditionnelle.

 

1 – Le dimanche des Rameaux

- Ordo Hebdomadae Sanctae 1955-56 [noté désormais OHS 1956] : Invention de la couleur rouge pour la procession des Rameaux, tout en maintenant la couleur violette pour la Messe[15].

A ce sujet, on lit dans les archives de la Commission : « Une chose pourrait cependant se faire […] on pourrait restituer la couleur rouge primitive utilisée pendant le Moyen-âge pour cette procession solennelle, puisque la couleur rouge rappelle la pourpre royale », et un peu plus loin : « de cette façon, la procession se distinguera sans comparaison, comme un élément liturgique sui generis »[16].

On ne peut pas nier, bien sûr, que la couleur rouge puisse être un signe de la pourpre royale, bien que  l’affirmation d’un tel usage durant le Moyen-âge reste à prouver ; mais quoiqu’il en soit, c’est le mode de procéder qui est ici le plus étonnant : on recherche des éléments « sui generis » et on décide que le rouge doit posséder pour ce jour-là une symbolisme déterminé positivement, alors que dans le rite romain le rouge est la couleur des martyrs ou du Saint-Esprit, que dans le rite ambrosien, le rouge est utilisé ce dimanche-là pour représenter le sang de la Passion et non la royauté, tandis que dans le rite Parisien, on utilisait au contraire le noir pour les deux parties du rite. Mais jamais, dans aucun diocèse, un changement de couleur n’était prévu entre la procession et la Messe, pratique héritée sans doute de la fête de la Purification de la Vierge[17], mais qu’il est insensé d’appliquer au contexte du Dimanche des Rameaux, comme l’explique Léon Gromier. Une telle innovation n’est donc pas attribuable à une pratique attestée de l’Eglise, mais n’est rien d’autre que l’idée soudaine d’un « pastoral professeur de séminaire suisse »[18].  

Missale Romanum de 1952 [noté désormais MR 1952] : On utilise le violet aussi bien pour la procession que pour la Messe[19].

 

- [OHS 1956] : Abolition de la chasuble pliée et par conséquent aussi du stolone ou « étole large »[20].

Il s’agissait là d’un reste de la plus haute Antiquité, qui avait survécu jusqu’ici, prouvant d’une part le caractère archaïque de la liturgie de la Semaine Sainte –que l’on n’avait jamais osé altérer à cause de la vénération qu’on lui portait – et d’autre part l’aspect extraordinaire de ces rites et de la douleur singulière de l’Eglise en ces jours saints.

[MR 1952] : Utilisation de la chasuble pliée et de l’étole large ou « chasuble enroulée » pour le chant de l’évangile par le Diacre[21].

 

- [OHS 1956] : Invention de la bénédiction des Rameaux tournée vers les fidèles, le dos tourné à la croix, et même dans certains cas dos au Saint-Sacrement[22].

C’est dans le but de la participation des fidèles que l’on introduit l’idée d’une action liturgique tournée vers le peuple et dos à Dieu : « Ce qui a eu une influence [dans la réforme] c’est aussi la visibilité des gestes particuliers de la célébration, détachés de l’autel et accomplis par les ministres sacrés tournés vers le peuple »[23]. On invente à la même occasion une bénédiction faite sur une table, posée entre l’autel et la barrière du Chœur : jointe au fait que les ministres se tournent vers le peuple, c’est là tout un nouveau concept de l’espace liturgique et de l’orientation de la prière qui est introduit.

[MR 1952] : Les Rameaux sont bénis à l’autel, in cornu epistolae, après une lecture, un graduel, un évangile et surtout après une Préface avec Sanctus, qui introduisent les Oraisons de la bénédiction. Il s’agit du très antique rite de ce que l’on appelait la « Missa sicca »[24].

 

- [OHS 1956] : Suppression de la Préface avec les paroles relatives à l’autorité du Christ sur les royaumes et les autorités humaines.[25]

Il est stupéfiant de constater que l’on a prétendu solenniser ici la royauté du Christ[26], tout en supprimant les paroles qui décrivent une telle royauté. La raison invoquée est tout aussi stupéfiante : sans moyen terme, on la dénonce comme superflue et donc on l’élimine : « En considérant le peu de cohérence de ces préfaces, leur caractère prolixe et, pour certaines formules, la pauvreté de leur pensée, la perte de ces textes n’est présente aucun dommage »[27].

[MR 1952] : Le rite romain prévoit, à l’occasion des grands moments liturgiques, par exemple la consécration des huiles ou les ordinations sacerdotales, le chant d’une Préface, qui est une façon particulièrement solennelle de s’adresser à Dieu ; c’est le cas ici pour la bénédiction des Rameaux : la Préface décrit l’ordre divin de la Création et la soumission de toutes choses à Dieu le Père. Cette soumission du créé est un avertissement pour les rois et les gouvernants de la soumission qu’ils doivent avoir envers le Christ : « Tibi enim serviunt creaturae tuae : quia te solum auctorem et Deum cognoscunt et omnis factura tua te collaudat, et benedicunt te sancti tui. Quia ilud magnum Unigeniti tui nomen coram regibus et potestatibus huius saeculi libera voce confitentur »[28]. Le texte de ce chant expose en quelques élégantes lignes la base théologique qui est le fondement du devoir de soumission des gouvernements temporels à l’autorité du Christ.

 

- [OHS 1956] : Suppression des oraisons qui portent sur la signification et sur les bienfaits des sacramentaux, ainsi que sur le pouvoir qu’ils ont contre le démon[29].

La raison invoquée, selon les notes des archives, est que ces oraisons sont « pompeuses […], avec tout l’étalage de l’érudition typique de l’époque carolingienne »[30]. Les réformateurs conviennent donc de l’antiquité de ces textes, mais elles ne sont pas à leur goût, parce que « la relation directe entre cette cérémonie et la vie chrétienne vécue, à savoir la signification liturgique pastorale de la procession comme hommage au Christ Roi est très faible »[31]. L’absence d’un tel lien entre la « vie vécue » des fidèles et l’hommage au Christ Roi dans sa pleine « signification liturgique pastorale » nous échappe : ce n’est finalement rien d’autre qu’une rhétorique qui apparaît aujourd’hui largement dépassée, mais qui à l’époque avait une certaine prise. Sous prétexte de favoriser une « participation consciente à la procession, ayant une application dans la vie chrétienne concrète et vécue »[32], on donne en fait des arguments qui ne sont ni théologiques ni liturgiques. La « vie chrétienne concrète et vécue » des fidèles est d’ailleurs indirectement dépréciée quelques lignes plus loin : « ces pieux usages [des Rameaux bénis], même s’ils sont justifiés théologiquement, peuvent dégénérer (comme de fait ils ont dégénéré) en superstitions »[33]. Même si l’on fait abstraction du ton rationaliste mal dissimulé ici, il faut noter que les antiques oraisons sont délibérément remplacées par de nouvelles formules qui, selon les termes de leurs auteurs, sont « en substance de facture nouvelle »[34]. Les antiques oraisons ne plaisent pas, simplement parce qu’elles expriment trop clairement l’efficacité des sacramentaux ; on décide donc d’en inventer de nouvelles.

[MR 1952] : Les antiques oraisons rappellent le rôle des sacramentaux, qui possèdent un pouvoir effectif (« ex opere operantis Ecclesiae ») contre le démon[35].

 

- [OHS 1956] : Invention d’une croix de procession non-voilée, tandis que la croix d’autel, elle, demeure voilée[36].

Nous avouons que la signification liturgique de cette innovation nous échappe totalement. Une telle modification, qui ne semble pas être liée à un symbole mystique quelconque, semble bien plus être une erreur liturgique, fruit de la précipitation des rédacteurs.

[MR 1952] : La croix d’autel est voilée, de même que la croix de procession, à laquelle on lie un rameau béni[37], référence à la croix glorieuse et à la Passion comme victoire du Christ.

 

- [OHS 1956] : Elimination de la croix qui frappe à la porte de l’Eglise fermée, à la fin de la procession[38].

Le rite symbolisait la résistance initiale du peuple juif, puis l’entrée triomphale du Christ à Jérusalem, aussi bien que la croix triomphale de Jésus-Christ, qui ouvre les portes du Ciel, étant cause de notre résurrection : « Hebraeorum pueri resurrectionem vitae pronuntiantes »[39].

[MR 1952] : La procession se retrouvait à la porte de l’Eglise fermée. Un dialogue chanté entre un chœur à l’extérieur et quelques chantres à l’intérieur de l’église précédait alors l’ouverture des portes, qui se faisait après que le Sous-diacre ait frappé avec la hampe de la croix de procession[40].

 

- [OHS 1956] : Invention d’une prière devant être récitée à la fin de la procession, au centre de l’autel, mais entièrement récitée versus populum[41].

Personne n’est capable de déterminer où doit se trouver le missel, ni qui doit le porter sur le gradin, puisque dans la hâte de la réforme, on ne s’est pas rendu compte de l’extravagance imposée ici, et qui a obligé les rédacteurs à adjoindre une rubrique intermédiaire (n. 22a ou 22bis), qui est plus confuse encore que la précédente[42]. L’insertion de cette oraison fait l’effet d’un bricolage ajouté aux rites précédents, à cause de sa nature arbitraire : « à cet endroit, c’est-à-dire pour donner à la procession un élément précis qui lui serve de conclusion, nous avons pensé proposer un Oremus original »[43]. Le P. Braga lui-même, cinquante ans plus tard, confessera que l’invention de cette oraison ne fut  pas un choix heureux : « l’élément qui détonne un peu dans le nouvel Ordo est l’oraison qui conclut la procession, car il rompt l’unité de la célébration »[44]. Les altérations « expérimentales », dans leur volonté purement innovatrice, révèlent finalement avec le temps leur caractère inadéquat.

[MR 1952] : La procession s’achevait normalement, puis la Messe commençait, avec les prières au bas de l’autel, comme de coutume.

 

- [OHS 1956] : La distinction entre « Passion » et évangile est éliminée. De plus, on retire du chant de la Passion la phrase finale (probablement par une erreur d’impression : d’autres motifs ne semblent pas plausibles)[45].

La Passion avait toujours possédé un style narratif, chantée par trois voix. Elle était suivie par l’évangile, chanté seulement par le Diacre, sur un ton différent et avec encensement, mais sans les cierges. La réforme confond ici les deux aspects : Passion et évangile sont amalgamés en un chant unique, sans se priver de coupes franches au début et à la fin du texte. Il en résulte finalement que la Messe et le Diacre sont privés de l’évangile, qui est formellement supprimé.

[MR 1952] : Le chant de la Passion est distinct du chant de l’évangile, qui va jusqu’à Mt. XXVI, 66[46].

 

- [OHS 1956] : Elimination du passage évangélique qui fait le lien entre l’institution de l’Eucharistie et la Passion du Christ, Mt. XXVI, 1-36[47].

Nous sommes ici face à l’attitude la plus déconcertante de la réforme, en particulier parce que l’examen des archives révèle que la Commission avait décidé de ne rien modifier en ce qui concerne la lecture de la Passion, à cause de son institution très antique[48]. Néanmoins, nous ne savons ni comment ni pourquoi, la narration de la dernière Cène a disparu. Il est difficile de croire que trente versets ont été éliminés seulement pour des motifs de temps, surtout si l’on considère l’importance d’un tel passage. Jusqu’alors, la tradition avait voulu que la narration de la Passion des Synoptiques ait toujours inclus l’institution eucharistique qui, avec la séparation sacramentelle du Corps et du Sang du Christ, est l’annonce même de la Passion. La réforme exclut donc, d’un coup d’éponge sur un passage fondamental de la Saint Ecriture, le lien de conséquence entre la dernière Cène, le sacrifice du Vendredi Saint et l’Eucharistie. Il en sera de même pour le Mardi Saint et pour le Mercredi Saint, avec l’extraordinaire résultat que le récit de l’institution eucharistique sera finalement absent de tout le cycle liturgique ! C’est là la conséquence d’un changement frénétique qui va démanteler une œuvre pluriséculaire, sans même être capable d’avoir une vision d’ensemble des Ecritures lues durant l’année.

[MR 1952] : La Passion est précédée de la lecture de l’institution de l’Eucharistie, mettant ainsi en évidence le lien intime, essentiel et théologique entre les deux passages[49].

 

2 – Lundi Saint

- [OHS 1956] : La prière « contra persecutores Ecclesiae » et la prière pour le Pape sont interdites[50].

On assiste ici à l’élimination de toutes les allusions à l’existence d’ennemis de l’Eglise. C’est la mentalité des réformateurs, qui veulent occulter par des euphémismes ou par la simple élimination de passages entiers la réalité de la persécution de l’Eglise de la part des forces terrestres et infernales qui luttent contre le Corps Mystique du Christ, aussi bien par la violence que par l’insinuation des hérésies (comme on le lisait dans l’oraison supprimée ici). La même attitude iréniste se retrouvera le Vendredi Saint, attitude candidement avouée par le P. Carlo Braga[51]. Dans le même contexte, on déclarera interdite l’oraison pour le Pape, pratique qui inaugure la réduction systématique de la présence du nom du Pontife Romain dans la liturgie.

[MR 1952] : On récitait l’oraison contre les persécuteurs de l’Eglise et celle pour le Pape, à la suite de l’oraison de la Messe[52].

 

3 – Mardi Saint

- [OHS 1956] : Suppression de la lecture de Mc. XIV, 1-30, et réduction de la Passion selon saint Marc[53].

Il s’agit là de la seconde élimination déconcertante du passage évangélique de l’institution de l’Eucharistie mise en rapport avec le Sacrifice de la Passion. La suppression d’à peine trente versets ne semble pas pouvoir être justifiée seulement par un motif de temps, vue, encore une fois, l’importance du passage.

[MR 1952] : Le passage de Mc. XIV, 1-31 relatif à la dernière Cène et à l’institution de l’Eucharistie constituait le début de la lecture de la Passion[54].

 

4 – Mercredi Saint

- [OHS 1956] : Suppression la lecture de Lc. XXII, 1-39, et réduction de la Passion selon saint Luc[55].

Troisième élimination importante du passage évangélique de l’institution de l’Eucharistie, dans son lien naturel avec le sacrifice de la Croix. Dans ce cas, comme dans les cas précédents, il est difficile de croire que seuls des motifs de longueur ont poussé à l’élimination des trente importants versets. Il s’ensuit aussi, volontairement ou non, cela est difficile à dire, la disparition du passage appelé « des deux glaives », passage peu apprécié par les théologiens d’avant-garde à cause de ses implications théologiques. 

[MR 1952] : Le récit de la Passion est précédé de l’institution de l’Eucharistie, avec laquelle elle est naturellement mise en rapport[56].

 


[1] Cf. S. Congregatio Rituum, Decr. Dominicae Resurrectionis, 9 février 1951, AAS 43 (1951), pp. 128 sv. ; Decr. Maxima redemptionis nostrae mysteria, 16 novembre 1955, AAS 47 (1955), pp. 838 sv.

[2] N. Giampietro, « A cinquant’anni della riforma liturgica della Settimana Santa », Ephemerides liturgicae, 120 (2006), n. 3, p. 295.

[3] A. Bugnini, La riforma liturgica (1948-1975), Rome, 1983, pp. 17 sv.

[4] C. Braga, « “Maxima Redemptionis Nostrae Mysteria” 50 anni dopo (1955-2005) », Ecclesia Orans, 23 (2006), p. 11.

[5] A. Bugnini, C. Braga, Ordo Hebdomadae Sanctae instauratus, « Bibliotheca Ephemerides Liturgicae – sectio historica », 25 , Rome, 1956. Sur la question des commentaires historico-critiques, voir aussi S. Congregatio Rituum, De instauratione liturgica maioris hebdomadae. Positio, Typis Polyg. Vaticanis, (sectio historica 90), 1955. Pour les publications de Bugnini visant à préparer la réforme, voir A. Bugnini, « De solemni Vigilia Paschali instauranda. Commentarium ad decretum 9 febr. 1951 », Ephemerides Liturgicae, 65 (1951), suppl. ad fasc. I (publié aussi dans la collection « Bibliotheca Ephemerides Liturgicae – sectio historica », 24) ; Id., « Il primo esperimento della Veglia Pasquale restaurata », Ephemerides Liturgicae, 66 (1952).

[6] N. Giampietro, op. cit., p. 300.

[7] A. Bugnini, La riforma liturgica, op. cit., p. 19.

[8] Ibidem.

[9] N. Giampietro, op. cit., p. 320-327. La célébration de la semaine sainte selon le rite traditionnel resta cependant possible en Terres Sainte jusqu’en l’an 2000.

[10] L. Gromier, Commentaire du Caerimoniale Episcoporum, Paris, 1959.

[11] L. Gromier, « La Semaine Sainte restaurée », Opus Dei, 2 (1962), pp. 76-90.

[12] Cf. la documentation photographique ainsi que la confirmation donnée par Mons. Bartolucci, maître de chœur, qui avait reçu l’ordre de Mons. Dante, cérémoniaire du Pape, de suivre les rites d’avant 1955 (cf. P. Cipriani, S. Carusi, « Interview de Mons. Domenico Bartolucci », Disputationes Theologicae, 2009).

[13] C. Braga, op. cit., p. 33.

[14] F. Antonelli, “La riforma liturgica della Settimana Santa: importanza, attualità, prospettive”, in La restaurazione liturgica nell’opera di Pio XII. Atti del primo Congresso Internazionale di Liturgia Pastorale, Assisi-Roma, 12-22 settembre 1956, Gênes, 1957, pp. 179-197 (cité in C. Braga, op. cit., p. 34).

[15] Ordo Hebdomadae Sanctae instauratus, iuxta editionem typicam vaticanam, Turonibus, 1956 [désormais OHS 1956], p. 3 et p. 9. La numérotation des pages est identique dans toutes les “éditions typiques”.

[16] Archivio della Congregazione dei Santi, fondo Sacra Congregatio Rituum, Annotazione intorno alla riforma della liturgia della Domanica delle Palme, p. 9 (cité par N. Giampietro, op. cit., p. 309).

[17] MR 1952, p. 455.

[18] L. Gromier, « La Semaine Sainte restaurée », op. cit., p. 78.

[19] Missale Romanum, ex Decreto Sacrosancti Concilii Tridentini Restitutum S. Pii V Pontificis Maximi jussu editum aliorum pntificum cura recognitum a Pio X Reformatum et Benedicti XV Auctoritate Vulgatum, editio vigesima quinta juxta typicam vaticanam, Turonibus, MCMLII [désormais MR 1952], p. 129.

[20] OHS 1956, p. 3.

[21] MR 1952, p. xxvi.

[22] OHS 1956, p. 3.

[23] C. Braga, op. cit., p. 22.

[24] MR 1952, pp. 129-132.

[25] OHS 1956, p. 3-4.

[26] OHS 1956, p. 3. Voir aussi note 13.

[27] C. Braga, op. cit., p. 306.

[28] MR 1952, pp. 131-132.

[29] OHS 1956, pp. 3-4.

[30] N. Giampietro, op. cit., p. 307.

[31] Ibidem.

[32] Ibidem. 

[33] Ibidem. 

[34] Ibidem. 

[35] MR 1952, pp. 133-134.

[36] OHS 1956, p. 7.

[37] P. Martinucci, Manuale Sacrarum Caerimoniarum, Roma, 1912, ed. tertia, pars I, vol. II, p. 183.

[38] OHS 1956, p. 8.

[39] Ibidem. 

[40] MR 1952, p. 135.

[41] OHS 1956, p. 9.

[42] Ibidem. 

[43] N. Giampietro, op. cit., p. 309.

[44] C. Braga, op. cit., p. 25.

[45] OHS 1956, p. 14.

[46] MR 1952, p. 141.

[47] OHS 1956, p. 11.

[48] N. Giampietro, op. cit., pp. 304-305.

[49] MR 1952, p. 137.

[50] OHS 1956, p. 15. Le texte interdit explicitement d’ajouter les anciennes oraisons prévues.

[51] C. Braga, op. cit., p. 28; N. Giampietro, op. cit., pp. 304-305.

[52] MR 1952, p. 118, p. 152.

[53] OHS 1956, p. 17.

[54] MR 1952, pp. 143-144.

[55] OHS 1956, p. 22.

[56] MR 1952, pp. 149-150.

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28 avril 2010 3 28 /04 /avril /2010 19:56

La rédaction de Disputationes theologicae, dans le cadre d’un approfondissement du débat sur la liturgie et sur ce qu’on nomme « réforme de la réforme » a choisi d’interroger l’un des plus célèbres liturgistes actuels, Mons. Nicola Bux.

Né en 1947, ordonné prêtre en 1975, il a effectué ses travaux de recherche à l’Ecumenical Institute, au Biblicum de Jérusalem et à l’Institut saint Anselme de Rome. Professeur de théologie sacramentaire à la faculté théologique de Bari, on le compte parmi les collaborateurs les plus estimés du pape Benoît XVI. Auteur de nombreuses publications en théologie dogmatique et en liturgie, il a récemment publié un ouvrage sur la doctrine liturgique du Saint Père, La réforme de Benoît XVI. Mons. Bux est aussi consulteur à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi et à la Congrégation pour la Cause des Saints, en même temps que membre du Bureau pour les Célébrations Pontificales. Il est collaborateur de la revue Communio, et l’un des spécialistes reconnus des liturgies orientales.

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  • Monseigneur, vous êtes professeur de théologie sacramentaire et en même temps l’un des experts en liturgie les plus proches du Pape : est-ce là un signe qu’il est impossible de parler de liturgie sans une doctrine théologique bien fondée ?

 

La liturgie appartient au dogme de l’Église : c’est à partir de la foi de l’Église qu’on parvient à la liturgie, et c’est par la prière qu’on parvient au dogme. Tout le monde connaît l’adage lex orandi, lex credendi : c’est à partir de notre façon de prier qu’on peut saisir en quoi nous croyons, mais réciproquement aussi c’est de notre façon de croire que découle notre façon de prier. C’est cette réciprocité qui a été exposée et sagement développée par l’encyclique Mediator Dei du vénérable Pie XII.

 

 

  • Désormais, même les plus tenaces partisans d’une « révolution permanente » en liturgie semblent céder devant les sages argumentations du Pape – comme vous l’exposez très clairement dans votre dernier ouvrage. Sommes-nous, à votre avis, devant une nouvelle (ou antique, si vous préférez) vision de la liturgie ?

 

La liturgie est par sa nature d’institution divine ; elle se fonde sur des éléments immuables déterminés par son divin fondateur. C’est précisément en raison d’un tel fondement qu’on peut affirmer que la liturgie est « de droit divin ». Ce n’est pas par hasard que les orientaux utilisent l’expression de « Divine liturgie », puisqu’elle est l’œuvre même de Dieu, l’opus Dei comme dit saint Benoît. La liturgie n’est donc pas une chose humaine. Dans le document conciliaire sur la liturgie, au n. 22 §3, il est clairement affirmé que personne, pas même le prêtre, ne peut en ajouter, retrancher ou modifier quoique ce soit. Pour quel motif ? Parce que la liturgie appartient au Seigneur. Pendant le carême nous avons lu les passages du Deutéronome dans lesquels Dieu lui-même établit jusqu’aux moindres objets du culte. Dans le Nouveau Testament, c’est Jésus lui-même qui enseigne aux disciples où et comment préparer la Cène. Dieu a le droit d’être adoré comme Il le veut et non pas comme nous le voulons nous-mêmes. Sinon l’on tombe dans un culte « idolâtrique », au sens propre du terme grec, à savoir un culte fabriqué à notre image. Lorsque la liturgie reflète les goûts et les tendances créatives du prêtre ou d’un groupe de laïcs, elle devient idolâtrique. Le culte catholique est un culte en esprit et en vérité, parce qu’il s’adresse au Père dans le Saint-Esprit, mais qu’il doit passer aussi par Jésus-Christ, il doit passer par la Vérité même. C’est pour cela qu’il faut redécouvrir que Dieu a le droit d’être adoré comme Lui-même l’a établi. Les formes rituelles ne sont pas quelque chose à « interpréter », puisqu’elles sont l’aboutissement de la foi méditée et devenue en un certain sens culture de l’Église. L’Église s’est toujours attachée à ce que les rites ne soient pas le produit de goûts subjectifs, mais précisément l’expression de l’Église entière, c’est-à-dire « catholique ». La liturgie est catholique, universelle. Donc même à l’occasion d’une célébration particulière ou en un lieu particulier, il est inimaginable de célébrer en contraste avec la physionomie « catholique » de la liturgie.

 

 

  • Il arrive qu’on rencontre aujourd’hui dans le clergé une attitude qui, bien que ne niant pas ouvertement leur efficacité, néglige cependant trop souvent l’aspect qu’on appelle “ex opere operato” du sacrement, qui est du coup ainsi réduit presque uniquement à un « symbole ». Une des causes de cette déviation n’est-elle pas la perte de la « ritualité » traditionnelle ?

 

La cause d’une telle dérive est avant tout l’oubli du fait que le culte est rendu non pas à un Dieu imaginaire, mais à un Dieu présent, un Dieu opérant : le Christ Jésus. Le n. 7 de Sacrosanctum Concilium nous explique, d’ailleurs, les modes de cette présence divine : cet article est repris presque mot pour mot de Mediator Dei, auquel il ajoute la présence dans la Parole de Dieu. Il y est clairement expliqué que la liturgie tient sa raison d’être de cette présence de Dieu ; sinon elle deviendrait autoréférentielle, elle serait vidée de son contenu.

L’oubli, la sous-évaluation de la présence du Christ – et tout particulièrement dans l’Eucharistie, où il est présent vraiment, réellement, substantiellement – est la cause du glissement dont vous parlez. Avec cette déformation, on aboutit à définir la liturgie comme un pur ensemble de symboles et de signes, comme on l’entend parfois dire aujourd’hui : dans une telle conception, il faut noter que « signe » est entendu exclusivement comme « ce qui renvoie à quelque chose d’autre », en oubliant que le signe fait un tout avec ce qu’il signifie. C’est pourtant ici qu’on entre dans le sacrement. Lorsqu’on évacue cet aspect, les sacrements sont réduits à de purs symboles, on oublie leur « efficacité » et les effets qu’ils produisent ; ce n’est plus alors le Christ qui « agit », qui « opère », par le moyen des sacrements. C’est là pourtant le sens de l’expression classique « ex opere operato », un peu étrange, mais qui signifie l’opérativité du sacrement à partir de Celui qui opère en lui. On peut donner l’exemple d’un médicament : en apparence on ne voit qu’une fiole ou une pastille ou un liquide ; or ce qui compte n’est pas seulement le symbole du remède que le médecin veut nous donner, puisque si nous les prenons ils nous guérissent, c'est-à-dire qu’on en constate les effets. Dans le sacrement, l’auteur de cet effet est le Seigneur présent et opérant dans le rite sacramentel. Saint Léon le Grand, cité dans le catéchisme de l’Eglise catholique, dit qu’après l’Ascension tout ce qui dans le Seigneur était visible sur terre est passé dans les sacrements. C’est de cette façon qu’aujourd’hui le Christ continue à être présent et visible pour nous. C’est à la lumière de ceci qu’il faut comprendre ce que saint Thomas veut dire lorsqu’il parle de « matière » du sacrement. Si on ne revient pas à ce genre de notion réaliste, il est impossible de comprendre les sacrements. La présence divine n’est pas seulement quelque chose qu’il faut envisager « symboliquement », mais elle est quelque chose qui touche l’homme par le moyen du sacrement, elle est quelque chose qui agit. Moi-même je peux attester, comme beaucoup d’autres prêtres, de la guérison de malades après qu’ils aient reçu l’Onction, et plus encore de la guérison d’une âme après la Confession ou grâce à la réception fréquente de l’Eucharistie. Les sacrements ont des effets, ils ont des conséquences en raison de la cause qui agit en eux. Ce sont les effets de la présence divine, qui est précisément ce qui opère dans la divine liturgie. Le Pape l’a exposé merveilleusement aux curés de Rome, cette année, en leur disant que le sacrement est l’introduction de notre être dans l’être du Christ, dans l’être divin lui-même.    

 

 

  • Au-delà de l’opinion de certains utopistes, qui avec peu de sens pastoral voudraient une restauration immédiate de toutes choses, comment pourrait-on agir doucement, mais fermement, dans le but d’améliorer graduellement certains aspects de la liturgie ? Comment agir dans ce processus long mais nécessaire ? Comment s’adapter à la réalité sans mille compromis ?

 

Il faut avant tout tenir compte du moment historique que nous vivons, et qui inclut une crise générale de l’autorité, qu’elle soit l’autorité du père, de l’Etat, de l’Eglise (et dans l’Église). Comme nous disions tout à l’heure le risque est l’aboutir à une conception de « self-service » dans l’Église. Nous nous trouvons aujourd’hui dans une sorte d’anomie – une absence de loi – diffuse, même si en même temps tout le monde recourt aux lois quand ses propres droits sont mis à mal.

Les droits de Dieu sont systématiquement bafoués. Comment peut-on chercher à obtenir l’observation des règles liturgiques si nous n’avons pas d’abord expliqué ce qu’est le « ius divinum » de la liturgie ? Aujourd’hui personne ne le sait plus : il faut donc avant tout faire comprendre le sens des règles. C’est un peu comme en morale, la détermination d’une loi se fonde avant tout sur la compréhension des ses principes et il est évident que lorsqu’on parle de liturgie et des sacrements il y a bien des aspects moraux. En tout premier lieu, disais-je, il est donc nécessaire de faire comprendre que le sens des règles dérive de la conviction que la « première règle » est d’adorer Dieu – Tu adoreras le Seigneur ton Dieu et tu n’auras pas d’autre Dieu que Moi. On ne peut pas fabriquer un culte à sa propre image, sinon c’est Dieu que l’on déforme. Or aujourd’hui non seulement on imagine un dieu et après on improvise un culte qui convienne à cette image, mais on va même jusqu’à imaginer d’abord un culte pour inventer ensuite le dieu qui lui correspond. L’idolâtrie signifie « idée déformée de Dieu » : c’est bien là la réalité qui nous entoure.

Le Pape Benoit XVI, dans la lettre aux évêques qui explique le sens de la révocation de l’excommunication des évêques consacrés par Mgr Lefebvre, voulait faire comprendre à ceux qui lui reprochaient de s’occuper de problèmes secondaires comme la liturgie, qu’à une époque où le sens de la foi et du sacré s’éteint partout, il est au contraire nécessaire que ce soit justement dans la liturgie que l’on trouve la façon privilégiée de rencontrer Dieu. La liturgie est et reste le lieu le plus approprié pour cette rencontre avec Dieu, et pour cela le Pape, lorsqu’il s’en préoccupe, ne traite pas de problèmes secondaires, mais bien de questions primordiales : si même la liturgie se met à parler le langage du monde, comme faire pour aider l’homme ? Quant aux utopistes, il faut leur rappeler qu’il est nécessaire de posséder ce que Benoit XVI appelle : « La patience de l’Amour ».

 

 

  • L’ancien offertoire parlait de Dieu à l’homme avec une éloquence remarquable sur la valeur sacrificielle et sur la nature de la Messe, comme sacrifice offert à Dieu. Pourrait-on penser à un correction dans ce sens du nouveau rite ?

 

Il est important que l’on connaisse de plus en plus l’ancienne Messe, dite aussi tridentine – mais qu’il serait en fait plus opportun d’appeler « de Saint Grégoire le Grand », comme l’a récemment exposé Martin Mosebach. En effet, elle a pris forme dès le Pape s. Damase et puis sous s. Grégoire le Grand, mais pas avec s. Pie V, qui n’a fait que réordonner et codifier ce qui existait déjà, en prenant acte des enrichissements des siècles précédents et en mettant de côté ce qui était tombé en désuétude. Ceci étant dit, il faut avant tout bien connaître cette Messe, dont l’offertoire est partie intégrante. Il y a eu nombre de travaux de recherche dans ce sens et beaucoup se sont interrogés sur l’opportunité de réintroduire l’ancien offertoire, auquel vous faites allusion. Cependant seul le Saint-Siège a autorité pour œuvrer en ce sens. Il est vrai cependant que la logique qui a dicté la réforme de la liturgie après le concile Vatican II a amené à simplifier l’offertoire, parce qu’on pensait qu’il y avait là plusieurs formule de prières offertoriales : c’est ainsi qu’on a introduit les deux formules de bénédiction de saveur judaïque ; la secrète – qui est devenue « prière sur les offrandes » – et l’ « orate fratres » ont été maintenus, mais on les a estimées plus que suffisantes. A vrai dire cette simplicité, entendue comme un retour à la pureté des origines, se heurte à la tradition liturgique romaine, comme avec la tradition byzantine et avec les autres liturgies orientales et occidentales. La structure de l’offertoire était vue par les grands commentateurs et théologiens du Moyen-âge comme l’entrée triomphale du Christ à Jérusalem, qui va s’immoler en offrande sacrificielle. C’est pour cette raison que les offrandes étaient déjà dites « saintes », et que l’offertoire possédait une telle importance. La simplification moderne que je viens de décrire, il est vrai, en amène aujourd’hui beaucoup à réclamer le retour des riches et belles prières du « suscipe sancte Pater » et du « suscipe Sancta Trinitas », pour n’en citer que quelques-unes.

Cependant ce ne sera que par une plus large diffusion de l’ancienne Messe que cette « contagion » de l’ancien sur le nouveau rite sera possible. C’est pour cela que réintroduire la Messe « classique », si vous me permettez l’expression, peut constituer un facteur de grand enrichissement. Il faut donc mettre en œuvre une célébration festive régulière de la Messe traditionnelle, au moins dans chaque Cathédrale du Monde, mais même dans chaque paroisse : cela aidera les fidèles à apprivoiser le latin et à se sentir membre de l’Église catholique ; cela leur permettra aussi en pratique de participer aux Messes internationales dans les grands sanctuaires. En même temps, je pense qu’il faut à tous prix éviter les réintroductions décontextualisées : je veux dire qu’il y a une ritualité qui est liée à chaque signification exprimée, et qui ne peut donc pas être réintroduite simplement en insérant une prière dans le missel. Il s’agit là d’un travail bien plus complexe.

 

 

  • La gestualité et l’orientation ont évidemment une grande importance, puisque ce que le fidèle voit est le reflet d’une réalité invisible : disposer la croix au centre de l’autel pourrait- être un moyen de rappeler à tous ce qu’est la Messe ?

 

Effectivement, la croix au centre de l’autel est le bon moyen de rappeler ce qu’est la Messe. Je ne parle pas d’une croix « minimale », mais d’une croix qui puisse être vue, c’est-à-dire dont les dimensions sont adaptées à l’espace ecclésial. Elle doit être replacée au centre, dans l’axe de l’autel, et elle doit pouvoir être vue par tous. Elle doit être le point de rencontre du regard des fidèles et du regard du prêtre, comme le dit Joseph Ratzinger dans son Introduction à l’esprit de la liturgie. Elle doit être placée au centre, indépendamment de la célébration, donc même si celle-ci est faite « vers le peuple ». J’insiste sur un croix bien visible : à quoi sert une image dont on ne peut pas profiter comme il faudrait ? Les images renvoient à leur original. Nous savons tous qu’il y a eu dans l’histoire des doctrines aniconiques, par exemple Épiphane de Salamine, ou encore les cisterciens, mais le culte des images a par la suite prévalu dans l’Église avec le concile de Nicée II en 787, sur la base de ce qui disait saint Jean Damascène : « L’image renvoie au prototype ». Cela vaut encore plus aujourd’hui dans ce que l’on appelle la civilisation de l’image. A une époque où la vision est devenue un instrument privilégié pour nos contemporains, on ne peut pas se contenter de mettre de côté une petite croix ou une esquisse illisible de la croix, mais il est nécessaire que la croix, avec le crucifix, soient bien visibles sur l’autel, quelque soit le lieu d’où on le regarde.  

 

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  • Face à la redécouverte des exigences dont vous nous avez parlé, il y a cependant l’étape difficile des choix pratiques. Comment faire ?

 

A mon avis la priorité est de faire comprendre le sens du divin. L’homme cherche Dieu, cherche le sacré et ce qui en est le signe ; dans son exigence naturelle de s’adresser à Dieu et de le vénérer, l’homme cherche à rencontrer Dieu dans les formes du rite. Si l’on déforme la véritable sacralité du culte chrétien, alors l’homme en est réduit à marcher à tâtons, et à avancer de travers, parce qu’il est lui-aussi comme perdu. Comment, alors, l’homme doit-il répondre correctement à cette exigence cultuelle envers Dieu ? Avant tout il doit pouvoir rencontrer dans l’Eglise ce qui est la définition par excellence du sacré : Jésus-Eucharistie. Le tabernacle doit donc revenir au centre des églises. Il est vrai qu’historiquement, dans les grandes basiliques ou dans les cathédrales, le tabernacle était placé dans une chapelle latérale. On sait aussi que la reforme tridentine a voulu remettre au centre le tabernacle pour s’opposer aux erreurs protestantes sur la présence véritable, réelle et substantielle du Seigneur. Mais il est vrai aussi qu’aujourd’hui la mentalité qui nous entoure conteste non seulement la présence réelle, mais la présence même du divin dans le Monde. Dans la religion, l’homme cherche naturellement la rencontre avec le divin. Mais cette présence du divin ne peut pas être réduite à quelque chose de purement spirituel : cette présence doit être « touchée » et cela ne se fait pas avec un livre. On ne peut pas parler de présence de Dieu uniquement dans les termes relatifs à la lecture des Saintes Ecritures. Certes quand la Parole de Dieu est proclamée on peut à juste titre parler de présence divine, mais il s’agit alors d’une présence spirituelle, et non pas de la présence vraie, réelle et substantielle de l’Eucharistie. D’où l’importance de revenir à la centralité du tabernacle et avec lui à la centralité du Corps du Christ présent. Ce qui occupe le centre ne peut pas être le siège du célébrant : ce n’est pas un homme qui est au centre de notre foi, mais c’est le Christ, dans l’Eucharistie. Sinon on aboutit à comparer l’église à une salle, à une tribune de ce monde, au centre duquel siège un homme. Le prêtre est le ministre, il ne peut pas être situé au centre de l’action liturgique : au centre du culte il y a le Christ-Eucharistie, il y a le tabernacle, il y a la croix. C’est de cela qu’il faut repartir, sinon on perd le sens du divin. Le tabernacle est ce qui doit attirer le regard comme ce qui est au cœur de chaque église.

 

 

  • Le Card. Castrillon dans son homélie du 24 septembre 2007 à Saint Eloi disait que l’Eglise a besoin d’instituts « spécialisés » dans la liturgie traditionnelle. Pensez-vous que les instituts aujourd’hui liés à la commission Ecclesia Dei peuvent avoir un rôle clef dans la formation des prêtres ou dans la redécouverte des richesses de la Tradition ?

 

Bien sûr! De tels instituts exercent un charisme propre, et un charisme est quelque chose qui est dans l’Église et au service de l’Église. Un diocèse peut tirer un avantage considérable du fait de se prévaloir de leur aide. L’ordre franciscain aurait-il joué le rôle qu’il a eu (en Italie, les franciscain sont à l’origine d’un grand nombre de paroisses, d’écoles et autres institutions dans tous les diocèses – NdT) si le Pape n’avait pas reconnu son importance et ne l’avait pas mis à disposition pour le bien de toute l’Eglise ?

 

 

Interview réalisée par Don Stefano Carusi

Traduction française par M. l'abbé Matthieu Raffray

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11 décembre 2009 5 11 /12 /décembre /2009 13:37

 

L'objection suivante nous a été posée, par rapport à l'interview de M. l'abbé Héry publiée sur disputationes theologicae il y a quelques mois :


"Je trouve extrêmement intéressante et stimulante la position soutenue par l'abbé Héry sur l'herméneutique de Vatican II, mais aussi quant à l'exclusivité du rite traditionnel (qu'il signale en passant comme un droit de l'IBP). Toutefois je dois vous faire part de certains doutes (...). Si l’on suit les normes du droit, il me semble qu'il soit obligatoire d'accepter le nouveau rite, et donc de le célébrer et de le concélébrer. Le Motu proprio semble aussi affirmer que celui qui célèbre selon la "forme extraordinaire" (même si cette expression me paraît inadaptée pour le "rite grégorien") ne peut pas exclure la célébration selon le Novus ordo. C'est la réponse qui nous est faite régulièrement, à nous prêtres, lorsque nous soulevons la question (...). Bien que je ne la partage pas, cette objection me semble fondée juridiquement. Je voudrais donc mieux comprendre la position de l'Institut du Bon Pasteur d'un point de vue spécifiquement juridique, relativement au droit général de l'Église (...)"

Il faut convenir que depuis sa promulgation, un certain nombre d'interprétations du Motu proprio Summorum Pontificorum ont été données, qui semblent non seulement simplificatrices, mais infondées au regard de la lettre même du texte – elles pourraient être qualifiées d'irrespectueuses, puisque les décisions législatives du Saint-Siège doivent être reçues conformément à la lettre, et autant que possible à l’esprit du législateur, et enfin de façon large.
Un climat difficile et parfois même directement hostile au Souverain Pontife, teinté d'une nostalgie de l’« épiscopalisme conciliariste », a engendré depuis 2005 d’âpres discussions à propos de la liturgie romaine. C’est sans doute ce climat de controverse qui a conduit l’autorité ecclésiastique à user de nuances dans ses décisions aussi bien que dans son vocabulaire juridique. C’est ainsi que la notion d’une « expression extraordinaire de la "lex orandi" de l’Eglise » (Summorum Pontificum, art. 1) a entrainé, dans le même document, l’appellation de « forme extraordinaire » ou d’« usage extraordinaire » pour la liturgie grégorienne. Une telle dénomination ne doit cependant pas être entendue dans le sens d’un usage seulement concédé, mais à titre marginal, secondaire ou autre, du missel traditionnel : cette interprétation serait directement opposée à la lettre du document. L’usage de l’adjectif ordinaire/extraordinaire se réfère davantage à une réalité pastorale, à la proportion de l’usage de l’une et l’autre forme dans les paroisses, et à l’accessibilité restreinte, de fait, pour tous les fidèles, du missel traditionnel. Le Souverain Pontife légifère sur une situation concrète. Il définit ces expressions en rapport à une constatation de fait, et non pas à un jugement de valeur. Comme l'avait déclaré Jean-Paul II le 27 septembre 2001, et selon le texte de Summorum Pontificorum, le rite antique qui est celui de l’Église depuis des siècles, doit bien au contraire être considéré comme "l'essence de la liturgie".

Une fois dissipés ces malentendus sur le vocabulaire, il reste que l’objection rapportée ci-dessus mérite d’être prise au sérieux : l’abbé Christophe Héry revient ici sur la question de l’usage exclusif du missel de 1962 au sein de l'Institut du Bon pasteur, sous son aspect strictement juridique, en montrant comment cette spécificité est pleinement reconnue par le droit positif de l’Église, contrairement à ce qui est trop souvent affirmé.

 

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Le charisme liturgique de l’Institut du Bon Pasteur
dans le droit de l'Eglise

  par M. l'abbé Christophe Héry

« Il existe dans l’Église de très nombreux instituts de vie consacrée,

munis de dons différents selon la grâce qui leur a été donnée ».

Code de Droit canonique, Can. 577.

 

« Denique membris huius Instituti [a Bono pastore]

ius confert Sacram celebrandi Liturgiam, et quidem ut eorum ritum proprium,

utendo libris liturgicis […]anno 1962 vigentibus […] »

(Décret d’érection de l’IBP, 8 sept. 2006)

 

On parle couramment de « charisme » d’une communauté. Mais le terme « caractère propre », appliqué à toute œuvre apostolique (tel un institut de vie apostolique comme l’IBP), est le terme juridique approprié du Code de Droit canonique. Selon le juriste Roger Paralieu, quoique le vocable « charisme » n’ait pas été retenu par le Code, « la réalité du charisme au sens paulinien est bien présente : il s’agit d’un don fait à quelques uns pour le service de tous[1]».


1. Une spécificité reçue de l’Église, pour son service


Le Code insiste sur  cette « spécialité » propre aux instituts, soumis au Saint Siège « en tant qu’ils sont destinés de façon spéciale au service de Dieu et de l’Église tout entière » (Can. 590 §1). Autrement dit la singularité même du caractère de chaque institut, approuvée par l’autorité suprême, est un don reçu de l’Église ; cette spécificité est ici reconnue comme un service utile et bon, non seulement pour les membres de la communauté mais pour le bien de l’Église entière et pour son unité. Celle-ci unit les charismes qu’elle suscite en préservant leur spécificité.

Le terme « caractère propre » apparaît par exemple au canon 394 §1, dans la partie qui traite du gouvernement des évêques :

« L’Évêque favorisera les diverses formes d’apostolat dans son diocèse, et veillera […] à ce que toutes les œuvres d’apostolat soient coordonnées sous sa direction, en respectant le caractère propre (servata propria indole) de chacune d’elle[2]. »

Voici posée par le Code cette notion dans son contexte vivant. Le canon 680 donne le même écho : l’évêque y est tenu de respecter « le caractère et le but de chaque institut ». D’autres canons parlent équivalemment de « vocation propre et d’identité de chaque institut », que l’on doit veiller toujours à « protéger  plus fidèlement » (Can. 587 §1).

Le droit le mieux établi oblige donc explicitement tout un chacun, y compris les ordinaires, à ne pas nier ni mépriser cette identité ou caractère propre à chaque œuvre (société de vie, ou confrérie apostolique, etc.), mais au contraire à le respecter, mieux encore à le protéger, tout en favorisant dans l’harmonie la diversité des charismes.

Cette fidélité au caractère propre d’une œuvre approuvée engage non seulement ses membres, mais elle engage aussi toute l’Église, qui doit veiller à sa croissance harmonieuse :

« Il appartient à l’autorité compétente de l’Église […] de veiller, pour sa part, à ce que les instituts croissent et fleurissent selon l’esprit des fondateurs et les saines traditions » (Can. 576).

 

2. Le caractère propre dans les constitutions et la pensée des fondateurs

Comment ce caractère propre se définit-il juridiquement ? D’une manière très naturelle, par :

« La pensée des fondateurs et leur projet, que l’autorité ecclésiastique compétente a reconnus concernant la nature, le but, l’esprit et le caractère de l’institut, ainsi que les saines traditions, toutes choses qui constituent le patrimoine de l’institut [et] doivent être fidèlement maintenues par tous »  (Can. 578).

Parmi les communautés nouvelles, la Commission Ecclesia Dei regroupe celles dont le charisme principal est d’avoir opté, parfois contre vents et marées, pour la liturgie traditionnelle – ou « forme extraordinaire » du rite romain. Comme le déclarait à la paroisse Saint-Eloi de Bordeaux le cardinal Hoyos en septembre 2007, ces instituts sont bel et bien « spécialisés » pour la vie liturgique selon les livres de 1962, au service des fidèles et au sein des diocèses. Ce choix liturgique détermine donc leur identité, commune à ces communautés, chacune d’elle se distinguant par ailleurs des autres. Ainsi, appartenant au « genre » des communautés Ecclesia Dei, l’IBP se distingue par une différence spécifique qu’il convient de ne pas gommer.

C’est d’abord dans le décret d’érection, dans les constitutions, puis par l’histoire de la fondation, qu’on trouve la trace, voire la définition du caractère propre. En particulier, la spécificité liturgique et pastorale de l’IBP est connue, marquée dans ses textes fondateurs :

« Le rite propre de l’Institut [du Bon Pasteur], dans tous ses actes liturgiques, est le rite romain traditionnel, contenu dans les quatre livres liturgiques en vigueur en 1962, à savoir le pontifical, le missel, le bréviaire et le rituel romain », (Statuts de L’IBP, a1 § 2).

 

Cet usage liturgique, qui constitue un véritable droit propre (antérieur ici au droit généralisé promulgué par Benoît XVI le 07/07/2007), est précisé pour l’IBP et pour chacun de ses membres par un pouvoir de célébrer cette liturgie « comme leur rite propre », selon les termes exacts du décret d’érection, rédigé et signé par le Saint Siège le 8 septembre 2006.

L’expression « comme leur rite propre » du décret d’érection, qui condense l’intention du Saint Siège, revêt toute la force de l’analogie juridique. En effet, un prêtre catholique de rite grec, syriaque ou maronite n’est pas habilité à célébrer autrement que selon son rite propre, où qu’il se trouve. De fait, le Motu proprio Summorum Pontificorum du 7 juillet 2007, postérieur aux statuts de l’IBP, emploie la terminologie nouvelle « forme extraordinaire » du rite romain, pour désigner l’emploi du missel de 1962. Puisqu’il ne s’agit pas d’un rite distinct au sens strict, mais simplement d’une forme du rite romain, il faut donc interpréter ici le §2 des statuts de l’IBP dans le sens d’un usage propre et non optionnel : selon les termes du décret d’érection, cet usage confère un « droit » propre et oblige les membres de l’IBP, « comme leur rite propre ».

C’est pourquoi le second article des statuts approuvés par l’autorité suprême précise encore, s’agissant de la finalité de l’IBP, que celle-ci suppose :

« une fidélité envers le Magistère infaillible de l’Eglise et l’usage exclusif de la liturgie grégorienne [Livres liturgiques de 1962] dans la digne célébration des Saints Mystères » (Statuts de l’IBP, a2 §2).

 

Selon la même analogie juridique, on observera que le droit propre qui régit l’IBP pour l’ensemble des sacrements, suit également les termes du canon 846 §2 : « Le ministre célèbrera les sacrements selon son rite propre ». Il n’y a pas d’exception prévue à cet usage. Le même décret d’érection confère aux membres de l’IBP un droit équivalent à celui d’un rite propre, qui s’étend au rituel des sacrements et au pontifical de 1962.

Le charisme propre de l’IBP inclut donc le droit de l’usage unique de la forme traditionnelle du rite romain, dite « extraordinaire », et la découverte de la beauté de ce patrimoine liturgique grégorien, proposée au service des paroisses, des écoles, etc., sans mélange ni juxtaposition des deux formes (pour les membres de l’institut). Il n’empêche évidemment pas qu’un prêtre de l’IBP puisse recevoir la mission de célébrer selon la forme extraordinaire dans une église où l’autre forme est aussi célébrée.

Le Code insiste par ailleurs sur l’engagement et la fidélité des membres à suivre le « droit propre » de leur institut :

« De même, tous les membres doivent non seulement observer fidèlement et intégralement les conseils évangéliques, mais aussi régler leur vie suivant le droit propre de l’institut et tendre ainsi à la perfection leur état. » (Can. 598 § 2).

 

Il est bien évident que la fidélité des membres de l’IBP à ce « droit propre » inclut les normes liturgiques propres indiquées dans le Décret et les Constitutions de l’Institut. En effet, selon la suite immédiate de l’article 2 des statuts cité ci-dessus, la célébration liturgique est directement liée à la sanctification et la perfection de leur état :

« Ses membres puiseront dans la célébration quotidienne de la Sainte messe pour ses membres prêtres (ou dans l’assistance à celle-ci pour ses membres non prêtres) l’efficacité inépuisable et toujours renouvelée de leur ministère extérieur. Les prêtres, se rappelant chaque jour le privilège unique de leur conformité à Notre Seigneur Jésus-Christ dans la célébration du Saint Sacrifice, vivront eux-mêmes de ce trésor précieux » (Statuts de l’IBP, a1 §2).

Le caractère propre de l’IBP, fondé sur l’usage liturgique traditionnel, n’est donc pas une fiction, ni une option, ni une notion canoniquement floue ; il confère selon le Code un véritable « droit propre », qui induit en contrepartie l’obligation de respecter ce droit approuvé par l’autorité suprême à travers le Décret, les Statuts,  les Constitutions et les « saines traditions » de l’œuvre, en harmonie avec le droit général de l’Église.


 
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3. La spécificité liturgique du Bon Pasteur

et le Motu Proprio de SS Benoît XVI, Summorum Pontificorum


Cependant, se pose concrètement une série de questions, souvent soulevées au sujet de l’IBP. Ce droit propre serait-il réservé à l’usage interne, dans les maisons de l’Institut, ou bien est-il étendu en tout lieu (chapelle, paroisse…) où ces prêtres sont appelés pour une mission pastorale ? La question mérite d’être soutenue.

En effet, dans un contexte ecclésial marqué par de vives blessures, l’interprétation du caractère propre de l’IBP soulève parfois des difficultés. Paradoxalement, il arrive que soit opposée à cette spécificité statutaire une lecture défavorable du nouveau droit établi le 7 juillet 2007 par le Motu proprio Summorum Pontificorum de Benoît XVI. Ce texte de loi, promulgué en faveur de la liturgie traditionnelle, ne saurait pourtant être invoqué comme s’il minimisait ou restreignait le droit statutaire de l’IBP, ou des autres communautés relevant de la commission Ecclesia Dei.

Car le Motu proprio de 2007, tout d’abord abroge explicitement le précédent de 1988, et par ailleurs ne contredit en rien le droit général de l’Église (par ex. le canon 394 §2 cité plus haut, toujours en vigueur). Il confirme et garantit le caractère et le droit propre de l’IBP : celui de célébrer uniquement selon l’ordo de 1962, comme un rite propre à ses membres, en tout lieu, comme nous l’allons montrer sur l’heure en réponse à deux questions récurrentes.

 

1- Le Motu Proprio du 7 juillet 2007 confirme le droit propre de l’IBP

Première question : l’égalité de droit positif des formes liturgiques (ordinaire et extraordinaire), posée par le Motu Proprio de Benoît XVI, est-elle compatible avec les statuts de l’IBP, puisque ceux-ci, au dire de quelques uns, sembleraient « interdire » à ses membres la célébration dans la forme ordinaire ?

Tout d’abord, il est évident que nulle part dans les statuts de l’Institut ni dans le décret d’érection, ni dans les textes d’engagement, ne figure le moindre soupçon sur l’égalité de droit positif des deux formes du rite romain, ni sur la licéité de la liturgie de Paul VI, pas plus que sur sa validité et sa sainteté objective (la consécration valide) – toutes choses bien évidemment reconnues par les membres fondateurs de l’IBP. 

Mais surtout, où trouve-t-on dans le Motu proprio de 2007 qu’il soit question d’obliger aucun prêtre à célébrer (a fortiori à concélébrer) selon l’ordo de Paul VI ? C’est justement l’inverse qui est posé : ce document législatif a levé l’obligation générale qui pesait depuis 1969/70 (sauf dérogation restreinte, à partir de 1984), de célébrer exclusivement selon la forme ordinaire du rite. Il fait droit à tout prêtre de préférer – et de choisir en conscience – la célébration du missel de 1962 sans être contraint, en fonction des diverses situations canoniques (prêtre diocésain, religieux, ou membre d’un institut). C’est le principe général du droit promulgué par ce texte.

Il faut donc répondre que chacun des membres de l’IBP a embrassé les statuts, le droit et le caractère propres de l’IBP, approuvés par le saint Siège, par un choix libre et personnel de la  seule forme extraordinaire du rite dont le Motu proprio reconnaît le plein droit. Ce caractère propre n’est pas un « interdit », mais un engagement et une garantie que ce droit posé par le Saint Siège puisse être protégé et respecté par tous, dans le cadre d’un institut de vie apostolique prévu et codifié par le droit général de l’Église (DC canons 394 §1, 576-578, 587, 598, 680, 776).

 

2- Le droit de choisir en pratique la seule forme liturgique traditionnelle 

Une seconde question sur l’identité propre du Bon Pasteur, pourtant dûment légitimée par l’autorité suprême, se pose ainsi : qui célèbre en pratique seulement la messe traditionnelle ne serait-il pas suspect d’exclure « par principe » l’ordo de Paul VI ?

Si l’on se réfère en effet à la lettre aux évêques, commentaire accompagnant le texte de loi de Benoît XVI du 07/07/07, le Pape y précise qu’il ne faudrait pas « non plus, par principe, exclure le célébration selon les nouveaux livres. L’exclusion totale du nouveau rite ne serait pas cohérente avec la reconnaissance de sa valeur et de sa sainteté » ; nul ne peut, en effet, contester la licéité de la liturgie que le Saint Père désigne ici par l’expression « nouveau rite » (cette lettre en marge du Motu proprio n’est pas un texte juridique), ni mettre en cause « par principe » sa validité sacramentelle, ou encore sa sainteté objective – celle de la présence réelle dans l’Eucharistie consacrée ; ou encore condamner les prêtres qui la célèbrent, ou se couper d’eux et de leurs fidèles… Ce serait pécher contre l’unité de l’Église. Mais peut-on alléguer, à l’encontre du caractère propre de l’IBP, cette lettre du Pape aux évêques abusivement transformé en « loi des suspects » ? Non, bien sûr.

D’une part, l’IBP n’a jamais mis en cause ces points de « principe » énumérés ci-dessus et s’est au contraire engagé à les reconnaître ; d’autre part, l’allégation est en soi non pertinente. En effet, ce terme « exclusion totale » employé par Benoît XVI en commentaire (et non dans le texte du Motu Proprio, qui seul d’ailleurs a force de loi), ne se réfère pas à la pratique, même exclusive de l’une ou l’autre forme, mais précisément à une exclusion de « principe » de l’une ou de l’autre, c’est-à-dire pour des raisons qui mettraient en cause la validité ou la sainteté objective du « nouveau rite ». Dans la pratique en revanche, le Motu proprio lui-même établit un plein droit, quant au choix en conscience, exclusif ou non, de la forme liturgique.

Comme le soulignait Jean Madiran (Présent,14/07/2007), rien n’indique, dans les normes obligatoires du Motu Proprio, qui seul fait loi, un lien canonique entre le fait de célébrer exclusivement l’une des deux formes (ce qu’il n’interdit nulle part), et le soupçon de refuser l’autre forme « par principe », comme on a vu précédemment. Ce Motu Proprio, si important pour l’unité de l’Église et pour sa liturgie, a rendu facultative par principe la célébration dans la forme ordinaire.

D’ailleurs, ceux qui commettent cet argument inamical à l’encontre l’IBP ne prennent pas garde qu’il est retournable : à ne jamais célébrer en pratique la forme liturgique traditionnelle de 1962, s’exposerait-on au soupçon de refus de sa licéité, de sa valeur et de sa sainteté qui lui sont désormais pleinement reconnues par Benoît XVI ? Ou encore au soupçon de « considére[r] comme néfaste » « ce qui était sacré pour les générations précédentes », selon la mise en garde de Benoît XVI dans la même lettre aux évêques ?... Évidemment, cela n’aurait pas de sens. Le Motu Proprio lève un interdit vieux de 37 ans : ce n’est certes pas pour rétablir une obligation, ni une loi des suspects, mais pour rendre une faculté et même un droit.

Reste le domaine pratique. Il peut être régi par la fameuse demande des fidèles constitués en « groupe stable » (Sum. Pont. a5) ; mais cette condition, tout à fait suffisante pour leur faire droit et trop peu respectée encore, malheureusement, n’est pas absolument pas posée par le Motu proprio comme une condition nécessaire.

Il existe un large espace facultatif laissé aux curés de paroisse pour proposer la forme extraordinaire, sans qu’une demande groupée des fidèles soit nécessairement organisée. Par exemple, un curé n’est pas empêché par le Motu Proprio de proposer la forme  extraordinaire à ses ouailles, à titre de découverte, dans le respect de l’égalité de droit positif des formes liturgiques et de l’harmonie pastorale – même sans qu’un « groupe stable » nombreux s’organise spontanément pour en faire la demande. Plusieurs le font avec succès, lorsque leur ordinaire ne les bride pas. Nul besoin d’être diplômé d’HEC pour savoir que c’est souvent l’offre qui crée la demande…

 

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3- Un travail d’étude comparative sur la forme ordinaire, en vue d’une réforme, est-il légitime ?

Quant à l’idée de réformer la forme ordinaire des rites, l’ouvrage récent de Mgr Nicola Bux[3], proche du pape, en offre l’illustration. C’est en vertu d’une amélioration pastorale, voire d’une rectification au plan de l’expression liturgique du Mystère de la foi, que cette idée d’une discussion réformiste progresse dans l’entourage du Saint Père, comme il est apparu sous sa motion depuis le synode de novembre 2005. Il va de soi qu’une telle discussion théologique comparative, aux fins de mettre en évidence des améliorations possibles de la forme actuelle de l’ordo de Paul VI, n’est pas soupçonnable d’une volonté prochaine d’« exclusion totale » et « par principe » de la forme ordinaire du rite, même si elle doit aboutir à son remplacement par une autre forme : le Saint Siège lui-même la souhaite. Du reste, un tel débat théologique qui respecte la foi, le Saint Père et la tradition, est évidemment libre et légitime.

Tout comme au sujet de Vatican II, cette discussion constructive sur la liturgie de Paul VI et sa réforme possible, d’ordre pastoral, historique ou théologique, est donc ouverte et aujourd’hui admise. Dans le respect de l’égalité de droit positif des deux formes et dans la soumission au  Saint Père, le débat fondamental (sans vaine polémique) sur la forme ordinaire est revêtu d’une entière légitimité.

On se souvient par ailleurs que le cardinal Ricard, alors président de la Conférence épiscopale de France, publiait en même temps que le décret d’érection de la paroisse personnelle Saint-Eloi à Bordeaux, déterminée par l’usage liturgique traditionnel, une lettre en présentant « le sens et la portée ». Il citait un document, important pour la définition du caractère propre de l’IBP : l’acte d’adhésion solennel des membres fondateurs :

« Lors de la création à Rome de l’Institut du Bon Pasteur, le 8 septembre dernier, les prêtres de cet Institut ont déclaré « accepter la doctrine, contenue dans le n°25 de la Constitution dogmatique « Lumen Gentium » du Concile Vatican II sur le Magistère de l’Eglise et l’adhésion qui lui est due. » Ils ont accepté aussi de préciser : « A propos de certains points enseignés par le Concile Vatican II ou concernant les réformes postérieures de la liturgie et du droit, et qui nous paraissent difficilement conciliables avec la Tradition, nous nous engageons à avoir une attitude positive d’étude et de communication avec le Siège Apostolique, en évitant toute polémique. » (Acte d’adhésion). Il est donc possible, en fidélité au Magistère actuel, de pouvoir parler avec les membres de l’Institut et avec les fidèles qui les rejoignent, des différents points qui leur font difficulté dans le Concile Vatican II [mais aussi dans la liturgie]. La vérité de la communion est à ce prix. » (Cardinal J.-P. Ricard, 2 février 2007).

Il s’agit là pour l’IBP d’un acte d’adhésion qui concerne aussi bien la messe que le concile. La « vérité de la communion », qui est « à ce prix », non seulement n’exclut pas la légitimité d’une étude positive (pastorale, historique, théologique…), mais la requiert, touchant dans le nouveau rite les points et les orientations susceptibles d’une réforme (comme par exemple l’offertoire, l’orientation de l’autel, etc.). Il s’agit d’un engagement pris par l’IBP. Cet engagement fondateur fait aussi partie de son caractère propre, qui doit canoniquement être respecté par tous.

 

Conclusion

Le caractère propre de l’IBP, institut liturgiquement « spécialisé » parmi d’autres, ne se limite évidemment pas à la défense du droit liturgique, mais il est fondée sur elle : animer paroisses, écoles, œuvres de rayonnement apostolique, doctrinal ou culturel, etc., dans l’esprit du Christ Bon Pasteur, et dans l’usage propre et exclusif du rite romain, selon la forme extraordinaire.

Quoiqu’il en soit, la paix, l’harmonie et la charité ne peuvent fleurir que dans un respect mutuel et sincère, non seulement des sensibilités mais aussi du droit liturgiques. Si donc un ordinaire souhaite faire appel à un prêtre de l’IBP pour un apostolat paroissial ou autre, il est instamment invité à le missionner dans l’idée de « favoriser les diverses formes d’apostolat »,  et « de veiller, pour sa part, à ce que les instituts croissent et fleurissent selon l’esprit des fondateurs et les saines traditions » (Can. 576).

L’exemple de Bordeaux où se trouve la maison mère de l’IBP est rare et significatif (ainsi que celui de Chartres qui abrite le séminaire de l’IBP). On ne peut en effet que saluer l’application exemplaire faite en ce diocèse de la loi de l’Église, qui invite les évêques à « favoriser[ ] les diverses formes d’apostolat dans son diocèse, et veiller[…] à ce que toutes les œuvres d’apostolat soient coordonnées sous sa direction, en respectant le caractère propre de chacune d’elle » (Canon 394 §1 déjà cité). Les prêtres de l’Institut ont le même engagement vis à vis de tous, de respecter ce caractère propre de l’IBP, si manifestement fructueux à bord de la Maison Mère, en la paroisse Saint-Eloi.

 

Abbé Christophe Héry

 

 

 



[1] Roger Paralieu, Guide pratique du Code de Droit canonique, Tardy, 1985, p. 201.

[2] Canon 394 §1, DC 1983, éd. Centurion-cerf-Tardy, p. 71.

[3] Nicolas Bux, La Réforme de Benoît XVI. La liturgie entre innovation et tradition, préf. Mgr Marc Aillet, éd. Tempora, 2009. L’auteur s’exprime clairement : « La réforme consiste à retirer ce qui ne convient pas, afin que la noblesse de la forme apparaisse, et que resplendisse ainsi le visage de l’Église et, avec elle, le visage du Christ. »

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5 novembre 2009 4 05 /11 /novembre /2009 13:45

Les dérives actuelles dans le domaine liturgique nous invitent à une recherche  plus approfondie des causes et des solutions possibles à ce problème. La première perspective ne peut être que théologique : le problème liturgique, qui préoccupe tant aujourd'hui les autorités ecclésiastiques, et le Saint Père en premier lieu, a, dans ses manifestations visibles parfois si effrayantes, une racine théologique. A la base de la débâcle contemporaine, désormais évidente pour tous, il y a dans une certaine mesure une atténuation de la véritable nature du sacrifice eucharistique, qui porte à considérer la Messe de façon partielle, quand ce n'est pas de façon totalement erronée.

L'urgence actuelle est avant tout de repositionner la question dans le cadre d'une théologie rigoureuse, fondée sur le Magistère infaillible, pour ensuite se tourner vers la recherche de solutions pratiques aux problèmes particuliers apparus durant les quarante dernières années.

L'analyse qui suit cherche à aborder la question relative à l'efficacité sacrificielle de la Messe, indépendamment de l'état de grâce des fidèles ou du célébrant lui-même, et indépendamment de la communion sacramentelle : la lumière de saint Thomas sera, encore une fois, le phare qui permet d'éclairer cette question complexe, qui doit retourner aujourd'hui, à cause de ses implications, au centre du débat.

 


Sacrosanctum Concilium
et les fruits sacrificiels de la Messe

par M. l'abbé Matthieu RAFFRAY



1. But et limites du renouveau conciliaire en matière de participation eucharistique

La constitution conciliaire Sacrosanctum Concilium sur la liturgie est souvent présentée comme une volonté de dépasser le formalisme excessif qui caractérisait la liturgie post-tridentine, au profit d’une participation plus « consciente, active et fructueuse »(1) du Peuple de Dieu au mystère qui se réalise dans les sacrements, en particulier dans le cas de l’Eucharistie. L’un des principaux rédacteurs du texte, Mgr Ferdinando Antonelli, explique que cette préoccupation était le but même du renouveau envisagé par le Concile : « Le but du renouveau liturgique, évoqué dans la Constitution, est essentiellement de conduire de nouveau les fidèles à une participation consciente et active à la vie liturgique, en particulier à la messe qui est le centre de la liturgie »(2). Ce renouveau voulait en premier lieu se démarquer des lacunes de la liturgie de l’époque tridentine : « La conception que les Pères de Trente avaient de la liturgie présente assurément des éléments positifs, mais elle était désormais décidément dépassée », à cause de son manque de scientificité critique, à cause de l’importance attribuée à l’aspect extérieur des cérémonies « au détriment de l’âme de la liturgie », de « l’attachement à l’aspect secondaire du rite » ou encore d’une « véritable cristallisation des rites et des rubriques, ce qui nuit à la participation des fidèles, tout en étant contraire à la nature de la liturgie ». Toutes ces causes auraient abouti, selon Antonelli, à la cléricalisation de la liturgie : « Les fidèles sont de simples spectateurs obligés d’assister sans comprendre et sans prendre part à ce qui se déroule » (3). Dans le cas de la liturgie eucharistique, en vue de mettre en œuvre le renouveau souhaité, le texte conciliaire recommande donc fortement « cette parfaite participation à la messe qui consiste en ce que les fidèles, après la communion du prêtre, reçoivent le corps du Seigneur dans le même sacrifice »(4). Dans le même sens, les Pères conciliaires insistent sur la valeur communautaire de la Messe, et favorisent les liturgies célébrées autour de la communauté réunie, au détriment des « messes privées »(5).

Les réformes qui ont suivi le texte, plus de quarante cinq ans après la promulgation de Sacrosanctum Concilium, ont montré, dans leur application concrète, un certain nombre de limites : c’est le constat que faisait le pape Jean-Paul II lui-même, en mettant en relation dans son ultime encyclique « la réforme liturgique du Concile » et « une compréhension très réductrice du Mystère eucharistique » : « Il n'y a pas de doute que la réforme liturgique du Concile a produit de grands bénéfices de participation plus consciente, plus active et plus fructueuse des fidèles au saint Sacrifice de l'autel […] Malheureusement, les ombres ne manquent pas. Il y a en effet des lieux où l'on note un abandon presque complet du culte de l'adoration eucharistique. À cela s'ajoutent, dans tel ou tel contexte ecclésial, des abus qui contribuent à obscurcir la foi droite et la doctrine catholique concernant cet admirable Sacrement. Parfois se fait jour une compréhension très réductrice du Mystère eucharistique. Privé de sa valeur sacrificielle, il est vécu comme s'il n'allait pas au-delà du sens et de la valeur d'une rencontre conviviale et fraternelle. De plus, la nécessité du sacerdoce ministériel, qui s'appuie sur la succession apostolique, est parfois obscurcie, et le caractère sacramentel de l'Eucharistie est réduit à la seule efficacité de l'annonce. D'où, ici ou là, des initiatives œcuméniques qui, bien que suscitées par une intention généreuse, se laissent aller à des pratiques eucharistiques contraires à la discipline dans laquelle l'Église exprime sa foi. Comment ne pas manifester une profonde souffrance face à tout cela ? L'Eucharistie est un don trop grand pour pouvoir supporter des ambiguïtés et des réductions » (6).

La praxis liturgique actuelle, qui ne peut être réduite à des cas particuliers – surtout s’il s’agit d’abus – reflète néanmoins une certaine perception, tant par les fidèles que par le clergé, de la nécessité, de la fin et de l’efficacité de l’action eucharistique, et donc une certaine théologie sacramentelle : nombre de pratiques liturgiques habituelles, ainsi que les abus et dérives qui sont encore courantes aujourd’hui, reflètent donc finalement une baisse du profit spirituel lié aux fruits de l’Eucharistie. Ces pratiques, si elles ne répondent pas à une stricte mise en œuvre des directives conciliaires, et moins encore à l’intention des Pères du Concile, sont néanmoins caractéristiques d’un manque de clarté théologique, qu’il faut peut-être attribuer au texte du Concile, dans la mesure où c’est le sens même du mystère eucharistique qui semble se voiler.

Le souci conciliaire de replacer au centre de l’action liturgique la participation des fidèles en vue de prendre part plus parfaitement aux fruits de la Messe nous amène donc ici à nous interroger sur l’efficacité du sacrement de l’Eucharistie, c’est-à-dire sur la façon et la mesure selon laquelle le Peuple de Dieu bénéficie des fruits d’une célébration eucharistique. Comme nous l’avons dit, les auteurs de Sacrosanctum Concilium ; en vue de dépasser une telle opposition, il peut être utile d’interroger, à nouveaux frais, la théologie sacramentaire de saint Thomas d’Aquin : une lecture approfondie des articles de la IIIa pars concernant le sacrement de l’Eucharistie, lecture effectuée dans l’optique particulière des conditions de la fécondité sacramentelle, nous permettra de saisir en quelle mesure et dans quels cas les fruits de l’Eucharistie sont produits, et à quelles conditions ils s’appliquent. Cette relecture nous permettra, en conclusion, de mettre en évidence le lien entre pratique liturgique et théoloige sacramentaire. avaient la volonté de se démarquer nettement de la liturgie post-tridentine, à leurs yeux trop formaliste, au détriment de la finalité eucharistique

 

2. L’efficacité sacramentelle chez saint Thomas d’Aquin

La structure même du traité De sacramentis in genere, aux questions 60-65 de la IIIa Pars met en évidence les fondements de la théologie sacramentaire thomasienne : la question 62 traite de « l’effet principal des sacrements, qui est la grâce » et la question 63 porte sur « l’effet second du sacrement, qui est le caractère ». Ces deux éléments, grâce et caractère, permettent à saint Thomas d’articuler, tout au long du traité, formalité et finalité des sacrements, autour de la question primordiale de l’efficacité des signes sacramentels et de leur condition de réalisation fructueuse : l’enjeu d’une telle mise en œuvre est loin d’être anodin – c’est ce que nous voulons montrer ici, en particulier par comparaison avec le texte des Sentences. On sait que c’est en adoptant la doctrine de la distinction entre opus operatum et opus operantis (ou opus operans) – consacrée plus tard par le Concile de Trente sous la forme ex opere operato (9) – que saint Thomas différenciait dans son Commentaire des Sentences la valeur objective du sacrement des effets liés aux mérites du ministre qui l’accomplit. C’est précisément en tant que les sacrements sont cause instrumentale de la grâce que cette distinction est possible : l’efficacité du sacrement ne dépend pas du ministre qui le réalise comme de sa cause principale, mais bien plutôt de Dieu, dont l’action est infaillible. Cette double causalité entraîne un double niveau d’efficacité qu’il faut caractériser clairement, car l’instrument peut, s’il est mal utilisé, mal disposé ou s’il est défectueux, constituer un obstacle à l’efficacité divine. Cela est clair lorsqu’on compare l’efficacité des sacrements à celle de la prière :

« Dans la prière, celui qui prie est comme l’agent principal, et non pas seulement comme un agent instrumental. En donc pour que la prière soit efficace, est requis ce qui relève de l’effet ex opere operante, et non pas seulement de l’ex opere operato, comme c’est le cas pour les sacrements »(10).

Ainsi donc, la grâce est causée instrumentalement dans l’âme, ex opere operato, dès que le sacrement est réalisé par le ministre dans les conditions requises (matière, forme et intention), et donc indépendamment de sa qualité propre et de sa dévotion personnelle. C’est qu’il faut entendre cette expression conformément à l’intention du Docteur angélique, non pas au sens d’une efficacité infaillible, comme magique, mais bien au sens d’une efficacité per se, au sens où l’inefficacité d’un sacrement, lorsqu’il est valide, ne peut venir que d’un obex extérieur qui empêche la grâce de s’appliquer à l’âme. Cette remarque est d’une importance capitale, car elle laisse ouverte la question de l’application des fruits du sacrement, dans le cas où il rencontre un tel obstacle. Les textes du Commentaire manquent, sur ce point, de précision.

Paradoxalement, dans la Somme de Théologie, l’expression ex opere operato n’apparaît pas une seule fois, bien que la même doctrine de la causalité instrumentale y soit largement développée. La raison en est, à notre sens, la systématisation doctrinale qui caractérise ce traité, et qui est la principale innovation par rapport aux traités correspondants du Commentaire des Sentences et de la Somme contre les Gentils (11) ; dans notre texte, saint Thomas traite de façon organique des sacrements en général, dès la première question du traité, autour de la distinction entre les deux aspects sous lesquels l’usage des sacrements doit être étudié : le culte divin et la sanctification de l’homme.

« On peut considérer deux aspects dans la pratique des sacrements : le culte divin et la sanctification de l’homme. Le premier point de vue regarde l’homme dans ses rapports avec Dieu. Le second, à l’inverse, regarde Dieu dans ses rapports avec l’homme »(12).

S’il place l’aspect de sanctification en tête de son traité (la grâce est « l’effet principal du sacrement »), il n’accorde cependant pas une place moindre à l’autre aspect, puisque la dimension cultuelle des sacrements découle directement de l’action de Dieu dans l’âme. On comprend là l’importance de la doctrine du caractère sacramentel imprimé dans l’âme : non point pour le profit spirituel de celui qui le reçoit, mais bien plutôt pour accomplir validement les actions cultuelles que le Christ a instituées et choisies. Le caractère est ainsi la marque de notre députation par Dieu à lui rendre un culte en esprit et en vérité, aspect ascendant de la finalité des sacrements, inséparable de son aspect descendant, la sanctification de l’âme. L’une et l’autre finalité, sanctification et culte, ne peuvent être dissociées, car elles trouvent leur fondement dans les signes sacramentels : « les sacrements de la foi sont simultanément signes de la sanctification et signes du culte. La sanctification et le culte sont rendus efficaces selon l’économie de la signification sacramentelle ; seule la notion de signe permet leur connexion […] L’homme du culte de la loi nouvelle n’est donc pas seulement récepteur des signes sacramentels, mais il est encore, en vertu de la dimension cultuelle inhérente à ses signes, sujet des actions liturgiques »(13).

On peut donc affirmer que l’introduction de la finalité cultuelle de la sacramentalité est le « motif-clef de la dernière symphonie sacramentelle de Thomas »(14), au sens où elle donne une perspective plus complète de l’ensemble de la théologie sacramentelle, et permet ainsi de mieux saisir l’articulation entre fructuosité et efficacité des sacrements. Thomas va appliquer cette double finalité, c’est ce que nous allons voir maintenant, à la résolution des problèmes concrets liés à la fécondité sacramentelle.

 

3. La double finalité sacramentelle dans le cas de l’Eucharistie

« Le sacrement qui concerne le culte divin dans l’action sacramentelle elle-même, c’est l’Eucharistie en quoi consiste comme en son principe le culte divin, en tant qu’elle est le sacrifice de l’Église »(15).

En caractérisant de la sorte le sacrement de l’Eucharistie, saint Thomas le place résolument au cœur de la double finalité des sacrements, culte et sanctification. C’est là que se réalise le plus pleinement et le plus parfaitement tant le « principe » du culte divin, puisque c’est le sacrifice de l’Église, que la sanctification la plus authentique, puisqu’il procure à l’âme la source et la cause même de toute grâce. C’est d’ailleurs en raison même de cet aspect cultuel que le sacrement de l’Eucharistie est le plus important du septénaire(16).

L’argument est de taille, et il implique dans le traité thomiste un certain nombre de conséquences importantes. En particulier quant à l’opportunité de célébrer l’Eucharistie, que saint Thomas rapporte directement à cette double finalité, pour en déduire qu’un prêtre ne peut s’abstenir de célébrer totalement, même s’il n’a la charge d’aucune âme, car il en est obligé envers Dieu : « l’opportunité  d’offrir le sacrifice n’est pas à considérer seulement par rapport aux fidèles du Christ, auxquels il faut administrer les sacrements, mais à titre principal par rapport à Dieu, à qui ce sacrifice est offert dans la consécration de ce sacrement »(17).

C’est le même fondement qui permet aussi de résoudre la question de l’étendue du profit qui découle de la célébration d’une messe : en tant qu’action cultuelle, l’efficacité du sacrifice est multipliée par le nombre de messes, puisque c’est chaque fois une nouvelle offrande qui est accomplie ; en tant que sacrement, au contraire, le nombre d’hosties consacrées, ou la multiplication des communions au cours d’une même messe n’augmente pas la présence sacramentelle(18). Quant à la communication des fruits de l’Eucharistique, elle est explicitée précisément sur la base de cette distinction entre les deux finalités de l’acte sacramentel :

« Ainsi donc, ce sacrement profite à ceux qui le consomment et par mode de sacrement, et par mode de sacrifice, car il est offert pour tous ceux qui le consomment […] Mais aux autres, qui ne le consomment pas, il profite par mode de sacrifice, en tant qu’il est offert pour leur salut »(19).

Enfin, il reste à ajouter que dans son aspect sacrificiel, la valeur de la messe ne dépend pas de celle du prêtre qui la célèbre, non seulement en tant que l’action est réalisée ex opere operato, mais aussi dans la mesure où le prêtre agit en tant que ministre de l’Église. En effet, lorsqu’il examine la valeur de la messe d’un mauvais prêtre (qu. 82, a. 6), saint Thomas applique les principes qui valent pour tous les sacrements, mais il les complète en y ajoutant une distinction fondée encore une fois sur l’aspect sacrificiel de la messe, dans sa finalité impétratoire :

« En ce qui concerne le sacrement, la messe d’un mauvais prêtre ne vaut pas moins que celle d’un bon, car, de part et d’autre, c’est le même sacrement qui est consacré. De plus, la prière qui se fait à la messe peut encore être considérée à deux points de vue. D’une part, en tant qu’elle tire son efficacité de la dévotion du prêtre qui prie. Et à ce point de vue, il est hors de doute que la messe d’un meilleur prêtre est plus fructueuse. D’autre part, en tant que la prière est prononcée à la messe par le prêtre qui tient la place de toute l’Église, dont il est le ministre. Or ce ministère subsiste même chez les pécheurs, comme on l’a dit à l’article précédent, à propos du service du Christ »(20).

Ainsi donc, en tant que ses prières sont faites in persona ecclesiae, le mauvais prêtre n’influe pas sur le fruit qui en découle, et Dieu exauce ses demandes, au nom de l’Église qui le prie. Le corollaire en est, par contre, que la messe d’un ministre séparé de l’Église, hérétique, schismatique ou excommunié de façon formelle et coupable, bien qu’elle soit valide du point de vue sacramentel et véritable du point de vue sacrificiel, ne saurait être efficace quant aux prières du prêtre, qu’elles soient privées ou faites au nom de l’Église(21). C’est dire que la valeur cultuelle du sacrifice est même plus importante, au point de vue de la fécondité, que la valeur purement sacramentelle de l’Eucharistie. De la sorte, il serait insuffisant de placer la totalité – et peut-être même l’essentiel – des fruits de l’Eucharistie dans sa consommation sacramentelle : ce serait manquer l’une des finalités majeures de la messe, et s’empêcher par là même de saisir, dans la perspective thomiste, la fécondité du sacrifice offert à Dieu, dans son efficacité eucharistique, latreutique, impétratoire et propitiatoire.

 

4. Comment profiter davantage des fruits eucharistiques ?

En conclusion, il reste à s’interroger sur la distinction entre les fruits du sacrifice et les fruits du sacrement : puisque l’opus operatum du sacrement consiste à recevoir passivement de Dieu, tandis que l’opus operatum du sacrifice, lui, consiste à offrir de façon active à Dieu, les fruits sont nécessairement divers. Dans le sacrement, le fruit est la sanctification de l’âme, qui reçoit la grâce en consommant les espèces eucharistiques. Dans le sacrifice, l’œuvre opérée ne pose rien en nous : ni grâce, ni don. Quelle est donc la nature des fruits sacrificiels ? Le sacrifice rend à Dieu la louange et l’honneur qui lui sont dus, nous ouvrant ainsi, à titre de cause morale infaillible, et antérieurement à l’action des sacrements, l’accès à la miséricorde et à la bonté de Dieu qui justifie l’âme, ou qui la fait progresser dans la perfection. Cette différence de nature entre fruits du sacrement et fruits du sacrifice met en évidence, de façon plus significative encore, la richesse de cette double finalité : non seulement du point de vue du nombre de ceux qui profitent de ces fruits, mais aussi en ce qui concerne la fécondité pour l’âme du fidèle qui bénéficie de tels fruits.

L’examen attentif de la théologie sacramentelle thomiste nous a donc permis de mettre en évidence l’importance de l’aspect cultuel des sacrements, et en particulier de l’Eucharistie. Cette lecture nous amène alors à remettre en cause la tentation moderne de faire passer au second plan la finalité sacrificielle du culte divin, en particulier à cause des conséquences d’une telle appréciation sur la doctrine de la fécondité eucharistique. Or il faut bien reconnaître que nombre de théologiens contemporains, s’ils n’ont pas, sous l’influence de penseurs « réformés », purement et simplement abandonné la nature sacrificielle de la messe, ont voulu recentrer le « Mysterium fidei » sur son aspect purement sacramentel, prétendant ainsi rendre plus fructueuse la participation eucharistique(22). C’était là, dans le meilleur des cas, une illusion.

On perçoit donc la nécessité de remettre en évidence, non seulement au point de vue théorique, mais aussi dans la pratique liturgique, la valeur intrinsèque du saint Sacrifice de la messe, indépendamment de la participation sacramentelle. C’est de la sorte seulement que toute l’Église, et le peuple chrétien en premier lieu, bénéficiera véritablement de façon « plus consciente, active et fructueuse », selon le souhait des Pères conciliaires, de la fécondité du Mystère eucharistique.

Comment cela aura-t-il lieu ? Avant tout, en replaçant au cœur de la liturgie son aspect sacrificiel. C’est là l’un des objectifs de la diffusion de la messe dite « de saint Pie V », qui exprime parfaitement ce caractère sacrificiel, comme en témoignait le secrétaire de la Congrégation pour le Culte divin, Mgr Albert Malcom Ranjith, quelques temps après la publication du Motu Proprio « Summorum Pontificum » :

« Certaines réformes postconciliaires ont abandonné des éléments importants de la liturgie, en même temps que les aspects théologiques qui y étaient liés. Il est devenu aujourd’hui nécessaire et important de les récupérer. Le Pape considère le rite de saint Pie V […] comme une façon de récupérer les éléments atténués par la réforme […] Il ne s’agit pas tant d’un retour au passé que du besoin de rééquilibrer de façon globale les aspects éternels, transcendants et célestes de la liturgie avec ses aspects terrestres et communautaires »(23)

 


 

(1) Sacrosanctum Concilium, n. 11

(2) Ferdinando Antonelli, La costituzione Conciliare sulla Sacra liturgia. Antecedenti e grandi principi (lezioni di liturgia, 26 décembre 1964), in Archives de La Verne – fonds Antonelli, p. 4, cité par Nicolas Giampietro, Le cardinal Ferdinando Antonelli et les développements de la réforme liturgique de 1948 à 1970, éd. Le Forum, coll. Liturgie, Versailles, 2004, p. 266.

(3) Ferdinando Antonelli, Antecedenti, principi e scopo della costituzione conciliare sulla Sacra Liturgia (lezioni di liturgia, 12 janvier 1965), in Archives de La Verne – fonds Antonelli, p. 3-4.

(4) SC, n. 55 ou encore SC, n. 48 : « Aussi l'Église se soucie-t-elle d'obtenir que les fidèles n'assistent pas à ce mystère de la foi comme des spectateurs étrangers ou muets, mais que, le comprenant bien dans ses rites et ses prières, ils participent consciemment, pieusement et activement à l'action sacrée, soient formés par la parole de Dieu, se restaurent à la table du Corps du Seigneur, rendent grâce à Dieu ».

(5) SC, n. 27 : « Chaque fois que les rites, selon la nature propre de chacun, comportent une célébration commune, avec fréquentation et participation active des fidèles, on soulignera que celle-ci, dans la mesure du possible, doit l'emporter sur leur célébration individuelle et quasi privée. Ceci vaut surtout pour la célébration de la Messe (bien que la Messe garde toujours sa nature publique et sociale), et pour l'administration des sacrements ».

(6)  Jean-Paul II, Ecclesia de Eucharistia, 17 avril 2003, n.10.

(7) On peut mentionner, parmi ces limites concrètes : la perte du sens du sacré et la banalisation des célébrations ; la lassitude des fidèles face aux sollicitations des prêtres pour participer aux célébrations, parfois de façon incongrue ; la disparition presque totale des messes quotidiennes dites « privées » ; la raréfaction du nombre de messes en faveur des concélébrations, même dans des cas de pénurie de prêtres ; la disparition des gestes d’adoration dus au Saint-Sacrement ; la facilité de s’approcher de la table de communion sans être dans les conditions spirituelles nécessaires pour recevoir dignement les saintes espèces, avec comme corollaire l’incompréhension face au refus de la communion, par exemple dans le cas des divorcés-remariés ; les gestes œcuméniques d’intercommunion, même contre le droit de l’Église ; etc.

(8) Cf. Jean-Michel Garrigues, « La complémentarité de l’Esprit par rapport au Christ dans la vie sacramentelle », Revue Thomiste, 2006/4, 565-585 (en part. p. 569).

(9) Ces formules remontent vraisemblablement au début du XIIIème siècle : on les trouve chez Pierre de Poitiers, disciple de Pierre Lombard, qui applique cette distinction dans le cas du baptême, afin de démontrer que la valeur de ce sacrement est indépendante des mérites du ministre et de ceux du sujet. Cf. Sententiarum, lib. V, cap. VI (PL 216, 1235) ; elles sont ensuite généralisées par Innocent III, De Ss. altaris mysterio, lib. III, cap. V (PL 227, 843) et adoptées par s. Bonaventure et s. Thomas d’Aquin. Le Concile de Trente s’exprime ainsi : “Si quis dixerit per ipsa Novae Legis sacramenta ex opere operato non conferri gratiam, sed solam fidem divinae promissionis ad gratiam consequendam sufficere, anat. sit” (Sess. VII, De sacramentis in genere, can. 8, DzB 851). Cf. A. Michel, “Opus operatum, opus operantis”, DTC XI/1, 1931, col. 1084-1087.

(10) In IV Sententiarum, dist. 5, q. 2, a. 2, qc. 2, ad 2 : “Ad secundum dicendum, quod in oratione orans est sicut principale agens, non solum sicut instrumentale ; et ideo requiritur ad efficaciam orationis quod ex opere operante effectum sortiatur, non solum ex opere operato, sicut est in sacramentis”.

(11) Contra Gentes, IV, 56-58.

(12) IIIa, qu. 60, a. 5, corpus : “In usu sacramentorum duo possunt considerari, scilicet cultus divinus, et sanctificatio hominis, quorum primum pertinet ad hominem per comparationem ad Deum, secundum autem e converso pertinet ad Deum per comparationem ad hominem” – traduction A.-M. Roguet, Les sacrements, éd. de la Revue des jeunes, 1959.

(13) Franck M. Quoëx, Les actes extérieurs du culte dans l’histoire du salut selon saint Thomas d’Aquin – Dissertatio ad lauream in Fac. S. Theologiae apud Pontificiam Universitatem S. Thomae, Rome, 2001, pp. 224-225.

(14) M. Turrini, L’anthropologie sacramentelle de s. Thomas d’Aquin, Université de Paris Sorbonne, 1996, p. 108.

(15) IIIa, qu. 63, a. 6, corpus.

(16) « Ce sacrement l’emporte sur les autres en ce qu’il est sacrifice », IIIa, qu. 79, a. 7, ad 1m.

(17) IIIa, qu. 82, a. 10, corpus ; cf. aussi Ibid., ad 1m.

(18) IIIa, qu. 79, a. 7, ad 3m.

(19) IIIa, qu. 79, a. 7, corpus.

(20) IIIa, qu. 82, a. 6, corpus.

(21) IIIa, qu. 82, a. 7, corpus  et ad 3m. Il reste à préciser ici que pour le cas d’un prêtre schismatique ou hérétique de façon non-coupable, donc en état de grâce, les prières faites au nom de l’Église dont il est séparé ne sont pas efficaces, tandis que sa prière privée, elle, reste fructueuse.

(22) Cf. Joseph Ratzinger, Conférence à Fontgombault, 24 juillet 2001 : « [La notion de sacrifice] est devenue étrangère à la pensée moderne, et moins de trente ans après le Concile, entre les liturgistes catholiques eux-mêmes cela fait l’objet de points d’interrogation. Aujourd’hui qui parle encore du sacrifice divin de l’Eucharistie ? [...] “Réparation”, “expiation” évoquent peut-être encore quelque chose dans le cadre des conflits humains et de la liquidation de la culpabilité qui règne entre les êtres humains, mais la transposition [de l’idée de sacrifice] au rapport entre Dieu et l’homme n’a pas grand succès. Cela se rapporte certainement au fait que notre image de Dieu est affadie, qu’elle s’est rapprochée du déisme […] Ainsi donc, la crise de la liturgie a pour fondement des conceptions centrales sur l’homme. Pour la dépasser, il n’est pas suffisant de banaliser la liturgie et de la transformer en une simple réunion ou en un repas fraternel »

(23) Mgr Albert Malcom Ranjith, Agence Fides, 16/11/2007

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19 août 2009 3 19 /08 /août /2009 11:03

La réforme liturgique des années 70 occupe aujourd’hui une place importante dans l’horizon des controverses théologiques, et puisque liturgie et théologie sont intimement liées, on ne peut exclure du champ des discussions l’une ou l’autre sans risquer de tomber dans une conception fractionnée de la théologie qui a montré sa nocivité depuis les années 50. Il est aujourd’hui nécessaire, dans le cadre du vaste débat auquel nous voulons participer activement ici, de poser les bases d’une analyse honnête et courageuse du passé liturgique récent, tout en proposant, dans une attitude positive et bienveillante, des remèdes pratiques et surtout réalisables. Notre rédaction veut lancer un tel débat sans tomber pour autant, si possible, dans les erreurs méthodologiques du passé : c’est pourquoi nous avons voulu le mettre en œuvre en nous appuyant sur le témoignage de quelqu’un qui, par son âge et son prestige, n’est pas seulement une autorité en la matière, mais est aussi un véritable témoin de l’authentique tradition. Étant donné que la liturgie est avant tout une science pratique, nous n’avons pas voulu commencer cette discussion par la consultation d’un liturgiste chevronné, spécialiste des manuels et des rubriques, mais en recueillant les enseignements de quelqu’un qui a vu et vécu la liturgie comme aucun autre, depuis les campagnes toscanes et leurs immanquables processions populaires accompagnées par la fanfare, jusqu’aux fastes et aux splendeurs de la « chapelle papale » dans les Palais apostoliques : Monseigneur Domenico Bartolucci. Son verbe haut et ses expressions typiquement toscanes – malheureusement difficiles à rendre dans cette traduction française – comme les anecdotes dont il ponctue ses réponses, expriment mieux que de longs discours les convictions d’un homme d’Église qui a vécu dans la souffrance, avec elle, les tumultes des dernières décennies.

 

Rencontre avec Mons. Domenico BARTOLUCCI,

maître émérite de la chapelle Sixtine,
grand ami et collaborateur de Benoît XVI.
(Interview Pucci Cipriani, Stefano Carusi - Traduction française Matthieu Raffray)


Né en 1917 à Borgo San Lorenzo (Florence), toscan par sa naissance puis romain par l’appel du Pape, il est nommé en 1952 substitut de la Chapelle Sixtine, aux côtés de Lorenzo Perosi, puis maître de cette chapelle papale à partir de 1956, où il a eu l’honneur de travailler avec cinq papes. Le 24 juin 2006, le Pontife régnant a tenu à organiser une cérémonie spéciale (photo) afin de sceller « à perpétuité » sa proximité et son admiration pour le grand musicien, auquel il adressait les mots suivants : « la polyphonie sacrée, en particulier celle de l’école romaine, est un héritage à conserver avec soin (…) un authentique aggiornamento de la musique sacrée ne peut advenir que sur le socle de la grande tradition héritée du passé, celle du chant grégorien et de la polyphonie sacrée ».

Maître, la publication récente du Motu proprio Summorum Pontificum a apporté un vent d’air frais dans le panorama liturgique désolant qui nous entoure… en avez-vous profité vous-même pour célébrer la « messe de toujours » ?

A vrai dire, j’ai toujours célébré cette messe, de façon ininterrompue depuis mon ordination… En fait j’aurais même des difficultés à célébrer la messe du rite moderne, puisque je ne l’ai jamais dite…

Pour vous, elle n’a donc jamais été abolie ?

Ce sont les paroles mêmes du Saint Père, même si certains font mine de ne pas le comprendre, et même si beaucoup ont soutenu le contraire dans le passé.

Pensez-vous que les fidèles soient moins enthousiasmés par la forme traditionnelle du rite, à cause de son aspect peu « participatif » ?

Allez, il ne faut pas dire de bêtises ! Moi j’ai connu la participation des fidèles autrefois, aussi bien à Rome, dans les basiliques, qu’à travers le Monde, et ici-même dans le « Mugello », dans cette paroisse, dans cette belle campagne autrefois peuplée de gens pleins de foi et de piété. Le dimanche à vêpres, le prêtre aurait pu se contenter d’entonner le « Deus in adjutorium meum intende », et puis se mettre à dormir sur la banquette jusqu’au capitule : les fidèles auraient continué tout seuls et les pères de famille auraient entonné, un par un, les antiennes !

C’est donc pour vous une vaine polémique, par rapport à l’actuel style liturgique ?

Hélas, je ne sais pas si vous avez déjà assisté à des funérailles : Alléluias, applaudissements, des phrases loufoques, au point de se demander si ces gens ont déjà lu l’évangile : Notre-Seigneur lui-même pleure sur Lazare et sur la mort… Avec ce fade sentimentalisme, on ne respecte même pas la douleur d’une mère. J’aurais voulu vous montrer comment autrefois le peuple assistait à une messe des morts, avec quelle componction et quelle dévotion on entonnait le magnifique et terrible Dies Irae !

Mais la réforme n’a-t-elle pas été faite par des gens conscients et bien formés doctrinalement ?

Je m’excuse, mais la réforme a été faite par des hommes arides, arides, je vous le répète. Moi, je les ai connus. Et quant à la doctrine, je me souviens que le cardinal Ferdinando Antonelli, de vénérable mémoire, disait souvent : « Qu’est-ce que nous pouvons faire de ces liturgistes qui ne connaissent pas la théologie ? »

Nous sommes bien d’accord avec vous, Monseigneur, mais il est vrai aussi qu’autrefois les gens n’y comprenaient rien…

Chers amis, n’avez-vous jamais lu saint Paul : « il n’est pas nécessaire de savoir plus que ce qui est nécessaire » : il faut aimer la connaissance ad sobrietatem. Avec cet état d’esprit, dans quelques années on prétendra comprendre la transsubstantiation comme on explique un théorème de mathématiques… Mais le prêtre lui-même ne peut comprendre entièrement un tel mystère !

 
Alors comment en est-on parvenu à un tel effondrement de la liturgie ?

Ça a été une mode, tout le monde parlait, tout le monde « rénovait », tout le monde pontifiait, sur la base d’un sentimentalisme qui prétendait tout réformer, et on faisait taire habilement les voix qui s’élevaient en défense de la tradition bimillénaire de l’Église. On a inventé une sorte de « liturgie du peuple »… lorsque j’entendais ces ritournelles, je me souvenais des paroles de l’un de mes professeurs de séminaire, qui nous enseignait que « la liturgie est l’œuvre du clergé, mais elle est pour le peuple ». Il voulait dire par là qu’elle doit descendre de Dieu et non pas monter à partir de la base. Je dois pourtant reconnaître que cet air corrompu s’est maintenant raréfié : les nouvelles générations de prêtres sont peut-être meilleures que celles qui ont précédé ; les jeunes prêtres ne sont plus ces idéologues furieux doublés de modernistes iconoclastes : ils sont plein de bons sentiments, mais ils manquent de formation…

Que voulez-vous dire par « ils manquent de formation » ?

Je veux dire qu’il faut de vrais séminaires ! Je parle de ces structures que la sagesse de l’Église avait finement ciselées à travers les siècles. Vous ne vous rendez pas compte de l’importance d’un séminaire : une liturgie vécue… les différents moments de l’année y sont vécus socialement avec les confrères du séminaire, l’Avent, le Carême, les grandes fêtes de Pâques : tout cela éduque à un point que vous n’imaginez pas. Une rhétorique insensée a fait passer l’image que le séminaire déforme les prêtres, que les séminaristes, éloignés du monde, resteraient fermés sur eux-mêmes et distants du monde. Ce ne sont que des fantaisies pour gaspiller une formation riche de plusieurs siècles d’expérience, et pour ne la remplacer que par du vide.

Pour revenir sur la crise liturgique, vous, Monseigneur, êtes-vous favorable à un retour en arrière ?

Regardez : défendre le rite antique ne consiste pas à être passéiste, mais à être «  de toujours ». Par exemple, c’est une erreur d’appeler la messe traditionnelle « messe de saint Pie V » ou « messe Tridentine », comme s’il s’agissait de la messe d’une époque particulière. Notre messe romaine est au contraire universelle, dans le temps et dans le lieu : une unique langue de l’Océanie à l’Arctique. En ce qui concerne la continuité dans le temps, je peux vous raconter un épisode significatif : une fois nous étions en compagnie d’un évêque, dont je ne vous donnerai pas le nom, dans une petite église de la région ; nous apprenons alors subitement le décès d’un ami commun qui nous était cher, et nous décidons alors de célébrer sur le champ la messe pour lui. En cherchant dans la sacristie, on se rend compte qu’il n’y avait là que des missels antiques. Et bien l’évêque a refusé catégoriquement de célébrer. Je ne l’oublierai jamais… et je répète que la continuité de la liturgie implique que, sauf cas particuliers, je puisse célébrer aujourd’hui avec le vieux missel poussiéreux pris sur une étagère, et qui il y a quatre siècles a servi à l’un de mes prédécesseurs dans le sacerdoce.

On parle actuellement d’une « réforme de la réforme », qui devrait limer les irrégularités introduites dans les années 70…

La question est assez complexe… Que le nouveau rite ait des déficiences est désormais une évidence pour tout le monde, et le Pape a dit et il a écrit plusieurs fois que celui-ci devrait « regarder vers l’ancien ». Mais que Dieu nous garde de la tentation des pastiches hybrides. La Liturgie avec un L majuscule est celle qui nous vient des siècles passés : c’est elle qui est la référence. Qu’on ne l’abâtardisse pas avec des compromis « déplaisant à Dieu et à ses ennemis »…

Que voulez-vous dire par là ?

Prenons par exemple les innovations des années 70 : des chansonnettes laides et pourtant tellement en vogue dans les églises en 1968 sont aujourd’hui déjà des pièces de musée. Lorsqu’on renonce à la pérennité de la Tradition pour s’immerger dans le temps, on est aussi condamné à suivre les changements de modes. A propos de la réforme de la semaine sainte dans les années cinquante, je vous raconte une histoire : cette réforme avait été entreprise avec une certaine hâte, sous un Pie XII déjà affaibli et fatigué. Si bien que quelques années plus tard, sous le pontificat de Jean XXIII – car quoiqu’on en dise, en matière de liturgie il était d’un traditionalisme convaincu et émouvant – m’arrive un coup de fil de Mgr. Dante, le cérémoniaire du Pape, qui me demande de préparer le Vexilla Regis pour l’imminente célébration du Vendredi Saint. Interloqué, je lui réponds : « mais vous l’avez aboli ! ». Alors il m’a dit : « Le Pape le veut » ; et en quelques heures j’ai organisé les répétitions de chant, et nous avons chanté à nouveau, avec une grande joie, ce que l’Église chantait ce jour-là depuis des siècles. Tout cela pour dire que lorsqu’on a fait des déchirures dans le tissu de la liturgie, ces trous restent difficiles à recoudre, et ils se voient. Face à notre liturgie multiséculaire, nous devons contempler avec vénération, et nous souvenir qu’avec cette manie de toujours vouloir « améliorer », nous risquons de ne faire que des dégâts.

Maître, quel a donc été le rôle de la musique dans ce processus ?

La musique a joué un rôle incroyable pour plusieurs raisons : le « cécilianisme » maniéré – auquel Perosi ne fut pas étranger – avait introduit avec ses mélodies chantantes un sentimentalisme romantique nouveau, qui n’avait rien à voir, par exemple, avec la corpulence éloquente et solide de Palestrina. Certaines extravagances mal placées de Solesmes avaient cultivé un grégorien susurré, fruit lui aussi de cette pseudo restauration médiévalisante qui a eu tant de succès au XIXème siècle. C’était l’idée de l’opportunité d’une récupération archéologique, aussi bien en musique qu’en liturgie, d’un passé lointain dont nous auraient éloigné les « siècles obscurs » du Concile de Trente… De l’archéologisme, en somme, qui n’a rien à voir, absolument rien à voir avec la Tradition, car il veut récupérer ce qui finalement n’a peut-être jamais existé. Un peu comme certaines églises restaurées dans le style « pseudo roman » de Viollet-le-Duc. Ainsi donc, entre un archéologisme qui prétend se rattacher à l’époque apostolique, mais en se séparant des siècles qui nous relient à ce passé, et un romantisme sentimental qui méprise la théologie et la doctrine pour exalter les « états d’âme », s’est préparé le terrain qui a abouti à cette attitude de suffisance vis-à-vis de ce que l’Église et nos Pères nous avaient transmis.

Que voulez-vous dire, Monseigneur, lorsque dans le domaine musical vous attaquez Solesmes ?

Je veux dire que le chant grégorien est modal et non pas tonal. Il est libre, et non pas rythmé. Ce n’est pas « un, deux, un, deux, trois ». Il ne fallait pas dénigrer la façon de chanter dans nos cathédrales pour lui substituer un chuchotement pseudo monastique et affecté. On n’interprète pas le chant du Moyen-âge avec des théories d’aujourd'hui, mais il faut le prendre comme il nous est parvenu. De plus, le grégorien d’autrefois savait être aussi un chant populaire, chanté avec force et vigueur, comme le peuple exprimait sa foi avec force et vigueur. Et c’est cela que Solesmes n’a pas compris. Cela étant dit, il faut bien sûr reconnaître l’immense et savant travail philologique qui y a été fait en ce qui concerne l’étude des manuscrits antiques.

Maître, alors où en sommes-nous dans la restauration de la musique sacrée et de la liturgie ?

Je ne nie pas qu’il y ait quelque signes de reprise… mais je vois tout de même persister une sorte d’aveuglement, comme une certaine complaisance pour tout ce qui est vulgaire, grossier, de mauvais goût, et aussi pour ce qui est doctrinalement téméraire… Ne me demandez pas, je vous en prie, mon avis sur les « guitarades » et les chansonnettes qu’ils nous chantent encore pendant l’offertoire. Le problème liturgique est sérieux : il faut cesser d’écouter la voix de ceux qui n’aiment pas l’Église et qui s’opposent au Pape. Si on veut guérir un malade, il faut d’abord se souvenir que « le médecin timoré laisse la plaie s’infecter (il medico pietoso fa la piaga purulenta) »…

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