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27 septembre 2014 6 27 /09 /septembre /2014 18:27

Face aux “vents épiscopalistes” : étude sur la collégialité et la doctrine catholique


                                                                         29 août 2014, Décollation de Saint Jean Baptiste

 

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L’affrontement entre la théologie romaine et l’ “alliance européenne”

 

1ère partie ici


II) Analyse de la collégialité dans Lumen Gentium  18-22


Lumen Gentium, la genèse controversée d’un texte

Le concile Vatican II aussi s’occupa de la collégialité épiscopale et du pouvoir pontifical dans la bien connue “constitution dogmatique” Lumen Gentium. Nous rappelons que cet adjectif “dogmatique” indique que l’argument dont on parle dans la Constitution se réfère à la théologie dogmatique; on est en train de spécifier que ce dont on parle est matière dogmatique, ce n’est pas pour cela que l’on est en train de parler dogmatiquement en définissant infailliblement. Donc cet adjectif ne signifie pas que toute expression contenue dans le document ait été dogmatiquement définie, mais qu’on est en train de parler - non pas avec un enseignement infaillible - d’une matière qui par soi se rapporte au dogme. Pour s’entendre, qu’on nous concède cette simplification, même un professeur de théologie dogmatique, quoiqu’avec une moindre autorité par rapport à une constitution conciliaire, parle de dogmatique, mais il ne définit rien dogmatiquement, car dans ce cas il n’en a pas les facultés. Différemment, un Concile valide a en soi la faculté de définir dogmatiquement avec Magistère extraordinaire infaillible, mais il doit toujours y avoir la volonté exprimée et évidente de définir un objet que l’Eglise a toujours enseigné et cru. Ce n’est pas le cas de Lumen Gentium, quoiqu’on ne puisse pas exclure que certains points, là où on répète ce que l’Eglise a toujours enseigné, puisent leur infaillibilité du dit Magistère ordinaire infaillible. Plus en général, au sujet de la “valeur magistérielle” des textes conciliaires, nous renvoyons aux articles déjà publiés par notre revue dans la section consacrée à ce sujet (cf: Quelle valeur magistérielle pour Vatican II?), sans oublier que le Concile lui-même n’a pas demandé pour soi la dogmatisation générale qui est arrivée post-eventum, comme cela est évident dans les Notificationes du Secrétaire Général du Concile du 16 novembre 1964[1].

Cette prémisse clarificatrice ayant été posée, et avant d’analyser les extraits de Lumen Gentium relatif à la collégialité et la Nota Explicativa Praevia (voulue pour corriger les interprétations erronées, quand elles n’étaient pas hérétiques, qui s’étaient immédiatement manifestées), il faut rappeler une fois de plus que la lecture de ces textes ne peut pas se faire sans tenir compte de leur genèse dans les commissions ou dans l’aula conciliaire. Le lecteur avisé n’aura pas de difficulté à remarquer que deux camps se sont affrontés, pour ainsi dire, toutes les trois lignes. Le résultat n’est pas un texte conçu de façon unitaire, ni une synthèse, quoique bigarrée, d’apports différents, mais l’oeuvre finale se révèle plutôt comme un tissu hétérogène : il semble être cousu d’une seule pièce mais les étoffes, tout en étant l’une à coté de l’autre, sont différentes au niveau de la couleur et de la texture. Donc plus que d’une synthèse, on a souvent l’idée marquée d’une juxtaposition d’idées et de doctrines qui ne sont pas en harmonie entre elles. Parfois il est même évident qu’on a cherché à “encastrer entre deux virgules” des locutions qui se concilient mal avec l’ensemble de la phrase. Locutions proposées tantôt par un camp tantôt par l’autre pour améliorer, corriger, dévier, restreindre ou élargir, ce qui avait été déjà inséré par la contrepartie. Affrontement doctrinal qui, avec un peu d’attention à la syntaxe latine et au lexique utilisé, laisse des traces visibles dans des passages linguistiques qui trahissent un auteur différent de celui de la pensée qui précède ou qui suit. Le résultat est que la lecture est parfois fatigante et exige une attention continuelle pour pallier à l’absence d’homogénéité, scientifiquement décourageante; a fortiori donc la prudence est une obligation, néanmoins on peut avancer des observations critiques et même soulever des interrogations sérieuses.

 

Les prémisses introductives dans le Chapitre III de Lumen Gentium

Dans toute la Constitution sont présents des éléments qui peuvent se référer plus ou moins directement à la problématique de la collégialité; ils sont éparpillés tout au long du document, qui,  en plus d’être objectivement très long, alterne parfois des tons discursif et narratif, parfois exégétique. Le chapitre III, De Constitutione Hierarchica Ecclesiae et in specie de episcopatu, s’occupe de façon déclarée de la question; ici le Synode se propose “devant tous, d’énoncer et expliciter la doctrine qui concerne les Evêques, successeurs des Apôtres qui, avec le successeur de Pierre, Vicaire du Christ, et chef visible de toute l’Eglise, régissent la maison du Dieu vivant”[2].

 

Le Chapitre III, après un début au ton fortement pastoral, ne manque pas de rendre un acte d’hommage à l’infaillible Pastor Aeternus de Vatican Ier, dont les traces - dit-on - seront de nouveau parcourues. Tout au long du numéro 18, un ton pastoral chaleureux et la renonciation au langage scolastique laissent pour l’instant dans la fluidité les rapports entre Pierre et les Apôtres, ainsi que la nature du gouvernement de l’Eglise de la part du Pape et des Evêques, que le document affirme vouloir expliciter; on réaffirme que Pierre est “principe et fondement perpétuel et visible d’unité de foi et de communion”[3].  Au numéro 19, on trouve la mention de l’ensemble des Apôtres, constitué par le Christ en collège ou coetus. L’alternance des deux termes n’est pas fortuite et - redimensionnée par la coprésence de la plus traditionnelle mention de coetus - commence à paraître le terme plus controversé de collegium : “Apostolos ad modum collegii seu coetus stabilis instituit, qui ex iisdem electum Petrum praefecit[4].

A ce moment, on s’attendrait à une explication satisfaisante sur la nature des juridictions distinctes de Pierre et des Apôtres, et sur les analogies avec les juridictions du Pape et des Evêques à l’époque post-apostolique, en mettant aussi en évidence les éventuelles limites et les erreurs à éviter lorsqu’on fait usage de l’analogie Pierre/Pape et Apôtres/Evêques. Le lecteur reste par contre déçu, alors qu’il trouve au numéro 20 - dans une formulation encore une fois narrativo-littéraire - l’affirmation que la divine mission des Apôtres est la même que celle des Evêques, auxquels est confiée la vigilance sur tout le troupeau (“universo gregi”)[5]. En ce cas aussi, le problème n’est pas tant l’affirmation en soi, mais son caractère vague : en effet, il n’est pas du tout clair si ici la référence soit à une vigilance juridictionnelle sur toute l’Eglise, ou à une vigilance non juridictionnelle mais morale sur ce qui arrive dans l’Eglise entière, ou encore à une simple vigilance juridictionnelle sur le troupeau singulier qui leur est confié, comme la phrase suivante semble tranquilliser[6].

 

Au numéro 21, on retrouve que les Evêques ont été élus “pour paître le troupeau du Seigneur”[7], sans spécifier davantage. Dans un pareil contexte, en soi solennel et capital, il serait légitime de s’attendre à plus d’éclaircissements. En effet, une question surgit aussitôt : de quel troupeau s’agit-il et de quelle façon? Fait-on allusion au troupeau universel, en vertu peut-être de leur consécration valide et au fond de leur pouvoir d’ordre, ou parle-t-on du troupeau particulier qui leur est confié par Pierre en vertu de Sa juridiction souveraine ?

 

Il est plus que jamais légitime de formuler la question dans les termes sus-dits, parce que tout de suite on lit la phrase, pour le moins “vague”, qu’est conféré aux Evêques, par la consécration épiscopale, le pouvoir de gouvernement aussi : “le saint Concile enseigne que, par la consécration épiscopale, est conférée la plénitude du sacrement de l’Ordre [...]. La consécration épiscopale, en même temps que la charge de sanctification, confère aussi les charges d’enseigner et de gouverner”[8]. Il semblerait donc que le texte soit en train d’affirmer que la seule transmission du pouvoir d’ordre porte avec elle une certaine juridiction. Juridiction sur quoi ? Sur le troupeau universel en vertu de la consécration valide ou sur le troupeau particulier en vertu de la collation papale ? Le texte se tait sur l’extension d’une telle juridiction, mais il spécifie que son exercice ( qu’on note bien, on parle seulement de l’exercice ) présuppose la communion hiérarchique avec le chef et les membres du collège ( remarquons aussi que communion hiérarchique n’est pas synonyme de collation de juridiction ). Maintenant, même en voulant mettre de côté le fait que le “Souverain Pontife” est appelé comme “Chef du collège”, reste l’indétermination, l’imprécision et donc le danger d’une telle assertion. Que signifie-t-il de dire que pour l’exercice de la juridiction de tous les Evêques ( sur l’Eglise universelle ? ) il faut la “communion collégiale hiérarchique” ? S’agit-il peut être d’un “autre mode” orthodoxe - quoique numquam auditum a saeculo - de parler de la dérivation du pouvoir des Evêques résidentiels de celui souverain et universel du Pape ? Ou cela veut-il dire que les Evêques détiennent toujours “radicalement” la juridiction sur l’Eglise entière en vertu de l’ordre épiscopal valide, et que l’union de la communion entre eux et avec le Chef-collège est demandé seulement pour l’exercice valide ? Mais en ce dernier cas, le pouvoir papal pourrait-il encore se dire “souverain” et source du pouvoir épiscopal ou serait-il seulement une condition pour l’exercice valide de la juridiction ?

 

L'éternel problème du “subjectum quoque

 

C’est cependant Lumen Gentium 22 qui a été le point de la plus grande controverse, parce que l’expression est décidément plus audacieuse et problématique. Dès les premières lignes apparait l’idée que Saint Pierre et les Apôtres constituent un collège et que - “pari ratione”, c’est à dire avec une certaine idée de proportionnalité qui n’implique pas égalité entre le Chef et les membres du Collège, sera obligée de préciser la Nota Praevia[9] - on est en train de parler de Collège pour ce qu’est l’ensemble du Pape et des Evêques. On insiste plus d’une fois sur la “nature collégiale”[10] de ce qui est appelé quelques lignes après - avec un terme plus traditionnel et plus agréable au camp romain - “Corps” des Evêques[11]. Revient aussi l’idée que la consécration épiscopale soit suffisante à “incorporer” au collège ( vi sacramentalis consecrationis )[12], conjointement à la communion avec le “Chef du collège” et les membres. Cependant, une telle exigence de communion avec le Chef-collège n’apporte aucune véritable clarification sur les rapports juridictionnels, sur leur répartition, sur leur origine, sur leur exercice.

 

La phrase suivante a sous certains aspects un côté tranquillisant : “mais le collège ou corps épiscopal n’a d’autorité que si on l’entend comme uni au Pontife romain, successeur de Pierre, comme à son chef”, le Pape est “Vicaire du Christ et Pasteur de toute l’Eglise” sur laquelle il jouit d’un “pouvoir plénier, suprême et universel qu’il peut toujours exercer librement”[13]. Il semble en effet qu’on puisse pousser un soupir de soulagement et effectivement une telle précision a toute sa valeur, cependant que l’on ne s’illusionne pas d’être sorti du va-et-vient, déjà mentionné, de phrases insérées par les deux courants de pensée afin de réduire la portée des affirmations de l’autre camp.

 

On confirme en effet que le Pape jouit d’un pouvoir suprême, même seorsim, même séparément, même sans collège. Il est difficile de s’opposer directement à une telle vérité en raison des définitions infaillibles de Vatican Ier. Mais ici se trouve une grosse surprise. Affirmer que le Pape est le sujet du pouvoir suprême dans l’Eglise ne serait pas tout à fait synonyme qu’il est le seul sujet du pouvoir suprême, et - dans une perspective certainement pas thomiste - on pourrait supposer la coexistence d’un deuxième organe, régnant lui aussi avec suprême pouvoir, sans pour cela ( du moins en théorie ) déposséder le pouvoir papal.

 

On n’arrive pas à comprendre si cette thèse singulière soit contenue dans la phrase suivante: “l’ordre des évêques, qui succède au collège apostolique dans le magistère et le gouvernement pastoral, bien mieux dans lequel le corps apostolique se perpétue sans interruption, constitue, lui aussi, en union avec le Pontife romain, son chef, et jamais en dehors de ce chef, le sujet du pouvoir suprême et plénier sur toute l’Eglise[14].

 

Le texte semble vraiment dire que le collège est lui aussi sujet, est même lui sujet ( subjectum quoque ) de plein et suprême pouvoir. Les phrases qui suivent n’expliquent pas grand chose et elles sont encastrées les unes dans les autres de façon assez sibylline, au point que l’embarras des rédacteurs se fait ici presque tangible pour le lecteur. On continue de parler d’un pouvoir des Evêques comme “leur propre” ( propria potestate ), pour le bien de leurs fidèles, “et même de toute l’Eglise”, tout en respectant fidèlement “le primat et la prééminence du Chef-collège”[15]. Bref au numéro 22 l’expression linguistique et le renoncement au langage scolastique ne permettent pas de repérer les éclaircissements espérés sur la nature d’un pouvoir épiscopal au sujet duquel on n’arrive pas à comprendre s’il est restreint ou universel.

 

Que veut dire l’expression que le collège aussi - quoique en communion avec le Chef-collège - est sujet de plénier et suprême pouvoir sur toute l’Eglise? Le texte est-il en train d’affirmer, quoique de la  manière discursive récurrente, qu’il y a deux sujets de pouvoir plénier et suprême: le Pape seul et le Collège en communion avec le Pape (qu’ici serait plutôt le Chef-collège et qui d’ailleurs est appelé de cette façon même explicitement)?

 

L’ensemble des Evêques en communion avec le Chef-collège ( ce qui pourrait aussi s’entendre de façon bienveillante comme l’ensemble des Evêques catholiques validement ordonnés, en faisant abstraction qu’ils soient Evêques résidentiels ou pas ) détiendrait lui aussi - pour parler en termes scolastiques, que Lumen Gentium évite - la souveraine juridiction sur l’Eglise ? Le Concile est-il en train de faire une pareille affirmation ? Est-il peut-être en train aussi de tirer les conclusions de ce qu’il a évoqué au n. 19, c’est à dire que la consécration épiscopale valide, conjointement à la communion, serait suffisante pour jouir d’une certaine juridiction sur l’Eglise universelle, à exercer collégialement et avec le Pape ?

 

Ces questions, et d’autres, furent celles qui suscitèrent le recours à la fameuse Nota Explicativa Praevia. C’est à dire que le Pontife Paul VI, en répondant aux vives sollicitations de certains Pères et aux faux-pas effrontés de quelques novateurs, décréta la publication d’un document qui devait précéder ou du moins accompagner (“praevius”) la lecture de passages si librement interprétables, en mettant ainsi un certain frein aux dangers.

 

 

La Nota Explicativa Praevia

 

La Nota Praevia est une annexe au texte conciliaire, “préalable” justement à la lecture - mais qui de fait suit, parce que reléguée au fond et “loin” de Lumen Gentium -, qui apporte certaines précisions d’une valeur non secondaire. Cependant ce texte aussi, quoique voulu avec une intention de correction, trahit les limites d’un certain compromis entre les instances “romaines” et celles “collégialistes”, en continuant de laisser trop de “portes-ouvertes”.

 

Au n. 1, on y précise que le collège n’est pas à entendre “dans un sens strictement juridique, c’est à dire d’un groupe d’égaux, qui délégueraient leur pouvoir à leur président”[16] , c’est à dire que le Concile n’a pas voulu parler du Pape comme d’un Président délégué du collège des Evêques, ayant tous le même pouvoir; d’ailleurs l’alternance avec les termes “corps” et “ordre” en serait la confirmation[17] . De la même façon, on cherche à dissiper les doutes sur la transmission des pouvoirs extraordinaires des Apôtres aux Evêques, sujet sur lequel la Constitution avait été assez réticente. Il n’y a pas non plus d’égalité entre le Chef et les membres du collège[18]. Au n. 2 cependant, n’est pas dissipée la confusion de l’origine de l’ordre et de la juridiction, au contraire elle est alimentée : “on devient membre du collège en vertu de la consécration épiscopale et par la communion hiérarchique avec le chef du collège et ses membres”[19]. Bref, d’une certaine façon revient l’idée d’une collation de juridiction ( sur l’Eglise universelle ? ) en vertu de la consécration valide, même si pour son exercice - on le précise par la suite - demeure nécessaire la détermination canonique de l’autorité[20]. On précise aussi que, pour qu’on puisse légitimement parler de “communio”, un “vague sentiment” ( quodam affectu ) n’est pas suffisant, il faut toujours une certaine “forme juridique” ( juridicam formam exigit )[21].

 

Au n. 3 demeurent encore d’autres problèmes, on veut préciser la question du “subjectum quoque”. Le Collège - dit-on - co-entend son Chef, “qui dans le collège garde intégralement sa charge de vicaire du Christ et de Pasteur de l’Eglise universelle. En d’autres termes la distinction n’est pas entre le Pontife romain et les évêques pris ensemble, mais entre le Pontife romain seul et le Pontife romain ensemble avec les évêques”[22]. Donc le Pape d’un côté, le Pape et les Evêques de l’autre, mais le Pape est-il présent des deux côtés toujours à titre de Pasteur souverain et universel, cause et source de toutes juridictions, ou bien à deux titres différents et avec des facultés différentes ? En lisant la phrase suivante à propos du Collège il semble que même l’origine de la juridiction papale - au moins en tant que Chef-collège - aurait un certain aspect dérivé non pas de l’investiture du Christ, mais du fait d’être chef du Collège. Lisons : “ mais parce qu’il est le chef du collège, le Souverain Pontife, seul peut poser certains actes qui ne reviennent d’aucune manière aux évêques, par exemple convoquer le collège et le diriger, approuver les normes d’action, etc....”[23]. Mis à part le fait que les actions de compétence spécifique papale qu’on invoque et qu’on porte en exemple, sont presque plus semblable à celles d’un chef parlementaire moderne qu’à celles du Souverain Pontife, reste le fait du danger objectif de la phrase “parce qu’il est chef du Collège il peut faire certains actes”. Tout en concédant qu’on ne voulût pas faire allusion à un pouvoir délégué par les membres - donc venant d’en bas -, le fait reste que la façon de s’exprimer est pour le moins inopportune. Ni les phrases finales du n. 3 et le n. 4[24]  - tout en constituant une effective limitation aux déviations - spécifient vraiment la nature profonde de la juridiction papale et de la collégiale, bien qu’elles rappellent avec opportunité la suprême liberté dont jouit le Souverain Pontife dans l’exercice de “son pouvoir en tout temps et à son gré” et quoiqu’elles limitent l’exercice du Collège à des “intervalles” et “avec le consentement de son chef” parce qu’il n’est pas toujours “en acte plénier”[25]. Qu’on remarque cependant que cette dernière précision, quoiqu’elle constitue un frein réel à l’épiscopalisme, se limite encore une fois à parler du seul exercice et non pas de la nature et de l’origine du pouvoir évoqué.

 

Dans le Nota bene qui clôt le document, apparaît en plus la confirmation claire du fait qu’on ne veut pas rentrer dans les distinctions classiques d’ordre et de juridiction, comme cela a été exposé dans la première partie de cette étude. L’explicite renonciation à se prononcer sur la validité ou la licéité du “pouvoir” des “orientaux séparés”[26] confirme ultérieurement que la doctrine classique sur la distinction entre les pouvoirs d’ordre et de juridiction, sur la valide consécration épiscopale et sur la collation de juridiction restreinte est volontairement contournée. C’est dommage car, nous ne voyons pas comment il pourrait en être autrement, seules ces distinctions auraient permis un véritable éclaircissement de la question.

 

Nous savons que selon bon nombre de théologiens par la Nota Praevia la question pourrait se dire conclue, et que même des débats très récents ( avril 2012 ) ont liquidé la question par un renvoi générique à la Nota Praevia, laquelle permettrait, sans aucun problème, une interprétation “dans la continuité” de la collégialité de Lumen Gentium.

 

 

Conclusion

 

Pour comprendre l’erreur épiscopaliste, pour lire vraiment à la lumière de la Tradition la question de la “collégialité” en voyant dans quelle mesure et avec quel contour elle peut se dire ou pas en harmonie avec la doctrine catholique, il n’est pas possible de faire abstraction de la distinction capitale - plusieurs fois soulignée par l’Aquinate - entre pouvoir d’ordre et de juridiction. Dans la première partie de ce travail nous avons insisté sur un tel aspect de façon générale, dans la deuxième partie nous avons cherché à mettre en évidence comment l’oubli d’une telle vérité a permis les ambiguïtés que l’on rencontre dans le chapitre III de Lumen Gentium. Ambiguïtés qui sont constatées par la Nota Praevia elle même, laquelle - tout en ayant apporté des freins qui ne furent pas tout à fait inutiles, mais qui néanmoins ont été largement ignorés dans la période post-conciliaire - n’a pas résolu le problème de fond, qui tourne autour des rapports entre juridiction universelle et restreinte, souveraine et subordonnée, et encore autour de la nature du pouvoir épiscopal d’ordre et de juridiction.

 

Aujourd’hui, définir l’orientation théologique actuelle - dato non concesso que dans certains cas elle soit encore proprement théologique, c’est à dire fondée sur la foi surnaturelle et sur la saine raison - comme épiscopaliste serait peut-être un euphémisme. On frôle déjà, par exemple, la théorisation du parlementarisme ecclésiale, dans des formulations que même les schismatiques orientaux n’avaient pas encore théorisées. De fait, même l’hérésie gallicane du XVIIIème est dépassée et l'ecclésiologie courante - si on peut encore parler d’ecclésiologie - puise désormais ses racines dans la pensée de Hans Küng, qui ne s’impose pas seulement au niveau des intellectuels. Il est nécessaire néanmoins de s’interroger sur les effets des choix du passé récent, qui consistent aussi, entre autre, dans l’absence de condamnations explicites de l’erreur et dans la dépréciation précipitée de la théologie thomiste.

 

                                                                                                Don Stefano Carusi

 

 



[1] Denz. 4350-52.

[2] Denz. 4142: “Sacra Synodus cunctis fidelibus firmiter credendum rursus proponit, et in eodem incepto pergens doctrinam de Episcopis, successoribus Apostolorum , qui cum successore Petri, Christi Vicario ac totius Ecclesiae visibili Capite, domum Dei viventis regunt, coram omnibus profiteri et declarare constituit”. 

[3] Denz. 4142: “Ut vero Episcopatus ipse unus et indivisus esset, beatum Petrum ceteris Apostolis praeposuit in ipsoque instituit perpetuum ac visibile unitatis fidei et communionis principium et fundamentum”. La référence est à la Pastor Aeternus de Vaticano I.

[4] Denz. 4143.

[5] Denz. 4144: “commendantes illis ut attenderent universo gregi, in quo Spiritus Sanctus eos posuit pascere Ecclesiam Dei”.

[6] Denz. 4144: “presidentes gregi, cuius sunt pastores ut doctrinae magistri, sacri cultus sacerdotes, gubernationis ministri”.

[7] Denz. 4145: “Hi pastores ad pascendum dominicum gregem electi”.

[8] Denz. 4145: “Docet autem Sancta Synodus episcopali consecratione plenitudinem conferri sacramenti Ordinis, quae nimirum et liturgica Ecclesiae consuetudine et voce Sanctorum Patrum summum sacerdotium, sacri ministerii summa noncupatur. Episcopalis autem consecratio, cum munere sanctificandi, munera quoque confert docendi et regendi, quae tamen natura sua nonnisi in hierarchica comunione cum Collegii Capite et membris exerceri possunt”. 

[9] Denz. 4353.

[10] Denz. 4146: “ordinis episcopalis indolem et rationem collegialem significant”; “Eandem vero iam innuit ipse usus”.

[11] Denz. 4146: “Collegium autem seu corpus Episcoporum”.

[12] Ibidem: “Membrum Corporis episcopalis aliquis constituitur vi sacramentalis consecrationis et hierarchica comunione cum Collegii Capite atque membris”.

[13] Denz. 4146: “Collegium autem seu corpus Episcoporum auctoritatem non habet, nisi simul cum Pontifice Romano, successore Petri, ut capite eius intelligatur, huiusque integre manente potestate Primatus in omnes sive Pastores sive fideles. Romanus enim Pontifex habet in Ecclesiam, vi muneris sui, Vicarii scilicet Christi et totius Ecclesiae Pastoris, plenam, supremam et universalem potestatem, quam semper libere exercere valet”.

[14] Denz. 4146: “Ordo autem Episcoporum, qui collegio Apostolorum in magisterio et regimine pastorali succedit, immo in quo corpus apostolicum continuo perseverat, una cum Capite suo Romano Pontifice, et numquam sine hoc Capite subiectum quoque supremae ac plenae potestatis in universam Ecclesiam exsistit, quae quidem potestas nonnisi consentiente Romano Pontifice exerceri potest”.  

[15] Denz. 4146: “In ipso, Episcopi, primatum et principatum Capitis sui fideliter servantes, propria potestate in bonum fidelium suorum, immo totius Ecclesiae funguntur”.   

[16] Denz. 4353: “Collegium non intelligitur sensu stricte iuridico, scilicet de coetu aequalium, qui potestatem suam praesidi suo demandarent, sed de coetu stabili, cuius structura et auctoritas ex Revelatione deduci debent”.

[17] Denz. 4353; “ Ob eandem rationem, de Collegio Episcoporum passim etiam adhibentur vocabula Ordo vel Corpus”.

[18] Ibidem.

[19] Denz. 4354: “Aliquis fit membrum Collegii vi consecrationis episcopalis et comunione hierarchica cum Collegii Capite atque membris”.

[20] Denz. 4354: “Consulto adhibetur vocabulum munerum, non vero potestatum, quia haec ultima vox de potestate ad actum expedita intelligi posset. Ut vero talis expedita potestas habeatur, accedere debet canonica seu iuridica determinatio per auctoritatem hierarchicam”.

[21] Denz. 4355.

[22] Denz. 4356: “Collegium enim necessario et semper Caput suum cointelligit, quod in Collegio integrum servat suum munus Vicarii Christi et Pastoris Ecclesiae universalis. A. v. distinctio non est inter Romanum Pontificem et Episcopos collective sumptos, sed inter Romanum Pontificem seorsim et Romanum Pontificem simul cum episcopis”.   

[23] Denz. 4356: Quia vero Summus Pontifex est Caput Collegii, ipse solus quosdam actus facere potest, qui Episcopis nullo modo competunt, v. gr. Collegium convocare et dirigere, normas actionis approbare, etc.”.

[24] Denz. 4356: “secundum propriam discretionem procedit”; Denz. 4357 : “Summus Pontifex, utpote Pastor Supremus Ecclesiae, suam potestatem omni tempore ad placitum exercere potest”. 

[25] Denz. 4357: “A. v. non semper est “in actu pleno”, immo nonnisi per intervalla actu stricte collegiali agit et nonnisi consentiente Capite”.

[26] Denz. 4359: “Commissio autem censuit non intrandum esse in quaestiones de liceitate et validitate, quae relinquuntur disceptationi theologorum, in specie quod attinet ad potestatem quae de facto apud Orientales seiunctos exercetur, et de cuius explicatione variae exstant sententiae”.

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9 février 2012 4 09 /02 /février /2012 20:37

    benedict cardinal ratzinger

 

 

 

Cardinal Ratzinger : « [l’Instruction Donum Veritatis] affirme - peut-être pour la première fois d'une façon aussi claire - qu’il existe des décisions du magistère qui ne peuvent constituer le dernier mot sur une matière en tant que telle, mais un encouragement substantiel par rapport au problème, et surtout une expression de prudence pastorale, une sorte de disposition provisoire. Leur substance reste valide, mais les détails sur lesquels les circonstances des temps ont exercé une influence peuvent avoir besoin de rectifications ultérieures. A cet égard, on peut penser aussi bien aux déclarations des papes du siècle dernier sur la liberté religieuse qu’aux décisions antimodernistes du début de ce siècle » (L’Osservatore Romano. Édition hebdomadaire en langue française, 10 juillet 1990, p. 9)[1].

 

Monseigneur Ocáriz :  « Le Concile Vatican II n’a défini aucun dogme, au sens où il n’a proposé aucune doctrine au moyen d’un acte définitif. Toutefois, le fait qu’un acte du Magistère de l’Église ne soit pas garanti par le charisme de l’infaillibilité ne signifie pas qu’il puisse être considéré comme « faillible », au sens où il transmettrait une « doctrine provisoire » ou encore des « opinions autorisées ». Toute expression du Magistère authentique doit être accueillie pour ce qu’elle est véritablement : un enseignement donné par des pasteurs qui, dans la succession apostolique, parlent avec un « charisme de vérité » (Dei Verbum, n.8), « pourvus de l’autorité du Christ » (Lumen Gentium, n. 25), « sous la lumière du Saint-Esprit » (ibidem). (Osservatore Romano, 2 décembre 2011, p. 6)

 

 

Le Cardinal Ratzinger affirme clairement qu’il existe un Magistère qui est provisoire et il donne un exemple. Ce Magistère, selon le Cardinal, n’est pas le dernier mot sur une matière, c’est-à-dire, il ne s’agit pas évidemment d’un Magistère infaillible, mais d’un Magistère purement authentique, qui pourrait sujet à des rectifications sur certains aspects. Ce Magistère pourrait être l’expression de prudence pastorale, une contribution par rapport au problème. Or la prudence est provisoire. Les décisions prudentielles peuvent et parfois doivent changer selon les circonstances. Il incline vers une position sans pour autant interdire ou condamner une autre position. Il s’agit donc d’un Magistère exercé à un moment donné et pour les circonstances de ce moment, pouvant donc changer si les circonstances changent. Le Cardinal n’affirme pas que tout Magistère non-infaillible est explicitement provisoire, mais qu’il existe aussi un Magistère de ce type. Classiquement on appelle cette sorte de Magistère provisoire le Magistère qui affirme qu’une telle doctrine est tuta vel non tuta. Ce Magistère ne veut pas trancher la question, mais il indique qu’une telle doctrine, dans le contexte contemporain à cet acte du Magistère, peut être enseignée sans danger pour la foi et la morale ou que, au contraire, elle ne peut pas être enseignée sans mettre en danger la foi et la morale. Ainsi, par exemple, une thèse philosophique peut être condamnée comme non tuta, non pas parce que le Magistère la considère fausse d'une manière absolue, mais parce que dans les circonstances données (considérant en particulier l'état dans lequel se trouvent la théologie, la philosophie ou la science en ce moment donné) on n'arrive pas à la concilier aisément avec le Dépôt Révélé et c'est donc imprudent de la tenir. Avec le temps le Magistère peut condamner définitivement cette théorie ou affirmer sa compatibilité avec la Révélation. Dans ce cadre on pourrait citer le cas de la condamnation de Galilée, auquel il avait été demandé de ne pas enseigner de façon péremptoire ce qui à l’époque n’était qu’une thèse non prouvée et de ne pas faire des connexions exégétiques avec ses théories. En principe donc un Magistère purement authentique et provisoire peut exister, comme l’affirme le Cardinal Ratzinger. Que ce soit le cas du Magistère contre la liberté religieuse au XIXème siècle et des décisions magistérielles contre le modernisme au début XXème, cela reste au moins très douteux[2].

 

Une analyse de l’affirmation de Mgr Ocáriz n’est pas facile, puisque son texte manque de clarté. Veut-il tout simplement dire que le Magistère de Vatican II n’appartient pas à cette espèce de Magistère faillible provisoire ? Magistère qui existerait donc par ailleurs, mais pas au dernier Concile ? Peut-on interpréter ainsi son affirmation ambiguë : « le fait qu’un acte du Magistère de l’Église ne soit pas garanti par le charisme de l’infaillibilité ne signifie pas qu’il puisse être considéré comme “faillible ”. au sens où il transmettrait une “doctrine provisoire”. ou encore des “opinions autorisées ”» ? De cette façon affirme-t-il qu’un acte du Magistère (purement) authentique ne transmet pas nécessairement une doctrine provisoire, bien qu’il puisse le faire ? Ou dans le sens contraire veut-il dire que aucun acte du Magistère (purement) authentique ne peut être provisoire ? Sa dernière phrase semble indiquer plutôt cela, puisque, pour expliquer l’affirmation que Vatican II n’est pas provisoire, il finit par englober tout Magistère authentique :  « Toute expression du Magistère authentique doit être accueillie pour ce qu’elle est véritablement : un enseignement donné par des pasteurs qui, dans la succession apostolique, parlent avec un  “charisme de vérité ” (Dei Verbum, n.8), “pourvus de l’autorité du Christ ” (Lumen Gentium, n. 25), “ sous la lumière du Saint-Esprit ” (ibidem) ». Mgr Ocáriz semble donc plutôt exclure la possibilité de tout Magistère provisoire, contrariant le Cardinal Ratzinger, la pratique de l’Église et la doctrine commune des théologiens.

 

Il faut d’ailleurs affirmer qu’un Magistère non-infaillible demeure toujours avec un certain caractère provisoire, autrement on aurait un Magistère toujours définitif, inchangeable, irréformable, enfin infaillible. La distinction entre faillible et infaillible donnée par l’Église elle-même n’aurait plus aucun sens. Ce caractère provisoire peut être exprimé soit directement (ou explicitement) par le Magistère lorsqu’il affirme qu’une doctrine est tuta vel non tuta ou indirectement (ou implicitement) lorsque le Magistère affirme une doctrine (enseignant sa vérité) ou la condamne (enseignant sa fausseté), sans pour autant trancher définitivement la question. Il faut ajouter que ce caractère provisoire peut avoir plusieurs degrés. Et ce Magistère purement authentique même s'il n'est pas directement ou explicitement provisoire n’est pas de iure infaillible et il reste réformable. C’est un enseignement pouvant donc contenir des erreurs, même si cela reste assez rare, et il ne peut point par conséquent exiger un assentiment absolu par le seul fait qu’il s’agit d’un acte magistériel de l’autorité ecclésiastique.

 

 

Abbé Daniel Pinheiro

 

 

 


[1] Dans le texte original italien le mot traduit par « encouragement » est « ancoraggio », ce qui signifie plutôt « ancrage » cfr. Osservatore Romano 27 giugno 1990 p. 6. Nous remarquons cette discordance entre les textes en circulation. Cependant le sens du texte n’est pas altéré. 

[2]Ce magistère n'est pas du Magistère Extraordinaire Infaillible, mais il est très probablement du Magistère Ordinaire Pontifical Infaillible, fondé sur la Révélation elle-même. Cette position a, en outre, des solides raisons doctrinales et théologiques à son appui. Au sujet de la liberté religieuse on revoie à l’étude de Mgr de Castro Mayer.

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30 juin 2011 4 30 /06 /juin /2011 10:52

 

« Le 15 octobre dernier, j’ai eu l’honneur d’écrire à Votre Sainteté en lui assurant mon filial respect aux ordres reçus.

Parmi ces ordres il y avait celui selon lequel, dans l’éventualité qu’ « en conscience je ne fus pas d’accord avec les actes de l’actuel Magistère Ordinaire de l’Eglise », « je manifeste librement au Saint Siège » mon avis. C’est ce que je vais faire, avec toute la révérence due à l’Auguste Vicaire de Jésus-Christ, en soumettant à Votre Sainteté les trois études annexes ». 

 

 

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Mgr De Castro Mayer     

 

Le nœud théologique de la “liberté religieuse”, ainsi qu’il est décrit dans le document conciliaire “Dignitatis Humanae” – au n. 2 en particulier – a suscité d’innombrables études et propositions interprétatives dans la lignée rebaptisée aujourd’hui «  de la continuité herméneutique ». Jusqu’à présent les tentatives, bien qu’étant d’une extrême érudition théologique, se sont avérées fort peu convaincantes.

L’évêque du diocèse de Campos, Mgr De Castro Mayer – aujourd’hui injustement oublié – s’était adressé respectueusement au Pape Paul VI, en sa qualité de membre de l’Eglise enseignante ; les évêques, avant d’instruire leur troupeau, reçoivent un enseignement de la part du Souverain Pontife, et la praxis veut qu’ils fassent appel à lui pour savoir quelle est l’interprétation authentique d’un texte qui leur à été proposé. Dans l’étude et la supplique de l’évêque brésilien, la franchise théologique s’unit au respect filial – et théologique – envers le Successeur de Pierre. En fils dévot de l’Eglise, mais sans cacher la vérité, l’évêque mène une étude théologique d’une désarmante simplicité, en parcourant la pensée constante de l’Eglise. N’arrivant pas à trouver une solution à cette question et voyant clairement le danger de la situation, il s’adresse à celui qui du Christ même a reçu les clés, parce que – pour paraphraser le père grec Théodore Studite – sa parole, sa plume divine, ses écrits ont le pouvoir de dissiper les bandes de loups farouches qui infestent la maison de Dieu :  “Lupi graves irruerunt in aulam Domini (…) habes potestatem a Deo… Terreto, supplicamus, haereticas feras calamo divini verbi tui”.

Ce texte date de 1974, mais il mérite d’être proposé à nouveau, non seulement pour les raisons mentionnées, mais aussi pour la main qui l’a écrit, en réfléchissant ouvertement sur la nécessité d’une interprétation authentique du texte controversé, sans exclure que le Souverain Pontife puisse procéder à la révision d’un texte qui ne jouit pas de l’infaillibilité.

 

     S. C.

 

 

Suivent l’étude et la supplique de Mgr De Castro Mayer. 

 
 

25 janvier 1974

  Très Saint Père,

Humblement prosterné aux pieds de Votre Sainteté, je demande à soumettre à Votre considération les études annexes à la présente lettre

L’envoi de ces études se fait en obéissance à l’ordre de Votre Saintété, qui a été transmis avec la lettre de l’Eminentissime Cardinal Sebastiano Baggio à l’Eminentissime Cardinal Vincente Scherer, ordre dont ce dernier m’a mis au courant de vive voix, lors d’ une rencontre à Rio de Janeiro le 24 septembre dernier.

Le 15 octobre dernier, j’ai eu l’honneur d’écrire à Votre Sainteté en lui assurant mon filial respect aux ordres reçus.

Parmi ces ordres il y avait celui selon lequel, dans l’éventualité qu’ « en conscience je ne fus pas d’accord avec les actes de l’actuel Magistère Ordinaire de l’Eglise », « je manifeste librement au Saint Siège » mon avis. C’est ce que je vais faire, avec toute la révérence due à l’Auguste Vicaire de Jésus-Christ, en soumettant à Votre Sainteté les trois études annexes » 

En faisant cela – que Votre Sainteté daigne le remarquer – je ne fais rien d’autre qu’un acte d’obéissance à Votre vénérable détermination. Les appréciations ici exprimées ont été le fruit d’années de réflexion et de prière. Il n’est pas dans mes intentions de les rendre publiques, parce que je sais que ma réserve sera agrée par Votre Sainteté.

Saint Père, l’obéissance m’oblige maintenant de communiquer à Votre Sainteté des pensées qui pourraient  vous causer du chagrin. Je le fais cependant avec l’âme en paix, parce que je suis dans la voie de la sincérité et de l’obéissance, dans laquelle je compte rester avec la grâce de Dieu.

Cependant si ma conscience est tranquille en même temps mon cœur est triste.

En effet toute ma vie de Prêtre et d’Evêque a été marquée par l’engagement à être, dans mon champ d’action limité, en raison de ma dévotion sans restriction et de mon obéissance sans réserve, un motif de grâce pour les différents Papes sous l’autorité desquels j’ai successivement servi.

Par contre, dans la conjoncture présente, la dévotion et l’obéissance me portent à contrister Votre Sainteté.

A ce point il me revient en mémoire un épisode de l’Histoire de France du siècle passé. Chateaubriand en parle dans les Mémoires d'Outre Tombe. Une fois le roi Louis XVIII sollicitait son opinion au sujet d’une mesure que le monarque venait de rendre publique. La sincérité empêchait l’écrivain d’approuver une telle mesure. Cependant la crainte de contrister le Roi l’encourageait à se taire. Il renonça donc à exprimer sa pensée. Louis XVIII s’en étant aperçu lui ordonna formellement de parler en toute franchise. Et lui, en répondant au noble appel et avant de s’ouvrir au Roi, lui adressa cette demande : "Sire, pardonnez ma fidelité". C’est bien ce que je demande à Votre Saintété : pardonnez la fidélité avec laquelle j’exécute Vos ordres.

J’implore de Votre Sainteté compassion pour l’obéissance de cet évêque désormais septuagénaire et qui vit en ce moment l’épisode le plus dramatique de son existence. Et je demande à Votre Sainteté au moins une parcelle de cette compréhension et bienveillance que tant de fois Vous avez manifesté non seulement envers ceux qui Vous sont proches, mais aussi envers des personnes étrangères et même ennemies du Troupeau de l’Unique Pasteur.

Au fil des années a pris corps dans mon esprit la conviction que des actes officiels de Votre Sainteté n’avaient pas la consonance, que de toute mon âme je désirais voir, avec les actes des Pontifes qui Vous ont précédé.

Il ne s’agit certainement pas d’actes garantis du charisme de l’infaillibilité. Ainsi, cette conviction ne secoue en rien ma foi sans réserve dans les définitions du Concile Vatican I.

Craignant d’abuser du temps précieux du Vicaire du Christ, je m’abstiens de plus larges considérations et je me limite à soumettre à l’attention de Votre Sainteté trois études :

  1 – A propos d’Octogesima Adveniens;

  2 – A propos de la Liberté religieuse;

  3 – A propos de l’ "Ordo Missae" (l’auteur de ce dernier texte est l’avocat Arnaldo Vidigal Xavier da Silveira, à la pensée duquel je m’associe).

  Il serait superflu d’ajouter qu’en ce moment, comme en d’autres moments de ma vie, j’accomplirai, en toute la mesure ordonnée par les lois de l’Eglise, le devoir sacré de l’obéissance. Et dans cet esprit, avec un cœur de fils ardent et très dévoué au Pape et à la Sainte Eglise, j’accueillerais n’importe quelle parole de Votre Sainteté relatifs à ces éléments.

De façon spéciale je supplie Votre Sainteté de bien vouloir me communiquer :

  a) Si Elle trouve des erreurs dans la doctrine exposée dans les trois études annexes.

  b) Si Elle voit dans la position prise dans les études mentionnées au sujet des documents du Magistère Suprême quelque chose qui soit en désaccord avec la révérence qui leur est due de la part d’un Evêque.    

  En suppliant que Votre Sainteté veuille concéder à moi même et à mon diocèse le précieux bénéfice de la Bénédiction Apostolique, je suis de Votre Sainteté un fils humble et obéissant.

  Antonio De Castro Mayer

Eveque de Campos

 

 

   

Contre la liberté religieuse (Mgr A. de Castro Mayer)

 

En matière de liberté religieuse dans l’ordre civil, trois points capitaux, parmi d’autres, sont absolument clairs dans la tradition catholique :

  1) nul ne peut être contraint de force à embrasser la foi ;

  2) l’erreur n’a pas de droits ;

  3) le culte public des religions fausses peut éventuellement être toléré par les pouvoirs civils en vue d’un plus grand bien à obtenir ou d’un plus grand mal à éviter, mais en principe il doit être réprimé, même par la force s’il le faut.

   

C’est ce qui ressort, par exemple, des documents suivants :

  - Pie IX, encyclique Quanta cura (8 décembre 1864) :

  "De plus, contrairement à la doctrine de l’Ecriture, de l’Eglise et des saints Pères, [les sectateurs du naturalisme] ne craignent pas d’affirmer que « le meilleur gouvernement est celui où l’on ne reconnaît pas au pouvoir l’obligation de réprimer, par la sanction des peines, les violateurs de la religion catholique, si ce n’est lorsque la tranquillité publique le demande ».

  En conséquence de cette idée, absolument fausse, du gouvernement social, ils n’hésitent pas à favoriser cette opinion erronée, on ne peut plus fatale à l’Eglise catholique et au salut des âmes, et que Notre prédécesseur de récente mémoire, Grégoire XVI, appelait un délire, savoir que la « liberté de conscience et des cultes est un droit propre à chaque homme ; et qu’il doit être proclamé et assuré dans tout Etat bien constitué »".

  - Syllabus de Pie IX, liste d’erreurs condamnées :

  "Proposition 77. A notre époque il ne convient plus que la religion catholique soit considérée comme l’unique religion de l’Etat, à l’exclusion de tous les autres cultes (Condamnée dans l’allocution Nemo vestrum du 26 juillet 1855). (DS 2977).

  Proposition 78. C’est donc de façon louable que, dans certaines régions portant le nom de catholiques, la loi a pourvu à ce qu’il soit permis aux immigrants de pouvoir exercer publiquement leurs cultes respectifs (Condamnée dans l’allocution Acerbissimum du 27 septembre 1852)". (DS 2978).

  - Léon XIII, encyclique Libertas, du 20 juin 1888 :

  "Dans l’ordre social, la liberté digne de ce nom ne consiste donc pas à faire tout ce que l’on veut, ce qui procurerait au contraire confusion et désordre et aboutirait à l’oppression de tous, mais à être aidé par la loi civile à pouvoir plus facilement vivre selon les règles de la loi éternelle [n. 17 dans le texte latin]. […]

  Si l’on considère la liberté religieuse sur le plan des cités, elle entend que peu importe que l’Etat rende un culte à Dieu ou veuille qu’un culte lui soit publiquement rendu, qu’aucun culte ne soit préféré à un autre, mais qu’il faille les regarder comme égaux en droit, sans égard pour le peuple, si ce peuple professe la foi catholique [n. 36]. […]

  [Mais] c’est Dieu qui a créé l’homme sociable et l’a placé dans la compagnie de ses semblables pour pouvoir trouver dans cette vie en société les avantages dont il a naturellement besoin, sans qu’il puisse tout seul se les procurer. Il s’ensuit que la société civile, du seul fait qu’elle est une société, doit reconnaître Dieu pour son Père et son auteur, reconnaître son pouvoir souverain et lui rendre un culte. La justice, la raison s’opposent donc à ce que la cité soit athée, ou, ce qui reviendrait au même, à ce qu’elle soit d’un même sentiment à l’égard de toutes les religions ou se disant telles, et qu’elle accorde à chacune d’elles indistinctement les mêmes droits [n. 36].

  Puisqu’il est donc nécessaire à chaque Etat de faire profession d’une religion, il faut qu’il professe la seule qui est la vraie, et il n’est pas difficile de la reconnaître, surtout dans les pays catholiques, tant les signes de sa vérité y sont clairement marqués [n. 37]. […]

  Car le droit est un pouvoir moral ; et, comme on l’a dit et comme il faudra le redire sans cesse, il est absurde de penser que la nature l’ait donné indistinctement et indifféremment à la vérité et au mensonge, au bien et au mal. Ce qui est vrai, ce qui est honnête, voilà qui a le droit d’être propagé librement et prudemment dans le pays et de devenir le patrimoine du plus grand nombre possible. Mais les opinions fausses, qui sont la pire des infections pour les esprits, et les vices qui corrompent les âmes et les mœurs, il n’est que juste qu’ils soient réprimés par l’autorité publique pour les empêcher de se répandre au grand dam de la société. Les libertés, que s’arroge un esprit dévergondé, exercent une pression morale sur la masse moins instruite : il n’est que juste qu’elles soient réprimées par l’autorité des lois, non moins que les abus de la force au détriment des faibles. C’est d’autant plus nécessaire que la plupart des citoyens ne peuvent absolument pas ou ne peuvent qu’avec une extrême difficulté se garder des sophismes d’une dialectique captieuse, surtout lorsqu’elle flatte les passions [n. 39]. […]

  Pour ces motifs, tout en n’attribuant de droits qu’à ce qui est vrai et honnête, ce pouvoir moral ne s’oppose pas à ce que le pouvoir politique tolère certaines choses non conformes à la vérité et à la justice, en vue d’éviter un plus grand mal ou d’obtenir et de conserver un plus grand bien [n. 52]".

  - Pie XII, Allocution Ci riesce (6 décembre 1953) :

  "Une autre question essentiellement différente est celle-ci : dans une communauté d’Etats peut-on, au moins dans des circonstances déterminées, établir la norme que le libre exercice d’une croyance et d’une pratique religieuse en vigueur dans un des Etats-membres ne soit pas empêché dans tout le territoire de la communauté au moyen de lois ou d’ordonnances coercitives de l’Etat ? En d’autres termes, on demande si le fait de « ne pas empêcher » ou de tolérer est permis dans ces circonstances et si, par là, la répression positive n’est pas toujours un devoir.

  Nous avons invoqué tantôt l’autorité de Dieu. Bien qu’il lui soit possible et facile de réprimer l’erreur et la déviation morale, Dieu peut-il choisir dans certains cas de « ne pas empêcher » sans entrer en contradiction avec son infinie perfection ? Peut-il se faire que, dans des circonstances déterminées, il ne donne aux hommes aucun commandement, n’impose aucun devoir, ne donne même aucun droit d’empêcher et de réprimer ce qui est faux et erroné ? Un regard sur la réalité autorise une réponse affirmative. Elle montre que l’erreur et le péché se rencontrent dans le monde dans une large mesure. Dieu les réprouve; cependant il leur permet d’exister. Donc l’affirmation : l’erreur religieuse et morale doit toujours être empêchée quand c’est possible, parce que sa tolérance est en elle-même immorale – ne peut valoir dans un sens absolu et inconditionné. D’autre part, même à l’autorité humaine Dieu n’a pas donné un tel précepte absolu et universel, ni dans le domaine de la foi ni dans celui de la morale. On ne le trouve ni dans la conviction commune des hommes, ni dans la conscience chrétienne, ni dans les sources de la révélation, ni dans la pratique de l’Eglise. Pour omettre ici d’autres textes de la sainte Ecriture qui se rapportent à cet argument, le Christ dans la parabole de la zizanie a donné l’avertissement suivant : « Dans le champ du monde, laissez croître la zizanie avec la bonne semence à cause du froment » [Mt. 13, 24-30]. Le devoir de réprimer les déviations morales et religieuses ne peut donc être une norme ultime d’action. Il doit être subordonné à des normes plus hautes et plus générales qui, dans certaines circonstances, permettent et même font peut-être apparaître comme le parti le meilleur celui de ne pas empêcher l’erreur, pour promouvoir un plus grand bien.

  Par là se trouvent éclairés les deux principes desquels il faut tirer dans les cas concrets la réponse à la très grave question touchant l’attitude que le juriste, l’homme politique et l’Etat souverain catholique doivent prendre à l’égard d’une formule de tolérance religieuse et morale comme celle indiquée ci-dessus, en ce qui concerne la communauté des Etats. Premièrement : ce qui ne répond pas à la vérité et à la loi morale n’a objectivement aucun droit à l’existence, ni à la propagande, ni à l’action. Deuxièmement : le fait de ne pas l’empêcher par le moyen de lois d’Etat et de dispositions coercitives peut néanmoins se justifier dans l’intérêt d’un bien supérieur et plus vaste. […]

  Quant à la seconde proposition, c’est-à-dire à la tolérance, dans des circonstances déterminées, même dans des cas où l’on pourrait procéder à la répression, l’Eglise – eu égard à ceux qui avec une bonne conscience (même erronée, mais incorrigible) sont d’opinion différente – s’est vue conduite à agir et a agi selon cette tolérance, après que sous Constantin le Grand et les autres empereurs chrétiens elle fut devenue Eglise d’Etat, mais ce fut toujours pour des motifs plus élevés et plus importants; ainsi fait-elle aujourd’hui et fera-t-elle dans l’avenir si elle se trouve en face de la même nécessité. Dans de tels cas particuliers, l’attitude de l’Eglise est déterminée par la volonté de protéger le bonum commune, celui de l’Eglise et celui de l’Etat dans chacun des Etats d’une part, et de l’autre, le bonum commune de l’Eglise universelle, du règne de Dieu sur le monde entier [[1]]". 

 

  

En cette matière, la doctrine de la déclaration conciliaire Dignitatis Humanae ne s’accorde pas avec les documents que nous venons de citer. Voici, en effet, ce que nous lisons au n°2 :

  "Le concile du Vatican déclare que la personne humaine a droit à la liberté religieuse. Cette liberté consiste en ce que tous les hommes doivent être soustraits à toute contrainte, de la part soit des individus, soit des groupes sociaux et de quelque pouvoir humain que ce soit, de telle sorte qu’en matière religieuse nul ne soit forcé d’agir contre sa conscience, ni empêché d’agir, dans de justes limites, selon sa conscience, en privé comme en public, seul ou associé à d’autres".

 
Le texte est clair, et, à la rigueur, il dispense de commentaires. Il y a, selon la déclaration, un véritable droit [2] à la liberté religieuse au sens indiqué. L’immunité de contrainte est présentée comme un droit de tous à l’égard de tous : individus, groupes et Etat.

Il faut donc noter que la déclaration ne considère point certaines situations concrètes – encore que très fréquentes – qui conseilleraient la permission, la tolérance du culte faux. Au contraire, le texte fait abstraction des faits concrets et établit en principe que tout homme a le droit d’agir selon sa propre conscience, en particulier ou en public, en matière religieuse.

Les limites de la liberté religieuse établies par la déclaration (en disant « dans de justes limites ») ne sont pas suffisantes, à la lumière de l’enseignement traditionnel des Papes, pour la débarrasser des défauts signalés [3].

 

Un peu plus loin, le texte conciliaire poursuit :

  "Ce droit de la personne humaine à la liberté religieuse dans l’ordre juridique de la société doit être reconnu de telle manière qu’il constitue un droit civil".

Le texte est clair. Le motif, pour lequel la déclaration souhaite que la liberté religieuse, dans les termes indiqués, se mue en droit civil, consiste en ce que, dès avant toute disposition légale, l’homme aurait ce droit. Il s’agirait donc d’un vrai droit naturel [4]. Or ce principe s’oppose à l’enseignement des papes précédents.

Ce qui cause la perplexité est le fait que la Déclaration Dignitatis humanae ne défend pas seulement la liberté religieuse en termes qui sont en désaccord avec la Tradition, mais affirme « ex professo » (au n°1) – sans d’ailleurs apporter de preuves – que sa position ne se heurte pas aux enseignements traditionnels.

Or, puisque la liberté religieuse, que revendique l’homme dans l’accomplissement de son devoir de rendre un culte à Dieu, concerne son immunité de toute contrainte dans la société civile, elle ne porte aucun préjudice à la doctrine catholique traditionnelle sur le devoir moral de l’homme et des associations à l’égard de la vraie religion et de l’unique Eglise du Christ.

Or, la tradition doctrinale catholique sur le devoir moral des hommes et des sociétés à l’égard de l’Eglise catholique a toujours enseigné que la vraie religion doit être favorisée et soutenue par l’Etat tandis que le culte public et le prosélytisme des fausses religions doivent être empêchés, au besoin par la force (bien qu’ils puissent, évidemment être tolérés par égard pour certaines circonstances concrètes déterminées). Telle est la tradition doctrinale catholique, qui a toujours enseigné que c’est un devoir moral au sens exact du terme. C’est chose à quoi les sociétés, en tant que créatures de Dieu, sont obligées, de façon absolue, envers la vraie religion.

 

Au numéro 2 de la Déclaration Dignitatis humanae, nous lisons :

  "En raison de leur dignité [5], tous les êtres humains, en tant que personnes, c’est-à-dire doués de raison et de libre volonté et donc chargés de responsabilité personnelle, sont stimulés par leur nature même et tenus par obligation morale à chercher la vérité, celle surtout qui concerne la religion. Ils sont tenus aussi à adhérer à la vérité dès qu’ils la connaissent et à régler toute leur vie selon les exigences de cette vérité. Or, à cette obligation, les hommes ne peuvent satisfaire d’une manière conforme à leur propre nature que s’ils jouissent, outre la liberté psychologique, de l’immunité à l’égard de toute contrainte extérieure. Ce n’est donc pas dans une disposition subjective de la personne, mais dans sa nature même, qu’est fondé le droit à la liberté religieuse. C’est pourquoi le droit à cette immunité persiste en ceux-là mêmes qui ne satisfont pas à l’obligation de chercher la vérité et d’y adhérer; son exercice ne peut être entravé dès lors que demeure sauf un ordre public juste".

On voit donc que la Déclaration ne revendique pas la liberté religieuse uniquement pour les seuls adeptes des autres religions, mais pour tous les hommes. Donc, même pour ceux qui n’embrassent aucune religion et pour ceux qui nient l’existence de Dieu. Selon la Déclaration Dignitatis humanae, même ces derniers peuvent professer publiquement leurs erreurs et faire de la propagande pour leur irréligiosité. Nous ne voyons pas comment la Déclaration peut estimer que cet étrange « droit » au prosélytisme athéiste ne s’oppose point à la Tradition catholique.

 

A l’appui de son concept de la liberté religieuse, la déclaration conciliaire allègue quelques textes pontificaux. Ce sont :

  - l’encyclique Pacem in terris de Jean XXIII, dans les Acta Apostolicae Sedis de 1963, pages 260 à 261;

  - le Radio-message de Noël 1942 de Pie XII, dans les AAS de 1943, page 19;

  - l’encyclique Mit Brennender Sorge de Pie XI, dans les AAS de 1937, page 160;

  - l’encyclique Libertas de Léon XIII, dans les Actes de Léon XIII, t. II, 1888.

 

Examinons brièvement ces quatre textes pontificaux.

Voici ce que dit celui de l’encyclique Libertas de Léon XIII :

  "On loue également très haut cette [liberté] qu’on appelle liberté de conscience : si elle est entendue en ce sens qu’il est permis à chacun, selon son gré, de rendre un culte à Dieu ou de ne pas le faire, cela est réfuté de façon suffisante par les arguments donnés plus haut. Mais on peut l’entendre aussi en ce sens qu’il est permis à l’homme, dans l’Etat, de suivre la volonté de Dieu selon la conscience qu’il a de son devoir, et d’accomplir ses préceptes, sans que rien l’en empêche. Cette liberté véritable, digne des enfants de Dieu, qui protège de la façon la plus noble la dignité de la personne, est plus grande que toute violence et toute injustice; elle a toujours été souhaitée par l’Eglise et lui a toujours été particulièrement chère". [DS 3250]

Un tel texte peut-il constituer une authentique défense de la liberté religieuse au sens d’immunité de contrainte extérieure pour l’adepte de n’importe quelle religion ? L’expression : « Sans que rien l’en empêche » donne-t-elle à ce texte le sens d’une liberté religieuse entendue comme ci-dessus ?

Le vrai sens du texte ne permet point semblable interprétation. En effet, parlant de la liberté de suivre la volonté de Dieu et d’accomplir ses ordres, le texte met face à face l’homme d’un côté, et de l’autre la volonté de Dieu et ses ordres. Et il réclame pour l’homme la faculté d’exécuter cette volonté et ces ordres sans empêchements. On comprend aussitôt que ce texte traite de la volonté de Dieu et de ses ordres tels qu’ils se présentent officiellement et objectivement. Par ailleurs, l’interprétation favorable au texte de Dignitatis humanae serait tellement opposée à tout le contexte de l’encyclique, qu’il est difficile de comprendre comment le texte conciliaire peut s’en prévaloir. Léon XIII, qui venait de prendre la défense de la répression de ceux qui répandent l’erreur oralement et par écrit, ne pouvait aussitôt se contredire.

Le sens de la liberté que Léon XIII défend ici est clair. Comme le dit le même texte, il s’agit du droit de « suivre la volonté de Dieu et d’accomplir ses préceptes selon la conscience qu’il a de son devoir ». Selon la même encyclique, cette liberté a « pour objet un bien conforme à la raison » (n°6, voir n. 6-9). Elle ne s’oppose point au principe selon lequel l’Eglise ne concède de droits qu’ « à celui qui est loyal et honnête » (n°41). Elle est qualifiée elle-même de « légitime et honnête » (n°16), par opposition à celle que professent les libéraux, radicaux ou modérés.

En outre, le proche contexte du passage de Libertas que nous sommes en train d’analyser fait encore mieux ressortir son véritable sens, qui n’est pas celui que lui attribue Dignitatis humanae.

En effet, la commission du Secrétariat pour l’unité des chrétiens, citant le texte analysé (voir l’opuscule Schema Declarationis de Libertate Religiosa, 1965, page 19),  n’en a transcrit que le passage que nous avons reproduit ci-dessus. Si cette citation s’était étendue encore de quelques lignes, on aurait vu aussitôt que le passage ne se rapporte pas à la liberté religieuse entendue au sens d’immunité de contrainte extérieure contre la diffusion des fausses religions; car, aussitôt, Libertas ajoute :

  "C’est cette liberté que les apôtres ont revendiquée avec tant de constance, que les apologistes ont défendue dans leurs écrits, qu’une foule innombrable de martyrs ont consacrée de leur sang".

Or, la déclaration Dignitatis humanae ne présente pas la liberté religieuse – au sens d’immunité de contrainte extérieure pour les religions fausses – comme étant enseignée expressément par les apôtres, mais déclare seulement qu’elle « a des racines dans la Révélation divine ». Comment donc Léon XIII pourrait-il dire que les apôtres revendiquaient constamment une telle liberté « per se » ?

Et surtout, comment Léon XIII pourrait-il dire qu’ « une foule innombrable de martyrs » ont consacré de leur sang cette liberté ? Nous n’avons connaissance d’aucun martyr qui soit mort pour défendre le « droit » des nicolaïtes, des gnostiques, des ariens, des protestants ou des athées de propager leurs erreurs. Ce serait particulièrement étrange de parler d’une « foule de martyrs » ayant répandu leur sang à pareille intention. Il devient donc évident que le passage cité de Libertas ne concerne pas la liberté religieuse au sens d’immunité de contrainte extérieure pour les propagateurs de l’erreur.

 

Juste au début du paragraphe suivant, Léon XIII déclare :

  "Elle [cette liberté chrétienne] n’a rien de commun avec les dispositions factieuses et révoltées, et, d’aucune façon, il ne faut se la figurer comme réfractaire à l’obéissance due à la puissance publique ; car ordonner et exiger l’obéissance aux commandements n’est un droit de la puissance humaine qu’autant qu’elle n’est pas en désaccord avec la puissance divine et qu’elle se renferme dans les limites que Dieu lui a marquées. Or, quand on donne un ordre qui est ouvertement en désaccord avec la volonté divine, on s’écarte alors loin de ces limites et on se met du même coup en conflit avec l’autorité divine : il est donc juste alors de ne pas obéir". [Actes de Léon XIII, Paris, Bonne Presse, t. II, p. 221.]

Or « l’obéissance due à la puissance publique » et le droit qu’ont les citoyens de désobéir aux lois humaines injustes ne démontrent pas la liberté religieuse au sens d’immunité de contrainte extérieure dans la pratique des fausses religions. Ils concernent la vraie liberté, qui est la faculté de faire le bien, de suivre la volonté de Dieu, de pratiquer la religion catholique sans être empêché en cela par personne.

Un peut plus loin le texte de « Libertas » est encore plus clair :

  « Mais les partisans du Libéralisme, qui, en même temps qu'ils attribuent à l'Etat un pouvoir despotique et sans limites, proclament qu'il n'y a aucun compte à tenir de Dieu dans la conduite de la vie, ne reconnaissent pas du tout cette liberté dont Nous parlons et qui est unie intimement à l'honnêteté et à la liberté; et ce qu'on fait pour la conserver, ils l'estiment fait à tort et contre l'Etat »

Or il serait complètement absurde de dire que les libéraux sont opposés à la liberté religieuse au sens d’une immunité de coaction externe pour la diffusion des fausses religions. Il reste clair donc que Léon XIII propose la liberté « légitime et honnête » définie et défendue par lui-même dans l’Encyclique en question (cfr. p. 186), au nom de laquelle nous pouvons et par principe devons nous opposer aux lois injustes.

 

Ces considérations sur le texte de « Libertas », cité par « Dignitatis Humanae », rendent facile la compréhension du vrai sens des autres passages que la Déclaration conciliaire cite au même endroit.

Quand l’encyclique « Mit Brennender sorge » affirme, contre le nazisme, le droit du fidèle de connaître et pratiquer la religion [6], le texte n’affirme pas que l’erreur jouit de l’immunité dans l’ordre civil. De plus, il serait inconcevable que en quatre brèves lignes Pie XI essaie de défendre une nouvelle notion de liberté, en opposition avec les Papes précédents. Il est évident que de même que Léon XIII a proclamé, au nom de cette liberté, le droit de résister aux lois injustes et oppressives des gouvernements libéraux, Pie XI a proclamé, au nom de cette même liberté, le droit de résister au nazisme.

Et quand Pie XII, pendant la 2ème Guerre Mondiale, a revendiqué comme droit fondamental des personnes « le droit au culte de Dieu, soit-il privé ou publique, y compris l’action caritative religieuse » [7], le texte de son radio-message n’affirmait point – comme nous l’avons déjà observé à propos de « Mit Brenender Sorge » - le droit au culte faux rendu à Dieu dans une religion qui n’est pas vraie. Au contraire son sens naturel est que le droit de rendre à Dieu le vrai culte soit reconnu à l’homme, une fois seulement que le culte en question est celui qui Lui est dû.

De plus, il est évident que Pie XII n’avait pas l’intention de modifier la doctrine catholique concernant cette matière, mais il défendait uniquement la liberté « légitime et honnête » si clairement expliquée par Léon XIII. D’autant plus que dans l’Allocution « Ci riesce », où il a traité « ex professo » de la question, il nie tout droit à ce qui ne correspond pas à la vérité et à la norme morale.

 

Il en va de même pour le passage de Jean XXIII cité par « Dignitatis Humanae ». Celui-ci dit :

  "In hominis iuribus hoc quoque numerandum est, ut et Deum, ad rectam conscientiae suae normam, venerari possit, et religionem privatim publice profiteri".

Puisque le texte dit : « selon les droits dictés de la propre conscience » et non « selon les choses dictées par la propre conscience droite » (comme certains l’ont prétendu), il reste clair que Jean XXIII parle ici dans le même sens que Léon XIII dans « Libertas ». Cette interprétation s’impose encore plus clairement si l’on considère que pour éclaircir le sens du passage indiqué, Jean XXIII rapporte dans le texte principal de « Pacem in Terris » une page de Lactance et une de Léon XIII. Le passage de Lactance se réfère au « rendre les honneurs justes et dus à Dieu » [8], alors que celui de Léon XIII est exactement celui que nous avons commenté plus haut  (“Haec quidem vera, haec digna filiis Dei libertas…”).

 
 
À l’issue de cette étude nous jugeons opportun d’analyser et de résoudre une objection qui pourrait être formulée ainsi :

La Déclaration « Dignitatis Humanae » a été approuvée par la majorité de l’Épiscopat. Ne serait-elle donc pas garantie par le charisme de l’infaillibilité ou au moins comme document du Magistère Ordinaire n’obligerait-elle pas tous les fidèles ?

Nous répondons à cette objection par les remarques suivantes :

  1)      Comme il a été officiellement déclaré, le Concile Vatican II n’a pas eu l’intention de faire de nouvelles définitions solennelles. Pour cette raison la Déclaration « Dignitatis Humanae » n’est pas garantie par le charisme de l’infaillibilité, qui est le propre d’une définition solennelle.

  2)     Nonobstant cela, une résolution prise par la majorité de l’Épiscopat réuni en Concile et approuvée par le Souverain Pontife oblige tous les fidèles, même si elle n’est pas garantie par l’infaillibilité.

  3)     Cependant, cette obligation cesse quand se vérifie dans le même cas deux conditions : a) lorsqu’il est manifeste que l’Épiscopat universel n’a pas eu l’intention d’obliger de manière définitive les consciences ; et de plus lorsque b) il est clair qu’un tel document de l’Épiscopat universel est en contradiction avec une doctrine déjà établie comme certaine par le Magistère Ordinaire d’une longue série de Papes.

 

Texte revu par Daniel Pinhero (IBP)

 

 


 

Notes:

1.       Dans le même sens, on peut citer encore :  Pie VI, Lettre « Quod aliquantulum » dans La paix intérieure des Nations, Solesmes, p. 4-5 ; et Enc. « Adeo Nota », ib., p. 7; Pie VII, Lettre Apost. « Post tam diuturnitas », ib. Pp. 18-19; Grégoire XVI. Enc. « Mirari Vos », DS 2731 et ss. ; Pie IX. Enc. « Singulari Nos » dans la Paix intérieure des Nations  ; Léon XIII, Enc. « Humanum Genus » in BAC, Doc. Pont. II, p. 168 ; Enc. « Immortale Dei », ib. pp. 193-194, 204-205 et 207-208. Saint Pie X, Lettre « Vehementer Nos », ib. pp. 384-385 ; Pie XI, Enc. « Quas Primas », ib. p. 504 ; Lettre « Ci é domandato », ib. vol 5, p. 125; Enc. « Non abbiano bisogno », ib. II, p. 594 ; Pie XII, Lettre à l’Épiscopat Brésilien, AAS. 1950, p. 841.

On voit donc que les Papes ont enseigné de manière  insistante et claire que la propagande des fausses religions doit être « empêchée », « réprimée » (« Ci Riesce »), si nécessaire donc avec la coaction externe. Ainsi, ce n’est pas seulement l’erreur, considéré abstraitement, qui est déporvu des droits (« Libertas », BAC, p. 196 ; « Ci Riesce »), mais les personnes concrètes elles-mêmes qui diffusent l’erreur en matière religieuse n’ont point de droit (« Syllabus », prop. 78 ; Enc. « Libertas », BAC, p. 196) D’autre côté, les Papes n’ont pas condamné seulement la liberté religieuse absolue et illimité, qui offense la moralité et l’ordre publique (Enc. « Libertas ») Ils ont déclaré expressément que c’est la diffusion de l’erreur, en tant que telle, qui doit être empêchée, même dans les cas où elle ne nuirait point à l’ordre publique (Enc. « quanta Cura » e « Libertas » ; et « CI riesce »).  

2.       Au moment des débats conciliaires sur la liberté religieuse, certains auteurs traditionalistes, désireux de donner une explication orthodoxe au schéma, ont essayé de soutenir que, dans un sens ou l’autre, les adeptes des fausses religions jouissent d’un vrai droit de pratiquer publiquement leur religion et de la diffuser. Nous signalons deux tentatives.

Le Père Marcelino Zalba, S.J. a soutenu que la conscience invinciblement erronée engendre de vrais droits, bien que secondaires, i.e., qui cèdent face au droit supérieur du catholique, qui détient la vérité objective et entière (cfr. « Gregorianum », 1964, p. 94-102 ; « Periodica », 1964, p. 31-67). Cette thèse ne nous semble pas en accord ni avec les principes du droit naturel ni avec les enseignements des Papes antérieurs. L’erreur, en tant que telle, ne peut pas engendrer des vrais droits d’aucune espèce, mais seulement des droits putatifs.

Mgr. Temiño a proposé une deuxième théorie selon laquelle celui qui ne connait pas le catholicisme ou n’est pas persuadé de sa vérité, a le droit de professer sa religion, dans la mesure où celle-ci contient le droit naturel ou ne s’y oppose pas. Un tel droit doit cependant céder face à la religion catholique (« La conciencia y la libertad Religiosa », Burgos, 1965, p. 72). Une analyse approfondie de cette position dépasserait  les limites de notre étude. Qu’il suffise d’observer ici que la théorie de Mgr. Temiño ne justifierait, en aucun cas, ce qui est le point central de « Dignitatis Humanae » : l’affirmation d’un vrai droit d’immunité par rapport à la coaction externe pour chaque religion, en égalité de conditions avec la religion catholique.

 

 

3.       Quelles sont les  « limites dues » auxquelles revient le droit d’immunité de coaction externe en matière religieuse ?

Le sujet est traité ex professo au numéro 7 de « Dignitatis Humanae » : l’exercice de la liberté religieuse ne peut pas nuire à la composition pacifique des droits de tous les citoyens, ni à l’honnête paix publique basée sur la véritable justice, ni à la moralité publique.

En accord avec les documents d’une série de Papes, on voit que les religions fausses n’ont droit ni à l’existence ni à la propagande. On ne peut donc pas parler d’un véritable droit à l’immunité de coaction dans l’ordre civil. Ainsi, le problème des limites d’un tel droit est inexistant. Où il n’y a pas de droit, la question de ses limites ne se pose point. 

Qu’il nous soit permis cependant d’observer que « Dignitatis Humanae » propose pour la liberté en matière religieuse les mêmes limites que la Déclaration des Droits de l’Homme de l’ONU établi pour l’exercice de la liberté de conscience et de religion et qui se retrouvent de manière plus ou moins exacte dans les Constitutions libérales des nations modernes, inspirées des postulats de la Révolution Française.

De plus, il faut noter en particulier le caractère pluraliste de « Dignitatis Humanae », qui par sa nature s’adresse non seulement aux catholiques mais qui dirigera aussi les non-catholiques (gouvernements ou particuliers) en matière de liberté religieuse. Ainsi, lorsque elle parle de « composition pacifique de droits », à quels droit se rapporte-t-elle ? Est-ce que « Dignitatis Humanae » entend comme présupposé que les postulats du droit naturel, en tant que norme de coexistence, sont admis par tous ? La Déclaration conciliaire gagnerait beaucoup en le disant clairement. En effet, vue la largesse avec laquelle « Dignitatis Humanae » définit la liberté civile en matière religieuse, pourquoi exclure la conception marxiste de la religion, par exemple ? En sens contraire, pourquoi exclure la conception de la « paix publique honnête», de « vraie justice », que prêchent les gouvernements libéraux ou les gouvernements totalitaires, par exemple ?

L’indéfinition de « Dignitatis Humanae » quant aux limites du droit d’immunité de coaction externe en matière religieuse (droit qui n’existe point) est un élément qui favorise, en pratique, certaines tendances hétérodoxes dans leur lutte contre l’Église.

4.       Dans l’Aula Conciliaire, parlant au nom de la Commission du Secrétariat pour l’Unité des Chrétiens, Mgr. De Smedt a déclaré : « Libertas seu imunitas de qua agitur in Declaratione non (...) agit de relationibus inter fideles et auctoritates in Ecclesia », c’est-à-dire la liberté ou l’immunité de coaction dont traite la Déclaration ne porte pas sur la relation entre les fidèles et les autorités de l’Église (« Schema Declarationis de Libertate Religiosa », 1965, p. 25) Nous savons bien la grande importance qu’ont ces paroles pour l’interprétation du document conciliaire. Cependant nous ne pouvons pas ne pas regretter la grande confusion que certaines expressions de « Dignitatis Humanae » introduisent dans la doctrine concernant le pouvoir coercitif de l’Église sur ses sujets.

Pourquoi la déclaration de Mgr. De Smedt n’a-t-elle pas été incluse dans le texte conciliaire ? Cette omission, per se, dans un texte qui a pour but de traiter ex professo de l’immunité de coaction externe en matière religieuse et qui analyse de manière minutieuse les conséquences d’une telle immunité, mène naturellement le lecteur à penser que l’Église ne peut pas non plus exercer la coaction externe sur ses sujets.

De plus la Déclaration affirme la « liberté sociale et civile » en matière religieuse (sous titre et passim). Or le mot « social » dans son sens le plus commun et même technique comprend aussi l’Église.

Le texte conciliaire propose en des termes clairs, forts et universels le pour ainsi dire « droit » à l’immunité de coaction externe en matière religieuse, droit qui dans une saine logique ne peut point être concilié avec le droit que possède l’Église d’exercer la coaction sur ses sujets (imposer des peines, etc.). Comment l’Église pourrait-elle s’opposer à un droit qui se présente avec toutes les caractéristiques d’un droit naturel ?

Au numero 1 de « Dignitatis Humanae » on lit : « Pariter vero profitetur Sacra Synodus officia haec (religiosa) hominum conscientiam tangere ac vincire, nec aliter veritatem sese imponere nisi vi ipsius veritatis, quae suaviter simul ac fortiter mentivus illabitur ». Le Saint Synode professe également que ces devoirs (religieux) touchent et lient la conscience des hommes  et que la vérité ne s’impose que par la force de la vérité elle-même qui pénètre doucement et fortement dans les âmes.

Dans le contexte le sens devient clair : ces devoirs concernent et lient seulement la conscience. Comment l’Église peut-elle donc logiquement imposer des peines ? Et si l’on prend les mots dans leur sens naturel, comment concilier, par exemple, les peines médicinales  imposées par l’Église avec le principe que « la vérité ne s’impose que par sa force même de vérité » ? 

Puisque cette question va au-delà du but que nous nous sommes proposé dans la présente étude, nous voulons seulement la mentionner brièvement, en mettant en évidence le danger qui existe de réduire à néant la doctrine sur le pouvoir coercitif de l’Église. À ce sujet Léon XIII écrit dans l’Encyclique « Libertas » : « Certains, comme l’Église existe, ne la nient pas et ils ne peuvent donc pas la nier, mais ils nient sa nature et les droits propres d’une société parfaite, affirment que l’Église n’a pas de pouvoir législatif, judiciaire et coercitif et que lui revient seulement une fonction exhortative, persuasive, en dirigeant ses sujets et en les menant à agir spontanément par persuasion. Avec une telle opinion, ils faussent la nature de cette société divine, en vidant et diminuant son autorité, magistère et efficacité. » (BAC. Ib. 256/7) 

5.       Sans doute plusieurs Papes ont rapproché la liberté religieuse légitime et honnête de la dignité humaine (cf. Léon XIII, Enc. « Libertas » ; Lettre Apost. « Praeclara Gratulationis », dans  La Paix intérieure des Nations, Solesmes, pp 215-216 ; Saint Pie X, Lettre Apost. Notre Charge contre le Sillon. Pie XI, Enc. « Quas Primas » ; Pie XII, Radiomessage de Noël 1944, id. Noël 1949, allocution au « Katholikentag » dans Catolicismo, n. 24, décembre 1952)

Cependant ces Papes n’ont jamais déduit un droit au mal ou à l’erreur à partir de la dignité humaine. AU contraire, ils ont toujours enseigné que la dignité humaine n’est pas niée ni violée quand, dans les cas nécessaires, le mal est empêché. Et plus encore. Ils ont enseigné que la répression du mal  favorise le perfectionnement de l’individu et de la société et qu’elle constitue donc un postulat de la dignité humaine entendue dans son sens authentique. 

Lorsqu’elle déduit de la dignité humaine un véritable droit de professer publiquement l’erreur en matière religieuse, la Déclaration du Concile Vatican II adopte une position différente de celle des Papes antérieurs. Dans une saine logique elle se place dans une position intenable parce qu’on peut concevoir que la dignité humaine établisse un droit au mal seulement si elle est au-dessus au hors de l’ordre moral lui-même.

 

6.       Le texte de l’Encyclique est le suivant : «Der gläubige Mensch hat ein unverlierbares Recht, seinen Glauben zu bekennen und in den ihm gemässen Formen zu betätigen. Gesetze, die das Bekenntnis und die Betätigung dieses Glaubens unterdrücken oder erschweren, stehen im Widerspruch mit einem Naturgesetz» (AAS, 1937, p. 160). 

7.       Ces mots sont ceux du Radio-message de Pie XII qui se trouvent dans la documentation présentée au Concile : voir l’opuscule « Schema Declarationis de Libertate Religiosa », 1965, p.19.

8.      Haec condicione gignimur, ut generanti no Deo justa et debita obsequia praebeamus, hunc solum noverimus, hunc sequamur. Hoc vinculo pietatis obstriciti Deo et religati sumus, unde ipsa religio nomen accepit.” (AAS 1963 p. 260/1)

 

 


 

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15 mars 2010 1 15 /03 /mars /2010 18:11
Une borne théologique :
Le dernier exposé complet de la doctrine traditionnelle de la tolérance
avant le vote de la liberté religieuse à Vatican II

 

Le texte qui suit, extrait de Documenta Concilio œcumenico Vaticano II apparando, Constitutio De Ecclesia, c. 9, qui fait partie des archives publiques de Vatican II et de sa préparation, est resté jusqu’à présent généralement ignoré. Peut-être la manière souvent idéologique dont est traitée l’histoire conciliaire a-t-elle contribué à son ensevelissement.

Entre l’annonce du Concile, le 15 janvier 1959, et son ouverture, le 11 octobre 1962, une intense activité s’est déroulée au sein de douze commissions et de trois secrétariats chargés de préparer les textes qui seraient discutés par les évêques. L’élaboration des documents dogmatiques sur l’Eglise, le dépôt de la foi, les sources de la révélation, la morale sociale et individuelle, fut confiée à la Commission théologique présidée par le cardinal Alfredo Ottaviani, qui dirigeait alors le Saint-Office. Il s’agissait des constitutions destinées à former l’épine dorsale de l’assemblée en préparation.

Au fur et à mesure de l’avancement des travaux, des tensions très fortes se manifestèrent entre la Commission théologique et le Secrétariat pour l’unité des chrétiens, présidé par le cardinal Augustin Bea, qui avait ajouté au projet sur l’œcuménisme, dont il était chargé, des développements sur la liberté religieuse. La question théorique centrale en débat était celle des rapports de l’Eglise et de l’Etat : elle était traitée tant par le schéma sur l’Eglise, dans son chapitre 9, que par celui sur la liberté religieuse, à l’origine sous un titre pratiquement identique dans les deux textes, mais selon des inspirations diamétralement opposées.

Le texte du Secrétariat pour l’unité, issu de ce que l’on nomme le Document de Fribourg, remplaçait la doctrine traditionnelle de la tolérance possible de l’erreur par celle du droit à la liberté. Lorsqu’il fut présenté devant la Commission préparatoire centrale, en juin 1962, un certain nombre de ses membres le déclarèrent irrecevable au regard de la doctrine catholique, telle qu’elle était énoncée par le magistère depuis la fin du XVIIIe siècle. La Commission théologique avait pour sa part précisé le contenu du chapitre 9 du De Ecclesia pour régler le problème de la liberté religieuse dans son principe. Selon une hypothèse sérieuse ce texte n’était rien d’autre que la reprise par le P. Gagnebet, chargé de sa rédaction, d’un document qu’il avait déjà préparé pour le Saint-Office en 1958. Cet écrit devait condamner les idées de Jacques Maritain et de John Courtney Murray. Seule la mort de Pie XII avait empêché de le publier [1]. C’eût été la dernière condamnation magistérielle de la liberté religieuse avant Vatican II.

On décida de réunir, dans les trois mois qui restaient avant l’ouverture de Vatican II, une commission mixte (membres de la Commission de théologie et membres du Secrétariat pour l’unité) qui, de fait, ne siégea jamais. Quel compromis eût-elle d’ailleurs pu élaborer ?

 

Tout donc allait se jouer lors du Concile : ou bien le chapitre 9 du De Ecclesia était approuvé et il invalidait le texte sur la liberté religieuse, ou ce dernier était voté et la doctrine du chapitre 9 devenait périmée. On peut dire que chacun d’eux représentait respectivement la fine pointe de deux projets opposés concernant le concile qui allait s’ouvrir. Comme on le sait, lors de la première session, à l’automne 1962, « l’école romaine de théologie », selon l’expression alors en vigueur, fut immédiatement mise en minorité et, en conséquence, l’ensemble des schémas préparés par la Commission de théologie furent balayés sans examen. Le texte sur la liberté religieuse du Secrétariat pour l’unité restait donc sans concurrent. Il fut adopté le 7 décembre 1965.

On trouvera ici la traduction du chapitre 9 du De Ecclesia dans son état ultime, c’est-à-dire tel qu’il a été remis aux Pères conciliaires avant l’ouverture de l’assemblée, et qui constitue ainsi une espèce de borne : avec tout son appareil de références, que j’ai jugé utile de reproduire intégralement, il est la dernière, et certainement la meilleure synthèse de ce qui a été la doctrine de l’Eglise sur cette question jusqu’au Concile.

 

Abbé Claude Barthe

 

***

 

Les relations entre l’Eglise et l’Etat et la tolérance religieuse

 

1.  Le principe de distinction entre l’Eglise et la société civile et de subordination de la fin de l’Etat à la fin de l’Eglise

L’homme, destiné par Dieu à une fin surnaturelle, a besoin tant de l’Eglise que de la société civile pour parvenir à la perfection. C’est le propre de la société civile, à laquelle l’homme appartient en raison de sa nature sociale, d’atteindre, en tant qu’elle est dirigée vers les biens terrestres, cette fin grâce à laquelle les citoyens peuvent mener sur la terre « une vie calme et paisible » (1 Tm 2, 2). Quant à l’Eglise, à laquelle l’homme doit s’incorporer en vertu de sa vocation surnaturelle, elle a été fondée par Dieu pour que, croissant toujours davantage, elle conduise les fidèles à leur fin éternelle par sa doctrine, par ses sacrements, par sa prière et par ses lois [2]. Chacune de ces sociétés est dotée des moyens nécessaires au bon accomplissement de sa mission : aussi bien, l’une et l’autre sont parfaites, ce qui veut dire que chacune d’elles, dans son ordre respectif, est souveraine, et par conséquent non soumise à une autre, pourvue du pouvoir législatif, du pouvoir judiciaire et du pouvoir exécutif [3]. La distinction entre ces deux Cités repose, comme le veut une tradition constante, sur les paroles du Seigneur : « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu » (Mt 22, 21).

Mais lorsque ces deux sociétés exercent leurs pouvoirs sur les mêmes personnes, voire à l’égard du même objet, il ne leur est pas permis de s’ignorer, et il convient même au plus haut point qu’elles agissent de concert, pour leur plus grand profit et pour le plus grand profit de leurs membres [4].

Le Saint Concile, voulant donc enseigner quelles relations doivent exister entre les deux pouvoirs en raison de leur nature, déclare tout d’abord que l’on doit tenir fermement que tant l’Eglise que la société civile ont été établies au bénéfice de l’homme [5], encore qu’il ne lui serve à rien de jouir de la félicité temporelle, que le pouvoir civil doit assurer, s’il vient à perdre son âme (Mt 16, 26 ; Mc 8, 36 ; Lc 9, 25). C’est pourquoi la fin de la société civile ne doit jamais être recherchée à l’exclusion ou au détriment de la fin dernière [6], à savoir du salut éternel.

 

2.  Le pouvoir de l’Eglise, ses limites et les fonctions que l’Eglise remplit vis-à-vis du pouvoir civil

Alors que le pouvoir de l’Eglise s’étend à tout ce par quoi les hommes atteignent le salut éternel, ce qui ressortit seulement à la félicité temporelle relève comme tel de l’autorité civile. Il s’ensuit que l’Eglise ne s’occupe pas des réalités temporelles, sauf en tant qu’elles seraient ordonnées à la fin surnaturelle. Mais dans ce qui est ordonné tant à la fin de l’Eglise qu’à celle de l’Etat, comme par exemple le mariage et l’éducation des enfants, les droits du pouvoir civil ont à s’exercer de telle sorte que les biens supérieurs de l’ordre surnaturel ne souffrent aucun dommage, ce dont l’Eglise est juge. Mais pour autant l’Eglise ne s’immisce d’aucune manière dans les autres affaires temporelles, qui, étant sauve la loi divine, peuvent légitimement s’organiser de diverses manières. Gardienne de son propre droit, très respectueuse de celui d’autrui, l’Eglise estime spécialement qu’il ne lui appartient pas de déterminer quelle forme constitutionnelle convient le mieux au gouvernement des nations chrétiennes : elle ne donne sa préférence à aucune sorte d’organisation de l’Etat parmi celles qui existent, dès l’instant que la religion et la morale sont sauves [7]. Elle empêche d’autant moins le pouvoir civil d’user librement de ses droits et de ses lois, qu’elle revendique pour elle la liberté [8].

Les gouvernants ne doivent pas ignorer combien nombreux sont les bienfaits que l’Eglise procure à la société civile en accomplissant sa mission [9]. C’est l’Eglise même qui contribue à faire que les citoyens soient de bons citoyens en leur inculquant la vertu et la piété chrétiennes, de sorte que le salut de l’Etat sera solidement assuré, comme le remarque S. Augustin, dans la mesure où ils sont tels que le leur prescrit la doctrine chrétienne [10]. Elle exige également des citoyens qu’ils obéissent aux prescriptions légitimes qui leur sont faites « non seulement par crainte du châtiment, mais en conscience » (Rm 13, 5) [11]. Elle enjoint par ailleurs à ceux auxquels est confié le gouvernement de l’Etat, de ne pas exercer leur charge pour assouvir un appétit de pouvoir, mais pour le bien des citoyens, et comme devant rendre des comptes à Dieu (He 13, 17) au sujet de ce pouvoir qu’ils ont reçu de sa main [12]. Elle inculque le respect religieux de la loi naturelle et de la loi surnaturelle, par lesquelles doit être organisé dans la paix et la justice l’ensemble de l’ordre social aussi bien entre les citoyens qu’entre les nations [13].

 

3.  Les devoirs religieux du pouvoir civil

Le pouvoir civil ne peut se montrer indifférent vis-à-vis de la religion. Puisqu’il est institué par Dieu pour aider les hommes à acquérir une perfection qui soit vraiment humaine, il doit non seulement offrir aux citoyens la faculté de se procurer les biens temporels tant matériels que culturels, mais il doit faire en sorte qu’ils puissent avoir aisément et en abondance les biens spirituels qui leur sont nécessaires pour mener religieusement leur existence humaine. Parmi ces biens, aucun n’est plus important que celui de connaître Dieu, de le reconnaître comme tel, et de remplir les devoirs qui lui sont dus : tel est, en effet, le fondement de toute vertu privée et plus encore de toute vertu publique [14].

Ces hommages dus à la majesté divine doivent être rendus non seulement par les citoyens pris individuellement, mais également par les pouvoirs publics qui représentent la société civile dans les actes publics. Dieu, en effet, est l’auteur de la société civile et la source de tous les biens qui sont répandus par elle sur ses membres. La société civile doit donc honorer et vénérer Dieu [15]. Quant à la manière selon laquelle Dieu doit être honoré, dans l’économie présente, elle ne peut être que celle-là même dont Dieu a déterminé d’user dans la véritable Eglise du Christ. Par conséquent, l’Etat doit s’associer au culte public célébré par l’Eglise, non seulement par l’intermédiaire des citoyens, mais aussi par celui des hommes qui, préposés à l’exercice du pouvoir, représentent la société civile [16].

Il ressort des signes manifestes dont l’Eglise a été dotée par son divin fondateur en ce qui concerne son institution divine et sa mission, que le pouvoir civil a la possibilité de connaître la véritable Eglise du Christ [17]. De sorte que le devoir de recevoir la révélation proposée par l’Eglise n’incombe pas seulement aux citoyens en particulier, mais au pouvoir civil. Ainsi, dans les lois qu’il lui revient d’édicter, il doit se conformer aux préceptes de la loi naturelle et tenir compte comme il se doit des lois positives, tant divines qu’ecclésiastiques, par lesquelles les hommes sont guidés vers la béatitude éternelle [18].

Mais de même qu’aucun homme ne peut honorer Dieu de la façon établie par le Christ s’il ne reconnaît qu’il nous a parlé en Jésus-Christ [19], la société civile ne le peut que dans la mesure où les citoyens, et la puissance civile en tant qu’elle représente le peuple, sont assurés du fait de la révélation.

La puissance civile doit spécialement garantir à l’Eglise une liberté pleine et complète, et ne l’empêcher en aucune manière de pouvoir remplir son entière mission : exercer son magistère sacré, régler et célébrer le culte divin, administrer les sacrements et prendre soin des fidèles. La liberté de l’Eglise doit être reconnue par le pouvoir civil dans tout ce qui se rapporte à sa mission, qu’il s’agisse particulièrement du recrutement et de la formation des séminaristes, de la nomination des évêques, de la libre et mutuelle communication entre le Pontife Romain, les évêques et les fidèles, qu’il s’agisse de l’institution et du gouvernement de la vie religieuse, de la publication et la diffusion d’écrits, de la possession et de l’administration de biens matériels, et d’une manière générale de toutes ces activités que l’Eglise, en tenant compte des droits civils, estime bien adaptées pour conduire les hommes vers leur salut éternel, sans oublier l’enseignement profane, les œuvres sociales, et quantité d’autres moyens [20].

Enfin incombe au pouvoir civil le grave devoir d’exclure de la législation, du gouvernement et de l’activité publique, tout ce par quoi l’Eglise estimerait que la poursuite de la fin ultime est entravée ; par dessus tout, il doit faire en sorte que soit facilitée la vie reposant sur les principes chrétiens, existence la plus conforme à cette fin ultime pour laquelle Dieu a créé les hommes [21].

 

4.  Principe général d’application de la doctrine exposée
L’Eglise a toujours reconnu que le pouvoir ecclésiastique et le pouvoir civil ont des rapports mutuels différents selon que la puissance civile, agissant au nom du peuple, connaît ou non le Christ, et par lui l’Eglise qu’il a fondée.

 

5.  Application pour l’Etat catholique

La doctrine exposée plus haut par le Saint Concile ne peut être appliquée dans son intégrité que dans la Cité au sein de laquelle les citoyens, non seulement sont baptisés, mais font profession de foi catholique. Dans cette situation, ce sont les citoyens eux-mêmes qui décident librement que la vie sociale sera informée par les principes catholiques, de telle sorte que, comme le disait S. Grégoire le Grand, « la voie du ciel s’ouvre plus largement » [22].

Mais, même dans ces conditions favorables, aucun motif n’autorise le pouvoir civil à contraindre les consciences d’accepter la foi divinement révélée. En effet, la foi est libre par essence, et elle ne peut faire l’objet d’aucune contrainte, comme l’enseigne l’Eglise en disant : « Personne ne peut être contraint, malgré lui, à embrasser la foi catholique » [23].

Mais cela n’empêche en rien que le pouvoir civil se doive de procurer les conditions intellectuelles, sociales et morales, grâce auxquelles les fidèles, y compris ceux qui n’ont pas de grandes connaissances, puissent facilement persévérer dans la foi qu’ils ont reçue. C’est pourquoi, de même que le pouvoir civil estime qu’il lui revient de prendre soin de la moralité publique, de même, afin de garder les citoyens des séductions de l’erreur et pour que l’Etat soit conservé dans l’unité de la foi, ce qui est le bien suprême et la source d’une multitude de bienfaits y compris dans l’ordre temporel, le pouvoir civil peut de lui-même régler les manifestations publiques des autres cultes, et défendre ses citoyens contre la diffusion des fausses doctrines par lesquelles, au jugement de l’Eglise, leur salut éternel est mis en péril [24].

 

6.  La tolérance religieuse dans l’Etat catholique

Parce qu’on doit agir dans le cadre de la préservation de la vraie foi selon les exigences de la charité chrétienne et de la prudence, il faut faire en sorte que les dissidents ne soient pas repoussés, mais bien plutôt qu’ils soient attirés vers l’Eglise, et que ni l’Etat, ni l’Eglise ne souffrent de dommage. De telle sorte qu’on doit toujours avoir présent à l’esprit le bien commun de l’Eglise et celui de l’Etat, pour la réalisation desquels le pouvoir civil, en fonction des circonstances, peut être tenu de mettre en œuvre une juste tolérance. Celle-ci doit d’ailleurs être consacrée par la loi. Le pouvoir civil y sera tenu, soit pour éviter de plus grands maux, tels que scandale, troubles civils, obstacle à la conversion, et autres de ce type, soit pour procurer un plus grand bien, comme la collaboration sociale, une vie commune pacifique entre des concitoyens qui divergent entre eux par la religion, une plus grande liberté de l’Eglise, un accomplissement plus efficace de sa mission surnaturelle et autres bénéfices semblables [25]. En cela, on doit tenir compte, non seulement du bien concernant l’ordre national, mais aussi du bien de l’Eglise universelle et du bien commun international [26]. Par sa tolérance, le pouvoir civil catholique imite l’exemple de la divine Providence, qui n’empêche pas les maux dont elle peut tirer de plus grands biens [27]. Cela doit être tout spécialement observé dans les endroits où, depuis des siècles, vivent des communautés non catholiques [28].

 

7.  Application pour l’Etat non catholique

Dans les Etats, dans lesquels la majeure partie des citoyens ne professent pas la foi catholique, ou bien ne connaissent pas le fait de la révélation, le pouvoir civil non catholique, en matière religieuse, doit au moins se conformer aux préceptes de la loi naturelle [29]. Dans ce contexte, la liberté civile doit être concédée par ce pouvoir non catholique à tous les cultes non opposés à la religion naturelle. Mais cette liberté ne s’oppose alors pas aux principes catholiques, puisqu’elle est conforme tant au bien de l’Eglise qu’à celui de l’Etat. Dans de tels Etats, dans lesquels le pouvoir ne professe pas la foi catholique, il incombe particulièrement aux citoyens catholiques d’obtenir, grâce aux vertus et aux activités civiques par lesquelles ils promeuvent, en union avec leurs concitoyens, le bien commun de l’Etat, qu’une pleine liberté soit concédée à l’Eglise pour l’accomplissement de sa mission divine [30]. En effet, même l’Etat non catholique ne souffre aucun dommage de la libre activité de l’Eglise, et il en retire au contraire de nombreux et remarquables avantages. De sorte que les citoyens catholiques doivent faire en sorte que l’Eglise et le pouvoir civil, bien qu’encore juridiquement séparés, se prêtent volontiers une mutuelle assistance.

Afin que les citoyens catholiques, agissant pour la défense des droits de l’Eglise, ne nuisent pas à l’Eglise, et moins encore à l’Etat, que ce soit par leur inertie, ou bien en déployant un zèle indiscret, il faut qu’ils se soumettent au jugement de l’autorité ecclésiastique, laquelle a compétence pour juger, en fonction des circonstances, de tout ce qui concerne le bien de l’Eglise [31] et pour diriger l’action que déploient les citoyens catholiques pour la défense de l’autel [32].

 

8.  Conclusion

Le Saint Concile, sachant bien que les principes concernant les relations mutuelles entre le pouvoir ecclésiastique et le pouvoir civil n’ont à être appliqués que si le gouvernement répond à ce qui a été exposé plus haut, ne peut cependant permettre qu’ils soient voilés par le biais d’un laïcisme erroné, voire même sous prétexte de sauvegarde du bien commun. Ils s’appuient en effet sur les droits inébranlables de Dieu, sur la constitution et la mission immuables de l’Eglise, aussi bien que sur la nature sociale de l’homme qui, demeurant identique en tous temps, spécifie la fin essentielle de la société civile, nonobstant les diversités des régimes politiques et la variété des situations historiques [33].

 

(Traduction : abbé Claude Barthe)

 

 

 

La doctrine conciliaire de la liberté religieuse

 

« Le concile du Vatican déclare que la personne humaine a droit à la liberté religieuse. Cette liberté consiste en ce que tous les hommes doivent être soustraits à toute contrainte de la part soit des individus, soit des groupes sociaux et de quelque pouvoir humain que ce soit, de telle sorte qu’en matière religieuse nul ne soit forcé d’agir contre sa conscience ni empêché d’agir, dans de justes limites, selon sa conscience, en privé comme en public, seul ou associé à d’autres. Il déclare, en outre, que le droit à la liberté religieuse a son fondement dans la dignité même de la personne humaine telle que l’a fait connaître la Parole de Dieu et la raison elle-même. Ce droit de la personne humaine à la liberté religieuse dans l’ordre juridique de la société doit être reconnu de telle manière qu’il constitue un droit civil » (Dignitatis humanae, n. 2 § 1).

 

[1] J. A. Komonchak, dans Giuseppe Alberigo (sous la direction de), Histoire du Concile Vatican II (1959-1965) — t. 1 : « Le catholicisme vers une nouvelle époque — L’annonce et la préparation », version française sous la direction d’Etienne Fouilloux, Cerf, 1997, p. 336.

[2] Léon XIII, Immortale Dei, 1er novembre 1885, ASS 18 (1885), DzH 1866 ; Pie IX, Etsi multa luctuosa, 21 novembre 1873, ASS 7 (1872), DzH 1841.

[3] Benoît XIV, Ad assiduas, 4 mars 1755, Bullarium t. IV, Rome 1758, p. 163 ; Pie VI, Auctorem fidei, 28 août 1794, DzH 1505 ; Pie IX, Quanta cura, 8 décembre 1864, ASS 3 (1867), pp. 164-165, DzH 1697-1698 ; Syllabus, 8 décembre 1864, prop. 20 et 54, ASS 3 (1867), p. 170 ; prop. 20, ibid., p. 171, prop. 54, ibid., p. 174, DzH 1720 et 1754 ; Léon XIII, Immortale Dei, 1er novembre 1885, ASS 18 (1885), p. 174, DzH 1869 ; CJC 1917 : nombreux sont les canons qui supposent la qualité de société parfaite de l’Eglise, comme les can. 109, 120, 121, 265, 1160, 1322 § 2, 1495 § 1, 1496, 2214 § 1, 2390 ; Pie XI, Ubi arcano, 23 décembre 1922, AAS 14 (1922), pp. 697 ss. ; Quas primas, 11 décembre 1925, AAS 17 (1925), pp. 604 ss., DzH 2197 ; Divini illius Magistri, 31 décembre 1929, AAS 22 (1930), pp. 52-53, DzH 2203 ; Pie XII, discours du 2 octobre 1942, 29 octobre 1947, AAS 36 (1944), p. 289, 29 octobre 1947, AAS 39 (1947), p. 495, 7 décembre 1955, AAS 47 (1955), p. 677.

[4] Au sujet de la nécessaire concorde entre les deux sociétés : Grégoire XVI, Mirari vos, 15 août 1832, ASS 4 (1868), p. 344, DzH 1615 ; Pie IX, Quanta cura, 8 décembre 1864, ASS 3 (1867), p. 161, DzH 1688 ; Syllabus, 8 décembre 1864, prop. 55, ibid., p. 174, DzH 1755 ; Léon XIII, Immortale Dei, 1er novembre 1885, ASS 18 (1885), pp. 166, 173, DzH 1866-1867 ; Libertas praestantissimum, 20 juin 1888, ASS 20 (1887), pp. 603 et 611 ; S. Pie X, Vehementer nos, 11 février 1906, ASS 39 (1906), pp. 12-13, DzH 1995 ; Pascendi, 8 septembre 1907, ASS 40 (1907), pp. 614-615, DzH 2092 ; Pie XI, Divini illius Magistri, 31 décembre 1929, AAS 22 (1930), pp. 55-56, DzH 2205 ; Pie XII, discours du 20 février 1949, AAS 41 (1949), pp. 75-76, 14 octobre 1951, AAS 43 (1951), p. 785, 12 mai 1953, AAS 45 (1953), pp. 399 ss., 7 septembre 1955, AAS 47 (1955), p. 679 (références explicites à la doctrine de Léon XIII, avec citations de Diuturnum illud, Immortale Dei et Sapientiae christianae) ; lorsque les ambassadeurs auprès du Saint-Siège lui présentaient leurs lettres accréditives, Pie XII a très souvent rappelé la nécessité de cette concorde, ainsi : 7 décembre 1939, AAS 31 (1939), p. 705, 15 novembre 1940, AAS 32 (1940), 22 novembre 1941, AAS 33 (1941), 10 mai 1945, AAS 37 (1945), p. 147, 29 janvier 1952, AAS 44 (1952) p. 185.

[5] Léon XIII, Sapientiae christianae, 10 janvier 1890, ASS 22 (1889/90), p. 385 ; Pie XI, Divini Redemptoris, 19 mars 1937, AAS 29 (1937), p. 79 ; Pie XII, Summi pontificatus, 20 octobre 1939, AAS 31 (1939), p. 433 ; discours du 24 décembre 1941, AAS 34 (1942), pp. 12, 14, 20 février 1946, AAS 38 (1946), pp. 145 ss., 13 septembre 1952, AAS 44 (1952), p. 786. Cette doctrine a été explicitement proposée au sujet de l’Eglise, par Pie XI, discours aux prédicateurs de Carême, La Civiltà Cattolica, 78, vol. I (1927), pp. 554-555, et par Pie XII, dans Mystici Corporis, 29 juin 1943, AAS 35 (1943), pp. 222 ss.

[6] Léon XIII, Immortale Dei, 1er novembre 1885, ASS 18 (1885), p. 164 : « Comme donc la société civile a été établie pour l’utilité de tous, elle doit, en favorisant la prospérité publique, pourvoir au bien des citoyens, de façon non seulement à ne mettre aucun obstacle, mais à assurer toutes les facilités possibles à la poursuite et à l’acquisition de ce bien suprême et immuable auquel ils aspirent eux-mêmes » ; Libertas praestantissimum, 20 juin 1888, ASS 20 (1887), p. 595 ; S. Pie X, Vehementer nos, 11 février 1906, ASS 39 (1906), p. 5, encyclique dans laquelle il écrivait au sujet de la loi française qui prononçait la séparation de l’Eglise et de l’Etat, qu’elle « limite l’action de l’Etat à la seule poursuite de la prospérité publique durant cette vie, qui n’est que la raison prochaine des sociétés politiques ; et elle ne s’occupe en aucune façon, comme lui étant étrangère, de leur raison dernière, qui est la béatitude éternelle proposée à l’homme quand cette vie si courte aura pris fin. Et pourtant l’ordre présent des choses, qui se déroule dans le temps, se trouvant subordonné à la conquête de ce bien suprême et absolu, non seulement le pouvoir civil ne doit pas faire obstacle à cette conquête, mais il doit encore nous y aider » ; Pie XII, Summi pontificatus, 20 octobre 1939, AAS 31 (1939), p. 433, encyclique dans laquelle il déclare que l’Etat a notamment pour fin « d’aider les citoyens à obtenir la fin surnaturelle à laquelle ils sont destinés » ; Jean XXIII, Grata recordatio, 26 septembre 1959, AAS 51 (1959), p. 676.

[7] Léon XIII, Sapientiae christianae, 10 janvier 1890, ASS 22 (1889-90), p. 396.

[8] 1er des « IV Articles » condamnés par Alexandre VIII, Inter multiplices, 4 août 1690, DzH 1322 ; de nouveau condamné par Pie VI, Auctorem fidei, 28 août 1794, DzH 1598-1599 ; Pie IX, Ad Apostolicae, 22 août 1851, repris dans le Syllabus, prop. 24, ASS 3 (1867), p. 171, DzH 1724 ; Léon XIII, Immortale Dei, 1er novembre 1885, ASS 18 (1885/86), pp. 166-167, DzH 1866 : « Ainsi, tout ce qui dans les choses humaines, est sacré à un titre quelconque, tout ce qui touche au salut des âmes et au culte de Dieu, soit par sa nature, soit par rapport à son but, tout cela est du ressort de l’autorité de l’Eglise », cité par Pie XII dans le discours du 7 septembre 1955, AAS 47 (1955), pp. 677-678. D’où il résulte que l’Eglise a compétence pour juger des lois civiles sous l’aspect religieux : Léon XIII, Sapientiae christianae, 10 janvier 1890, ASS 22 (1889/90), p. 397 ; lettre du cardinal Merry del Val au cardinal Sevin, AAS 1913, p. 559 ; Pie XI, Ubi arcano, 23 décembre 1922, AAS 14 (1922), p. 698 ; Pie XII, discours du 2 novembre 1954, 12 mai 1953, AAS 46 (1954), pp. 671-673, 12 mai 1953 : AAS 45 (1953), p. 400.

[9] A de nombreuses reprises, depuis l’époque de la Révolution française, les Souverains Pontifes ont exposé les grands périls qu’il y avait pour l’Etat à négliger la religion et la loi du Christ. On peut évoquer par exemple : Pie VI, allocution au Consistoire, 29 mars 1790, avec citations de S. Augustin, Epist. ad Marc. 38, 15, PL 33, 532, et Contra Faustum, 21, 14, PL, 42, 398 ; id., Lettre à Louis XVI, 17 août 1790 ; id., après l’exécution de Louis XVI ; Grégoire XVI, Mirari vos, 15 août 1832, ASS 4 (1868), p. 343, avec citation de saint Augustin In Ps 124, 7, PL 37, 1654 ; Pie IX, Quanta cura, 8 décembre 1864, ASS 3 (1867), pp. 166-167 ; dans le schéma préparé pour le premier concile du Vatican (Mansi 51, 545 ss.) : la religion forme de bons citoyens par la vertu et la piété ; le devoir de l’obéissance civile est établi sur l’autorité divine ; elle enseigne aux princes à gouverner non pour leur propre avantage, mais pour le bien commun ; Léon XIII, Diuturnum illud, 29 juin 1881, ASS., 14 (1881), pp. 3-14, qui cite S. Augustin, De moribus Ecclesiae, I, 30, PL 32, 1336 ; Cum multa sint, 8 décembre 1882, ASS 15 (1882), p. 242 : « Car quand la religion est supprimée, il arrive nécessairement qu’on voit chanceler la stabilité des principes sur lesquels se fonde surtout la sécurité publique, qui tirent de la religion leur principale force, et au moyen desquels on peut, par exemple : commander avec justice et modération, se soumettre par conscience du devoir qu’on en a, dompter ses passions par la vertu, rendre à chacun ce qui lui appartient, ne pas toucher au bien d’autrui » ; Nobilissima Gallorum gens, 8 février 1884, ASS 16 (1883), pp. 242-243 ; Humanum genus, 20 avril 1884, ibid., pp. 417-433 ; Au milieu des sollicitudes, 16 février 1892, ASS 24 (1891 /92), p. 520 ; Caritatis, 19 mars 1894, ASS 26 (1893/1894), p. 525 ; Praeclara gratulationis, 20 juin 1894, ASS 26 (1893/94), p. 715 ; Longinqua oceani, 6 janvier 1895, ASS 27 (1894/95), p. 389 ; Tametsi futura, 1er novembre 1900, ASS 33 (1900/01), pp. 283-285 ; S. Pie X, Jucunda sane, 12 mars 1904, ASS 36 (1903/04), p. 520 ; Benoît XV, Ad beatissimi, 1er novembre 1914, AAS 6 (1914), pp. 567-568 et 571 ; Anno jam exeunte, 7 mars 1917, AAS 9 (1917), p. 172 ; Pie XI, Ubi arcano, 23 décembre 1922, AAS 14 (1922), pp. 683 et 687 ; Quas primas, 11 décembre 1925, AAS 17 (1925), pp. 604-605 ; Pie XII, Summi Pontificatus, 20 octobre 1939, AAS 31 (1939) pp. 423-424 ; discours du 6 octobre 1940, AAS 32 (1940), p. 411, 10 novembre 1940, ibid., pp. 495-496 ; Jean XXIII, Ad Petri cathedram, 29 juin 1959, AAS 51 (1959), pp. 528 et 529 : « Et s’il y a une chose qu’il faut considérer comme certaine c’est que là où les droits sacro-saints de Dieu et de la religion sont négligés et foulés aux pieds, les fondements mêmes de la société humaine sont ébranlés et s’écroulent tôt ou tard, comme le notait très sagement Notre Prédécesseur d’immortelle mémoire, Léon XIII : “Il est normal [...] que la force des lois soit brisée, que toute autorité soit affaiblie quand on répudie l’ordre souverain et éternel de Dieu qui commande ou interdit” (Exeunte jam anno, 25 décembre 1888). Cette affirmation concorde avec le mot de Cicéron : “Vous, Pontifes, vous défendez la Ville par la religion plus efficacement qu’elle n’est défendue par nos murs eux-mêmes” » (De natura deorum, III, 40).

[10]  S. Augustin, Epist. ad Marcellinum, 138, 15 ; PL 33, 532 : « Ainsi donc, ceux qui disent que la doctrine du Christ est contraire à la République, qu’ils produisent donc une armée qui ressemble à celle faite de soldats qui sont tels que la doctrine chrétienne le leur ordonne, qu’ils produisent des citoyens, des maris, des épouses, des parents, des enfants, des maîtres, des esclaves, des chefs, des juges, des contribuables et des collecteurs d’impôts, qui ressemblent à ceux qui suivent la doctrine chrétienne, et qu’ils l’entendent dire qu’elle est contraire à la République. Bien au contraire, qu’ils soient bien assurés de l’entendre proclamer qu’elle est, si l’on s’y conforme, la sauvegarde de l’Etat ».

[11] Cf. de même, Tt 3, 1 ; 1 P 2, 13-15.

[12] Cf. de même, Sg 6, 4-6 ; Rm 3, 1.

[13] Pie XII, Radiomessage du 24 décembre 1942, AAS 35 (1943), p. 10.

[14] Léon XIII, Libertas praestantissimum, 20 juin 1888, ASS 20 (1887), p. 603 : « Il faut, la nature même le crie, il faut que la société donne aux citoyens les moyens et les facilités de passer leur vie selon l’honnêteté, c’est-à-dire selon les lois de Dieu, puisque Dieu est le principe de toute honnêteté et de toute justice ; il répugnerait donc absolument que l’Etat pût se désintéresser de ces mêmes lois ou même aller contre elles en quoi que ce soit. De plus, ceux qui gouvernent les peuples doivent certainement à la chose publique de lui procurer, par la sagesse de leurs lois, non seulement les avantages et les biens du dehors, mais aussi et surtout les biens de l’âme » ; Sapientiae christianae, 10 janvier 1890, ASS 22 (1889/90), p. 385 ; Au milieu des sollicitudes, 16 février 1892, ASS 24 (1891/92).

[15] Léon XIII, Humanum genus, 20 avril 1884, ASS 16 (1883), p. 427 : « De fait, la société du genre humain, pour laquelle la nature nous a créés, a été constituée par Dieu, auteur de la nature. De lui, comme principe et comme source, découlent dans leur force et dans leur pérennité les bienfaits innombrables dont elle nous enrichit. Aussi de même que la voix de la nature rappelle à chaque homme en particulier l’obligation où il est d’offrir à Dieu le culte d’une pieuse reconnaissance, parce que c’est à lui que nous sommes redevables de la vie et des biens qui l’accompagnent, un devoir semblable s’impose aux peuples et aux sociétés ». Immortale Dei, 1er novembre 1885, ASS 18 (1885), p. 163 ; Libertas praestantissimum, 20 juin 1888, ASS 20 (1887), p. 604 : « C’est pourquoi la société civile, en tant que société, doit nécessairement reconnaître Dieu comme son principe et son auteur et, par conséquent, rendre à sa puissance et à son autorité l’hommage de son culte ». Au milieu des sollicitudes, 16 février 1892, ASS 24 (1891/92), p. 520 ; S. Pie X, Vehementer nos, 11 février 1906, ASS 39 (1906), p. 5 : « Car le créateur de l’homme est aussi le fondateur des sociétés humaines, et il les conserve dans l’existence comme il nous y soutient. Nous lui devons donc non seulement un culte privé, mais un culte public et social pour l’honorer » ; allocution au consistoire, 21 février 1906, ibid., pp. 30-31 : « Or, Dieu n’est pas seulement le seigneur et le maître des hommes considérés individuellement, mais il l’est aussi des nations et des Etats ; il faut donc que ces nations et ceux qui les gouvernent le reconnaissent, le respectent, et le vénèrent publiquement » ; Pie XI, Quas primas, 11 décembre 1925, AAS 17 (1925), p. 609 ; Pie XII, Mediator Dei, 20 novembre 1947, AAS 39 (1947), pp. 525 ss.

[16] Léon XIII, Immortale Dei, 1er novembre 1885, ASS 18 (1885), pp. 163-164 : « Les sociétés politiques ne peuvent sans crime se conduire comme si Dieu n’existait en aucune manière, [...] ou admettre une [religion] indifféremment selon leur bon plaisir : en honorant la Divinité, elles doivent suivre strictement les règles et le mode suivant lesquels Dieu lui-même a déclaré vouloir être honoré » ; Pie XI, Quas primas, 11 décembre 1925, AAS 17 (1925), pp. 601, 609 ; Pie XII, Mediator Dei, 20 novembre 1947, AAS 39 (1947), pp. 525-526.

[17]  A la difficulté soulevée à notre époque à propos de l’impossibilité pour l’Etat de choisir entre divers cultes, Léon XIII donne ainsi une solution dans Immortale Dei, 1er novembre 1885, 1. c., p. 164 : « Quant à décider quelle religion est la vraie, cela n’est pas difficile à quiconque voudra en juger avec prudence et sincérité. En effet, des preuves très nombreuses et éclatantes, la vérité des prophéties, la multitude des miracles, la prodigieuse célérité de la propagation de la foi, même parmi ses ennemis et en dépit des plus grands obstacles, le témoignage des martyrs et d’autres arguments semblables prouvent clairement que la seule vraie religion est celle que Jésus-Christ a instituée lui-même et qu’il a donné mission à son Eglise de garder et de propager » ; Libertas praestantissimum, 20 juin 1888, ASS 20 (1887), p. 604. Jean XXIII a parlé au sujet de l’indifférentisme sous l’aspect plutôt personnel : Ad Petri cathedram, 29 juin 1959, AAS 51 (1959), pp. 501-502.

[18] Léon XIII, Libertas praestantissimum, 20 juin 1888, ASS 20 (1887), pp. 602-603 : il démontre que le respect de la loi divine positive est nécessaire non seulement pour les individus, mais aussi pour toute la Cité ; Tametsi futura, 1er novembre 1900, ASS 33 (1900), p. 279 ; S. Pie X, Jucunda sane, 12 mars 1904, ASS 36 (1903/4), pp. 521-522. Au sujet de la nécessaire subordination de l’Etat aux lois ecclésiastiques : Syllabus, décembre 1864, prop. 42, ASS 3 (1867), p. 172 : DzH 1742, et prop. 54, ASS ibid., p. 174, DzH 1754. Concernant la loi de l’abstention des œuvres serviles certains jours : Pie IX, Quanta cura, 8 décembre 1864, ASS 3 (1867), p. 163. Jean XXIII, Princeps pastorum, 28 novembre 1959, AAS 51 (1959), p. 860 : « En particulier, lorsqu’il s’agit des problèmes et de l’organisation des écoles, de l’assistance sociale organisée, du travail et de la vie politique, la présence d’experts catholiques autochtones peut avoir une influence des plus heureuses et bénéfiques, s’ils savent — comme cela leur est un devoir précis, qu’ils ne peuvent négliger sans se voir accuser de trahison — s’inspirer dans leurs intentions et leurs actes de principes chrétiens reconnus par une expérience multiséculaire comme efficaces et décisifs pour procurer le bien commun » ; Grata recordatio, 26 septembre 1959, AAS 51 (1959), pp. 676-677 : « ...qu’ils n’oublient pas [les responsables des nations] les lois éternelles qui viennent de Dieu et qui sont le fondement et le pivot de la vie civique elle-même ; qu’ils soient toujours soucieux des destinées surnaturelles de chaque homme, dont l’âme a été créée par Dieu pour qu’elle puisse le rejoindre et jouir de lui éternellement ».

[19] Pie IX, Qui pluribus, 9 novembre 1846, DzH 1637.

[20] Diverses propositions du Syllabus concernent les droits de l’Eglise : l’Eglise société parfaite dotée de ses droits indépendamment de l’Etat, prop. 19 et 20, ASS 3 (1867/68), pp. 170-171, DzH 1719-1720 ; droit de posséder des biens temporels, prop. 26, p. 171, DzH 1726 ; droit pour les évêques de publier les Lettres apostoliques sans aucune gêne de la part du gouvernement, prop. 28, p. 171, DzH 1728 ; au sujet des immunités ecclésiastiques, prop. 30, 31, 32 et 43, pp. 171 et 172, DzH 1730-1732 et 1743 ; pouvoir sur les choses sacrées, la doctrine théologique, la formation des clercs, les écoles, etc., prop. 33, 41, 44, 45, 46, 47, 48, pp. 172-173, DzH 1733, 1741, 1744, 1745, 1746, 1747, 1748 ; libre et mutuelle communication entre le Pontife romain, les évêques et les fidèles, prop. 49, p. 173, DzH 1749 ; libre institution, présentation et déposition des évêques, prop. 50 et 51, p. 173, DzH 1750-1751 ; au sujet de la profession religieuse, prop. 52 et 53, pp. 173-174, DzH 1752 et 1753 ; au sujet du mariage, prop. 67-74, pp. 175-176, DzH 1767-1774 ; concernant la faculté de distribuer des aumônes, Quanta cura, ASS 3 (1867), p. 163, DzH 1693. Au sujet de ces droits de l’Eglise, cf. les schémas préparés par la Commission de rebus politico-ecclesiasticis du premier concile du Vatican (Mansi, 53, 853-894). Dans le Code de Droit canonique, plusieurs de ces droits sont sanctionnés : éducation des clercs, can 1352 ; écoles avec leurs organisations et leurs diplômes, can 1375 ; animation de la formation religieuse de la jeunesse dans quelques écoles que ce soit et vigilance sur la doctrine, les livres et les maîtres, sous l’angle de la foi, can 1381, 1382, 1384 ; pouvoir d’acquérir, de posséder et d’administrer des biens temporels indépendamment du pouvoir civil, can 1495 ; d’exiger la contribution des fidèles, can 1496 ; au sujet du mariage, can 1016.

[21] Aux références données dans la note 5, il faut ajouter : Pie VII, Diu satis, 15 mai 1800, Bullarii Rom Continuatio, t. XI, pp. 21 ss. ; Pie IX, Quanta cura, 8 décembre 1864, ASS 3 (1867/68), p. 166, Pie XI, Ad salutem, 20 avril 1930, AAS 22 (1930), pp. 219 et 220.

[22] S. Grégoire le Grand, Epist 65, ad Mauricium, PL 77, 663. Au sujet de la conjoncture ici supposée qui permet d’appliquer la doctrine catholique, cf. Taparelli D’Azeglio, Essai théorique de droit naturel, 4e édition, Casterman, Paris-Leipzig-Tournai, t. I, pp. 388-390.

[23] Code de Droit canonique, can 1351. Parmi les sources de ce canon, on peut consulter : Benoît XIV, Postremo mense, 28 février 1747, Benedicti XIV Bullarium, t. II, Rome 1754, pp. 113-145 : on distingue entre l’infidèle non baptisé et l’hérétique qui, ayant reçu le baptême dans l’Eglise, s’en est séparé, selon la doctrine de S. Thomas, ST, IIa IIae, q. 10, a. 8 ; Pie VI, Quod aliquantulum, 13 avril 1791, avec citation des lettres de S. Augustin ad Vincentium Cartennensem, Epist. 93, PL 33, 321-347, et ad Bonifacium Comitem, Epist. 185, 8, PL 33, 795 ss. ; Léon XIII, Immortale Dei, 1er novembre 1885, ASS 18 (1885), pp. 174-175, où est cité S. Augustin : « L’homme ne peut croire s’il ne le veut », in Jn 26, 2, PL 35, 1607 ; Pie XII, Mystici Corporis, 29 juin 1943, AAS 35 (1943), p. 243 ; discours du 6 octobre 1946, AAS 38 (1946), p. 393, où est rapporté un mémorandum du Secrétaire d’Etat à ce sujet (ibid., p. 394).

[24] La sage réglementation des cultes non catholiques et la prohibition des doctrines contraires à la foi n’a pas pour but, en effet, la conversion forcée des non-catholiques, mais la préservation de l’unité de la foi. Ainsi, Taparelli D’Azeglio, dans l’Essai théorique de droit naturel, loc. cit., p. 390, écrit : « Ce ne sera pas évidemment dans le but d’en faire des croyants ou de les rendre pieux par force, mais pour les empêcher de troubler, par de fausses doctrines ou par le scandale de leur conduite, l’unité religieuse de la société, cet élément d’une haute importance pour la félicité publique ». De même Pie XII, discours du 7 septembre 1955, AAS 47 (1955), pp. 678-679 : « Qu’on n’objecte pas que l’Eglise elle-même méprise les convictions personnelles de ceux qui ne pensent pas comme elle. L’Eglise considérait et considère l’abandon volontaire de la vraie foi comme une faute. Lorsqu’à partir de 1200 environ cette défection entraîna des poursuites pénales de la part tant du pouvoir spirituel que civil, ce fut pour éviter que ne se déchirât l’unité religieuse et ecclésiastique de l’Occident. Aux non-catholiques, l’Eglise applique le principe repris dans le Code de Droit canonique : “Personne ne peut être contraint, malgré lui, à embrasser la foi catholique” [can 1351], et estime que leurs convictions constituent un motif, mais non toutefois le principal, de tolérance. [...] L’Eglise ne dissimule pas qu’elle considère en principe cette collaboration comme normale, et qu’elle regarde comme un idéal l’unité du peuple dans la vraie religion et l’unanimité d’action entre elle et l’Etat. Mais elle sait aussi que depuis un certain temps les événements évoluent plutôt dans l’autre sens, c’est-à-dire vers la multiplicité des confessions religieuses et des conceptions de vie dans la même communauté nationale, où les catholiques constituent une minorité plus ou moins forte ». Au sujet de la liberté religieuse (liberté de conscience, de culte et de propagande), on doit citer principalement les documents suivants : Pie VI, Communicamus vobiscum, alloc. au Consistoire, 29 mars 1790 ; Priores litterae tuae, au cardinal de Loménie, 23 février 1791 ; Quod aliquantulum, au cardinal de La Rochefoucauld, 10 mars 1791 ; Pie VII, Post tam diuturnas, 29 avril 1814 ; Grégoire XVI, Mirari vos, 15 août 1832, ASS 4 (1868), pp. 341-342, DzH 1613 ; Singulari Nos, 25 juin 1834, Acta Gregorii Pp. XVI, Vol. I, pp. 433 ss. ; Pie IX, Qui pluribus, 9 novembre 1846, Pii IX Acta, P. IX, pp. 4 ss. ; Maxima quidem, alloc. au Consistoire, 9 juin 1862 ; Quanta cura, 8 décembre 1864, ASS 3 (1867/68), p. 162, DzH 1690, avec citation de S. Augustin, Epist. 105, c. II, 9, PL 33, 399 ; Syllabus, 8 décembre 1864, prop. 77 : ASS 3 (1867), p. 176, DzH 1777 ; prop. 78, ASS, ibid., DzH 1778 ; Léon XIII, Immortale Dei, 1er novembre 1885, ASS 18 (1885), p. 172 ; Libertas praestantissimum, 20 juin 1888, ASS 20 (1887), pp. 603-605, au sujet de la liberté des cultes, pp. 605-608, liberté de parler et d’écrire, DzH 1931-1932, p. 608, de la vraie et fausse liberté de conscience, p. 612, DzH 1932 : est condamnée la liberté connexe des religions ; Benoît XV, Anno jam exeunte, au P. Hiss, supérieur général des marianistes, 7 mars 1917, AAS 9 (1917), p. 172 : parmi les principes pernicieux sur lesquels s’appuie la discipline des Etats [modernes], et par lesquels les fondements de la société chrétienne sont ébranlés, le Souverain Pontife relève celui-ci : « Les libertés, particulièrement celle d’opinion en matière de religion, ou de diffusion pour chacun de ce qui lui plaît, ne doivent être aucunement limitées, dans la mesure où cela ne nuit à personne » ; Pie XI, lettre Constat apprime, au cardinal Gasparri, 16 avril 1921, AAS 21 (1929), pp. 301-302 : au sujet des accords ébauchés entre le Saint-Siège et le Royaume d’Italie : où il est question de la liberté de conscience et de discussion ; Non abbiamo bisogno, 29 juin 1931, AAS 23 (1931) ; Lettre de la Secrétairerie d’Etat à M. Duthoit, 19 juillet 1938 (Bonne Presse, t. XVIII, p. 86) ; Pie XII, discours du 6 octobre 1946, AAS 38 (1946), pp. 394-395 ; Carissimis Russiae, 7 juillet 1952, AAS 44 (1952), p. 505 ; Jean XXIII, discours du 8 décembre 1959, AAS 52 (1960), p. 47, cf. de même pp. 49-50.

[25] Au sujet de la tolérance, les principes énoncés par S. Thomas, ST IIa IIae, q. 10, a. 11, sont consacrés par Léon XIII, Immortale Dei, 1er novembre 1885, ASS 18 (1885), p. 174, et exposés plus longuement dans Libertas praestantissimum, 20 juin 1888, ASS 20 (1887), pp. 609-612 ; Pie XII, discours du 6 octobre 1946, AAS 38 (1946), 6 décembre 1953, AAS 45 (1953), pp. 794-802, discours du 7 septembre 1955, AAS 47 (1955), pp. 677-678, cité note 23.

[26] Pie XII, discours du 6 décembre 1953, AAS 45 (1953), p. 801 : « Dans de tels cas particuliers, l’attitude de l’Eglise est déterminée par la volonté de protéger le bonum commune, celui de l’Eglise et celui de l’Etat dans chacun des Etats d’une part, et de l’autre, le bonum commune de l’Eglise universelle, du règne de Dieu sur le monde entier ». Précédemment, le Souverain Pontife avait parlé aussi du bien commun civil de toute communauté d’Etats. Nous étendons ces considérations au bien commun international de toutes les nations.

[27] Léon XIII, Libertas praestantissimum, 20 juin 1888, ASS 20 (1887), pp. 609-612 ; Pie XII, discours du 6 décembre 1953, AAS 45 (1953), pp. 798-799.

[28] Taparelli D’Azeglio, Essai théorique de droit naturel, loc. cit., p. 391.

[29] Taparelli D’Azeglio, ibid., p. 387.

[30] Léon XIII, Sapientiae christianae, 10 janvier 1890, ASS 22 (1889/90), pp. 396-397.

[31] Léon XIII, Sapientiae christianae, 10 janvier 1890, ASS 22 (l889/90), p. 400 ; Pie XII, discours du 6 décembre 1953, AAS 45 (1953), pp. 799-800.

[32] Pie XI, discours aux universitaires catholiques : « Quand la politique touche à l’autel, alors la religion, l’Eglise et le Pape qui la représente, ont non seulement le droit mais encore le devoir de donner des indications et des directives que les âmes catholiques ont le droit de demander et le devoir de suivre » (L’Osservatore Romano, 10 septembre 1924) ; discours à la jeunesse catholique : « C’est la politique qui a touché à l’autel. Et Nous défendrons alors l’autel. C’est Notre rôle à nous de défendre la religion, les consciences, la sainteté des sacrements » (L’Osservatore Romano, 21-22 septembre 1927).

[33] Beaucoup d’auteurs, à notre époque, ont enseigné que les principes ici exposés ne sont rien d’autre que des normes contingentes données par les Souverains Pontifes relativement à des circonstances, déjà largement dépassées : Pie VI, à Jérôme-Marie Champion de Cicé, archevêque de Bordeaux, 10 juillet 1790 : « Les devoirs [du roi] envers Dieu sont assurément invariables, et il ne peut les omettre sous aucun prétexte, quand bien même il aurait l’intention d’y revenir lorsque ces temps si pervers seront révolus ». Il n’est pas douteux que c’est bien cette doctrine immuable concernant « la constitution de la société chrétienne » que Léon XIII a entendu transmettre par son encyclique Immortale Dei. De fait, il la propose comme fondée sur la révélation et conforme à la raison naturelle. Les successeurs de Léon XIII enseignèrent qu’elle est invariable dès lors qu’elle est fondée sur trois principes : les droits de Dieu, la nature sociale de l’homme de laquelle découle la fin essentielle de l’Etat, et la nature immuable de l’Eglise : S. Pie X, Notre charge apostolique, 25 août 1910 [condamnation du Sillon] : AAS 2 (1910), pp. 612, 625, 627 ; Benoît XV, Anno jam exeunte, 7 mars 1917, AAS 9 (1917), pp. 171-175 ; Pie XI, Divini illius Magistri, 31 décembre 1929, AAS 22 (1930), pp. 65-66 : « Tout ce que nous avons dit jusqu’ici [...] a pour fondement très solide et immuable la doctrine sur la “constitution chrétienne des Etats”, si remarquablement exposée par Notre prédécesseur Léon XIII, particulièrement dans les encycliques Immortale Dei et Sapientiae christianae » — aux passages d’Immortale Dei qu’il cite, et dans lesquels sont exposés tant la distinction que les rapports entre les deux pouvoirs, et aussi ce qui concerne le pouvoir indirect de l’Eglise, Pie XI ajoute : « Quiconque refuserait d’admettre ces principes et de les appliquer à l’éducation en viendrait nécessairement à nier que le Christ ait fondé son Eglise pour le salut éternel des hommes, et à soutenir que la société civile et l’Etat ne sont pas soumis à Dieu et à sa loi naturelle et divine. Ce qui est évidemment impiété, contraire à la saine raison... » — ; Lettre de la Secrétairerie d’Etat à M. Duthoit, 12 juillet 1933 (Bonne Presse, t. X, p. 241) ; Divini Redemptoris, 19 mars 1937, AAS 29 (1937), p. 81 ; Pie XII, Summi Pontificatus, 20 octobre 1939, AAS 31 (1939), pp. 432-433 : « La souveraineté civile, en effet, a été voulue par le Créateur, comme l’enseigne sagement Notre grand prédécesseur Léon XIII dans l’encyclique Immortale Dei, afin qu’elle réglât la vie publique selon les prescriptions d’un ordre immuable dans ses principes universels, qu’elle rendît plus aisée à la personne humaine, dans l’ordre temporel, l’obtention de la perfection physique, intellectuelle et morale, et qu’elle l’aidât à atteindre sa fin surnaturelle » ; discours du 6 octobre 1946, AAS 38 (1946), p. 393, 29 octobre 1947, AAS 39 (1947), p. 495, 7 décembre 1955, AAS 47 (1955), pp. 677-678 : « Léon XIII a enfermé, pour ainsi dire, dans une formule, la nature propre de ces relations, dont il donne un exposé lumineux dans ses encycliques Diuturnum illud, Immortale Dei et Sapientiae christianae ». Au sujet de l’opposition entre le laïcisme actuel et la doctrine chrétienne, Jean XXIII parle ainsi dans Grata recordatio, 26 septembre 1959, AAS 51 (1959), p. 677 : « Il faut en outre rappeler qu’on voit se répandre aujourd’hui des modes de pensée, des positions philosophiques et des attitudes pratiques, absolument inconciliables avec la doctrine chrétienne. Nous continuerons, avec sérénité, mais aussi avec précision et fermeté, à affirmer ce caractère inconciliable. Mais Dieu a fait que les hommes et les nations puissent se racheter (Sg 1, 14). C’est pourquoi Nous avons confiance que, une fois que l’on aura abandonné les postulats arides d’une façon de penser et d’agir cristallisée, imprégnée, comme chacun le sait, des mensonges du “laïcisme” et du “matérialisme”, on cherchera et on trouvera les remèdes opportuns dans cette saine doctrine qui se trouve chaque jour davantage confirmée par l’expérience. Or, cette doctrine proclame que Dieu est l’auteur de la vie et de ses lois, qu’il est le protecteur des droits de la dignité et de la personne humaine et que, par conséquent, il est [comme dit la sainte liturgie] “notre salut et notre rédemption” ».

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18 juin 2009 4 18 /06 /juin /2009 11:09

La rédaction de Disputationes theologiace a reçu une objection intéressante de la part de l’un de ses lecteurs italiens, à propos du rapport entre la possibilité d’une critique théologique des textes de Vatican II et la soumission de l’intelligence au Magistère ordinaire infaillible. Il s’agit là d’un débat délicat, étant donné la ténuité des documents concernant la nature même du Magistère ordinaire. Nous tenterons cependant d’en démêler la complexité avec une série d’interventions de divers théologiens. Nous remercions pour son intervention l’objectant, qui a préféré rester anonyme, et nous invitons les lecteurs qui voudraient exprimer une opinion théologique différente à participer à la dispute.

 

Objection :

Paul VI, dans son discours du 12 janvier 1966, a défini le Magistère du dernier Concile comme « Magistère ordinaire suprême». 

Or, en particulier là où il propose des doctrines fondées sur la Révélation divine, le Magistère ordinaire universel - et si on ne veut pas reconnaître une telle autorité au Concile, on est néanmoins forcé de le faire vis-à-vis du Magistère de tous les évêques dispersés dans le monde, unis au Pape, et qui depuis quarante ans enseignent les doctrines du Concile - réclame une totale adhésion, selon ce qu’affirme la Concile Vatican I : « Il faut croire de foi divine et catholique tout ce qui est contenu dans la parole divine écrite ou transmise, et qui est proposé par l’Église comme divinement révélé, soit par un jugement solennel, soit dans son magistère ordinaire universel »

Donc, en ce qui concerne par exemple la doctrine de la liberté religieuse contenue dans la déclaration Dignitatis Humanae (n.2), il y a pour tous les fidèles une obligation de croire, d’exercer l’acte de foi et non pas seulement une obligation d’avoir envers elle du respect.

 

 

Ce sujet a déjà fait l’objet de débats animés, en particulier entre les différentes écoles traditionnalistes. La rédaction a demandé son avis à un théologien qui a longuement étudié la problématique en question, M. l’abbé Claude Barthe. Né en 1947, diplômé en droit et en histoire, il a étudié au séminaire d’Ecône et à l’Institut catholique de Toulouse. Ordonné prêtre en 1979, il a fondé et dirige encore actuellement la revue Catholica. Parmi ses très nombreuses publications, on peut mentionner Propositions pour une paix de l’Église, à propos de la situation théologique et liturgique dans l’Église actuelle, mais aussi des travaux de recherche théologique, parmi lesquels un commentaire sur Le Livre IV du Rational de Guillaume Durand de Mende ainsi que l’édition française du Ceremoniale Episcoporum qui a suivi le Concile de Trente. Son dernier ouvrage, Les oppositions romaines à Benoît XVI, traite des diverses tendances qui agissent aujourd’hui au cœur de l’Église, entre politique ecclésiastique et luttes théologiques.




Le Magistère ordinaire infaillible

par M. l'abbé Claude Barthe


 

Je voudrais faire ici quelques réflexions qui vont dans le sens des analyses théologiques très éclairantes que Mons. Brunero Gherardini, a exprimées pour "disputationes theologicae" et qui ont anticipé et  résument celles de son livre qui vient de paraître sur cette question capitale, Concilio ecumenico Vaticano II. Un discorso da fare. Et, par la même occasion, ces propos précédemment publiés pour l’essentiel dans la revue Objections, tendent à répondre à l’objection qui a été faite à l'article de Mons. Gherardini,

Il convient assurément de rappeler les divers degrés d’engagement de l’enseignement suprême du pape seul ou du pape et des évêques unis à lui. Il importe spécialement de préciser que le magistère le plus élevé peut se placer à deux degrés d’autorité :

1°/ Celui des doctrines irréformables du pape seul ou bien du collège des évêques (Lumen gentium n. 25 § 2 et 3). Ce magistère infaillible, auquel il faut « adhérer dans l’obéissance de la foi », peut lui-même être proposé sous deux formes :

a) les jugements solennels du pape seul ou du pape et des évêques réunis en concile ;

b) le magistère ordinaire et universel (Dz 3011).

2°/ Et d’autre part, celui des enseignements du pape ou du collège des évêques avec le pape, sans intention de les proposer de manière définitive, auxquels est dû « un assentiment religieux de la volonté et de l’esprit » (Lumen gentium n. 25 § 1). On parle généralement de « magistère authentique », bien que le vocabulaire ne soit pas absolument fixé.

L’objectant, comme l’avait fait l’abbé Bernard Lucien dans son livre Les degrés d’autorité du Magistère défend le magistère ordinaire et universel, magistère infaillible méconnu, écrasé, si l’on peut s’exprimer ainsi, entre le magistère solennel infaillible et le magistère authentique non infaillible. Mais cette remise à l’honneur n’oblige en rien à y faire entrer l’ensemble des textes de Vatican II, ni toutes les parties de chacun de ces textes, et notamment les doctrines qui ont fait l’objet de beaucoup de discussions, à savoir : a) le passage de la doctrine traditionnelle de la tolérance à celle de la liberté religieuse contenue dans le n. 2 de la déclaration Dignitatis humanae de Vatican II ; b) la révérence à apporter aux religions non chrétiennes dans le n. 2 de la déclaration Nostra aestae ; et c) l’ecclésialité « imparfaite » qui semble être accordée aux religions chrétiennes non catholiques par le n. 3 du décret Unitatis redintegratio. Jamais les PP conciliaires n’ont entendu hausser ces quelques propositions, de même que bien d’autres, dont la formulation est à l’évidence inachevée, au niveau du magistère infaillible à recevoir dans l’obéissance de la foi. Et il est de bon sens qu’elles ne relèvent pas de la profession de foi catholique.  

 

L’infaillibilité du Concile est paradoxalement un thème traditionaliste

 

En fait, cette question n’a jamais agité que le monde traditionaliste, dont une partie des théologiens, de manière fort bien intentionnée mais dont au bout du compte on ne voit pas l’utilité, veulent que ces doctrines s’accordent parfaitement avec le magistère antérieur. En fait, jamais aucune instance romaine ne l’a jamais exigé d’eux, et encore moins d’en faire des doctrines infaillibles !

Au reste, les théologiens non traditionalistes ne sont pas obnubilés par Dignitatis humanae, mais par Humanae vitae. Leur littérature à propos de l’autorité du magistère est immense, mais elle ne concerne – elle ne concernait en tout cas, jusqu’à Ordinatio sacerdotalis sur l’impossibilité d’ordonner prêtres des femmes – que le statut de l’encyclique de Paul VI sur l’immoralité intrinsèque de la contraception.

Certes, quelques rarissimes auteurs, tenus pour « maximalistes » ont bien tenu que ladoctrine du n. 14 d’Humanae vitae relevait du magistère ordinaire universel (exprimé par le pape et approuvé par les évêques en communion avec lui), magistère par conséquent infaillible : les moralistes C. Ford et Germain Grisez, et le P. Ermenegildo Lio, qui ont inutilement fait pression pour que cette infaillibilité soit officiellement reconnue.

Pour tous les autres théologiens Humanae vitae ne voulait être qu’« authentique » [ce qui nous paraît un fait historiquement certain, bien que nous considérions, pour notre part, que la doctrine elle-même est, de fait, infaillible, comme découlant directement de la loi naturelle]. Les théologiens de la contestation affirmaient qu’une doctrine simplement authentique n’obligeait pas. Quant aux théologiens favorables à Humanae vitae, derrière Jean-Paul II, ils affirmaient que, sans être infaillible, elle obligeait absolument. Mais ils devaient admettre qu’elle était prudemment discutable. Ainsi, Mgr William Levada, alors archevêque de Portland : « Parce que la proposition d’un enseignement certain, mais non infaillible, ne comporte pas la garantie absolue de sa vérité, il est possible de justifier la suspension de l’assentiment de la part d’une personne qui est arrivée à des raisons vraiment convaincantes ».

Si donc Humanae vitae, dans la ligne de la doctrine antérieure portant condamnation de la contraception, n’a jamais été donnée pour infaillible, à combien plus forte raison Dignitatis humanae, énonçant de manière diversement compréhensible une doctrine ayant toutes les apparences de la nouveauté, n’a pas cette prétention. L’argument, certes insuffisant à lui seul, renvoie cependant à une gêne originelle à propos de l’infaillibilité, introduite par la fameuse visée simplement « pastorale » du Concile.

 

Le contexte : un concile « simplement pastoral », c'est-à-dire « simplement authentique »

 

Au principe de tout il y eut la déclaration préliminaire de Jean XXIII, dans le discours d’ouverture Gaudet mater Ecclesia, du 11 octobre 1962 : une doctrine infailliblement définie ayant été suffisamment exprimée par les conciles précédents, il ne s’agissait plus désormais que de la présenter « de la façon qui répond aux exigences de notre époque » et de donner pour cela « un enseignement de caractère surtout pastoral ». La question est alors de savoir si le Concile aurait pu être infaillible sans le vouloir vraiment, par le seul fait qu’il émettait des doctrines remplissant objectivement les « conditions » d’énoncés devant être fermement acceptés et crus. Encore faudrait-il que la question soit réellement pertinente.

Vatican II est incontestablement un concile exceptionnel, unique en son genre, dans l’histoire de l’Eglise, qui a provoqué une commotion dans la foi et la discipline à nulle autre pareille. Il n’est pas douteux qu’il a rappelé un certain nombre de doctrines traditionnelles (celle de l’infaillibilité, par exemple), et qu’il a émis de fort beaux textes (sur les missions, sur la Révélation, par exemple). Mais il est impossible de raisonner théologiquement hors du contexte très prégnant de son déroulement et de ses suites, dans lequel le fait de vouloir atténuer les arêtes de la doctrine traditionnelle paraissait naturel et nécessaire pour réaliser une « ouverture au monde ». Dans ce contexte du « pastoral », les Pères conciliaires, cultivant une certaine ambiguïté permettant de moins choquer leurs contemporains, qui jugeaient « tyrannique » pour les consciences modernes le pouvoir de « lier et de délier », n’ont eu qu’à se laisser porter par le courant général. Ce concile a enseigné, mais « pastoralement ».

On peut faire un parallèle analogique (lointain mais éclairant) avec les sacrements. La validité de ceux-ci est suspendue à l’usage « sérieux » par le ministre requis du rite essentiel (matière et forme), usage qui manifeste objectivement qu’il a l’intention de faire ce que veut l’Église. Usage « sérieux », c'est-à-dire en vertu duquel il est visible selon le sens commun que le ministre veut véritablement accomplir le rite efficace. Ainsi, un prêtre, dans un contexte simplement catéchétique faisant les gestes et les paroles d’un sacrement ne ferait pas pour autant un acte sacramentel. Supposons, pour notre réflexion, un contexte ambigu, où le prêtre laisserait entendre, au moins de manière diffuse, qu’il ne veut pas vraiment poser un acte formellement sacramentel (ce qui est d’ailleurs aujourd’hui le cas dans certaines célébrations). Cet acte serait pour le moins de validité discutable.

Toutes choses égales, la situation a-magistérielle qui a précédé, accompagné et suivi Vatican II fait que l’une, et non des moindres spécificités de ce concile est que la volonté du pape et des évêques d’obliger à croire est au minimum douteuse. En revanche, avec toutes les querelles d’interprétation que l’on sait, la volonté de « fixer une ligne » est parfaitement claire. Vatican II a engendré un état d’esprit, mais sûrement pas un corpus doctrinal. Les théologiens non traditionalistes, dans leur quasi-unanimité, n’ont cessé de tenir ce cap d’explication : « pastoral » est pratiquement synonyme d’« authentique », c'est-à-dire de non infaillible.

 

L’interprétation des auteurs : une volonté claire de ne pas « définir »

 

En tout état de cause, les témoignages officiels sont concordants sur la volonté de ne pas « définir ». À deux reprises (6 mars 1964 et 16 novembre 1964), la Commission doctrinale, à laquelle on demandait quelle devait être la qualification théologique de la doctrine exposée dans le schéma sur l’ Église (la question visait la doctrine de la collégialité), fit cette réponse : « Compte tenu de l’usage des conciles et du but pastoral du Concile actuel, celui-ci ne définit comme devant être tenu par l’ Église que les seules choses concernant la foi et les mœurs que lui-même aura expressément déclarées telles ».

Paul VI expliqua que cela n’était jamais arrivé. Le Concile terminé, il revint en effet deux fois sur la question. Une première fois, dans le discours de clôture du 7 décembre 1965 : « Le magistère, bien qu’il n’ait pas voulu définir aucun chapitre doctrinal au moyen de sentences dogmatiques extraordinaires, a cependant proposé sa doctrine avec autorité au sujet de nombreuses questions, à laquelle les hommes sont tenus de conformer aujourd’hui leur conscience et leur action ». Une seconde fois, dans un discours du 12 janvier 1966 : « Certains se demandent quelle est l’autorité, la qualification théologique qu’a voulu donner à son enseignement un Concile qui a évité de promulguer des définitions dogmatiques solennelles engageant l’infaillibilité du magistère ecclésiastique. […] Etant donné le caractère pastoral du Concile, il a évité de prononcer des dogmes comportant la note d’infaillibilité, mais il a muni ses enseignements de l’autorité du magistère suprême ; ce magistère ordinaire et manifestement authentique doit être accueilli docilement et sincèrement par tous les fidèles selon l’esprit du Concile concernant la nature et les buts de chaque document ».

La rédaction de ces déclarations est passablement embarrassée. On peut les interpréter de deux manières, selon qu’on insiste sur l’un ou l’autre versant de la déclaration essentielle :

1/ le Concile n’a jamais usé de « définitions dogmatiques solennelles engageant l’infaillibilité du magistère ecclésiastique » : mais il a pu user du magistère ordinaire universel (infaillible). Cela suffirait d’ailleurs à faire de Vatican II un concile tout à fait à part dans l’histoire de l’Église, qui enseigne sur des matières nouvelles (l’œcuménisme) mais en se refusant de définir ;

2/ le Concile n’a jamais usé de « définitions dogmatiques solennelles engageant l’infaillibilité du magistère ecclésiastique ». S’il n’a jamais usé de définition solennelles c’est qu’il ne voulait pas être infaillible. Ce que confirme que ces textes évitent soigneusement de parler d’« obéissance de la foi » : « [Ce concile a] cependant proposé sa doctrine avec autorité au sujet de nombreuses questions, à laquelle les hommes sont tenus de conformer aujourd’hui leur conscience et leur action »… « Il a muni ses enseignements de l’autorité du magistère suprême ; ce magistère ordinaire et manifestement authentique doit être accueilli docilement et sincèrement par tous les fidèles ». Ce qui renvoie à l’« assentiment religieux de la volonté et de l’esprit » requis par le magistère « manifestement authentique », et non pas à l’« obéissance de la foi » requise par le magistère infaillible.

 

Le bon sens : le refus d’une « définition forte » manifeste logiquement le refus d’une « définition douce »

 

À supposer même que seules les définitions solennelles aient été clairement écartées, il resterait quelque chose d’incompréhensible : Vatican II aurait refusé des « définitions fortes » selon un mode clair et incontestable (le magistère solennel), pour accroître tout de même le contenu du Credo en glissant des « définitions douces » (le magistère ordinaire et universel).

D’autant que les textes du Concile – si l’on fait abstraction du contexte général et des interprétations des auteurs – contiennent des sortes de propositions qui, dans un autre concile, hors de cette conjoncture où l’on répugne à poser une règle de foi, auraient peut-être été considérées comme des définitions solennelles. C’est ainsi le cas à propos de la sacramentalité de l’épiscopat (que plus personne, il est vrai, ne discutait), ou bien à propos de la « subsistance » de l’Église du Christ dans l’Église catholique (toute nouvelle, mais dont le sens obscur est encore à préciser). Quant à la définition de la liberté religieuse, elle est formalisée : « Cette liberté consiste : etc. ; elle a son fondement dans la dignité de la personne humaine telle que la font connaître la Parole de Dieu et la raison », Dignitatis humanae, numéro 2 § 1. Qui plus est, chaque texte conciliaire, y compris la déclaration Dignitatis humanae, est suivi de la formule : « Toutes et chacune des choses qui sont édictées dans cette déclaration ont plu aux Pères du Concile. Et Nous, en vertu du pouvoir apostolique que Nous tenons du Christ, en union avec les vénérables Pères, Nous l’approuvons, arrêtons et décrétons dans le Saint-Esprit ». À Florence, Trente ou Vatican I, il n’est pas impossible qu’on se soit trouvé en présence de dogmes à croire.

Et pourtant le commentaire le plus authentique qui soit, émanant des auteurs mêmes des documents, l’affirme sans ambiguïté : ce ne sont pas des dogmes. Malgré les apparences, ou en tout cas malgré la nécessité intrinsèque. Joseph Ratzinger commentait dans un complément à l’ouvrage de référence classique en Allemagne, le Lexicon für Theologie und Kirche : « Le Concile n’a créé aucun nouveau dogme sur aucun des points abordés. […] Mais les textes incluent, chacun selon leur genre littéraire, une proposition ferme pour la conscience du catholique ». Seulement une « proposition ferme » : pas une obligation de croire. Si donc ce qui habituellement, dans un concile, aurait entraîné l’engagement du magistère solennel ne l’a pas comporté à Vatican II, à combien plus forte raison le magistère non solennel, dont le degré d’engagement est toujours plus difficile à discerner, se trouvera-t-il en deçà de l’infaillibilité, autrement dit sera simplement authentique.

D’autant qu’en toute hypothèse, « aucune doctrine n’est considérée comme infailliblement définie que si cela est manifestement établi » (CJC, can. 749 § 3). Cela en raison des conséquences sur l’appartenance à l’Église. En effet, tous « sont tenus d’éviter toute doctrine contraire », tenentur devitare (CJC, can. 750). Et quiconque nie une telle vérité tombe dans l’hérésie (can. 751). (Alors que rien de semblable n’advient à celui qui refuse une vérité du « magistère authentique » : « Les fidèles veilleront donc à éviter ce qui ne concorde pas avec cette doctrine », curent devitare, can. 752.) Cela relève, au reste, du principe général qui veut qu’on n’impose pas un fardeau sans nécessité, et donc que ce qui est plus exigeant ne se présume pas : « Les lois qui imposent une peine [...] sont d’interprétation stricte » (can. 18).

 

Tenter de dépasser la difficulté

 

En définitive, on peut se demander si le débat lui-même, outre le fait qu’il n’intéresse nullement le monde de la théologie « conciliaire », pourtant au premier chef concerné, n’est pas largement inutile. Tous les participants au débat, ou presque, s’accordent sur le fait que des précisions magistérielles sur les points apparemment ou réellement anti-traditionnels de Vatican II, seraient en toute hypothèse très salutaires. Nous sommes pour notre part certain que ces précisions ne peuvent pas ne pas advenir par le seul jeu de la croissance homogène du magistère (du magistère comme tel, infaillible) confronté à une crise de la foi, ce mouvement étant, à notre avis, en gestation, dans des actes, entre autres comme Veritatis splendor, Dominus Jesus. En attendant ces précisions qui adviendront inéluctablement, mais qu’il est bon de solliciter des pasteurs et docteurs, ne pourrait-on pas parler, par exemple, de « magistère inachevé » ? « Magistère inachevé », soit que, lorsqu’il a abordé des domaines nouveaux, la volonté d’enseigner de Vatican II n’est pas allée jusqu’à son terme, l’infaillibilité, soit qu’y parvenant, il n’a en quelque sorte produit que des « brouillons » de doctrine infaillible ? Parlant de « magistère inachevé », on laisserait alors les théologiens du futur débattre à loisir du fait que Vatican II, à propos de l’œcuménisme, de la liberté religieuse, du statut des religions non chrétiennes a été, par la suite, soit rectifié, soit complété. L’essentiel, pour le bien de l’Église, étant qu’un magistère clair et indubitablement infaillible sorte enfin de l’ornière la confession de foi.

. Casa Mariana Editrice (Frigente, Av), 25 mars 2009.

. Juillet 2007 (n. 10), pp34-38.

. La Nef, mars 2007, 232 p. 22.

. Par exemple, Charles E. Curran, Faithful Dissent, Sheed & Ward, Kansas City, 1986.

. Conférence sur « Désaccord public et enseignement de la religion », La Documentation catholique, 19 octobre 1986.

. Les exceptions sont peu clairement formulées et visent toujours à « clouer » les traditionalistes (Jean-Miguel Garrigues, « Démocratisme progressiste ou intégrisme politique : le faux dilemme catholique », dans Commentaire, été 1997, et Eugenio Corecco, « E’scisma », Il Regno-attualità, juillet 1988).

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29 mai 2009 5 29 /05 /mai /2009 13:23
L’herméneutique de Vatican II –
Colloque de la « Revue thomiste » et de l’Institut catholique de Toulouse

 

Vatican II : Rupture ou continuité – les herméneutiques en présence, tel était le titre choisi par les théologiens de l’Ordre Dominicain de la province de Toulouse pour étudier les problématiques engendrées par ce qu’on appelle aujourd’hui « l’herméneutique du Concile » : le discours du Souverain Pontife à la Curie Romaine du 22 décembre 2005, désormais célèbre, fait école parmi les théologiens, qui essayent de lui donner suite par une attitude pratique d’analyse et de commentaire des textes conciliaires.

Le colloque s’est tenu les 15 et 16 mai derniers, dans les locaux de l’Institut Catholique de Toulouse, en présence de quelques-uns des plus grands spécialistes du thomisme français, comme le P. Serge-Thomas Bonino (directeur de la Revue Thomiste), le P. François Daguet (directeur de l’ « Institut saint Thomas d’Aquin ») et le P.  B.-D. de la Soujeole, organisateurs de la rencontre, ainsi que beaucoup d’autres, dont certains théologiens romains, tel le père Charles Morerod o.p. (doyen de la Faculté de Philosophie de l’Angelicum et secrétaire de la Commission Théologique Internationale), devant une assemblée de 80 à 100 personnes, composée en très large majorité d’ecclésiastiques. La faible participation des communautés dépendant de la commission « Ecclesia Dei » est à noter, puisque seuls deux jeunes prêtres de la Fraternité saint Pierre, ainsi que deux membres de l’IBP représentaient le clergé séculier « traditionaliste », avec un dominicain de Chéméré et des moines bénédictins de Fontgombault, de Triors, de Randol et de la nouvelle communauté des bénédictins de l’Immaculée. L’absence de membres de la Fraternité saint Pie X, qui était pourtant largement concernée par un tel débat, a été remarquée avec regret par les organisateurs eux-mêmes…

Ce colloque, c’est certain, marque une étape majeure dans la réception de Vatican II et dans l’étude des problèmes qui y sont liés ; vu le contenu des contributions et le prestige des intervenants, ces conférences resteront d’une importance fondamentale pour l’analyse qui s’impose désormais aux théologiens à propos de cette page controversée de l’histoire de l’Église. Quels que soient les points de vue, les écoles théologiques ou les groupes de pensée, la lecture des actes de ce Colloque deviendra une référence obligée pour quiconque veut traiter du Concile Vatican II ; aussi bien les défenseurs d’une herméneutique de continuité, comme ceux de l’herméneutique de la rupture ne pourrons que difficilement se passer de cette analyse approfondie des problèmes, même s’ils n’en partagent pas les conclusions ni les arguments.

Une grande part des exposés de ces deux journées de travail a porté sur la question, théorique, de l’herméneutique en général et sur son application au texte conciliaire (P. T.-D. Humbrecht, P. G. Narcisse, M. F.-X. Putallaz) : en proposant, avec diverses nuances, une herméneutique de la continuité comme solution aux dérives liées aux herméneutiques de la rupture (ruptures dans un sens progressiste ou rupture pour la dénoncer et s’y opposer chez les traditionalistes), les Pères dominicains ont défendu le texte conciliaire de tous les abus qui ont été faits en son nom, réclamant un retour au texte lui-même, et non aux intentions des uns ou des autres, aux interprétations, ni même aux conséquences désastreuses découlant, dans une certaine mesure, du Concile ; cependant certaines rares interventions ont même laissé entendre qu’il était possible de dépasser le « fixisme conciliaire ».

Mis à part certaines rengaines malvenues contre ceux qui, dans l’après-Concile, ont soulevé de véritables objections théologiques (non seulement Mgr Lefebvre, mais aussi l’école romaine), et mise à part aussi une conférence sui generis sur la liturgie (qui se contentait de synthétiser avec peu de rigueur scientifique et historique des arguments développés dans les années cinquante par le mouvement liturgique), l’examen honnête et franc de certaines difficultés du texte de Vatican II a permis de dresser, à travers les différents exposés, un tableau serein des débats qui ont agité depuis 50 ans la théologie postconciliaire, et qui jusqu’à aujourd’hui n’avaient entraîné qu’un dialogue de sourds, quand ce n’était pas une guerre de tranchées.

A ce sujet, nous voulons ici livrer quelques considérations dont nous assumons la paternité et la formulation, bien que, à notre avis, les conclusions que nous tirons se trouvent déjà – mais malheureusement seulement de façon implicite – dans les difficultés soulevées par les intervenants.

En effet, les prémisses posées à Toulouse concernent d’abord la nouveauté « surprenante pour l’histoire » d’un Concile qui ne condamne pas, tout comme sa « nature inhabituelle », pour reprendre les termes de G. Alberigo, principal acteur de « l’école de Bologne », qui conçoit Vatican II comme un « événement » dont la richesse est davantage dans un « message » que dans le texte (introduction du P. Laffay et intervention de M. Luc Perrin). Ensuite, de nombreuses études sur des points particuliers ont fait ressortir les phases complexes de la rédaction des documents conciliaires, ainsi que les différentes influences subies par les pères, qui ne s’étaient pas toujours rendu compte de la portée des textes souscrits (cf. par exemple le témoignage du P. Morerod rapportant les propos du P. Torrell, ou encore l’intervention du P. H. Donneaud sur la pensée ecclésiologique de Küng, qui longtemps avant l’approbation finale du texte, dont il était l’inspirateur, prévoyait déjà d’en dépasser la lettre dans le sens de ses vues personnelles, hétérodoxes). En outre, dans plus d’un passage apparaît, au-delà de la question des intentions de l’auteur, le problème de la réelle intelligence des textes (le P. L.-T. Somme a largement montré les difficultés du Magistère postconciliaire pour interpréter la notion de « conscience » à partir de LG 16 et 25 et de sa définition ambiguë en GS 16 ; le P. de la Soujeole, lui, a montré comment l’interprétation du « subsistit in » de LG 8 a fait couler des flots d’encre depuis un demi-siècle déjà – dont au moins sept documents magistériels – sans parvenir à une solution dirimante, et sans qu’une telle solution soit même prévisible dans l’immédiat).

Il faut, finalement, se demander comment a été possible une « herméneutique de la rupture » qui a été le courant théologique dominant depuis la fin du Concile, et qui se réclame aujourd’hui encore des textes conciliaires pour fonder ses vues progressistes. Malgré la mauvaise foi des interprétations de certains théologiens partisans de la rupture, il faut reconnaître qu’un développement analogue aurait été impensable, en raison même de la clarté des expressions, avec n’importe quel texte de Vatican I ou du Concile de Trente. Car c’est en fait la finalité même du Magistère ecclésiastique qui est ici en jeu : garder le dépôt de la foi, transmettre ce dépôt, mais aussi l’expliciter, et mettre fin aux disputes. En d’autres termes, un texte magistériel a davantage pour but de trancher les controverses plutôt que d’en produire de nouvelles. L’absence d’une terminologie claire dans certains passages du texte conciliaire porte donc à réfléchir sur l’opportunité d’une entreprise de révision, de précision, d’explication, d’interprétation authentique, menée sous l’égide de l’autorité compétente pour l’entreprendre, celle du Pontife Romain.

Un retour à la précision de la terminologie scolastique, comme la mise en œuvre des outils de la théologie thomiste faciliteraient non seulement la compréhension universelle des textes, mais mettraient aussi en évidence les critères d’une interprétation orthodoxe des passages ambigus, constituant ainsi un obstacle aux herméneutiques hétérodoxes, et laissant le champ libre pour une véritable intelligence de la doctrine catholique dans le monde contemporain. Un tel renouveau thomiste de la théologie conciliaire est ce à quoi appelaient, en conclusion, les organisateurs de ce colloque, et nous sommes convaincus du bien-fondé de leur appel. Mais ce travail, pour être véritablement fructueux, présuppose évidemment d’être convaincu qu’il faut au plus vite s’atteler, sous la conduite du Pape, non seulement à l’interprétation, mais aussi à la lettre du texte conciliaire.

Stefano Carusi – Matthieu Raffray

 

 

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7 mai 2009 4 07 /05 /mai /2009 15:59

La rédaction de "Disputationes Theologicae" a voulu poser quelques questions à M. l'abbé Christophe Héry, assistant général de l'Institut du Bon Pasteur.

L'Abbé Héry a été ordonné prêtre par Mgr. Lefèbvre en juin 1988 ; il a exercé son ministère à Marseille et à Paris, puis dans la paroisse saint Eloi à Bordeaux.

Il est aujourd'hui l'une des figures les plus significatives de l'Institut du Bon Pasteur, dont il est l'un des fondateurs, protagoniste des accords avec le Saint-Siège et de la convention entre l'IBP et le cardinal Ricard à Bordeaux ; estimé pour l'impartialité de ses études théologiques, il a publié récemment l'ouvrage “Non-lieu sur un schisme”, dans lequel il réfute, avec la perspicacité qui lui est propre, toutes les accusations de schisme à propos des sacres de 1988.

Au sein de son Institut, il anime divers groupes de réflexion et d'études théologiques. 

 

 

Monsieur l’Abbé Christophe Héry, vous avez été en 2006 l’un des protagonistes principaux de l’érection de l’institut du Bon Pasteur, lequel nous intéresse particulièrement pour sa position théologique, tout à fait singulière. Voudriez vous nous en parler d’une façon accessible et précise à la fois ?

Dès sa création à Rome le 8 septembre 2006 comme Institut de droit pontifical, le Bon Pasteur est placé sous les projecteurs en raison de son rite liturgique exclusivement traditionnel. Mais c’est surtout sa position théologique qui interpelle, par rapport au Concile Vatican II. Certains réclament que soit donné au concile « un assentiment sans équivoque ». Or il n’y a pas d’équivoque dans notre position. Il s’agit d’une mission de veille théologique. Elle s’inscrit dans la clarté de la pensée du pape.
Face au faux « esprit du Concile » qu’il a nommément rejeté le 22 décembre 2005 devant la Curie comme cause de « ruptures », « dans de vastes parties de l’Église », Benoît XVI affirme que le temps est venu de soumettre le texte de Vatican II à une relecture pour en donner une interprétation authentique, encore à venir.
Dans cette perspective, nous sommes invités par nos engagements fondateurs (signés le jour de notre fondation), à participer de façon constructive à un travail critique. Le débat fondamental, étouffé depuis quarante ans, s’ouvre enfin au sein de l’Église sans esprit de système ni de revanche, sur les points de discontinuité doctrinale posés par le concile Vatican II, sujets à caution.



Comment une telle « critique constructive » du Concile est-elle possible, puisque Vatican II est un acte du magistère authentique, en pratique intouchable ?
   

Le concile est certes un acte du magistère authentique. Mais il n’est pas intouchable, puisque la « réception authentique » du Concile, selon le Saint Père, n’a pas encore eu lieu, ou n’est pas satisfaisante ; c’est donc qu’il est retouchable, via le processus d’interprétation. Il y a un espace de liberté laissé à la controverse théologique sur le texte du magistère conciliaire, restant sauve la Tradition dogmatique et apostolique…




N’est-ce pas mettre la Tradition au-dessus du magistère ?  

La Tradition n’est ni au-dessus, ni au-dessous du Magistère. Dans ce même discours du 25/12/2005, notre pape a fustigé « l’herméneutique de discontinuité », qui oppose le magistère conciliaire à la Tradition. En effet, le magistère authentique ne dispose jamais de la Tradition à sa guise et n’est pas au-dessus d’elle : lorsqu’il statue de manière infaillible, il est ce que j’appelle la Tradition « en acte ». Lorsqu’il ne statue pas de manière infaillible, comme la majeure partie de Vatican II, le magistère (même authentique) doit être interprété et reçu, sans rupture avec la Tradition, donc à la lumière de celle-ci.



Pouvez-vous préciser en quoi la réception d’un concile permet d’en faire la critique constructive ?

Le problème posé par Vatican II est qu’il ne ressemble en rien aux précédents conciles. Ceux-ci présentaient des enseignements, des définitions du dogme, des condamnations d’erreurs opposées, qui obligeaient la foi. A l’inverse, renonçant par principe pastoral à toute prétention dogmatique (hormis la reprise de quelques points antérieurement définis par le magistère solennel), Vatican II ne s’impose pas à l’Eglise comme objet d’obéissance absolue pour la foi (cf Canon 749), mais comme objet de « réception ».
Or la réception induit un processus d’interprétation. Pour un tel corpus de textes, celle-ci demande du travail, et surtout du temps. Le cardinal Jean-Pierre Ricard à Lourdes, le 4 novembre 2006, a précisé : « le Concile est encore à recevoir » (c’est-à-dire à réinterpréter). Et il a indiqué la direction à suivre : s’appliquer à « une relecture paisible de notre réception du Concile » et non pas « une lecture idéologique », notamment pour « en repérer les points qui méritent encore d’être pris en compte. » Ce qui signifie une vaste opération de mise en questions (au sens scolastique) ; d’éclaircissement (au sens de tri) entre ce qui vaut d’être gardé et ce qui ne le vaut pas ; et de plus, une interprétation correcte de ce qui peut ou doit être gardé.



Quel sera pour vous le critère de ce tri et de cette interprétation ?

Le crible à employer est évidemment, non pas la philosophie du jour, mais la cohérence, la compatibilité ou la continuité du magistère avec la Tradition. La Tradition en acte (foi et sacrements) inclut l’enseignement solennel des conciles antérieurs et des papes. Elle constitue, aujourd’hui comme hier, le lien essentiel et actif de la communion entre catholiques. Restant sauve l’autorité romaine - et la possibilité pour la théologie de progresser de façon critique en cherchant des réponses aux problèmes nouveaux, qui ne se posaient pas, par exemple, à Vatican I.



Voulez-vous dire que Vatican II fournit une chance de réflexion critique et d’approfondissement pour l’Eglise ?
 

Il est indéniable que Vatican II pose à l’Église les questions essentielles de la modernité : la conscience, la liberté religieuse, la vérité, la raison et la foi, l’unité naturelle ou surnaturelle du genre humain, la violence et le dialogue avec les cultures, la grâce et l’attente des humains, etc. On ne peut aujourd’hui se contenter des réponses d’hier qui doivent prendre en compte les nouvelles problématiques. Mais le Concile date de 1965 et il n’est plus aujourd’hui un discours clôt sur lui-même. Nous le reconnaissons pour ce qu’il est : un concile œcuménique relevant du magistère authentique, mais non infaillible en tout point et, en raison même de ses nouveautés, en butte à certaines difficultés dans sa continuité avec l’Évangile et la Tradition.



Est-ce le sens de la formule d’engagement que vous avez signée au jour de la fondation de votre institut :
« À propos de certains points enseignés par le concile Vatican II ou concernant les réformes postérieures de la liturgie et du droit, et qui nous paraissent difficilement conciliable avec la Tradition, nous nous engageons à avoir une attitude positive d’étude et de communication avec le Siège apostolique en évitant toute polémique. Cette attitude d’études veut participer, par une critique sérieuse et constructive, à la préparation d’une interprétation authentique de la part du Saint Siège de ces points de l’enseignement de Vatican II » ?

En effet, nous avons obtenu cette liberté de contribuer, à notre place, d’abord par des études et des publications internes à l’Institut, à ce travail titanesque de pointage des textes et des théories qui font difficulté depuis 40 ans, concernant non seulement le concile mais aussi les réformes liturgiques (ou autres) qui l’ont suivi.  Nous préparons des études sur la liturgie, et sur des points litigieux classiques du Concile. La mise en place de sessions de travail et d’échange avec d’autres interlocuteurs reste à venir.



La Fraternité Saint Pie X pourrait-elle aussi avoir un rôle
semblable au votre dans ce travail de proposition vis à vis du Pape, qui reste toujours l’unique sujet du suprême pouvoir magistériel ?

Bien sûr ! Depuis la levée de l’excommunication des 4 évêques de la FSSPX, on imagine que les discussions doctrinales, jusqu’ici secrètes et informelles, vont pouvoir s’organiser avec l’aval du saint Père, et permettre aux interlocuteurs de faire valoir et d’échanger les arguments théologiques qui nourrissent la critique traditionaliste.



Même dans une perspective de « continuité », les approches herméneutiques font l’objet de positions variées. Quelle méthode de travail adopter ?

En effet, l’herméneutique fait elle-même l’objet d’un débat préalable. Un tel travail supposerait d’abord de définir la méthode et les principes herméneutiques. S’agit-il de sauver le texte à la lettre coûte que coûte, comme un bloc infaillible, sacré et inspiré jusqu’au iota, à l’image de la Bible ? Un tel postulat pourrait mener à une forme de fondamentalisme conciliaire, ruineux pour l’Eglise. S’agit-il plutôt de retrouver l’esprit du texte, par delà la lettre ? Mais le Saint Père lui-même a écarté la revendication incantatoire de cet « esprit du Concile », indéfinissable et cause de tant de « ruptures » (pratiques, doctrinales ou liturgiques) au sein de l’Eglise. S’agit-il alors de retrouver l’intention des pères conciliaires, rédacteurs du texte ? Là se pose une sérieuse difficulté pratique : le texte de Vatican II est un patchwork, le résultat d’un compromis au sein d’une assemblée, entre plusieurs groupes de travail souvent opposés, ayant chacun tiré à soi le sens, d’une phrase à l’autre… Resterait à retrouver l’intention de Paul VI ? Ou bien celle de l’Eglise ? Mais l’intention de l’Eglise ne peut être que traditionnelle. Et de plus, l’Eglise ne s’est pas encore exprimée de façon « authentique » sur le sens à donner aux textes majeurs du concile posant de graves difficulté pour la transmission de la foi. C’est pourquoi le pape Benoît XVI, dans son discours du 22/12/2005, affirme revenir non seulement au texte du Concile, mais aussi sur le texte. Ce sera notre base de travail critique.
 

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7 mai 2009 4 07 /05 /mai /2009 15:48

Introduction (par la rédaction de "disputationes") :

Le débat théologique des dernières années tourne autour des documents du concile Vatican II, de l’histoire de leur rédaction, de leur interprétation, de leur réception dans la vie de l’Eglise ; les discussions autour de cette page de l’histoire de l’Eglise ont vu des positions opposées, parfois idéologiques au point d’étouffer la confrontation entre les savants. Souvent cependant, dans le silence hostile, un vent nouveau et frais commence à souffler aujourd’hui dans l’Église, et les discussions sérieuses sur les questions de fond semblent reprendre leur vigueur, sans fausse pudeur, mais avec des objectifs scientifiques nés de l’amour de la Vérité.

A ce propos, la première question à laquelle il est urgent de trouver une réponse est celle relative à la nature du Concile Vatican II et des ses documents. Ce n’est qu’après cette réponse, et pas avant, qu’on pourra définir les limites du débat possible sur le contenu de ces textes.

 

 

L’OPINION D’UN GRAND THEOLOGIEN DE L’ECOLE ROMAINE

 

Pour inaugurer ce sujet la rédaction de « disputationes theologicae » a voulu demander l’avis du dernier grand théologien de ce qu’on a appelé « l’École Romaine », Mgr Brunero Gherardini,  héritier d’une tradition théologique qui a rendu cèlebre l’Urbe avec des noms d’exception tels que, par exemple, ses maîtres et collègues, le Card. Pietro Parente, Mgr Antonio Piolanti, Jugie ou encore Maccarone. Mgr Gherardini est né en 1925, et a reçu l’ordination sacerdotale en 1948. Docteur en théologie en 1952, et après une spécialisation en Allemagne en 1955, il a enseigné pendant plusieurs années à l’Université Pontifical du Latran, devenant doyen de la faculté de théologie de ce même athénée. Chanoine de la Basilique Saint Pierre au Vatican depuis 1994, il dirige la fameuse revue d’études théologiques « Divinitas » depuis l’année 2000. Auteur d’environ quatre-vingt ouvrages et d’innombrables articles dans des revues spécialisées, il s’est toujours distingué par la clarté de son exposition et par la limpidité de ses thèses, conduites toujours sous la lumière de saint Thomas d’Aquin. Toute récente est sa dernière publication sur le dialogue interreligieux sous le titre « Quale accordo fra Cristo e Beliar ? »  (Quel accord entre le Christ et Béliar ?), aux éditions Fede e Cultura.

    


 

La valeur « magistérielle » de Vatican II

par Mgr. Brunero GHERARDINI


(traduction française Matthieu Raffray)


 

 

Il m’a été demandé si le Concile Vatican II a une valeur magistérielle. La question est mal posée.

Un Concile – quel que soit son caractère et quelle que soit la finalité ou la nécessité contingente à laquelle il veuille répondre – est toujours Magistère Suprême de l’Eglise. Le plus solennel, au plus haut niveau. De ce point de vue et abstraction faite de la matière examinée, chacune de ses déclarations est toujours magistérielle. Et elle est magistérielle dans le sens le plus propre et le plus noble du terme.

Néanmoins, cela ne signifie pas qu’un Concile oblige absolument (« vincolante in assoluto »), c’est-à-dire dogmatiquement et sur le plan des comportements éthiques. « Magistériel », en effet, ne fait pas nécessairement allusion au dogme ou au domaine de la doctrine morale, vu que ce terme se limite à qualifier une assertion, ou un document, ou une série de documents provenant du Magistère, qu’il soit suprême ou non. J’ai exclu qu’il oblige absolument, parce que non-absolument (« vincolante non in assoluto »), il oblige toujours. Le fait même qu’une simple exhortation provienne d’une chaire d’une si grande autorité engendre un lien de façon certaine. Non pas cependant le lien qui exige l’assentiment inconditionné de tous (évêques, prêtres, peuple de Dieu) et qui en engage la foi ; mais le lien qui demande à tous un hommage religieux, interne et externe.

Pour que naisse l’exigence d’un assentiment inconditionné et donc sa traduction dans des comportements cohérents, il faut qu’entrent en jeu certaines circonstances, en l’absence desquelles une déclaration conciliaire, qui est sans aucun doute magistérielle, reste cependant dépourvue de la capacité juridique et morale de lier la liberté de l’Eglise et de chacun de ses membres. Dans un tel cas, il est clair que la requête de l’attention, de l’hommage, et du respect non seulement public mais aussi privé, concerne la responsabilité de chaque chrétien-catholique.

Quelles doivent être les circonstances dont il est question, cela est connu de tous, y compris, j’imagine, de ceux qui n’en tiennent pas compte.

Ne voulant pas qu’on puisse considérer ces propos comme mes idées personnelles, je vais utiliser les termes d’une personnalité qui ne peut pas être contestée, tant à cause des mérites qui lui sont universellement reconnus, que par son rôle dans l’Eglise, et par la charge qui était la sienne au moment où il les a manifestés publiquement et officiellement : le 16 novembre 1964, en plein déroulement de Vatican II, pour en clarifier la valeur conciliaire. En réponse à des questions  réitérées, le Secrétaire du Concile, S.E.Rev. Mgr Pericle Felici affirma que « le texte devra toujours être interprété à la lumière des règles générales, connues de tous ». Selon ces règles, toute l’Eglise sans exception « est tenue de professer les choses concernant la foi et les mœurs que le Concile aura ouvertement déclarées ». Puisqu’il s’agissait toutefois d’un Concile pastoral – sans exclure qu’il pouvait assumer quelques énoncés dogmatiques parmi ceux qui avaient été définis par d’autres conciles et en d’autres circonstances – S.E. Mgr Felici précisa que même les directives pastorales étaient proposées par le concile Vatican II « comme doctrine du Magistère Suprême de l’Eglise » et qu’en tant que telles, « il fallait les accepter et les embrasser en conformité à l’esprit de ce Saint Synode ; cet esprit, selon les normes de l’herméneutique théologique, étant manifesté tant par la doctrine traitée, que par la teneur de l’expression utilisée »[1].

 

Comme on peut le voir, afin d’indiquer de quelle nature était la valeur contraignante de Vatican II, le Secrétaire du Concile fit appel à différents facteurs. En évoquant sa "pastoralité" il mentionna:

·       Les limites imposées au Concile par Jean XXIII, dans l’ouverture de celui-ci : non pas la condamnation d’erreurs ni la formulation de nouveaux dogmes, mais l’adéquation de la vérité révélée « au monde contemporain, à sa mentalité et sa culture »[2] ;

·       L’herméneutique théologique, c'est-à-dire l’analyse des problèmes qui se présentaient, à la lumière du donné révélé et de la Tradition ecclésiastique ;

·        La teneur des expressions utilisées.

 
Les deux premières expressions ne nécessitent pas de longues explications ; la troisième se réfère à des notions techniques dans lesquelles se manifeste soit l’intention de dogmatiser soit, plus simplement, celle d’exhorter. Il est à noter qu’un dogme ne naît pas parce qu’un Concile (comme même Vatican II l’a fait) fait recours à des notions comme celles-ci : « Haec Sancta Synodus docet….Nos docemus et declaramus….definimus », ou autres expressions semblables, mais parce que le contenu doctrinal d’un chapitre entier ou de ses articles est synthétisé dans un « canon » qui affirme le dogme et condamne l’erreur contraire. La teneur des expressions verbales est donc formellement décisive. On peut aisément affirmer qu’un Concile est ou n’est pas dogmatique en vertu principalement de sa « voluntas definiendi », clairement manifestée par la teneur des expressions.

      Vatican II n’a jamais manifesté une telle « voluntas », comme on le relève facilement par la teneur des notions employées et de ses formulations : jamais un « canon », jamais une condamnation, jamais une nouvelle définition, mais au maximum le renvoi à quelque définition du passé. La conclusion qu’on peut en tirer est évidente : il s’agit d’un Concile qui, par principe, a exclu la formulation de nouvelles doctrines dogmatiques ; celles-ci, tout en n’étant pas dogmatiques par elles-mêmes, n’auraient pu parvenir au rang de dogme que si la matière en avait été définie par d’autres Conciles et qu’elles étaient maintenant proposées de nouveau. En tout autre cas, les éventuelles nouveautés ne sont rien d’autre que des tentatives pour répondre aux problèmes du moment, et il serait théologiquement incorrect, ou plus précisément il serait sans effet de les élever à une valeur dogmatique sans le fondement de la « voluntas definiendi » mentionnée. Il s’ensuit qu’une telle surévaluation reviendrait à forcer Vatican II, dont l’enseignement ne peut être dit infaillible et irréformable que là où se trouve un enseignement défini précédemment.

      Sur la base des principes herméneutiques de S.E. Mgr Felici, cela ne comporte pour personne – ni pour un évêque, ni pour un prêtre ou un théologien, ni pour le peuple de Dieu – la liberté de « snober » les enseignements de Vatican II. En tant qu’ils proviennent du Magistère Suprême, ils jouissent en effet tous d’une dignité et d’une autorité hors du commun. Personne ne pourra empêcher au savant d’en vérifier le fondement – au contraire, l’herméneutique théologique mentionnée l’exige – mais personne ne devrait non plus oser leur refuser une considération religieuse interne et externe.

 

Il y a toutefois un « mais » et un « si ». Faisons l’hypothèse que dans l’un des seize documents de Vatican II, ou même dans tous, on relève des erreurs. Dans l’abstrait, cela est envisageable : on a toujours discuté s’il était possible qu’un Concile n’atteigne pas ses intentions déclarées et ses finalités, ou si à la limite il pouvait tomber dans l’hérésie. Mon humble avis est que cela n’est pas à exclure, étant donnée la fragilité et la malice du cœur humain. Je pense cependant, que, dans le cas où cela se vérifierait, un Concile cesserait d’être tel. Quant à Vatican II, depuis cinquante ans l’attention critique s’est comme assoupie devant lui, étouffée par l’hosanna continuel qui l’a entouré. Et pourtant les problèmes ne manquent pas, et ils sont extrêmement sérieux. Je ne parle pas, c’est évident, d’hérésie, mais de suggestions doctrinales qui ne sont pas dans la ligne de la Tradition de toujours et qu’on ne peut donc pas aisément ramener au « quod semper, quod ubique, quod ab omnibus » du Père de Lérins, puisqu’il leur manque la continuité de l’« eodem sensu eademque sententia » de son Commonitorium.

Par exemple, un « subsistit in » ne peut pas être accueilli à la légère, si on ne démontre pas, à travers la recherche et la discussion critique – je veux dire à haut niveau scientifique – que tout compte fait il peut être interprété de façon orthodoxe. Ce qui, à mon avis, devrait exclure l’élargissement tant vanté de la « catholicité » et de la capacité salvifique aux dénominations chrétiennes non catholiques. Si, ensuite, on considère « Dignitatis humanae » comme l’anti-Syllabus, en référence au fameux document du bienheureux Pie IX (1864), la continuité avec la Tradition est enfreinte avant même d’en poser le problème. Enfin, si on déclare traditionnelle la doctrine des deux titulaires du pouvoir suprême, plénier et universel du gouvernement de l’Eglise – le Pape et le Collège des évêques, avec le Pape et sous le Pape, jamais sans lui ni au-dessus de lui – en la justifiant par « la relation réelle et inadéquate », on affirme un non-sens plus encore qu’une erreur historique et théologique.

 

Il faut ensuite tenir compte d’une autre circonstance, sur la base de laquelle la valeur des documents, même s’ils sont tous conciliaires et donc magistériels, n’est pas toujours la même : autre chose est une Constitution, autre chose un Décret et autre chose encore une Déclaration. Il y a une validité décroissante d’un document à l’autre. Et même s’il résultait avec une évidence certaine une éventuelle erreur de Vatican II, sa gravité varierait sur la base de sa situation dans l’un des trois types de documents.

En résumé, donc, je dirais que :

·       Le Concile Œcuménique Vatican II est sans aucun doute magistériel ;

·       Sans aucun doute non plus, il n’est pas dogmatique, mais pastoral, puisqu’il s’est toujours présenté comme tel ;

·       Ses doctrines sont infaillibles et irréformables là seulement où elles sont tirées de déclarations dogmatiques ;

·       Celles qui ne jouissent pas de fondements traditionnels constituent, prises ensemble, un enseignement authentiquement conciliaire et donc magistériel, bien que non dogmatique, qui engendre donc l’obligation non pas de la foi, mais d’un accueil attentif et respectueux, dans la ligne d’une adhésion loyale et déférente ;

·       Celles, finalement, dont la nouveauté apparaît soit inconciliable avec la Tradition, soit opposée à elle, pourront et devront être sérieusement soumises à un examen critique sur la base de la plus rigoureuse herméneutique théologique.

   

Tout ceci, cela va sans dire, « Salvo meliore iudicio ».
                                                                                                                 

Brunero Gherardini   



[1] Sacrosanctum Oecumenicum Concilium Vaticanum II, Constitutiones, Decreta, Declarationes, Poliglotta Vaticana 1966, p. 214-215

[2] Ibid. p. 865, 866

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