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Mgr Fellay et le rôle de la Fraternité bergolienne

par Disputationes theologicae

Vers la «légitimation réciproque»?

3 septembre 2016, Saint Pie X

 

 

Au printemps dernier deux nouvelles d’une grande portée ecclésiale ont retenu principalement et à juste titre, notre attention : l'Exhortation « Amoris Laetitia » et les déclarations explicatives sur le renoncement de Sa Sainteté Benoît XVI. Cependant durant ce même printemps un autre événement digne de réflexion a eu lieu : la nouvelle rencontre entre Mgr Fellay, Supérieur Général de la FSSPX et le Pape Bergoglio. Entre la fin du mois de juillet et le début du mois d’août, Mgr Pozzo a rendu publiques dans une interview des nouvelles récentes de la suite de cette rencontre, il a déclaré à propos de la Prélature personnelle : «Mgr Fellay a accepté cette proposition, même si certains détails seront éclaircis dans les mois qui suivent» [1]. Mgr Fellay “a répondu” le 24 août dernier en parlant non pas de Prélature, mais d'Ordinariat personnel: «Rome nous offre une nouvelle structure. A sa tête, un évêque. Cet évêque, choisi par le pape, parmi trois noms proposés par la Fraternité et issus de ses membres. Cet évêque aura autorité sur les prêtres, sur les religieux […] et sur les fidèles. Tous les sacrements; les fidèles qui appartiendront à cette structure auront le droit absolu de recevoir tous les sacrements des prêtres de la Fraternité. Tous les sacrements, y compris le mariage […] C’est quelque chose comme un super diocèse, indépendant à l'égard des évêques locaux». Mgr Fellay ajoute que s'il n’a pas encore signé, c’est: «parce que je veux être sûr que cela est vrai. Je n’ai pas le droit de vous entraîner dans un rêve» [2]. En somme, il y a une raison très « pratique » à évaluer, avant d’entrer dans le « rêve ».

 

Mis à part le coup de théâtre – qui peut aussi cacher, et ce ne serait pas la première fois, un jeu pour faire monter les enchères lorsque les négociations sont encore ouvertes – notons que la proposition n’est pas si « nouvelle » que cela. Il s’agit en effet plus ou moins des mêmes choses déjà en chantier au temps du Cardinal Castrillon, à nouveau proposées il n’y a pas si longtemps, mais qui alors ne pouvaient pas être acceptées pour des raisons de principe : l’accord pratique sans conversion de Rome est «impossible et inconcevable», en effet: «il est clair que nous ne signerons pas d’accord si les choses ne sont pas résolues au niveau des principes»[3]. Une dévaluation de la gravité de l’actuel problème doctrinal pour des finalités « pratiques » aurait dérivé de l’intolérable accord « pratique » (comme ils disaient, alors que nous nous parlions d’accord « canonique ») ; dans les faits l’idée d’un pluralisme malsain l’aurait emporté sur ce qu'on recherchait, c'est dire la correction des principes de la crise (cf. Accord Rome-Ecône. Blaguait-on?). Le Supérieur de la FSSPX disait: «Tant que les principes ne seront pas abordés, les conséquences continueront inéluctablement. Je dois dire que pour l’instant Rome ne semble pas vouloir remonter aux principes […]. C’est très simple: tant que Rome reste sur une telle position [œcuménisme et liberté religieuse, dont le prélat venait de parler], aucun accord n’est possible» [4]. Nous étions alors sous Benoît XVI.

 

 

Aujourd’hui, en revanche – comme certains lecteurs nous l’ont écrit – «à l’époque des deux papes», après un renoncement au Trône plus que controversé, au moment où les ombres sur l’Église se font plus épaisses, pendant que le cyclone moderniste se fait plus agressif, tant sur le terrain œcuméniste que sur le front de l’accès aux Sacrements et même sur celui de la famille (des thèmes au sujet desquels Mgr Fellay lui-même avait reconnu que S.S. Jean Paul II n’avait pas cédé), et bien c’est aujourd’hui que la FSSPX fait comprendre que cet accord qui était hier « impossible avant la conversion de Rome » et la « fin de la crise doctrinale », est devenu non seulement « concevable » et « possible », mais aussi un tel « rêve » que... « vous ne pouvez pas imaginer quelque chose de mieux » [5]. Mais que s’est-il passé ? Une « conversion de Rome » dont nous ne serions pas au courant ? Que veut dire Mgr Fellay lorsqu’il affirme qu’aujourd’hui (c’est le 24 août 2016 !), si le Vatican fait une offre pareille, c’est parce que : « il veut le bien de la Tradition, il veut que la Tradition se développe dans l’Église » [6] ? Ces mots sont-ils vraiment les siens? Parle-t-il sérieusement ou continue-t-il ses blagues comme désormais depuis plus de dix ans? Déjà en 2012 nous avions écrit que peut-être Mgr Fellay au fond, tout au fond, était un boute-en-train…(cf. Accord (pratique) Rome-Ecône. On blaguait vraiment).

 

Si ce n’est pas le cas - même si l’accord ne devait pas se conclure dans l’immédiat - il y a seulement un échange de courtoisies avec Pape François, qui, il y a deux mois environ, peu après avoir publié Amoris Laetitia, en polémique avec les prélats fidèles à Familiaris Consortio et pourtant en pleine négociation avec la Fraternité Saint Pie X, avait eu lui aussi des mots élogieux : « Mgr Fellay est un homme avec qui on peut dialoguer. […] On dialogue bien, on fait un bon travail. » [7]. Phrase sympathique elle aussi, qui semble indiquer entre autre les sympathies (au sens grec de sympatheia) romaines; n’oublions pas aussi l’enjeu du choix de l’éventuel futur Chef de l’Ordinariat…

 

Nous rappelons cependant que lorsque Campos a fait l'accord Mgr Fellay l'a condamné immédiatement, en disant qu'ils pouvaient certes s'exprimer comme ils voulaient, mais il n'y avait même pas une seule ratification de la position traditionnelle, il s’agissait plutôt d’une « légitimation réciproque » et non pas du « bien de l’Église universelle » poursuivi en revanche par la Fraternité.

 

Cette revue ne partage pas du tout la conduite de Mgr Rifan par la suite. Mais on se demande: de quelle façon n'y aurait-il pas de «légitimation réciproque » aujourd'hui? Quand les autres font l’accord il est mauvais, quand Mgr Fellay le fait il est bon? Mgr Fellay pendant des années a avancé une objection non méprisable à l'accord, c'est à dire qu'avec l'accord serait passé le message qui conduirait à considérer comme problème principal ou unique la position disciplinaire et les autorisations données à certains, ces questions se substitueraient alors à la question première et capitale, celle de la crise doctrinale dans l’Église. La conduite flottante de Mgr Fellay, avec des négociations qui durent depuis des années, avec ses déclarations tant contradictoires qu’insistantes - «jamais nous ferons l’accord»/«peut-être nous ferons l’accord» - n’a-elle pas concentré l’attention exactement sur la question qui, selon lui, devait rester tout à fait secondaire par rapport à la doctrine et à la nécessaire préalable «conversion de Rome»? Pourquoi Mgr Fellay a-t-il tenu et tient-il une conduite qui contredit plusieurs de ses affirmations, qui contredit la solennelle déclaration du Chapitre de 2006, laquelle a conduit à des divisions réitérées et nombreuses ? De combien de ruptures cette ambiguïté a été la source? Qui, en écoutant les mots de Mgr Fellay et ne les partageant pas, a emprunté une autre voie ; qui a partagé à l’époque ces mots et maintenant entend affirmer l’exact contraire de la même bouche, sans aucun éclaircissement. Dans les ruptures et scissions douloureuses on oublie trop souvent la responsabilité des positions ambiguës de l'autorité et on voudrait les résoudre seulement par l'imposition aveugle de ses propres conduites contradictoires, en utilisant éventuellement le bâton et les menaces...ou la carotte...

 

Mgr Fellay, peut-il, s’il a vraiment cru à ce qu’il disait solennellement et s’il ne s’agissait pas seulement de déclarations « politiques », donner de véritables explications, au lieu de glisser, en contournant le sens des objections ? Ou peut-être que les « accordistes » maltraités - ou mieux, les membres d’esprit romain - d’il y a dix ou quinze ans avaient eux aussi des raisons sérieuses lorsqu’ils exprimaient leurs inquiétudes? Autrement pour quelle raison Mgr Fellay aurait-il changé d’avis, comme il semble? N’estime-t-il pas, vu la confusion et les divisions, qu’il serait très opportun qu’il se mette de côté? N’était-ce pas également la volonté de Mgr Lefebvre en 1988, qui – lorsque l’accord passé avec Rome prévoyait de sacrer un seul évêque – avait désigné un candidat différent?

 

Ce discours cependant ne serait pas complet si on omettait le revers de la même médaille: la conduite obstinée de Rome à l’égard d’Ecône. Lorsque Mgr Lefebvre demandait humblement l’accord, Rome était dure avec Ecône; lorsque Mgr Lefebvre manifestait l’intention de refuser l’accord, Rome semblait lui courir derrière, en proposant une augmentation des concessions. Cette conduite, en plus d’être coresponsable de l’attitude « politicarde » déjà citée, a concouru au long des années à l’alimenter.

Pour cette raison, en continuité avec plusieurs de nos articles précédents, dans un prochain éditorial nous publierons notre lettre ouverte à Mgr Pozzo, et l’éventuelle réponse du prélat, en étant prêts à endurer – comme nous le faisons déjà – d'éventuelles rétorsions, bien qu'en coulisses.

 

La Rédaction de Disputationes Theologicae

 

 

[1] Julius Müller-Meiningen, Seid gehorsam-bitte!, in Christ & Welt supplément à la revue Die Zeit 32 (2016).

[2] Mgr Bernard Fellay, Conférence à Wanganui (Nouvelle Zélande) du 24 août 2016.

[3] Mgr Bernard Fellay, in Fideliter n. 171, mai-juin 2006, pp. 40-41.

[4] Mgr Fellay cité dans l’éditorial de Don Marco Nély, in La Tradizione Cattolica, n.2 (62) – 2006, p. 4.

[5] Mgr Bernard Fellay, Conférence à Wanganui (Nouvelle Zélande) du 24 août 2016.

[6] Ibidem.

[7] Guillaume Goubert et Sébastien Maillard, Pape François: «nous sommes sortis différents du Synode», in La Croix 16 mai 2016.

 

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Une dame «séparée» nous écrit

par Disputationes theologicae

Amoris Laetitia, un échec pastoral retentissant?

31 juillet 2016, Saint Ignace de Loyola

 

Saint Jean-Baptiste admoneste Hérode

 

Nous avons reçu cette lettre que nous publions. Nous précisons que Rita se définit comme «séparée» (et non «divorcée») car, dit-elle : «je ne reconnais pas à l'Etat le droit de gâcher un mariage chrétien».

«Mon nom est Rita, j'ai 62 ans et je me considère comme une chrétienne depuis peu, car il y a 11 ans j'ai dû prendre une décision importante qui allait changer toutes mes perspectives futures, si je voulais vraiment affirmer suivre le Seigneur. J'étais consciente que je devais m’engager à changer des aspects très importants de ma vie comme par exemple celui de faire ce que je préférais sans en référer à personne... Je suis encore comme cela aujourd'hui... mais je suis libre de préférer le Bien. A cette époque, j'étais déjà séparée depuis 12 ans et je vivais avec quelqu'un d’autre depuis 6 ans; et je ne pouvais prétendre à la communion ou la négocier, cependant si je voulais la recevoir de nouveau, pour être réellement en communion, je devais interrompre ce concubinage qui s'opposait diamétralement, je ne le savais que trop bien toute seule et sans qu'un prêtre me le dise, à un des Dix Commandements car je me rappelais encore de quelques souvenirs du catéchisme au temps de ma Confirmation, abandonné et laissé sans approfondissement ultérieur.

La pensée que le Seigneur avait pardonné à la femme adultère, bien avant moi, me réconfortait, mais Il l’avait laissée en lui disant : "Moi aussi je ne te condamne pas, maintenant va et ne pèche plus" (Jn. 8,11). Il me semblait que tout était très clair et qu'il n'y avait pas la possibilité de comprendre autre chose. Pourquoi aurais-je dû être dispensée de changer de vie ? Qui m'autorisait à croire que je pouvais changer la parole de Jésus pour ma simple commodité ? Et depuis quand pourrait-on faire ça, vu que le commandement du Seigneur Jésus n’avait certainement pas de date de péremption ? Pouvais-je continuer à me sentir inviter aux noces sans pouvoir y aller car je n'avais pas l'habit de fête adéquat? Devais-je pleurer puisque il me semblait que cette invitation venait du Seigneur lui-même et que je devais lui répondre que je n'étais pas capable de surmonter un obstacle pour aller à sa rencontre? C'est pour tout cela que j'ai dû prendre "cette décision", et je l'ai prise au nom de Notre Seigneur Jésus-Christ, qui a laissé ce commandement à Son Eglise : n'en a-t-il pas toujours été ainsi depuis qu'Il est venu, il y a 2000 ans, pour accomplir la volonté de Dieu le Père?

Mais maintenant se pose un problème : aujourd'hui, il me semble avoir compris que ma condition de l'époque aurait pu être évaluée différemment, entre autre parce que mon mari s'était remarié et qu'il avait eu un autre fils. Peut-être aurais-je pu continuer à vivre en concubinage ou encore mieux me remarier, me mettant ainsi dans l'état d'adultère stable, puisque c'est bien de cela qu'il s'agit. Comment est-ce possible ? Est-ce moi qui me suis trompée ou bien est-ce les autres qui nous trompent ? J'avoue être déçue par certains hommes qui se disent d'Eglise et j'essaie de me rappeler qu'avec Dieu on ne plaisante pas : peut-être est-ce possible avec les hommes, mais pas avec Lui. Je ne me suis pas résignée et je pose la question aux prêtres pour savoir si oui ou non des divorcés-remariés peuvent recevoir la Communion, mais les réponses que je reçois sont très vagues, trop vagues et l'unique qui corresponde à la vérité est qu'au fond je dois simplement regarder le Christ. Je l'ai déjà fait, merci ! Nous tous, chrétiens catholiques, laïcs et consacrés, pour autant que je sache aujourd'hui, nous devrions chercher à mettre en pratique Ses Paroles, même si cela coûte des sacrifices et quelques renoncements, même si cela est difficile. Mais malheureusement, il me semble, avec une évidence toujours plus grande, que l'on soit en train de chercher une voie de sortie pour n’importe quelle désobéissance à Dieu, et ce qui est plus grave, avec la complicité des "siens". Mais de quoi parlons-nous? A qui voulons-nous adhérer?

Excusez-moi si je retourne un peu en arrière dans notre histoire. Aujourd'hui je me questionne sur le sens du sacrifice de Saint Jean-Baptiste quand on lui a coupé la tête pour avoir dit à Hérode qu'il ne lui était pas permis d'avoir comme femme l'épouse de son frère Philippe (Mt. 14,4). Pourquoi s'est-il opposé aux choix des "grands" de la terre? Ne savait-il pas quelles auraient été les conséquences de ses paroles, ou au contraire n'a-t-il pas servi les plans du Seigneur afin de dire quelque chose aux hommes de tous les temps ? A qui le Baptiste dirait-il aujourd'hui: "Qui vous a enseigné à fuir la colère qui arrive? Faites donc des fruits de repentance" (Mt 3,7-8)?. De quelle colère parle-t-il si Jésus, son contemporain, est la Miséricorde en personne? Heureusement certes, le Seigneur Jésus est venu apporter des paroles de miséricorde - et je parle pour moi-même - autrement quelles perspectives aurais-je eu pour le salut de mon âme ? Parce que c'est bien de cela qu'il s'agit et non de vivre sans se soucier de rien en compagnie de quelqu'un plus ou moins aimable. Et de plus, que signifie le mot repentance? Etait-ce une plaisanterie? Au contraire, il est certain que lui, Saint Jean-Baptiste, a perdu sa tête en plus de sa réputation, pour affirmer la volonté de Dieu, alors qu'aujourd'hui l'illicite semble être justifié. Encore une question. Depuis quand le Seigneur a-t-Il donné des indications pour modifier la matière des Commandements ? Est-ce que quelqu'un pourrait me renseigner là-dessus? Je voudrais entendre des voix semblables à celles de ceux qui, tout en ne sachant pas qu'ils allaient devenir de véritables saints, ont été avant toute chose des hommes avec un Idéal à défendre et capable de témoigner jusqu'à la fin, pour donner aussi une référence humaine à suivre: un bel exemple peut être entraînant et sans doute est-ce pour cela que le Seigneur de l’Histoire n'a pas manqué de donner, à toutes les époques, des hommes qui par des signes manifestaient être ses envoyés... Et pourtant nous continuons à rester sourds, aveugles, muets et rebelles, ou peut-être sommes-nous seulement fourbes nous qui voulons feindre de ne pas comprendre ce qui est bien et ce qui est mal tout en connaissant les règles? Tant dans un cas que dans l'autre, il me semble que nous avons perdu de vue avec Qui nous devrons faire une rencontre tôt ou tard : à Lui nous ne pourrons pas invoquer d'excuses pour nous faire absoudre, car Il sait bien ce qu'il y a dans le coeur de chacun, non seulement dans celui des adultères ou des homosexuels, mais aussi dans celui des voleurs, des assassins, des avares, des blasphémateurs, des idolâtres, des gourmands et Jésus a dit que même celui qui dit "fou" à un autre... Alors imaginons un peu... Il est certain que nous ne pourrons trouver l'unique espérance que dans Sa seule Miséricorde et non dans la confusion qui se diffuse toujours plus parmi le commun des gens, qu'ils soient croyants ou non. Il est intéressant d'écouter sur ce thème l'opinion des personnes qui, avec ténacité, ont toujours été éloignées de l'Eglise et qui disent : "On ne peut pas continuer comme ça!..." Devinons à quoi ils font référence… Peut-être est-ce le Seigneur lui-même qui est en train de les in-former ? Nous ne devons jamais oublier que l'Eglise "Une, Sainte, Catholique et Apostolique" est la Sienne et seulement Lui peut en faire ce qu'Il veut, en appelant qui Il veut, s'Il le veut et quand Il veut, mais aucun d'entre nous n'est habilité à changer la Parole, ni non plus à la rendre incompréhensible et en faire un motif de scandale pour les faibles comme moi...Quand il s'agit de se tromper nous réussissons très bien tout seul, sans conseil pour le faire et peut-être, au final, on va se retrouver tous "guidés" vers l'Enfer...y compris ceux qui nous guident!»

 

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De quel genre est la “démission” de Benoît XVI?

par Disputationes theologicae

A propos des déclarations récentes de Mgr Gänswein

 

24 juin 2016, Saint Jean Baptiste

 

 

Nous avons reçu le texte suivant:

 

Chère Rédaction de Disputationes Theologicae,

j’ai lu la conférence de Mgr Gänswein du 21 mai dernier sur la “démission” de Benoît XVI. Que devons-nous penser d’un texte de ce genre ? Qui est le Pape ? Je suis inquiet pour l’Eglise et je prie sans cesse pour cette situation qui me paraît incompréhensible et presque apocalyptique.

Me souvenant de vous tous dans le chapelet.

Cesare Bin

 

 

Nous remercions le lecteur Monsieur Cesare Bin d’avoir écrit à notre Rédaction. Il est certain que seule l’Eglise a le droit de se prononcer de façon dirimante sur la légitimité des pontificats, mais il demeure juste de s’interroger sur la nature et les circonstances d’un acte “exceptionnel” apparemment difficile à resituer dans un quelconque contexte théologique et canonique connu.

 

Dans l’attente des données ultérieures de l’Histoire, nous répondrons en proposant certaines réflexions susceptibles de relecture en fonction des futurs jugements officiels de l’autorité ecclésiastique tant la matière est complexe et délicate.

 

Avant d’analyser le texte de Mgr Gänswein il est peut-être nécessaire de faire un retour en arrière.

 

En 1294 Pietro da Morrone était élu Pontife sous le nom de Célestin V. L’humble - et objectivement inadéquat - moine des Abruzzes se retrouvait ainsi sur le siège de Pierre. Bientôt, il se rendit compte combien était difficile la charge qu’il avait acceptée et il commença à réfléchir sur l’opportunité d’un renoncement. Les canonistes les plus insignes (parmi lesquels les Cardinaux Benedetto Caetani et Gerardo Bianchi) furent interrogés et - pour éviter soigneusement les problèmes qui peuvent se présenter lorsqu’un Pape régulièrement élu reste en vie après son renoncement - des documents d’abdication furent rédigés qui ne laissaient aucune ouverture aux doutes et qui spécifiaient soigneusement que Célestin V laissait pour toujours la Papauté et tout ce qu’elle comporte. Il est notoire que les Cardinaux refusèrent de consentir aux requêtes de Célestin qui voulait maintenir l’usage des insignes pontificaux pendant les célébrations[1]. Désormais, il redevenait seulement Pietro da Morrone et il revêtait le rude habit monastique.

 

Voilà, en résumé, l’histoire d’un renoncement au Pontificat qui se déroula, quoique dans un contexte historique mouvementé, avec une clarté canonique qui le fit devenir exemplaire pour les savants d’histoire de l’Eglise, de théologie et de droit canonique, jusqu’à aboutir au récent canon 332 du code du droit canonique[2].

 

Cependant, le choix de Célestin qui “était redevenu Pietro da Morrone” - nous dit Mgr Gänswein[3] - n’est pas comparable à celui de Benoît XVI, qui aujourd’hui encore doit être appelé “Sa Sainteté le Pape Benoît XVI”.

 

Mgr Gänswein, dans l’intervention citée, ne se lasse pas de répéter que l’acte du 21 février 2013 fut un acte sui generis, il spécifie qu’il n’est comparable à aucun précédent historique ou canonique et que “depuis lors nous vivons dans une époque historique qui dans l’histoire bimillénaire de l’Eglise est sans précédent”.

 

Nous citons : “Par conséquent depuis le 11 février 2013 le ministère papal n’est plus celui d’avant. Il est et il reste le fondement de l’Eglise catholique; et pourtant c’est un fondement que Benoît XVI a profondément et durablement transformé dans son pontificat d’exception (Ausnahmepontifikat)”.

 

Le secrétaire du Pape Benoît ajoute : “plusieurs continuent à percevoir encore aujourd’hui cette situation nouvelle comme une sorte d’état d’exception voulu par le Ciel”. Mgr Gänswein s’interroge aussi si le temps est vraiment venu pour juger un tel Pontificat. Il renvoie au Pontificat de saint Grégoire VII, le pape réformateur, éternelle cible de la pensée libérale et des ennemis de l’Eglise, qui mourut en exil à Salerne, tellement combattu par les puissants du moment que l’Empereur lui opposa un antipape.

 

Ce qui a été accompli par Benoît XVI est décrit comme un “pas d’une portée historique millénaire”, un “mystérieux pas”.

 

Et plus bas : “un pas comme celui accompli par Benoît XVI n’avait précisément jamais eu lieu jusqu’à aujourd’hui”.

 

Mais citons en entier la phrase qui une fois de plus prend nettement ses distances avec le précédent canonique de Célestin V :

 

Mais dans l’histoire de l’Eglise il restera que, dans l’année 2013 le célèbre théologien sur le siège de Pierre est devenu le premier Papa emeritus” de l’histoire. Dès lors, son rôle - je me permets de le répéter encore une fois - est tout à fait différent de celui, par exemple, du saint Pape Célestin V, qui après sa démission en 1294 a voulu redevenir ermite, devenant au contraire prisonnier de son successeur Boniface VIII (auquel nous devons l’institution dans l’Eglise des années jubilaires). Un pas comme celui accompli par Benoît XVI n’avait précisément jamais eu lieu jusqu’à aujourd’hui”.

 

Une interrogation théologique et canonique surgit donc spontanément, parce que si c’est un acte qui “n’avait précisément jamais eu lieu” et qui “est tout à fait [et il est dit même “tout à fait ”, ndr] différent de celui, par exemple, du saint Pape Célestin V”, il est naturel de s’interroger dans un cadre théologique et canonique sur sa nature et ses conséquences, entre autre parce qu’il n’y a pas eu d’explications proportionnées après des affirmations si impressionnantes. Nous ne savons même pas s’il existe des textes qui spécifieraient et préciseraient canoniquement de telles nouveautés, rédigées peut-être dans les jours précédents le 11 février 2013 ou immédiatement après, des jours durant lesquels la potestas était certainement encore plénière et incontestée.

 

Le sujet se complique ultérieurement parce que de telles affirmations font suite à la question - inouïe jusqu’en 2013 - du “Pape émérite ”. Il s’agit là d’une nouveauté à ne pas sous-évaluer, nous dit le texte, parce qu’elle préoccupa Benoît XVI lui-même en engageant sa profonde réflexion : “Déjà depuis longtemps il avait réfléchi à fond, au point de vue théologique, sur la possibilité des papes émérites pour le futur”. Or, la question du renoncement au trône pontifical est une question définie depuis longtemps, non seulement à la suite du Pape Célestin, mais aussi par tant d’autres discussions théologiques, comme par exemple les études approfondies mises au point pour trouver une voie de sortie au Schisme d’Occident[4]. Il ne pouvait certainement pas échapper au Pape théologien qu’il n’est pas nécessaire de réfléchir très longtemps, ni au point de vue théologique ni au point de vue canonique, sur la nature, les modalités et les conséquences d’un tel acte, si on entend le poser dans les formules classiques de Célestin. Et pourtant il nous est dit que fut nécessaire une réflexion “à fond ” - que l’on remarque bien - non pas sur l’opportunité et les circonstances prudentielles, mais “au point de vu théologique ”. Sur quoi faut-il réfléchir ?

 

Cette dernière déclaration insiste entre autre sur le fait que ce qui a engagé longuement la réflexion théologique de Benoît XVI a été le rôle du “Pape émérite ”. Il semblerait donc exclu, contrairement à certaines affirmations très simplistes de certains milieux, que l’appellation de “Pape émérite” doive être considérée comme une simple métaphore, presque le signe d’une affection spéciale pour la papauté. Un rappel de ce genre à son rôle passé, au cas où il serait seulement d’ordre affectivo-priant et pas du tout juridictionnel, peut entrainer beaucoup de prières et à la limite quelques larmes nostalgiques, mais n’exige certainement pas de longues réflexions théologiques. Alors qu’ici on parle d’une question non seulement totalement nouvelle, mais aussi longuement méditée au point de vue théologique.

 

Sur ce point spécifique, il manque au cadre théologique et canonique classique, le clair retour à “Pietro da Morrone”. Une telle absence - dans un renoncement classique - “n’avait précisément jamais eu lieu”.

 

Mgr Gänswein affirme donc implicitement que l’intentio du Pape Benoît XVI - et tout le monde saisit l’importance de l’intentio dans un acte de ce genre - a toujours été la même. “Avant et après sa démission”, mais surtout “avant”.

 

Nous citons :

 

Avant et après sa démission Benoît a entendu et entend sa charge comme participation à un tel ministère pétrinien. Il a laissé le siège pontifical et cependant, par son pas de 2013, il n’a pas du tout abandonné ce ministère. Il a par contre intégré l’office personnel à une dimension collégiale et synodale, presque un ministère en commun”.

 

Donc l’intentio de Benoît XVI lorsqu’il posait l’acte fut celle de l’abandon du ministère pétrinien…cependant ne l’abandonnant pas du tout ?

 

Or, l’unique façon de lire cette phrase pour qu’elle ait un sens et en restant dans la logique classique, qui est l’unique à fonder le droit, est que l’abandon dont on parle ne se soit pas produit “sous le même rapport”. Est-on en train de dire qu’il y a eu l’abandon d’un aspect du ministère mais pas d’un autre ? Est-on en train de parler d’une intention d’abandonner partiellement un tel ministère ?

 

Et, ce n’est au hasard, on parle de “participation à un tel ministère pétrinien”. “Participer” veut dire “partem habere”, mais quelle participation au ministère (et il est dit qu’il ne s’agit pas d’une participation seulement symbolique, mais “presque un ministère en commun”) peut avoir un ecclésiastique, à la plenaria et suprema potestas, si elle ne lui est pas donnée par le Pape lui-même ? Et surtout comment quelqu’un peut-il se conférer à lui-même la participation “à un tel ministère” pour l’avenir, plausiblement jusqu’à sa propre mort, avant même que son Successeur soit élu ? Cette “continuité de participation” après la “démission” sur quoi repose-t-elle sinon sur le pouvoir des Clés ?

 

L’avis autorisé du canoniste Stefano Violi, professeur de droit canonique à la faculté de théologie de l’Emilia Romagna, est notoire à ce sujet. Il écrit en spécifiant la singularité du renoncement de Benoît XVI: “Le fondement theologico-juridique est la plenitudo potestatis établi par le canon 331. C’est justement dans l’ensemble des pouvoirs inhérents à l’office qu’est comprise aussi la potestas privativa c’est-à-dire la faculté libre et incontestable de renoncer à tous les pouvoirs eux-mêmes sans renoncer au munus”[5].

 

Or, même en faisant abstraction du problème non secondaire de ce qui peut et ce qui ne peut pas être cédé du pouvoir pontifical, il reste certain que celui qui peut décider ce qu’il retient personnellement et ce qu’il donne en collation (personnelle ou collégiale) du ministère pétrinien, est seulement celui qui détient la Potestas de façon suprême et plénière[6].

 

Mgr Gänswein, quelques lignes avant, était intervenu en soulignant l’importance et la pérennité de la papauté monarchique : “Comme aux temps de Pierre, aujourd’hui aussi l’Eglise une, sainte, catholique et apostolique continue d’avoir un unique pape légitime”. Maintenant il nous parle d’une “intégration” selon laquelle tout en restant l’ “office personnel” on peut introduire une dimension qui prévoit “presqu’un ministère en commun”. Ce “presque” devient nécessaire parce qu’en effet il n’existe pas - et jamais ne pourra exister - une Papauté qui ne soit pas monarchique.

 

Il n’est pas facile de déterminer avec clarté de quoi on est en train de parler. Peut-être parle-t-il (en cohérence avec d’autres de ses affirmations) d’une sorte d’association d’un deuxième sujet, en plus du Pape régnant, au pouvoir pontifical ? Le rôle de ce deuxième sujet n’est pas limpide. Dans quelle mesure ce dernier, qui ne serait pas Pape, mais plutôt presqu’une sorte de “Super-Evêque associé”, pourrait-il exercer “de fait” des prérogatives papales dans un “ministère élargi” ? Et à quel titre pourrait-il se prévaloir de l’appellation de “Pape”, surtout s’il n’a pas le munus, mais seulement une association au ministerium ?

 

Mgr Gänswein souligne entre autre que “le mot clé de cette déclaration est munus”. Et cela est évident, parce que ce qui a fait couler tant d’encre c’est précisément l’absence, dans une telle déclaration, du renoncement explicite au munus. Le secrétaire du Pape continue en disant pourquoi Benoît est encore sa Sainteté : “Depuis l’élection de son successeur François le 13 mars 2013, il n’y a donc pas deux papes mais de facto un ministère élargi - avec un membre actif et un membre contemplatif. C’est pour cela que Benoit XVI n’a renoncé ni à son nom ni à la soutane blanche. C’est pour cela que l’appellation correcte pour s’adresser à lui est encore aujourd’hui “Sainteté” ; et c’est pour cela, entre autre, qu’il ne s’est pas retiré dans un monastère isolé mais à l’intérieur du Vatican - comme s’il avait fait seulement un pas de coté pour faire place à son successeur et à une nouvelle étape dans l’histoire de la papauté que lui-même, par ce pas, a enrichi avec la centralede sa prière et de sa compassion située dans les jardins du Vatican”.

 

Le problème reste, quoique différemment exprimé. Si quelque chose de papal demeure en Benoît XVI par sa volonté “avant et après sa démission” - même le titre de “Sainteté” qui fait justement référence à la sainteté non pas de l’homme, mais du munus - cela semble pouvoir se produire seulement en vertu de cette juridiction que le Christ Lui a conféré en avril 2005.

 

Une des traductions les plus appropriées de munus dans un contexte canonique est peut-être précisément le mot “office”. Le secrétaire de Benoît dit : “il n’a pas abandonné l’office de Pierre - chose qui lui aurait été tout à fait impossible suite à son acceptation irrévocable de l’office en avril 2005. Par un acte d’extraordinaire audace il a au contraire renouvelé cet office (y compris contre l’opinion de conseillers bien intentionnés et sans doute compétents).

 

On ne comprend pas non plus pourquoi abandonner l’office “lui aurait été tout à fait impossible”, sinon pour un motif volontaire, parce que - comme fit Célestin - il est certainement possible d’abandonner l’office pétrinien. La phrase confirme en tout cas l’importance du “mot clé munus”, la nouveauté absolue de la situation, et dévoile en même temps l’opposition des experts, vraisemblablement théologiens et canonistes, à une telle solution “exceptionnelle”.

 

Le temps portera certainement une lumière nouvelle, mais les questions ecclésiales soulevées par lesdites déclarations restent d’une grande portée.

 

Finalement sur les circonstances de l’acte, dont l’importance est telle qu’elles en conditionnent la moralité au sens le plus large du terme et qui renferment peut-être la véritable clé de lecture, nous laissons une fois de plus la parole au secrétaire de Benoît XVI : “Joseph Ratzinger, après une des élections les plus brèves de l’histoire de l’Eglise, sorti élu après seulement 4 scrutins à la suite d’une lutte dramatique entre le ditparti du sel de la terre(Salt of Earth Party) autour des cardinaux López Trujíllo, Ruini, Herranz, Rouco Varela ou Medina et le dit groupe de Saint-Gall autour des cardinaux Danneels, Martini, Silvestrini, Murphy-O’Connor ; groupe que récemment le cardinal de Bruxelles, Danneels en personne, a défini sur le ton de la plaisanterie comme une espèce de mafia-club. L’élection était certainement aussi le résultat d’un affrontement dont la clé avait pratiquement été fournie par le cardinal Ratzinger lui-même en tant que cardinal doyen dans l’homélie historique du 18 avril 2005 à Saint Pierre ; et précisément là où à une dictature du relativisme qui ne reconnait rien comme définitif et qui laisse comme mesure ultime seulement le moi et ses désirsil avait opposé une autre mesure :le Fils de Dieu et vrai homme comme la mesure du véritable humanisme”.

 

La Rédaction de Disputationes Theologicae

 

 

 

[1] P. Herde,Celestino V, Santo, in Enciclopedia dei Papi, II, p. 268. Au sujet de la documentation historique et canonique et des textes recueillis sous le Pontificat de Boniface VIII, cf. aussi Idem, Celestino V (Pietro del Morrone). Il Papa angelico, L’Aquila 2004; V. Gigliotti «Fit monachus, qui papa fuit»: la rinuncia di Celestino V tra diritto e letteratura in Rivista di Storia e letteratura religiosa, 44 (2008), pp. 257-323.

[2] Le canon cité est en continuité avec la constante tradition canonique, du Liber Sextus Decretalium de Boniface VIII jusqu’à son précédent immédiat, le can. 221 du Code de Droit Canonique de 1917.

[3] Georg Gänswein, Intervention du 21 maggio 2016, Città del Vaticano. Cfr. Benedetto XVI, la fine del Vecchio, l’inizio del nuovo, l’analisi di Georg Ganswein, http://www.acistampa.com/story/bendetto-xvi-la-fine-del-vecchio-linizio-del-nuovo-lanalisi-di-georg-ganswein-3369. Les gras sont de nôtre Rédaction.

[4] Cfr. Johannes Grohe, Deposizioni, abdicazioni e rinunce al Pontificato tra 1046 e 1449, in Chiesa e Storia 4 (2014), pp. 55-72.

[5] S. Violi, La rinuncia di Benedetto XVI. Tra storia, diritto e coscienza, in Rivista teologica di Lugano 18 (2013) pp. 155-166.

[6] Sur l’origine et la nature du pouvoir de juridiction papale et la collation de juridiction cf. aussi S. Carusi, Episcopalismo, collegialismo e Sommo Pontificato, in Disputationes Theologicae del 29 giugno 2014.

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“Amoris Laetitia”: Mgr Livi parle aux pénitents et aux confesseurs

par Disputationes theologicae

                                                           6 mai 2016, Saint Jean à la Porte Latine

 

Padre Pio et Leopoldo Mandic - les saints du confessionnal - exposés dans la basilique Saint Pierre en février 2016.

 

Au mois d’avril dernier, en l’honneur de la franchise et de la loyauté ecclésiale de Sainte Catherine de Sienne, Mgr Antonio Livi a tenu une conférence près de la Basilique Saint Jean à la Porte Latine, organisée par la “Sacra Fraternitas Aurigarum Urbis”. Nous publions la transcription de l’oral, approuvée par l’auteur, dans la certitude que son contenu contribuera à éclairer tant de laïcs (mais peut-être aussi tant de prêtres) qui aujourd’hui se sentent perdus.

 

 

Doctrine morale et praxis pastorale dans “Amoris Laetitia”

 

Chers amis,

 

Vous m’avez demandé d’expliquer en termes simples, à vous, des laïcs - mais je vois aussi dans l’auditoire des confrères et donc des confesseurs -, pourquoi un prêtre (et théologien) comme moi a critiqué publiquement dans des occasions différentes et en divers endroits, l’exhortation apostolique Amoris laetitia du Pape François. Je vais donc vous expliquer, avec le maximum de franchise le contenu et les véritables motivations ecclésiales de ces critiques qui sont, bien sûr, toujours prudentes quant au sujet, respectueuses quant à la forme et responsables quant aux intentions. Pour commencer, je pose en prémisse, ce que l’Eglise elle-même dit, dans un célèbre document de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, publié en 1990 avec la signature du Préfet de l’époque, le cardinal Joseph Raztinger:

 

« Enfin le Magistère, dans le but de servir le mieux possible le Peuple de Dieu, et en particulier pour le mettre en garde contre des opinions dangereuses pouvant conduire à l’erreur, peut intervenir sur des questions débattues dans lesquelles sont impliqués, à côté de principes fermes, des éléments conjecturaux et contingents. Et ce n'est souvent qu'avec le recul du temps qu'il devient possible de faire le partage entre le nécessaire et le contingent. La volonté d'acquiescement loyal à cet enseignement du Magistère en matière de soi non-irréformable doit être la règle. Il peut cependant arriver que le théologien se pose des questions portant, selon les cas, sur l'opportunité, sur la forme ou même le contenu d'une intervention. Cela le conduira avant tout à vérifier soigneusement quelle est l'autorité de cette intervention, telle qu'elle résulte de la nature des documents, de l'insistance à proposer une doctrine et de la manière même de s'exprimer [...]. Jamais en tout cas ne pourra manquer une attitude fondamentale de disponibilité à accueillir loyalement l'enseignement du Magistère, comme il convient à tout croyant au nom de l'obéissance de la foi. C'est pourquoi le théologien s'efforcera de comprendre cet enseignement dans son contenu, dans ses raisons et dans ses motifs. À cela il consacrera une réflexion approfondie et patiente, prompt à revoir ses propres opinions et à examiner les objections qui lui seraient faites par ses pairs. Si, en dépit d'efforts loyaux, les difficultés persistent, c'est un devoir pour le théologien de faire connaître aux autorités magistérielles les problèmes que soulève un enseignement en lui-même, dans les justifications qui en sont proposées ou encore dans la manière selon laquelle il est présenté. Il le fera dans un esprit évangélique, avec le désir profond de résoudre les difficultés. Ses objections pourront alors contribuer à un réel progrès, en stimulant le Magistère à proposer l'enseignement de l'Église d'une manière plus approfondie et mieux argumentée » (Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Instruction Donum veritatis sur la vocation ecclésiale du théologien, 24 mai 1990, n° 24; 29-30).

 

Je connais bien ce document, et je l’ai étudié pendant des années. Je l’ai utilisé surtout pour dénoncer l’abus du titre de “théologien” de la part de celui qui se rebelle par principe aux enseignements définitifs du Magistère et prétend re-formuler le dogme chrétien (cf. Vera e falsa teologia. Come distinguere l’autentica “scienza della fede” da un’equivoca “filosofia religiosa”, Leonardo da Vinci, Roma 2012). Cependant maintenant, je dois me référer à ce document seulement pour légitimer mes interventions critiques face aux nombreuses ambiguïtés (dans l’encadrement pastoral) et face à l’évidente dérive relativiste (dans la doctrine morale) qui caractérisent, malheureusement, plusieurs gestes et plusieurs discours de ce Pape et en particulier l’exhortation apostolique post-synodale Amoris laetitia. Il s’agit de remarques critiques suggérées seulement et toujours par la responsabilité ecclésiale qui m’incombe - comme prêtre et comme théologien - surtout face à ces fidèles qui souvent manifestent en public leur trouble et en privé me confient la désorientation de leurs consciences, quelques fois peut-être jusqu’à la perte du sens du péché. Le sens du péché, nous le savons bien, est cette conscience d’être tous des pécheurs qui, une fois engagés dans la conversion intérieure, peuvent recevoir la grâce sacramentelle qui seule peut nous racheter et nous conduire au salut éternel.

 

Je pars du présupposé que la “note théologique” de ce document pontifical soit exactement celle indiquée au n°30 de la déclaration Donum veritatis, et donc je limite mes critiques à la “forme” de l’exhortation et à son opportunité pastorale, en tenant compte des prémisses historico-ecclésiastiques et de leurs conséquences dans la formation de la conscience des fidèles. Les prémisses historiques sont très significatives: le Pape a fait sienne une de deux opinions formellement exprimées par les pères synodaux  (celle des cardinaux Schoenborn, Marx, Baldisseri et Kasper, et des évêques Forte et Semeraro, tous favorable à un changement radical de la praxis pastorale et de ses présupposés doctrinaux). Il n’a tenu aucun compte de l’opinion de ceux qui (comme les cardinaux Müller, Caffarra, Burke, De Paolis, Sarah) critiquaient avec insistance l’hypothèse de la concession de la Communion aux fidèles en état de « scandale public » pour avoir divorcé devant les tribunaux civils, pour avoir institué une communauté de vie more uxorio (laquelle détermine canoniquement le “concubinage public”), et pour avoir contracté un nouveau mariage faux et invalide, toujours devant les tribunaux civils.

 

En raison de ces circonstances concrètes, l’exhortation apostolique post-synodale était un document très attendu pour connaître les indications de l’Eglise suite aux deux Synodes des évêques sur la famille et face à toute la série d’interprétations de la part des évêques favorables au maintien de la discipline actuelle et de ceux qui demandaient un changement radical. Mais l’attente d’un éclaircissement a été déçue.

 

Certaines parties du document papal - celles dédiées à l’illustration de nouveaux critères pastoraux - sont caractérisées par l’ambiguïté de l’énoncé. Cette ambiguïté engendre des équivoques gravissimes d’interprétation, concernant précisément ce que François veut que l’on fasse dans la pratique, lorsqu’on doit décider ce qu’il faut suggérer ou prescrire aux fidèles en situation irrégulière qui manifestent l’intention de s’approcher de l’Eucharistie. Les termes « miséricorde », « accompagnement » et « discernement », quoique répétés tant de fois, ne sont jamais expliquées de manière à comprendre s’ils sont vraiment le signe d’une praxis complètement nouvelle (dans ce cas-ci ceux qui ont parlé d’une «nouveauté révolutionnaire» auraient raison) ou s’ils sont simplement des synonymes de ce que les lois ecclésiastiques en vigueur et les documents du dernier Concile appellent la «charité pastorale». Dans ce dernier cas, cela ne serait pas différent, en substance, de ce qu’on retrouve dans la doctrine théologico-pratique d’un docteur de l’Eglise comme Saint Alphonse-Marie de Liguori (auteur entre autre de la Praxis confessarii ad bene excipiendas Confessiones), dont le résultat pastoral positif est bien visible dans l’exemple des saints (que l’on pense au Curé d’Ars au XIXème ou à Padre Pio et à Saint Leopoldo Mandic au XXème).

 

De plus, la polémique du Pape - presque sauvage, et en même temps indéfinie - contre ceux qui à son avis seraient des rigoristes au cœur dur, des formalistes sans charité, même des « pharisiens », laisse entendre que le Pape, non seulement a favorisé une des deux opinions qui ont émergé dans les discussions synodales - celle des réformistes -, mais il a aussi enlevé toute crédibilité à ceux qui avaient présenté des objections documentées et bien étayées aux propositions de réforme (et dire que même parmi ces opposants il y avait le Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi !). De plus, plusieurs évêques, en se prévalant de cette ambiguïté (voulue) du document pontifical, se sont précipités pour déclarer que le Pape par cette exhortation apostolique venait à légitimer une praxis « miséricordieuse » (c’est à dire permissive, ou mieux laxiste, ou mieux encore irresponsable) qu’ils avaient déjà permise dans leurs diocèses respectifs, en désobéissance aux lois canoniques en vigueur.

 

En même temps, le cardinal américain Burke et l’évêque kazakh Schneider déclaraient aux journalistes que l’exhortation apostolique de Pape François n’était pas à prendre comme un document du Magistère, tellement les références doctrinales confuses ou même erronées qu’elle contenait étaient nombreuses. Bref, l’opinion publique catholique a été induite à estimer que le Pape avait voulu abroger la doctrine chrétienne sur l'indissolubilité du mariage et la nécessité de l’état de grâce pour accéder à la Communion. Et, face à cette (présumée) “révolution” dogmatique, plusieurs personnes ont éprouvé de l’effroi, en estimant que Pape François avait été trompé par ses conseillers et avait favorisé l’hétérodoxie, alors que d’autres se sont réjouis en retenant que l’Eglise avait enfin mis de côté l'orthodoxie des conservateurs pour concéder pleine liberté aux doctrines théologiques les plus avancées, les plus conformes aux temps nouveaux et à la mentalité de l’homme d’aujourd’hui.

 

L’Eglise, dans son histoire bimillénaire, a vécu de nombreux événements dramatiques. L’histoire ecclésiastique relate différentes époques de confusion et de schisme, et même des pontifes qui par leur vie ont scandalisé. Pape François certainement ne scandalise pas par sa conduite personnelle, mais on doit dire que la doctrine théologique qu’il favorise, celle-là oui elle scandalise, au sens biblique du terme, au sens où elle est une “pierre d’achoppement” pour la foi des gens simples et désoriente les consciences de tous.

 

Cette confusion et cette désorientation de la conscience du commun des fidèles sont le résultat - peut-être voulu, peut-être imprévu, même s’il était facilement prévisible - de l’ambiguïté structurelle du document pontifical. Et c’est le motif pour lequel j’en parle, en mettant en évidence les points critiques : non pas pour manquer de respect au Magistère, ni pour prendre le parti des conservateurs contre les progressistes dans la dispute idéologique qui afflige l’Eglise depuis tant de temps, et encore moins pour vouloir opposer à la doctrine du Pape - qui devrait exprimer et interpréter avec autorité divine le dogme de la foi - une doctrine théologique qui serait mon avis personnel : mais seulement par responsabilité pastorale vis-à-vis des fidèles. Une pareille situation ne peut que provoquer des dommages gravissimes sur la conscience des fidèles,  partagés entre le devoir d’obéir à l’autorité ecclésiastique quand elle commande expressément et licitement, et le devoir de respecter la nature divine des signes sacramentels, en évitant tout risque de profanation et de sacrilège.

 

A vous qui êtes ici présents, j’adresse un vibrant appel : ne pensez pas que le document pontifical, en matière de Sacrements (Mariage, Pénitence, Eucharistie), vous oblige à croire quelque chose de différent que ce que vous avez toujours cru, ni à faire quelque chose de différent que ce que vous avez toujours fait. Au contraire, je vous dirai même davantage. L’exhortation apostolique n’est pas une nouvelle loi ecclésiastique : elle n’ordonne rien du tout à qui que ce soit dans l’Eglise catholique; elle est, précisément, seulement une exhortation, une invitation, un encouragement, adressée aux Pasteurs (évêques et prêtres) pour qu’ils pratiquent leur ministère avec attention aux situations spécifiques de leurs fidèles, en les aidant aussi par la direction spirituelle personnelle (le “for interne”) et toujours avec un esprit de miséricorde. Donc ce sont surtout les prêtres en charge d’âmes qui doivent appliquer dans leur service quotidien (catéchèse et administration des sacrements) les critères indiqués par le Pape. C’est moi, et avec moi tous mes confrères dans le sacerdoce, dans la communion avec nos évêques respectifs, qui devons recevoir et acter ces conseils pastoraux, sans mettre de côté - personne ne peut nous le demander, et le Pape ne nous l’a pas demandé- les critères théologico-moraux et les normes canoniques en vigueur. Ces critères de base, toujours valides, sont ceux avec lesquels j’ai exercé le ministère de la Confession jusqu’à aujourd’hui, pendant mes 55 ans de sacerdoce. Ces critères m’empêchent de mal comprendre (ou d’entendre selon l’interprétation des “réformistes et progressistes”) certains passages ambigus de l’exhortation apostolique. Je veux maintenant les analyser pour vous fournir l’unique interprétation admissible au point de vue de la praxis sacramentelle, respectueuse du dogme et des principes moraux définitivement établis par l’Eglise.

 

Je lis de prime abord le § 305:

«À cause des conditionnements ou des facteurs atténuants, il est possible que, dans une situation objective de péché – qui n’est pas subjectivement imputable ou qui ne l’est pas pleinement – l’on puisse vivre dans la grâce de Dieu, qu’on puisse aimer, et qu’on puisse également grandir dans la vie de la grâce et dans la charité, en recevant à cet effet l’aide de l’Église» (François, Exhort. Ap. Amoris Laetitia, § 305).

 

A ce point le document est accompagné d’une note :

«Dans certains cas, il peut s’agir aussi de l’aide des sacrements. Voilà pourquoi, “aux prêtres je rappelle que le confessionnal ne doit pas être une salle de torture mais un lieu de la miséricorde du Seigneur” […] Je souligne également que l’Eucharistie “n’est pas un prix destiné aux parfaits, mais un généreux remède et un aliment pour les faibles”  [Exhort. ap. Evangelii gaudium, 24 novembre 2013, §. 44 et 47 : AAS 105, 2013, p. 1038- 1039]» (François, Exhort. Ap. Amoris Laetitia, § 305, note n. 351).

 

Le paragraphe et la note sont insérés dans le chapitre VIII dédié aux «situations irrégulières», c’est-à-dire à la communauté de vie et surtout aux nouvelles unions civiles suite au divorce dans le cas où le mariage précédent est canoniquement valide. Dans le texte on fait référence à l’hypothèse d’une situation objectivement désordonnée (une nouvelle union civile après divorce) mais dont le sujet (le fidèle catholique divorcé remarié) ne semble pas en être conscient. Une fois cette hypothèse posée, le Pape suggère, comme instrument pastoral pour cette condition particulière, l’administration des sacrements de la Réconciliation et de l’Eucharistie. La suggestion a un sens seulement si dans le cas en question, le divorcé-remarié est reconnu comme se trouvant en état de grâce parce que dépourvu de responsabilité subjective par rapport à sa condition objectivement désordonnée. En l’absence de pleine advertance sur la matière grave ce fidèle ne serait pas en état de péché mortel, ergo il pourrait communier.

 

Voilà maintenant un autre passage du document qui semble confirmer l’intention du Pape d’insinuer une solution de ce genre:

«Il n’est plus possible de dire que tous ceux qui se trouvent dans une certaine situation dite ‘‘irrégulière’’ vivent dans une situation de péché mortel, privés de la grâce sanctifiante. Les limites n’ont pas à voir uniquement avec une éventuelle méconnaissance de la norme. Un sujet, même connaissant bien la norme, peut avoir une grande difficulté à saisir les “valeurs comprises dans la norme morale” [Jean-Paul II, Exhort. ap. Familiaris consortio (22 novembre 1981), n. 33 : AAS 74 (1982), p. 121]» (François, Exhort. Ap. Amoris Laetitia, § 301).

 

En d’autres termes, selon ces suggestions papales, le confesseur pourrait juger non entièrement responsable le pénitent s’il était en mesure de vérifier dans le “for interne” et au cas par cas que le pénitent se trouve dans un état d’erreur au sujet de sa condition. Mais comment est-il possible d’effectuer une pareille vérification sinon en ayant recours à la traditionnelle “praxis confessariorum” ? On a toujours su que la dite «ignorance invincible» doit être constatée de façon responsable par le ministre de la Pénitence. Mais le confesseur peut aussi considérer coupable cette ignorance, étant donné que la répétition de péchés consciemment commis peut conduire à l’obscurcissement de la conscience de la personne. Dans un tel cas le confesseur arrivera à la conviction que le sujet en question ne peut pas être considéré par l’Eglise en état de grâce. Et ensuite, même en admettant que l’ignorance invincible de ce sujet déterminé soit vraiment telle qu’elle ne le rendrait pas subjectivement coupable (hypothèse que j’estime seulement théorique et impossible à retrouver dans la vie réelle des fidèles qui fréquentent les sacrements), tout prêtre sait bien que ce qu’il est appelé à juger (dans le tribunal de la Pénitence le confesseur est le juge au nom de l’Eglise) n’est pas la conscience du pénitent et encore moins l’action de la grâce en elle, mais seulement les manifestations extérieures du repentir et la volonté de remédier au mal commis, en relation à la situation (externe, parfois même publique) du pénitent. Si de telles constatations portent le confesseur à conclure qu’il n’est pas possible d’absoudre une telle personne, il prendra soin d’expliquer avec le maximum de délicatesse au pénitent que c’est à lui de commencer et de porter jusqu’au bout sa propre conversion, en sachant bien qu’entretemps il ne lui est pas permis de recevoir la communion. Il lui expliquera aussi que ce qui ne le rend pas encore “digne” de la Communion eucharistique est sa condition externe, visible, signe de ses conditions intérieures encore imparfaites : recevoir sacramentellement le Christ exige une condition de vie personnelle qui ne soit pas objectivement en contradiction avec la sainteté du Christ.

 

C’est ainsi que tout prêtre qui est vraiment responsable, s’il est appelé par l’évêque ou même par les fidèles à donner son jugement sur le sujet, ne conseillera jamais aux concubins et aux divorcés remariés qui ne vivent pas chastement (ou qui vivent chastement mais qui devraient interrompre leur relation parce que sur eux n’incombent pas des obligations morales particulières) de s’approcher de la Communion, parce que de telles conditions sont objectivement contraires à la volonté de Dieu, c’est-à-dire à sa miséricorde envers nous les hommes. Le prêtre doit éclairer la conscience du pénitent en lui rappelant que notre vie personnelle et sociale doit être conforme à l’ordo amoris, une très sage orientation de toute chose à la gloire du Créateur et au bien des créatures. La loi naturelle et la révélation divine nous font savoir, avec certitude de raison et de foi, qu’il y a des actes qui sont en soi en opposition avec cet ordo. C’est exactement le cas des rapports sexuels en dehors des rapports conjugaux : de tels actes ne sont pas conformes au plan de Dieu - c’est-à-dire qu’ils ne peuvent pas être sanctifiés et ils ne sont pas sanctifiants - et par conséquent ils posent la personne qui les accomplit volontairement dans une condition qui de fait est incompatible avec l’ordo amoris, et cela au-delà de la plus ou moins grande conscience de leur gravité. Cela comporte pour le confesseur - responsable direct du culte divin dans la célébration de la Pénitence - le gravissime devoir ministériel de ne pas absoudre le fidèle “divorcé-remarié” qui ne voudrait pas dans les faits changer sa situation. Pour administrer validement l’absolution il manquerait en effet les conditions essentielles, c’est-à-dire le sincère repentir et la volonté de réparation.

 

On ne peut pas constater qu’il y ait du repentir lorsque le fidèle ne déclare pas au confesseur vouloir sortir de son propre état de “divorcé-remarié” en rompant le rapport avec le/la concubin/concubine et en œuvrant pour revenir avec le conjoint légitime, ou quand il ne se propose pas de réparer les dommages causés au conjoint légitime, aux enfants éventuels, au concubin qu’il a induit au péché, à l’entière communauté chrétienne à laquelle il a causé du scandale. En l’absence de ces conditions - lesquelles, au point de vue théologique, constituent la “matière” propre du sacrement de la Pénitence - le confesseur est obligé de refuser, pour le moment, l’absolution, qui ne serait pas un acte de miséricorde mais une tromperie (parce que l’absolution serait illicite et surtout invalide).

 

                                                                                 Antonio Livi 

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Dossier post-synodal

par Disputationes theologicae

Combien de vérités de foi remises en discussion?

 

19 mars 2016, Saint Joseph

 

 

A l’occasion de l’exhortation post-synodale nous voudrions attirer l’attention sur les dangers qui sont en train d’atteindre tout l’édifice dogmatique. La question des ouvertures aux divorcés “remariés” n’est qu’un petit aspect d’un plan bien plus important et inquiétant. Durant les derniers mois nous avons essayé de mettre en lumière les implications d’un problème aux nombreuses ramifications, nous proposons maintenant au lecteur un recueil de nos articles sur la question.

 

Nous confions à Saint Joseph, Protecteur de la Famille et de l’Eglise, la bataille pour la défense de la société naturelle et surnaturelle

 

 

Episcopalisme, collégialisme et Souverain Pontificat

Face aux “vents épiscopalistes”: étude sur la collégialité et la doctrine catholique

Don Stefano Carusi, 29 juin 2014, fête des Saints Apôtres Pierre et Paul, Patrons de l’Eglise Romaine

 

L’influence de Luther derrière la “thèse Kasper”?

Un aspect du dernier Synode sur la Famille

S. C. , 21 décembre 2014, Saint Thomas Apôtre

 

L’exhumation intéressée du Père Dupuis

Répétition générale de Vatican III, contre Dominus Jesus

La Rédaction de Disputationes Theologicae, 29 Janvier 2015, Saint François de Sales

 

La courageuse lettre ouverte de Mgr Lenga

Nicolas Fulvi, 27 février 2015

 

Missionnaires de la Miséricorde ou de la profanation de la confession?

Réflexions en marge d’une intervention du “papabile” Cardinal Tagle

Association de Clercs Saint Grégoire le Grand, 31 mai 2015, Marie Reine

 

Le fond inquiétant de la proposition kaspérienne

Mgr Livi, doyen de Philosophie à l’Université du Latran, intervient sur le Synode d’octobre

 

L'Eucharistie selon Kasper (Première partie)

L’Eucharistie selon Kasper (Deuxième partie)

Mgr Antonio Livi, 31 juillet 2015, Saint Ignace de Loyola

 

"Projet Kasper" et attaque contre la divine constitution de l’Eglise

Vers une “Nouvelle Eglise” en passant par le mariage?

S.C., 17 octobre 2015, Sainte Marguerite Marie Alacoque

 

L’ « intercommunion » avec les Luthériens

Réflexions de Mgr Gherardini

Mgr Brunero Gherardini , 26 novembre 2015, Saint Silvestre abbé

 

Miséricorde, vertu ordonnée ou passion déréglée?

L’enseignement de Saint Thomas d’Aquin

Association de Clercs Saint Grégoire le Grand, 21 décembre 2015, Saint Thomas Apôtre

 

Le modèle d’une sainte qui fut concubine

“Exhortation post-synodale” sur Sainte Marguerite de Cortone

Abbé Louis-Numa Julien, 25 janvier 2016, Conversion de Saint Paul

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L’Abbé Philippe Laguérie (IBP) nous demande de censurer nos articles

par Disputationes theologicae

Et d’autres confirmations récentes

 

29 février 2016

 

Page officielle Facebook de l’IBP suite aux attentats de Paris:

Jésus Bon Pasteur prend les couleurs bleu, blanc, rouge

 

L’Abbé Philippe Laguérie a écrit au directeur de Disputationes Theologicae à la fin de l’année dernière, en demandant de supprimer certains de nos articles sous un délai de quinze jours. En décembre et janvier nous avions déjà en programmation des articles sur des questions d’une certaine importance ecclésiale. Nous avons maintenant la place éditoriale pour répondre à cette requête, qui est entre autre explicitement en opposition au Droit Canonique lui-même (can. 212 et 215).

Par quoi est préoccupé l’Abbé Laguérie dans un moment si grave pour l’Eglise? Peut-être a-t-il senti le besoin de nous faire parvenir un article dans lequel il défend ouvertement le Mariage chrétien et l’Eucharistie des attaques qu’ils subissent aujourd’hui, même de la part d’éminents hommes d’Eglise? Ou veut-il rendre publique une prise de position officielle (jusqu’à présent nous n’en avons pas eu connaissance) contre les thèses Kasper et les graves hérésies qui s’ensuivent, en exerçant ainsi cette “critique constructive” qui semblait être autrefois la caractéristique de l’IBP? Non, rien de tout cela, pour l’instant l’urgence semble être de demander que Disputationes Theologicae censure tous les articles qui concernent les changements identitaires de l’IBP et son étrange “élection”, sur laquelle la Signature Apostolique n’a pas encore répondu à toutes les questions posées.

A l’époque de l’ “Eglise de la Miséricorde” et de la “parrhèsia évangélique”...et alors que Pape François vient d’écrire et de remercier Antonio Socci (qui dans son livre “Non è Francesco” a mis en doute entre autre la légitimité canonique de son élection) en lui disant : “je suis certain que plusieurs des choses que vous avez écrites me feront beaucoup de bien. En réalité, les critiques aussi nous aident”, recevoir une lettre avec des menaces pour avoir publié des questions toujours sans réponses, cela fait un peu sourire.

De notre côté, nous n’avons jamais prétendu que nos articles ne fussent pas susceptibles de précisions de la part de contradicteurs. Nous avons toujours dit être disposés à d'éventuels débats ou rectifications, mais dans le cadre de la “disputatio” publique autour de l’objet. Le nom de cette revue n’est pas un hasard. Bref - comme cela devrait être évident - il ne suffit pas de porter une sentence, il faut argumenter. Mais jusqu’à présent des lettres argumentées sur le contenu des articles en question, il n’en est parvenu aucune.

Les requêtes de censure, évidemment, ne sont pas un argument. Même si elles peuvent être tout de même une importante confirmation...

Dans le passé déjà, l’Abbé Laguérie nous avait écrit pour supprimer les articles intitulés Le “rite propre” et l’ “herméneutique de continuité” sont-ils suffisants? et Accord Rome-Ecône: “Blaguait-on”. A l’époque, il avait même été invoqué la volonté expresse de la Commission Ecclesia Dei, presque comme si elle était le commanditaire de la censure et des menaces de nomination en Colombie si nous n’avions pas obtempéré. Nous avions interpelé l’autorité compétente et Mgr Di Noia nous avait répondu en dévoilant que nous étions en présence d’amplifications arbitraires d’une demande de vigilance et de prudence. Bref, une fois de plus, le “complexe du rallié” allait bien au-delà des requêtes. Nous avions alors écrit: Plutôt que la Commission Pontificale Ecclesia Dei, c’était donc le servilisme… L’histoire se répète et à dire vrai nous avons perdu le compte des requêtes inacceptables de censure, nous en sommes peut-être à la quatrième ou à la cinquième. Il semblerait qu’ils ne se lassent jamais...Une autre fois, ce fut pour avoir révélé que le Chapitre avait été manipulé d’une façon indécente (cf. La soi-disant “élection” de l’Abbé Laguérie à Supérieur de l’IBP), était alors ressortie comme une “sanction” la nomination en Colombie (aiment-ils si peu l’Amérique Latine au point de la considérer comme un bagne ?). Cette fois-ci, la censure est demandée en évoquant le nom du Commissaire Forgeot, Abbé émérite de Fontgombault, qui fut le gérant de la “normalisation forcée” de l’IBP. Nous constatons que - trois ans après - il y a encore des gens qui ne sont pas en paix lorsqu’ils pensent aux documents qui en partie ont été publiés dans nos articles.

 

D’autres confirmations récentes

L’opportunité que nos articles soient en ligne - et qu’ils y restent - nous a été confirmée par un jeune prêtre du Bon Pasteur, qui dans les dernières semaines a affirmé à des fidèles de Bordeaux que si les Statuts de l’IBP n’ont pas changé et s’il y a encore le rite exclusif, on le doit à la Communauté Saint Grégoire le Grand et à ses articles. Ce jeune prêtre, dont l’honnêteté intellectuelle est en soi à louer, a indiqué que ce sont les témoignages publics qui freinent les pressions à se vendre. A l’époque, un tel prêtre avait été sincèrement scandalisé par ce que disait l’Abbé Laguérie sur le Document Pozzo (cf. Mail de la “Bonne Providence”, Conférence au Séminaire enregistrée du 2 juin 2012 et Interview de Claire Thomas sur Monde et Vie du 20 octobre 2012) et, si aujourd’hui il s’exprime ainsi en public, cela signifie que l’intelligence est encore lucide; si la volonté aussi est droite, alors qu’il tire simplement les conclusions des prémisses qu’il a su poser.

Ainsi donc, pour le peu que l’on sache et malgré le fait que le Tribunal de la Signature ait déjà parlé de changements statutaires (“de mutatione statutorum”, cf.: Des réponses de la Signature, déjà quelques confirmations), les Statuts semblent pour le moment avoir été “maintenus”. Mais nous nous demandons : “maintenus” de cette façon, ne risquent-ils pas de devenir seulement une “coquille vide” ? Un miroir aux alouettes qui permettrait de se réfugier derrière-eux, alors que les différents chefs sont “obligés” de les maintenir - par l’aveu même de ceux qui sont à l’intérieur - en raison du témoignage de la Communauté Saint Grégoire le Grand et sous la pression de ce que pourrait dire Disputationes Theologicae? Il semblerait que nous ayons été vraiment peu nombreux à croire à la nécessité théologique et ecclésiale d’une «troisième voie»...

A ce propos, il est intéressant de noter ce qu’écrit l’Abbé Raffray qui a reçu il y a peu de temps d’importantes charges à responsabilité. Un tel Supérieur a récemment donné une interview programmatique. Il y affirme qu’en plus du rite exclusif, le charisme spécifique de l’IBP est la “critique théologique positive des réformes modernes” (cf: L'Institut du Bon Pasteur de retour à Rome, Paix Liturgique, Lettres 526 du 19 janvier 2016). Le fait que la “critique théologique positive” soit le charisme spécifique de l’IBP est vraiment pour nous une nouveauté. De plus, parler seulement de “critique théologique positive des réformes modernes” - qui pourrait être revendiquée par n’importe quel théologien et qui n’est même plus la raztingerienne “herméneutique de la continuité” – ressemble beaucoup à un académisme fumeux. Il n’y avait certainement pas besoin du Bon Pasteur pour l’inventer. Les textes fondateurs de 2006 parlaient de “critique sérieuse et constructive” de “certains points enseignés par le Concile Vatican II concernant certaines réformes postérieures de la liturgie et du droit qui nous semblent difficilement conciliables avec la Tradition”. Mais de tout cela il n’y a plus aucune trace. Il n’est pas inutile de rappeler en effet que - comme par hasard - la mise de côté de la “critique constructive” (mais pour l’instant nous n’avons pas vu de publications, même pas de “critique théologique positive des réformes modernes”...) est exactement dans la ligne de ce qui avait été demandé par le fameux Document Pozzo, qu’il sera utile de relire même intégralement. Nous constatons qu’est en train de se réaliser point par point ce que nous avions écrit dans l’article Un mois après le manifeste de la Communauté Saint Grégoire le Grand et dans le suivant Mgr Pozzo: la Messe “extraordinaire” peut être interdite par l’autorité.

Voyez-vous à quoi servent les articles et pourquoi c'est un bien qu’ils soient en ligne? Parfois la mémoire est courte ou - en raison d’un certain opportunisme - sélective. Les vieux articles aident à éviter l’immanentisme.

Même la dérive de la paroisse personnelle Saint Eloi, sur laquelle tant de prêtres et de fidèles nous ont écrit avec douleur, avait été largement annoncée. Il n’y a plus de trace par exemple du bulletin paroissial Le Mascaret, dont le titre indiquait le “mascaret”, cette vague qui remonte la Garonne à contre courant. Il a été substitué par une revue au nouveau nom américaniste Religius, bien davantage “dans le sens du courant”, et - en suivant l’encyclique Laudato si’ - l’éditorial déclare: “Religius sera éco-responsable”. La prédication aussi a subi un tournant. Cette année par exemple il y aura quatre prédications de Carême qui s’appelleront: “Conférences de Carême du Jubilé de la Miséricorde”. Celle du 19 février sera sur la Miséricorde (pour le Roi David), alors que celle du 26 février sera sur la Miséricorde (qui vient du confessionnal), au contraire celle du 11 mars sera - devinez un peu ? - sur la Miséricorde (selon Sœur Faustine), et celle du 18 mars encore sur la Miséricorde (pour la Madeleine). Bref, sur Saint Eloi se déverse une marée de Miséricorde, à tel point que même le traditionnel pèlerinage paroissial à Notre Dame de Verdelais, un point de repère local auquel tous sont attachés, sera - vous ne devinerez jamais - sur...Marie et la Miséricorde! Bref, ou il y a peu d'inspiration ou il y a beaucoup de servilisme. Nous sommes tous convaincus de l’importance de la vertu ordonnée de miséricorde, mais faire étalage d’être “plus bergoglien que Bergoglio” en arrivant jusqu’à cinq prises de “miséricordine” - cinq ! - en moins d’un mois, cela fera peut-être sourire même au Vatican. Tout en sachant bien qu’en privé les critiques sur le “Pape argentin” sont vraiment...sans miséricorde ! Absque misericordia en privé. En public par contre on invoque “Rome Rome Rome”, en demandant “beaucoup de Miséricorde”.

La faute n’est pas seulement - malgré ses objectives responsabilités - à l’Abbé Vella, Curé et Assistant Général, comme cela se dit trop souvent sur Bordeaux ; mais les autres aussi - prêtres et fidèles, dont certains nous ont écrit - devraient réfléchir sur le fait qu’il est possible (en plus d’être un devoir) de ne pas se rendre complice d’une telle duplicité. Certains ont déjà fait un choix courageux.

Nous avions écrit dans nos articles, en mettant en garde nos confrères : “le servilisme est un puits sans fond”, peut-être aurions-nous dû écrire que c’est un “abîme”. Qui invoque l’abîme.

En évaluant l’ensemble de ces motifs, nous pensons que c’est un bien pour tous que nos articles restent en ligne et librement consultables.

 

La Rédaction de Disputationes Theologicae

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Le modèle d’une sainte qui fut concubine

par Disputationes theologicae

“Exhortation post-synodale” sur Sainte Marguerite de Cortone

 

25 janvier 2016, Conversion de Saint Paul

 

 

Le concubinage

Sainte Marguerite de Cortone naquit à Liviano, au diocèse de Chiusi, en Toscane en 1247. Après une jeune enfance heureuse et normale, elle perdit durant son adolescence sa mère. Son père se remaria et cela lui donna le prétexte pour se comporter comme elle l’entendait. Sa très grande beauté lui permit de se faire très rapidement remarquer par les hommes de sa région et surtout par un homme riche de Montepulciano, qui s’en éprit éperdument et emmena la magnifique jeune fille de 16 ans vivre dans son château. Pendant neuf années elle vécut dans une belle demeure où son concubin pouvait satisfaire ses penchants pour le luxe et les plaisirs, au point que ses compagnes lui reprochant un jour sa parure, lui dirent: “Qu’en sera-t-il de toi, vaniteuse Marguerite?” Consciente de son état et de cette vie pécheresse et misérable elle garda durant tout ce temps d’égarement le souci et le soulagement des pauvres, ainsi qu’une petite vie de prière personnelle.

 

La conversion

En 1274, son concubin partit pour quelques jours et quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’au bout de trois jours elle vit revenir toute seule la petite chienne qu’il avait emmenée avec lui. En arrivant celle-ci se mit à aboyer, à geindre et à tirer par sa robe Marguerite pour lui faire comprendre de la suivre. Etonnée, elle la suivit au dehors de la demeure et après une courte marche elle découvrit dans un bois le corps de son amant, caché sous des branchages et étendu sur le sol, déjà en partie rongé par les vers. Remplie d’horreur par cette vision et soutenue par la grâce de Dieu, elle comprit toute l’étendue de sa vie pécheresse, la stupidité de s‘être abandonnée à une créature qui n’était que corruption et quittant cette demeure, s’en retourna, tel le fils prodigue, vers son père pour implorer son pardon pour une vie si scandaleuse et obtenir son soutien afin de réparer et de faire pénitence. Son père accepta et Marguerite commença à faire pénitence. Après tant d’années d’une vie licencieuse elle ne savait si Notre Seigneur lui rendrait sa grâce, elle multiplia alors les pénitences extraordinaires afin de recevoir du Ciel un signe pouvant apaiser sa conscience tourmentée. C’est ainsi qu’elle se présenta plusieurs fois à la messe paroissiale où tous les habitants de la ville étaient réunis, pauvrement habillée et une corde au cou. Interrompant les saints mystères, elle confessait publiquement ses péchés passés et demandait pardon à Dieu et à toute l’assistance pour le scandale public qu’elle avait causé. Très rapidement son attitude ne manqua pas de nuire à la réputation familiale et donc déplut fortement à sa marâtre qui mit tout en œuvre pour mettre fin à ces agissements. Celle-ci obtint finalement que son époux chassa cette “insensée”, cette “folle”, de la maison paternelle.

 

La tentation

Marguerite se retrouva donc à la rue, seule, abandonnée de tous, sans argent, avec son petit garçon issu de cette union concubinaire. Entrant alors dans une petite chapelle elle se jeta au pied d’un grand crucifix et se mit à prier pour demander l’aide du Ciel. C’est à ce moment précis que le Prince des ténèbres, la voyant en si mauvaise posture, si esseulée et si fragile, lui persiffla la plus insidieuse des tentations. “A quoi t’ont servi ces pénitences excessives sinon à te faire tant d’ennemis ? Pourquoi te lamenter ? Tu es encore si jeune, tellement belle, sans aucune difficulté tu retrouveras un autre riche compagnon pour reprendre cette vie de douceur, de richesse, de plaisirs, de mondanité”. Dans ses souvenirs le démon lui fit ressurgir tous les plaisirs passés, tous les charmes de cette vie mondaine, toute la considération et la renommée qu’elle avait alors. Terrible épreuve, terrible dilemme, terrible combat intérieur, terrible tentation que dut supporter Marguerite. Mais Notre Seigneur n’abandonne jamais les siens - “ Dieu, qui est fidèle, ne permettra pas que vous soyez tentés au dessus de vos forces” (I Cor, X, 13) - et au milieu de ce tourbillon enivrant et mortel, elle entendit une voix qui venait du crucifix : “Va à Cortone, au couvent des frères franciscains, ils te diront comment continuer ta vie pénitente”.

 

Cortone

Se raccrochant à cette voix comme à une perche de sauveteur pour naufragés en pleine tempête, elle obéit sur-le-champ et entreprit ce voyage. Elle entra par une petite porte de la ville, presque en cachette, et finalement se jeta au pied d’un confesseur du couvent des franciscains à qui elle narra toutes les tribulations de sa jeune existence et surtout les grandes miséricordes du Sauveur qui l’avait conduite jusqu’ici. Après trois années de mise à l’épreuve, elle put recevoir l’habit du Tiers-Ordre de Saint François. Dès son arrivée à Cortone, elle ne désira plus qu’une seule chose : plaire à Notre Seigneur Jésus-Christ et se retira donc dans un petit ermitage où elle vécut pendant 23 années de privations, de mortifications, de pénitences. Suivant le conseil de Saint Paul “je châtie mon corps et le réduis en esclavage” (I Cor., IX,27) elle couchait sur la pierre, à même le sol, veillait des nuits entières dans la prière, se donnait la discipline, tout ce qu’on lui apportait était redistribué immédiatement aux pauvres et elle ne mangeait qu’un morceau de pain, quelques herbes, quelques noix et un peu d’eau. Toutes ces austérités affaiblirent si fort son corps qu’elle ne ressentit plus aucun mouvement déréglé de la sensualité ni le moindre mauvais désir. Délivrée de tout attachement terrestre son âme put s'élever facilement au Ciel pendant ses prières et elle fut gratifiée de nombreuses visites célestes, comme celles de Notre Seigneur lui-même, qui aimait s’entretenir familièrement avec son humble servante.

 

La réputation de sainteté

Au bout de quelques temps le regard des habitants de Cortone changea du tout-au-tout à son égard et sa réputation de sainteté se répandit très loin au de-là de la ville. Le démon qui ne la laissait jamais tranquille et la pourchassait par de nombreuses tentations, visions, persécutions, se saisit tout de suite de cela pour insuffler en elle des sentiments d’orgueil, de fierté, de vanité. Aussitôt, sentant l’extrême danger de ces tentations, Marguerite sortit en pleine rue et criait aux habitants de la ville : “A quoi songez-vous, mes amis, de retenir dans l’enceinte de vos murs une détestable créature comme moi; ignorez-vous qu’elle vie honteuse j’ai menée ?”. De même, elle partit pour Montepulciano, cité de ses égarements et de ses débordements, et à l’entrée de la ville demanda à une compagne de lui mettre la corde au cou, de la traîner ainsi dans les rues et de crier le plus fort possible: “Voici Marguerite qui a perdu tant d’âmes; voici cette pécheresse qui a profané votre ville”.

 

Le rappel à Dieu

Durant les dernières années de sa vie, Marguerite contempla avec une très grande ferveur la Passion de Notre Seigneur, ce qui lui donna une immense charité pour le salut des âmes et surtout une très grande dévotion aux âmes du Purgatoire. Notre Seigneur lui-même lui dit un jour dans une de leurs conversations : “Dites aux Frères Mineurs qu’ils se souviennent des âmes des défunts; elles sont en si grande multitude que l’esprit de l’homme peut à peine l’imaginer, et cependant elles sont peu secourues par leurs amis”.

Par une permission divine spéciale, ces âmes purent même demander à la sainte des prières de délivrance et Marguerite put contempler la montée au Ciel de nombreuses âmes entourées de chérubins enfin délivrées des flammes du Purgatoire.

Ayant connu par avance la proximité de sa mort, elle s’y prépara avec le même zèle que pour ses mortifications et consumée par les ardeurs de l’amour divin, munie des sacrements de la Sainte Eglise, elle rendit son âme à Dieu le 22 février 1297. Son âme goûta enfin le bonheur céleste et son corps, qui exhalait une suave odeur et qui est toujours intact de nos jours, fut l’instrument de très nombreux miracles. En 1728 le Pape Benoit XIII canonisa cette fille de l’Eglise toujours vénérée à Cortone et donna aux chrétiens comme modèle son parcours : du concubinage à la sainteté.

 

Témoins de la Miséricorde

Si des pénitences publiques aussi austères ne sont demandées qu’à certaines âmes privilégiées, l’exemple de la conversion, du changement de vie et de l’abandon d’une situation peccamineuse, pour laisser place à la vie de la grâce, ne sont pas demandés qu’aux saints. En cela Sainte Marguerite reste un exemple d’une très grande actualité. De la même façon, elle ne se servit pas de son petit garçon, fruit de ses années de concubinage, pour justifier des solutions inadmissibles, mais elle se fit un devoir de s’occuper avec soin de son éducation chrétienne et du salut de son âme. Ce dernier d’ailleurs suivra le bon exemple de sa mère en entrant dans l’ordre Séraphique.

En conclusion laissons la parole à Saint Grégoire le Grand, en écoutant son exhortation au peuple de Rome[1]: “J’observe Pierre, je considère le larron, j’aperçois Zachée, je regarde attentivement Marie [Madeleine], et je ne vois en eux rien d’autre que des modèles d'espérance et de pénitence placés sous nos yeux. Quelqu'un a-t-il laissé défaillir sa foi, qu’il regarde Pierre, pleurant amèrement pour avoir par crainte renié. Un autre a-t-il été dur, cruel même, envers son prochain, qu’il regarde le larron parvenant, au moment même de mourir, aux joies de la vie par le repentir. Un autre enfiévré par la cupidité, a-t-il ravi le bien d’autrui, qu’il regarde Zachée rendant au quadruple, s’il avait pris quelque chose à quelqu’un. Un autre tout brûlant du feu de la volupté, a-t-il perdu la pureté du corps, qu’il regarde Marie [Madeleine], qui a fait mourir en elle l’amour charnel au feu de l’amour divin. Voici que le Dieu tout-puissant présente partout à nos yeux des modèles à imiter, et qu’il propose des exemples de sa miséricorde. Que le mal nous soit en horreur, surtout si nous en avons fait l’expérience. Le Dieu tout-puissant oublie volontiers que nous avons fait le mal, il est prêt à transformer notre pénitence en innocence”.

 

Abbé Louis-Numa Julien

 

 

[1] Homélie XXV, 10,15.

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Miséricorde, vertu ordonnée ou passion déréglée?

par Disputationes theologicae

L’enseignement de Saint Thomas d’Aquin

 

21 décembre 2015, Saint Thomas Apôtre

 

Sainte Marguerite de Cortone: du concubinage à la Sainteté.

La Miséricorde de Dieu

 

Le mot miséricorde est aujourd’hui parmi les plus abusés et l’usage impropre d’un terme tant lié à la Sagesse et la Bonté divines a des conséquences qui se reflètent même sur la façon d’entendre la nature de Dieu. Si d’un côté il est vrai qu’il peut y avoir plusieurs modes d’entendre la miséricorde, de l’autre il est important d’introduire certaines précisions pour ne pas aboutir à de graves erreurs en matière de foi et de morale.

 

Dans ce bref article, nous verrons certaines distinctions capitales que Saint Thomas fait dans la Summa Theologiae, et nous analyserons principalement la question de comment il faut entendre la notion de miséricorde chez l’homme et la notion de miséricorde en Dieu. Une fois posées ces distinctions, utiles pour éviter tant l’écueil du panthéisme que celui corrélatif de l’antropomorphisation excessive de Dieu, nous verrons quelles sont les raisons et les conditions de la miséricorde envers les pécheurs, en suivant le Docteur Angélique.

 

La Miséricorde est une vertu "selon la raison"

Saint Thomas parle de la miséricorde sous son aspect plus proprement moral dans la Secunda Pars et, en faisant recours à l’étymologie, il nous explique ce qu’elle est et comment il faut la définir. On parle de miséricorde lorsque quelqu’un, en regardant la misère de l’autre, a un “cœur miséreuxˮ ou mieux un cœur “compatissantˮ[1]. C'est-à-dire que le cœur de celui qui a la miséricorde s’identifie avec celui qui est dans la misère et - à son tour - s’afflige de la misère. C’est le fait de s’attrister avec qui est triste, de s’identifier en partie avec qui est dans le malheur et avec son désir de bien.

 

Ce mouvement de l’âme dans une certaine mesure est quelque chose d’inné dans notre nature, c'est-à-dire que Dieu dans Sa Sagesse infinie a créé l’homme doué de passions, lesquelles en soi concourent à nous conduire au fin ultime. Par exemple, face à une injustice évidente on peut avoir un mouvement de colère, qui peut être sainte et juste et peut stimuler à l’action pour protéger la vérité ou celui qui est injustement attaqué. La perfection de la création a prévu en effet que pour un animal spirituel et social comme l’homme il y eût des “réactionsˮ qui ont en soi le but de stimuler la créature sensible vers son bien propre et vers celui des autres ; cependant - principalement suite au péché originel - les passions doivent toujours être dirigées par la raison pour qu’elles ne deviennent pas une cause de péché à cause de leur dérèglement.

 

Le même discours vaut pour la miséricorde, elle nait presque de nos entrailles face à la “misèreˮ ou à la douleur d’autrui. Vue ainsi la miséricorde est un mouvement de l’âme que Saint Thomas appelle “mouvement de l’appétit sensitifˮ. Le saint théologien ajoute : “en ce cas la miséricorde est une passion et non pas une vertuˮ[2]. C'est-à-dire que notre nature sensible fait en sorte qu’une “réaction immédiateˮ se déclenche face à la misérable situation d’autrui, et à cela est connexe une poussée intérieure dans notre âme pour soulager le miséreux d’un tel malheur. Ceci est la première façon de parler de la miséricorde, c’est le niveau “le plus basˮ, celui de la passion, nous sommes encore dans le domaine de la “réaction immédiateˮ, enracinée dans le sensible, qui a besoin - comme les autres passions - d’être ordonnée par la raison.

 

Il y a ensuite une autre façon de parler de la miséricorde: en tant que mouvement de l’appétit réglé par la raison. Ce cas se réfère à ce mouvement de l’âme par lequel raisonnablement - et non seulement passionnellement - nous nous attristons de la douleur d’autrui. Un tel mouvement par lequel notre cœur se fait “miséreux avec les miséreuxˮ n’est pas seulement un cri, une exclamation, un battement du cœur, mais il est guidé par la raison, est ordonné à la fin par notre intellect. L’Aquinate explique, en se référant à l’autorité de Saint Augustin, que le mouvement de la miséricorde est vertueux lorsqu’il sert la raison, lorsqu’il reste dans l’ordre et dans le bien, lorsqu’il est finalisé à la conservation de la justice de l’ordre divin[3]. C'est-à-dire que Augustin et Thomas disent clairement que la fin de la miséricorde n’est pas un romantisme compatissant qui embrasse tout et tous comme une girouette tourbillonnante, mais c’est un mouvement que le Créateur a inscrit dans la nature humaine pour une raison précise, qui est principalement celle de stimuler les hommes à soulager le prochain de la misère pour rentrer dans le juste ordre voulu par Dieu.

 

Ce n’est pas au hasard si l’Angélique, en suivant Aristote, avait dit auparavant que la miséricorde est plus intense lorsque le miséreux se trouve dans le mal pour des raisons fortuites, par exemple lorsqu’un mal survient à l’improviste sur celui qui espérait l’arrivée d’un bien, et la miséricorde est encore plus forte face au malheur qui arrive à celui qui a toujours choisi le bien. En ce cas elle est encore plus intense parce que la victime n’est pas du tout coupable, c’est la souffrance du juste, donc plus forte est la “stimulationˮ à revenir dans le juste ordre des choses[4].

 

La justice et la miséricorde de Dieu

L’Aquinate, après s’être occupé de ce qu’est l’Amour Divin, traite à la question 21 de la Prima Pars de la justice et de la miséricorde de Dieu qui sont même unies dans une seule question. Non seulement, évidemment, elles sont une seule chose en Dieu, mais elles sont aussi unies dans l’étude théologique car pour définir l’une on ne peut pas faire abstraction de l’autre. Dans toutes les œuvres de Dieu brillent toujours justice et miséricorde[5].

 

Avant d’aller à la réponse de Saint Thomas il est bien de s’arrêter sur la première objection du premier article, parce qu’elle contient une distinction utile pour comprendre l’actuelle confusion sur la notion de miséricorde. Saint Thomas dit en effet, par sa méthode usuelle de poser la “quaestioˮ, que la miséricorde semblerait ne pas revenir à Dieu en tant qu’elle est une espèce de la tristesse. Du fait qu’il n’y a pas en Dieu de tristesse il ne peut donc y avoir non plus de miséricorde[6].

 

Le Docteur Commun, qui est maintenant en train de parler de la miséricorde en Dieu, procède en excluant de la miséricorde l’aspect de tristesse immédiate que les hommes éprouvent lorsqu’ils voient le malheur d’autrui, ce “mouvement du cœurˮ qui touche seulement la nature sensible de l’homme mais pas la nature immuable de Dieu. Dieu ne “s’attristeˮ pas de la misère d’autrui comme cela arrive dans notre nature sensible, cependant Il agit pour éliminer la cause, pour soulager le miséreux de son poids. En Dieu donc il n’y a jamais ce désordre qu’on peut retrouver chez l’homme par rapport à la miséricorde, c'est-à-dire qu’Il n’est jamais apitoyé de façon passionnelle et désordonnée, mais toute son action est toujours ordonnée et juste. Un homme pourrait s’attrister et éprouver de la peine et donc être vraiment porté à la miséricorde (en tant que passion) pour un faux mendiant qui simule la misère ou pour des raisons futiles ou pour l’amour désordonné d’un bien apparent qui conduit à la damnation éternelle et son âme pourrait même se retrouver dans une angoisse grave et disproportionnée pour la situation “misérableˮ de son prochain. En Dieu il ne peut y avoir un tel processus, il n’y a pas une telle “affectionˮ (“affectumˮ) dérivant de la passion, mais il y a seulement “l’effetˮ - dit Saint Thomas - c'est-à-dire il y a seulement la volonté de Dieu à soulager, dans l’ordre de Sa justice, le miséreux de l’indigence matérielle ou spirituelle[7].

 

Il émerge combien sont insensées les théories (souvent au substrat panthéiste) qui voudraient introduire la souffrance et la passion en Dieu, pour ensuite aborder de façon sentimentale, lorsque ce n’est pas d’une façon ouvertement hédoniste, même les dispositions de la Divine Sagesse autour de la miséricorde. Saint Thomas explique bien qu’on ne peut pas attribuer à Dieu sinon en métaphore les vertus qui sont en fonction des passions et de leur réglementation, et en Dieu il n’y a pas de passion ni d’appétit sensitif[8], donc il n’y a même pas l’ombre d’un mouvement de miséricorde qui ne soit pas en parfaite harmonie avec toute Sa loi.

 

Saint Thomas dit “à Dieu ne revient pas le fait de s’attrister de la misère d’autrui mais le fait de soulager de telle misère, cela oui lui revient au plus haut degréˮ[9]. Et ceci parce que Dieu, en s’aimant soi-même, aime ses créatures et l’ordre établi par lui dans toute chose créée, Il aime chacun dans l’ensemble de l’ordre créé et dans l’ordre surnaturel du salut, Il agit donc en conséquence en comblant l’absence de bien dans un tel ordre. La générosité de Dieu s’inscrit dans la justice, dans le sens qu’Il désire donner aux créatures ce à quoi elles sont ordonnées[10], Dieu veut donc par-dessus tout que les créatures spirituelles aient le salut au moyen de la grâce. En désirant leur bien surnaturel, Il veut combler avant tout ce “défautˮ qui pourrait conduire les âmes à la perdition. Donc là où la miséricorde s’exerce au plus haut degré et brille le plus c’est dans la conversion du pécheur, où l’absence d’ordre moral dans sa vie est corrigée - par miséricorde divine - en une vie compatible avec l’infusion de la grâce et le salut éternel. Une œuvre proprement divine dit Saint Augustin, “plus grande que de créer le ciel et la terreˮ[11].

 

On peut même dire plus, Dieu est tellement juste dans sa miséricorde qu’une fois de plus Il respecte l’ordre sage établi par Lui. En effet, s’Il a voulu l’homme d’une nature spirituelle et donc libre, Il fera certes miséricorde, mais en respectant la liberté de l’homme[12]. Lorsque par exemple Dieu convertit le pécheur à une vie nouvelle, Il se comporte un peu comme un créditeur qui d’un côté donne au débiteur ce qu’Il doit rendre, de l’autre fait en sorte que le débiteur gagne ce qui est nécessaire à combler la dette (et même davantage), en lui offrant Lui-même tous les moyens. Dans cet ordre de justice et miséricorde il est donc aussi nécessaire que la créature libre corresponde à la miséricorde par des actes volontaires et concrets. La miséricorde a donc un aspect gratuit et un aspect lié au mérite.

 

Et il y a aussi celui qui ne mérite pas miséricorde, ou mieux qui ne la mérite plus dans l’ordre du salut, comme Judas Iscariote qui a perdu le Ciel pour toujours. Bien que la miséricorde de Dieu arrive jusqu’à l’enfer, où les peines éternelles des damnés ne sont pas aussi graves que celles qu’ils mériteraient dans la plus stricte justice[13].

 

“Toutes les voies du Seigneur sont miséricorde et véritéˮ dit le Psalmiste (24,10). Il ne peut pas en être autrement, toute œuvre divine procède selon l’ordre et la proportion de Sa Sagesse et Sa Bonté. En toute œuvre divine il doit forcement y avoir justice ainsi qu’en toute œuvre divine il y a miséricorde[14] ; “dans n’importe quelle œuvre de Dieu apparaît la miséricorde comme première racineˮ[15] et cela tant dans le cas de la conversion de la Madeleine que de la peine éternelle de Judas.

 

La Miséricorde pour le pécheur

Si on a saisi l’explication de Saint Thomas on comprend que le pécheur ne peut mouvoir Dieu à faire miséricorde en tant qu’il viole volontairement la justice divine, mais seulement en tant qu’il subit une peine. Et c’est pour cet aspect de misère, d’indigence temporelle et spirituelle - qui sont des peines - que Dieu fait miséricorde et certainement pas pour la malice du pécheur qui par contre est à mépriser. Les mentalités modernes, y compris celles de certains pasteurs, sont par contre tellement imbues du primat de l’immanence, au point de transférer dans l’intellect et dans la volonté divine cette passion désordonnée de miséricorde qui - loin de toute vérité et de tout critère - “s’émeutˮ hypocritement face à l’obstination dans le péché. Et cela arrive exactement là où l’Evangile par contre prêche - parce que miséricordieux - la fermeté et l’immuabilité de l’ordre divin.

 

Donc en imitant Dieu on ne peut jamais s’apitoyer sur le pécheur en secondant sa malice, mais on peut éprouver miséricorde pour ce qu’il subit, par exemple par les châtiments connexes au péché, pour les attaques du démon auquel il s’est soumis, pour la faiblesse et la fragilité conséquentes au péché originel, pour les manquements et les fautes des pasteurs qui ne l’ont pas admonesté et l’ont laissé tomber dans le péché, en abandonnant les pécheurs “comme des brebis sans pasteurˮ (Mt. 9, 36)[16].

 

Association de Clercs Saint Grégoire le Grand

 

 

 

[1] S. Th., IIa IIae, q. 30, a. 1, c. : “dicitur enim misericordia ex eo quod aliquis habet miserum cor super miseria alterius”.

[2] Ibidem, a. 3 c. : “dicendum quod miseria importat dolorem de miseria aliena. Iste autem dolor potest nominare, uno quidem modo, motum appetitus sensitivi. Et secundum hoc misericordia passio est, et non virtus”.

[3] Ibidem : “iste motus animi, scilicet misericordia, servit rationi quando ita praebetur misericordia ut iustitia conservetur : sive cum indigenti tribuitur, sive cum ignoscitur penitenti”. Cfr. anche Ia IIae, q. 59, a.1, ad 3.

[4] S.Th., IIa IIae, q. 30, a. 1, c.

[5] S.Th., Ia, q. 21, a. 4.

[6] S. Th., Ia, q. 21, a. 3, arg. 1.

[7] S.Th., Ia, q. 21, a. 3, c.

[8] S. Th., Ia, q. 21, a. 1, ad 1.

[9] Ibidem, a. 3, c. “Tristari ergo de miseria alterius non competit Deo: sed repellere miseria alterius, hoc maxime Deo competit”.

[10] Ibidem, a.1, ad 3.

[11] S.Th., IIIa, q. 43, a. 4, ad 2.

[12] S. Th., Ia IIae, q. 113, a 3, c.: “Unde et homines ad iustitiam movet secundum conditionem naturae humanae. Homo autem secundum propriam naturam habet quod sit liberi arbitrii. Et ideo in eo qui habet usum liberi arbitrii, non fit motio a Deo ad iustitiam absque motu liberi arbitri”.

[13] S. Th., Ia, q. 21, a. 4, ad 1.

[14] Ibidem, a. 4, c.

[15] Ibidem.

[16] S. Th., IIa IIae, q. 30, a.1, ad 1.

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L’ « intercommunion » avec les Luthériens

par Disputationes theologicae

Réflexions de Mgr Gherardini

26 novembre 2015, Saint Silvestre abbé

 

 

Dans les derniers articles nous avons cherché à indiquer la gravité des théories qui prônent un accès sans distinction à l’Eucharistie, des théories qui souvent sous-entendent une notion de l’Eglise catholique - mais aussi de l’Eucharistie - qui à bien regarder n’est plus catholique. La connexion intime entre les deux dogmes fait que de telles attaques engagent inévitablement l’une et l’autre vérité. Sur ce même terrain doctrinal naît la possibilité d’admettre la dite « intercommunion » avec les Luthériens. A ce sujet nous publions la réponse de Mgr Brunero Gherardini, qui pendant des années a tenu la chaire d’Ecclésiologie et Œcuménisme à l’Université Pontificale du Latran, en écrivant de nombreux essais sur cette matière et en offrant souvent ses consultations sur ce thème aux Dicastères romains. Des expressions synthétiques du théologien il ressort combien est inquiétante la diffusion de certaines thèses et de la praxis du «fait accompli», surtout sur le plan ecclésiologique.

 

***

 

Qu’entend-on par «intercommunion» ?

« Pour répondre de la façon adéquate en analysant aussi les documents les plus récents il faudrait non pas un article, non pas plusieurs articles, mais une monographie entière. Que l’on remarque avant toute chose l’impropriété du terme, non seulement parce que l’idée d’intercommunion contient déjà en soi une référence claire à l’idée de participation et donc n’a pas besoin d’être soulignée par le préfixe inter, mais aussi parce que son domaine sémantique s’étend, selon la tradition chrétienne la plus antique, du sacrement eucharistique aux églises singulières, en se colorant d’une forte tonalité ecclésiologique. Bref, le terme indique non seulement la consommation des offrandes sacramentelles, mais aussi un rapport entre église et église, ou entre confession et confession ».

 

Que comporte une telle théorie et que veut-elle signifier ?

« Je dirai tout de suite que par intercommunion il faut entendre la traduction synthétique quoique non pas omnicompréhensive de l’expression classique communicatio in sacris. Ceux qui sont séparés de l’unité visible de l’Eglise ou par schisme ou par hérésie, sont par cela même empêchés, ou mis à l’écart de la communion ecclésiale, et par conséquent de la communion eucharistique aussi ; comme tels, ils ne peuvent ni participer à la liturgie des catholiques, ni communier à la table eucharistique de ces derniers, de la même façon que les catholiques sont empêchés de participer au culte des schismatiques et des hérétiques. Cette doctrine et la praxis qui en découle, se trouvent en face de la situation d’aujourd’hui, qui a fleuri dans les milieux œcuméniques et qui tend à s’opposer aux limites de la communicatio in sacris. Cette tendance laisse souvent libre court à une «scapigliatura ecumenica » (« œcuménisme ébouriffé » ndr) et l’intercommunion, scandale pour les uns et enthousiasme pour les autres, devient chose faite : presque le signe de l’unité souhaitée qui de telle sorte aurait son commencement ».

 

L’intercommunion avec les Luthériens est-elle possible ?

« Au sujet de la communion entre catholiques et frères séparés en tant qu’héritiers de la Réforme ou des églises inspirées par elle, c’est leur refus des sacrements et de la théologie de la transsubstantiation et donc de la présence substantielle qui rend illicite et insensé toute communicatio in sacris avec les catholiques ».

 

Est-ce que le sentiment prend la place de la doctrine ?

« Dans une matière aussi délicate, la tension émotionnelle n’est pas bonne conseillère. J’apprécie Von Allmen lorsque, en se soustrayant à l’émotion, il veut traiter de ce sujet « une bonne fois pour toute, sans subterfuge, ni à demi-mot ». Et cela même au prix d’une clarté brutale. Œcumeniquement parlant, c’est justement cela qui semble manquer aux protagonistes du dialogue interconfessionnel. Je sais bien moi aussi que le témoignage des chrétiens, divisés sur le fondement de leur foi elle-même, est moins crédible, et en plus moins efficace. Mais une intercommunion « à tout prix » ne sera pas le motif d’une plus grande crédibilité et efficacité de leur part ».

 

La Rédaction de Disputationes Theologicae

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"Projet Kasper" et attaque contre la divine constitution de l’Eglise

par Disputationes theologicae

Vers une “Nouvelle Eglise” en passant par le mariage?

 

17 octobre 2015, Sainte Marguerite Marie Alacoque

 

 

Entre la notion de mariage et la notion d’Eglise se trouve un lien profond que l’Ecriture établit clairement. En observant donc avec attention les thèses “kaspériennes” on découvre qu’elles n’ont pas seulement une dimension de déstructuration de la morale, mais qu’elles comportent aussi un aspect - pas encore suffisamment mis en lumière - qui finit par corrompre plus ou moins indirectement la notion même d’Eglise catholique. Walter Kasper est un ecclésiologue[1], et cela n’est pas anodin.

Le mariage est avant tout une institution de droit naturel, voulu expressément “dès le commencement” par le Créateur et inscrit à perpétuité dans le coeur des hommes ainsi que toute la loi naturelle. Cela suffit déjà à rendre sacré pour toujours l’union familiale entre un homme et une femme en vue de la procréation. Cette “sacralité naturelle”, qui dérive de l’honneur dû à la loi éternelle, est non seulement compréhensible par la seule raison, mais est aussi contenue dans le Décalogue, et Saint Paul l’utilise comme modèle pour nous parler de la société surnaturelle voulue par le Christ.

La très importante bataille pour la famille et le mariage, déjà en cours au Synode et dont les prolongements futurs sont désormais évidents, comporte donc la défense du “droit naturel” et implique un autre aspect étroitement connexe à celle-ci : la défense du dogme de la divine constitution de l’Eglise, éternel cible des modernistes. Ce n’est pas un hasard si en ces jours est diffusée la nouvelle de propositions synodales d’élargissement sans distinction de la communion eucharistique, non seulement aux concubins publics mais aussi aux hérétiques et aux schismatiques, dans une logique cohérente avec la liquéfaction de la notion même d’ “Eglise catholique”. En effet, il n’existe pas une pastorale indépendante des vérités révélées, encore moins une morale séparée de la dogmatique. Dans ce qui est scientia Dei  toutes les vérités sont connexes, qu’elles aient un caractère adressé plus proprement à la contemplation de Dieu ou qu’elles soient davantage dirigées à décrire la juste voie qui conduit à Dieu[2]. Il s’agit toujours de Dieu et une unité profonde les enveloppe toutes, au point que tout changement substantiel dans le domaine moral entraine une autre théologie dogmatique : simul stabunt aut simul cadent.

L’impression fondée est que nous nous trouvons face à un unique et vaste projet d’Anti-église dont pour l’instant ne s’est rendu visible qu’un seul aspect, quoique très important. Nous analyserons dans cet article comment les dites “thèses Kasper” (et le corrélatif, quoique plus fuyant, “projet Tagle”) comportent dans les faits non seulement une contradiction flagrante avec la loi naturelle et les paroles du Christ sur le mariage, mais aussi le germe d’une attaque contre la doctrine traditionnelle sur la nature de l’Eglise catholique.

 

Mariage et Eglise : une connexion mystique significative

Pour comprendre ce qu’est l’Eglise il faut comprendre ce qu’est le mariage chrétien, pour comprendre ce qu’est le mariage chrétien il faut connaître l’Eglise. Saint Paul dit aux Ephésiens (V, 25-28) : “Maris, aimez vos femmes comme le Christ a aimé l’Eglise et s’est livré lui-même pour elle, afin de la sanctifier, après l’avoir purifiée dans l’eau baptismale, avec la parole, pour la faire paraître, devant lui, cette Eglise, glorieuse, sans tache, sans ride, ni rien de semblable, mais sainte et immaculée”. Il en découle un parallélisme entre la sainteté que doit avoir le vrai mariage chrétien et la sainteté par laquelle le Verbe Incarné a sanctifié et a aimé l’Eglise, qui est “sainte et immaculée” parce que divine; ainsi qu’à son tour - analogiquement - doit être sainte l’union d’un homme et d’une femme sous le regard du Christ. Et l’Apôtre continue plus loin (V, 32-33) : “Ce mystère est grand; je veux dire, par rapport au Christ et à l’Eglise. Au reste, que chacun de vous, de la même manière, aime sa femme comme soi-même, et que la femme révère son mari”. Pour Saint Paul le mariage est tellement important en ecclésiologie, qu’il en est un signe sacré, et cela dès les temps de l’Ancien Testament dans lequel il était déjà une “annonce” de l’Eglise que le Christ aurait fondé.

Le Concile de Trente reprend ce lien inséparable entre la grâce que le Christ mérita dans sa Passion, la grâce sponsale de l’Eglise et l’indissoluble unité du mariage qui la représente[3]. Mgr Piolanti synthétise ainsi cette sublime vérité : “il faut donc retenir que dans l’Ancien Testament le Mariage fut un symbole ordonné par Dieu pour signifier la future union du Christ avec l’Eglise (signum prognosticum sans aucune efficacité sanctificatrice), et qui dans le Nouveau Testament demeure, par volonté divine, comme un signe d’une réalité qui s’est accomplie sur la Croix, les noces mystiques du Christ avec l’Eglise; il est donc un signum rememorativum, qui en appartenant à la Nouvelle Loi possède la prérogative de sanctifier intérieurement (signum demonstrativum gratiae)”[4].

Donc non seulement le mariage est élevé à la dignité de sacrement par le Sacrifice du Christ qui répand sur les époux la grâce matrimoniale, mais le mariage demeure aussi dans les siècles comme un “signe de la réalité qui s’est accomplie sur la Croix”, comme un signe pérenne des “noces mystiques du Christ avec l’Eglise” et, ainsi que pour les autres sacrements, du dessin même de l’Incarnation du Verbe. En effet tout sacrement, dans sa nature ainsi que dans les rites et les obligations qui l’accompagnent, est un reflet de l’Incarnation du Verbe - dit Saint Thomas - et doit nécessairement être conforme à un tel mystère en tant que cause universelle de salut[5]. Voilà le projet divin qui plonge ses racines dans l’Ancien Testament et qui veut faire du mariage chrétien une image de la sainteté salvatrice de l’unique et immaculée Epouse du Christ, et un signe du mystère même de l’Incarnation. Ainsi donc se dévoile petit à petit la gravité de ce projet qui, en agressant le mariage chrétien, implique aussi dans les faits une idée de l’Eglise qui n’est pas celle voulue par le Christ.

 

Du “divorce catholique” au divorce entre l’Eglise et le Christ.

De l’approbation du concubinage - et même pire - comme voie qui comporterait en soi des aspects positifs au sujet du salut éternel et donc de la grâce elle-même (!), à l’idée d’une Eglise sans confins visibles, sans règles irréformables, indépendante des vérités immuables du Christ et au fond qui n’est plus divine, il n’y a qu’un pas. Et même qu’un tout petit pas. Sans compter le fait que si le modèle - et donc le signe ecclésial, comme on l’a vu - peut aussi devenir celui de l’adultère public, cela veut dire qu’on est en train de s’acheminer vers l’image recherchée d’une église non seulement très lointaine de la sainteté de Dieu, non seulement dans une continuelle et instable “évolution sponsale” à la suite des temps nouveaux, mais aussi interprète et presque propagatrice du “culte de l’homme” et même des pires vices de l’humanité. Une Eglise qui, si on veut rester conséquent, en demeurant dans l’image biblique, pourrait passer (que le lecteur nous excuse, mais l’erreur est à dénoncer dans sa rudesse) d’un époux à un autre, en abandonnant son un vrai et unique mari : Notre Seigneur Jésus-Christ (dont la divinité - dans les faits mais pas toujours en théorie - a toujours été méconnue par les modernistes).

Ces “théologiens” qui empruntent le chemin du souillement de la sainteté du mariage finissent - qu’ils le veuillent ou non - par théoriser de fait une certaine possibilité (avec des aspects même connexes à l'économie du salut !) de la trahison du mariage, et cela même lorsque l’Epoux trahi est Jésus-Christ. Logiquement, si on poursuit donc le discours, c’est aussi l’unicité salvifique de Jésus Christ qui, en dernière analyse, en paye les frais, comme du reste cela s’est déjà produit. Dans un de nos articles sur “L’exhumation intéressé du Père Dupuis, répétition générale de Vatican III contre Dominus Jesus”[6], auquel nous renvoyons, nous faisions remarquer que dans le contexte du débat synodal est aussi en acte une tentative, voilée mais organisée, de réhabiliter les théories - condamnées - soutenues aussi par le fameux jésuite belge.

Une pareille tentative qui s’oppose même aux définitions de Dominus Jesus, vient de ces mêmes milieux qui sont les promoteurs les plus convaincus de la communion aux concubins publics. Et cela n’est pas un hasard. En effet, ceux qui ne reconnaissent pas l’unicité salvifique du Christ et peut-être - quoiqu’ils se recouvrent d’un vernis chrétien - même pas Sa divinité, sont en cohérente harmonie avec ceux qui veulent renverser l’indissolubilité du mariage. Et cela aussi en raison des motifs déjà décrits; motifs connexes à une certaine cohérence perverse de leur discours “théologique”. En effet, selon un point de vue spéculatif, pour ainsi dire, si le “divorce catholique” devient licite, c’est parce que l’Eglise aussi peut dans un certain sens divorcer du Christ ou pire vivre dans une sorte de concubinage salvifique selon lequel toutes les voies plus ou moins religieuse (et même plus ou moins naturelles...) sont bonnes pour aller au Paradis. Y compris l’homosexualité. Mieux, nous sommes déjà tous plus ou moins au Paradis dès ici bas, immergés dans une sorte de panthéisme envahissant qui, après avoir renoncé à la saine métaphysique et avoir évidé toute vérité d’ordre naturel (y compris le mariage), a falsifié le sens de la doctrine de l’Incarnation du Verbe elle-même[7], en dénaturant en même temps la divine constitution de l’Eglise, qui en est le prolongement dans l’histoire.

Et lorsqu’on affirme de manière répétitive qu’il faut aller “au-delà des paroles du Christ” - trop claires peut-être pour certaines oreilles - on est souvent en train de cacher que le véritable dessin sous-jacent est celui d’aller simplement “au-delà de Jésus-Christ” (qui devient presque seulement homme) et au-delà de Son Eglise (qui de manière “cohérente” devient une société seulement humaine). Nous ajoutons qu’un tel “divorce du Christ” comporte aussi le divorce avec cette autre vérité difficile : le sacrifice. Ainsi que les noces mystiques entre le Christ et l’Eglise se consumèrent sur le Golgotha, et de cette eau et de ce sang naquit cette société sainte par la foi et les sacrements qu’est l’Eglise, et bien ainsi le mariage chrétien se nourrit certes de la joie des enfants et de l’échange mutuel d’amour, mais aussi du pain du sacrifice. Sacrifice. Ce mot auquel l’ouïe contemporaine - y compris celle de certains “théologiens” - est désormais allergique. Sacrifice surnaturellement fécond “dans la joie et la douleur”, “dans le salut et dans la maladie” et qui est source de grâce même dans la société matrimoniale, à l’image de la vie du Christ qui s’offre pour Sa Sainte Eglise. Mais pour comprendre ce discours il faut accepter qu’il existe un ordre surnaturel.

Le naturalisme contemporain par contre, qui se marie bien (“indissolublement” cette fois-ci, nous osons le dire...) avec l'hédonisme effréné, étouffe dans l'anthropocentrisme les notions de surnaturalité, de sacrifice et de grâce méritée dans la fidélité au dessin de Dieu. Et cela aussi parce qu’il refuse la divinité de l’Eglise, ainsi qu’il a refusé la divinité du Christ et aussi parce que, dans cet aveuglement de l’esprit dont parle la Bible (et on nous parle de l’ “Eglise de l’Esprit”...), il n’arrive plus à percevoir non seulement l’aspect surnaturel et l’inviolabilité d’un Sacrement, mais même pas la simple loi naturelle.

 

Conclusion

Dans la doctrine catholique il y a une osmose mystique et pleine de sens qui va de l’image de la sainteté du mariage (même de celui de l’Ancien Testament, pas encore sacramentel) jusqu’à l’Eglise; et ce même échange va de la nature intime de l’Eglise au mariage chrétien, qui est “image vivante” du mystère de l’union du Christ avec l’Eglise. Le mariage chrétien “n’est pas seulement un exemplaire qui reste en dehors, en marge des noces mystiques du Christ, mais est une copie, une reproduction qui a germé de cette union, imprégnée de la même essence, qui non seulement figure, mais reproduit le mystère des rapports du Christ avec l’Eglise, mystère actif et efficient à l’intérieur de celui-ci”[8].

La Théologie de l’Eglise et la théologie du mariage - pour ainsi dire - s’embrassent. Et cela vaut pour les penseurs catholiques, mais aussi pour les hérétiques. Ou les vérités restent debout ensemble ou elles s’écroulent ensemble, simul stabunt aut simul cadent. Unité, indissolubilité et sainteté sont les caractéristiques inaliénables du mariage chrétien qui est “image vivante” de l’unité, indissolubilité et sainteté de l’Eglise. Il n’existe pas de voie intermédiaire.

Voilà pourquoi presque tous les hérétiques, qui ont attenté à la sainteté de l’Eglise et à son indissoluble unité avec Son Epoux, ont en même temps attenté à la sainteté matrimoniale. Il y a certes un minable calcul politique, destiné à se procurer des consensus faciles en relâchant les rênes de la morale, mais il y a aussi quelque chose de plus profondément doctrinal. Que l’on regarde les contradictions de Luther, l'incohérent système de la grâce des jansénistes, le servilisme étatiste des gallicans et des régalistes ou le naturalisme maçonnique des philosophes des Lumières; tous ont essayé de renverser le mariage chrétien et avec lui la divine constitution de l’Eglise. Même les schismatiques grecs associent leur théologie déformée de l’Eglise à la faculté de rompre l’unité matrimoniale dans certains cas, quoique de manière plus limitée par rapport aux protestants. Et en dernier lieu, mais non moins important, nous citons la pensée des modernistes d’hier et d’aujourd’hui, fuyante, comme une anguille, mais toujours - quoiqu’au milieu de ses ambiguïtés - ennemi juré de la divine constitution de l’Eglise et en même temps du véritable mariage chrétien. La raison nous en a été dite par Saint Paul.

Une fois cette connexion nécessaire comprise, on comprend également pourquoi cette bataille pour la vérité dans le domaine ecclésiologique, même si aux yeux inattentifs elle a semblé parfois comme une dispute entre spécialistes, est d’une importance capitale à côté de celle pour le mariage. De la correcte “théologie de l’Eglise” dérive une correcte pensée même sur les vérités de base comme celle de la famille, et l'échange est réciproque. C’est l’unité de la foi.

 

Don Stefano Carusi

 


[1] La donnée a déjà été mise en valeur par Mgr Livi en commentant les théories eucharistiques du prélat allemand, A. Livi, L’Eucharistie selon Kasper, in Disputationes Theologicae (2015), 31 juillet 2015

[2] St Thomas d’Aquin, Summa Theologiae, Ia Pars, q. 1, a. 4

[3] Denz. 1799.

[4] A. Piolanti, I Sacramenti, Roma 1990, p. 554.

[5] St. Thomas d’Aquin, Contra Gentes, 4, 56.

[6] L'exhumation intéressée du Père Dupuis, in Disputationes Theologicae (2015), 29 janvier 2015.

[7] Cf. B. Gherardini, Le Dieu de Jésus-Christ, in Disputationes Theologicae (2010), 29 janvier 2010, dans lequel on analyse les positions de Bruno Forte au sujet de la théologie de l’Incarnation. Sur la position de Walter Kasper sur le sujet nous renvoyons à la note numéro 1 de cet écrit.

[8] A. Piolanti, cit., p. 555.

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