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L’Eucharistie selon Kasper

par Disputationes theologicae

par Antonio Livi

(II)

 

 

Pour lire la 1re partie cliquez ici

 

Des exemples qui montrent comment Kasper, en faisant recours à des catégories philosophiques inadéquates, n’arrive jamais à interpréter correctement le dogme eucharistique.

Suite à la publication de l’encyclique Ecclesia de Eucharistia du Pape Jean Paul II[18], Walter Kasper voulu la commenter dans une longue interview à la revue italienne Trentagiorni pour en évaluer les "effets" par rapport au dialogue œcuménique[19]. En lisant ses réponses on comprend comment il regarde l’Eucharistie dans une optique humaniste et sociologique, qui est l’optique par laquelle il croit devoir aborder, en tant que théologien, les thèses de l’ecclésiologie. En effet, le sujet presque unique de tous les écrits et discours de Kasper est l’Eglise, mais vue non pas comme mystère surnaturel intrinsèquement connexe au dogme de la Trinité et de l’Incarnation, mais comme une réalité humaine sociologiquement constatable, qui est identifiée par le théologien allemand avec la communauté de ceux qui professent la foi dans le Christ, une communauté qui est dynamiquement projetée vers l’avènement du "Royaume" et qui est aujourd’hui appelée à dépasser les divisions confessionnelles du passé entre catholiques, orthodoxes et protestants. Tout autre aspect de l’Eglise et de l’Eucharistie dans la vie de l’Eglise est réduit par Kasper à la finalité ultime de l’action œcuménique ; l’Eucharistie en tant que sacrement au sens propre reste au deuxième plan, alors qu’au premier plan est située l’Eglise dont la "sacramentalité", énoncée par le Concile, est cependant à entendre dans un sens seulement impropre, c'est-à-dire dérivé par analogie. De la sorte, l’inévitable admission de la nature sacrificielle de la sainte Messe (inévitable dans un commentaire sur une encyclique, qui parle surtout de cela) dans le discours de Kasper va de pair avec l’absence de toute référence à la "présence réelle" du Christ dans l’Eucharistie et donc au culte d’adoration que l’Eglise lui offre tant dans la liturgie que dans la piété individuelle des fidèles. Voilà à ce propos les paroles de Kasper :

« Dans notre temps on assiste à toute une floraison de rituel produits presque à rythme commercial, mais la perception même de la spécificité historique des sacrements chrétiens semble se perdre. Pour reprendre une image utilisée une fois par le cardinal Danneels, on assiste à une sorte d’atrophie, d’ "aveuglement", en vertu duquel on ne perçoit plus la sacramentalité de l’Eglise elle-même, surtout dans les terres d’antique évangélisation. Déjà le Concile Vatican II, par la Constitution Lumen Gentium et par la Constitution sur la liturgie, a rappelé la nature sacramentelle de l’Eglise. Mais après ont été enregistrés une banalisation et un aplatissement qui certainement ne peuvent pas être attribués au Concile. Aussi grâce au dialogue avec les frères protestants nous avons appris l’importance du ministère de la Parole. Mais en même temps les sacrements risquent de ne plus être le point de gravité de la pastorale catholique »[20].

Discours plus que jamais confus, où l’unique chose que l’on comprend est que Kasper abhorre la réalité concrète du dogme eucharistique, dans lequel l’essentiel est la Personne divine du Christ Seigneur, qui par sa "présence réelle" sous les espèces du pain et du vin est à la disposition de tous ceux qui, en tant que personnes humaines singulières, peuvent s’unir à Lui par la foi et par l’amour. Mais Kasper n’arrive pas à parler de l’union personnelle au Christ, au point qu’il traduit l’expression théologiquement très significative de « contact actuel », utilisée par Jean Paul II, par l’expression subjective et impersonnelle de « mémoire célébrée » :

«Au paragraphe 12, par rapport à l’Eucharistie, il est écrit que "l’Eglise vit continuellement du sacrifice rédempteur, et elle y accède non seulement par un simple souvenir plein de foi, mais aussi par un contact actuel". La vie de la grâce se transmet par contact : celle-ci est la dynamique propre des sacrements, qui est évidente dans l’Eucharistie. La mémoire célébrée dans l’Eucharistie n’est pas seulement le souvenir d’un fait passé au sujet duquel on cultive des réflexions religieuses subjectives : au paragraphe 11, il est écrit que l’Eucharistie "n’est pas seulement l’évocation, mais la re-présentation sacramentelle" de la passion et de la mort du Seigneur. La reconnaissance de ce contenu objectif, réel de la mémoire eucharistique aide aussi dans le dialogue avec les luthériens, pour leur faire reconnaître, à eux aussi, la dimension sacrificielle de la célébration Eucharistique[21]».

On ne sait pas à quoi se réfère précisément Kasper lorsqu’il parle de "contact", compte tenu du fait qu’il ignore volontairement les présupposés métaphysiques de la théologie sacramentaire. En tout cas, vu qu’il se trouve obligé à se référer non seulement à l’enseignement du Pape Wojtyla, mais aussi aux formules dogmatiques du Concile de Trente, Kasper finit par parler d’un « contact personnel » entre chaque chrétien et le Christ dans l’Eucharistie. Mais ce "contact" se réduit évidemment à quelque chose de simplement intentionnel (au sens de cognitif, représentatif) : au lieu de se référer explicitement à la Personne du Christ à laquelle le chrétien s’unit dans la communion eucharistique, il réduit son discours à la perception subjective du significat de la célébration, perception qui permettrait - dit Kasper - d’arriver à « un contact personnel avec le même et unique sacrifice de Jésus Christ ». Par ces incompréhensibles contorsions dialectiques le théologien allemand espère pouvoir conclure positivement ses efforts d’entente doctrinale avec les protestants, lesquels ne veulent certainement pas entendre parler de "transubstantiation" et de "présence réelle" :

« Dans le passé, les luthériens ont souvent compris notre reconnaissance du caractère sacrificiel de la célébration eucharistique comme une multiplication du fait unique, singulier, non reproductible de la passion du Seigneur. Mais l’Eglise catholique reconnaît que l’événement unique, singulier de la passion et mort de Jésus ne peut pas être répété. C’est le même événement qui d’une façon sacramentaire, et donc mystérieuse, devient présent dans la célébration liturgique. L’Eucharistie est le don présent de la sainte humanité même de Jésus, et non pas une représentation métaphorique de ce don mise en scène par les hommes. Qui mange le pain eucharistique rentre en contact personnel avec le même et unique sacrifice de Jésus-Christ. L’encyclique au paragraphe 12 se réfère à l’enseignement du Concile de Trente, lorsqu’il reconnaît que "la messe rend présent le sacrifice de la Croix, elle ne s’y ajoute pas et elle ne le multiplie pas". Et il cite sur cela aussi une belle phrase de Saint Jean Chrysostome : "nous offrons toujours le même agneau, non pas un aujourd’hui et un autre demain, mais toujours le même. Pour cette raison le sacrifice est toujours un seul". Au paragraphe 13 on répète que "l’Eucharistie est un sacrifice au sens propre, et non seulement au sens générique", comme si le Christ s’était offert dans un sens métaphorique, comme "nourriture spirituelle" pour les fidèles. Le sacrifice du Christ est auto-donation du Fils au Père et à nous. Le réduire à une rencontre conviviale fraternelle pour rappeler un événement du passé est une banalisation[22] ».

Ceci est certainement une « banalisation », mais la réduction de l’Eucharistie faite par Kasper à une "mémoire célébrée" de la Passion l’est autant et même encore plus, car il néglige le fait que la fin propre du sacrement, institué par le Christ et que l’Eglise célèbre comme « memoriale mortis Domini », est la communion eucharistique, c'est-à-dire la rencontre personnelle du fidèle avec le Christ qui se fait réellement présent, comme Verbe Incarné, avec son corps, son sang, son âme et sa divinité. Le significat memoriale de l’institution de l’Eucharistie, comme il en résulte des paroles de la Dernière Cène relatées par les Evangiles synoptiques, est à lier à sa finalité de communion telle qu’elle résulte des paroles du Christ lors du discours à Capharnaüm relaté par Jean dans le quatrième Evangile, dont la rédaction est de plusieurs années postérieure à celle des trois premiers Evangiles. Kasper, qui se voit obligé par les textes du Magistère qu’il cite à utiliser le terme métaphysique de "transubstantiation", le réfère correctement au moment liturgique de la "consécration", mais ensuite il évite de le mettre en rapport avec la possibilité et avec la convenance de la communion eucharistique; alors que son maître Rahner reconnaît que la communion est la fin principale de la "transubstantiation"[23], comme si elle avait une signification théologique en rapport à la seule célébration eucharistique, dans laquelle l’Eglise prie le Père afin qu’Il rende présent le Fils par l’œuvre du Saint Esprit :

« Au paragraphe 23 de l’encyclique on trouve écrit : "l’action conjointe et inséparable du Fils et du Saint Esprit, qui est à l’origine de l’Eglise, de sa constitution et de sa stabilité, est agissante dans l’Eucharistie". Grâce aussi au dernier Concile œcuménique, nous avons redécouvert l’importance de l’épiclèse, c’est-à-dire de la prière eucharistique dans laquelle le prêtre invoque le Père d’envoyer son Esprit, afin que le pain et le vin deviennent le corps et le sang de Jésus-Christ. Ce n’est pas le prêtre qui accomplit la transubstantiation : le prêtre prie le Père afin qu’elle s’accomplisse par l’œuvre du Saint Esprit. On peut dire que toute l’Eglise est une epiclesis ».

Et voilà que le discours revient, comme toujours, sur les dynamiques de l’Eglise et sur les prétentions de gestion avancées par certaines de ses composantes, insatisfaites par le fait d’avoir un rôle sociologiquement "passif" en Elle :

« C’est une tentation réelle, qu’on aperçoit dans beaucoup de milieux ecclésiaux, lorsque par exemple on dit vouloir construire l’Eglise "d’en bas". Au sens propre, on ne peut pas "faire" Eglise, "organiser" Eglise. Car la communion ne vient pas d’en bas, elle est grâce et don qui viennent d’en haut.

Mais "d’en haut" veut dire de l’Esprit Saint, non pas de la hiérarchie. On ne peut pas "faire" l’Eglise d’en bas, mais du sommet non plus. Ni la hiérarchie, ni le Pape, ni les évêques ne peuvent penser que c’est à eux de "produire" l’Eglise. Et de fait, la tentation de "faire Eglise" n’est pas confinée seulement dans les communautés de base et dans les groupes paroissiaux. Elle se manifeste aussi à des niveaux plus élevés de l’institution ecclésiastique, ou dans les académies théologiques »[24].

Et ainsi le discours se termine en proposant à nouveau le thème du "dialogue œcuménique", au succès duquel Kasper pense contribuer en ré-interprétant le rapport entre l’Eucharistie et l’Eglise avec les catégories historicistes de ses maîtres de l’Ecole de Tübingen, héritiers de la "nouvelle théologie" :

« La redécouverte des Pères de l’Eglise, due aussi à Henri de Lubac, a apporté de nouvelles suggestions pour saisir la connexion entre l’Eglise et l’Eucharistie. L’Eglise célèbre l’Eucharistie, mais l’Eglise même vit de l’Eucharistie. Toute l’encyclique est traversée par le fait de reconnaître que l’Eglise ne se donne pas la vie toute seule, ne s’édifie pas par elle-même, ne s’autoproduit pas. L’Eglise n’est pas un organe purement extérieur créé par la communauté des croyants, ni non plus une sorte d’hypostase transcendante qui préexiste presque à l’œuvre en acte du Christ dans le monde. Et la communion n’est pas une agrégation volontariste entre les fidèles. Elle vit de la participation à une réalité qui la précède, qui est là avant et qui vient à notre rencontre de l’extérieur »[25].

Une ecclésiologie de ce genre, où l’Eucharistie est réduite à un moment de célébration d’une Eglise qui se reconnaît seulement dans une indéfinie et indéfinissable « œuvre en acte du Christ dans le monde », semble à Kasper la plate-forme idéale pour rétablir l’unité des chrétiens et mettre de côté les "incompréhensions" entre catholiques et luthériens, du fait que ces derniers ont déjà en commun la considération de l’Eucharistie comme "mémoire" de la Cène et comme signe d’appartenance à la communauté. L’aspect proprement sacramentel, surtout pour ce qui concerne la Présence Réelle, est mis de côté pour ne pas entraver l’entente souhaitée avec les protestants. Il s’agit là des mêmes perspectives théologico-pastorales que Kasper expose à la même époque dans d’autres de ses écrits, qui ont été ensuite récoltés en 2004 dans une publication avec un titre qui en annonce le programme Sakrament der Einheit. Eucharistie und Kirche. Voilà ce qu’il écrit dans la Présentation :

« Le deuxième et le troisième chapitre sont des méditations bibliques sur des aspects essentiels de l’eucharistie. Le quatrième reprend une conférence tenue par moi-même au Katholikentag de Ulm en 2004 et situe les aspects œcuméniques de l’eucharistie dans le plus vaste horizon d’un œcuménisme de la vie. Au point de vue œcuménique nous nous trouvons dans une phase intermédiaire, dans un temps de transition. Dans notre cheminement nous avons parcouru plusieurs milles, mais nous n’avons pas encore rejoint le point d’arrivée. L’œcuménisme est un processus de croissance de la vie. Tout au long de cette route de la croissance et de la maturation plusieurs pas intermédiaires sont nécessaires, qui devront déboucher sur la communion eucharistique, dans le sacrement de l’unité. […] L’eucharistie est - comme l’encyclique Ecclesia de Eucharistia (2003) l’a montré une fois de plus - source, centre et sommet de la vie chrétienne et de la vie de l’église, donc de sa pastorale aussi. Au cours de sa mission l’église cherche en tout temps à devenir de manière convaincante ce que dans son essence elle est déjà depuis toujours : en quelque sorte le sacrement, c'est-à-dire le signe et l’instrument de l’unité et de la paix du monde [LG 1]. L’eucharistie est le sacrement de cette unité »[26].

Walter Kasper voit donc dans l’Eucharistie seulement un rite, qui doit exprimer et renforcer l’union (affective, sentimentale, non ontologique) entre les membres de la communauté chrétienne, en souhaitant que cette unité soit encore plus évidente (dans l’extériorité du rite) lorsque les divisions doctrinales entre catholiques et luthériens seront dépassées[27]. Kasper représente ainsi un des plus explicites promoteurs d’une fausse théologie qui interprète le vrai sens surnaturel du dogme catholique en termes humanistes (exclusivement naturels), notamment et surtout en ce qui concerne l’Eucharistie, en créant parmi les fidèles une insensibilité progressive vis-à-vis du caractère surnaturel des sacrements, avec les conséquences pastorales gravissimes que blâmait déjà, à juste titre, le Cardinal Giuseppe Siri [28]. Ce cadre humaniste se retrouve également dans des interventions plus récentes, comme par exemple celle du 7 juin 2014, lorsque Kasper s’est rendu à Orvieto pour la solennité de la Fête Dieu et a concélébré aux côtés de l’évêque Benedetto Tuzia. A cette occasion le Cardinal Kasper a rendu plus explicite encore sa systématique réduction de l’Eucharistie à une célébration liturgique et à un symbole d’unité entre les hommes, en laissant dans l’ombre la communion eucharistique (qui présuppose la foi dans la Présence Réelle) pour mettre en lumière la communion ecclésiale seulement (qui peut-être un résultat purement humain en dehors de la vie surnaturelle dans le Christ). Voilà certains de ses mots lors de l’homélie à la cathédrale :

« L’Eucharistie est le sacrement de la connaissance d’un amour qui demande à avoir un retour d’amour, avec gratitude et reconnaissance. Dieu partage avec nous et nous sommes appelés à partager dans la communauté de la famille. Aujourd’hui nous porterons le Sacrement en procession dans cette ancienne et très belle ville comme signe que Jésus veut être présent dans nos maisons et dans nos familles, personne n’est exclu de son amour. Nous ne pouvons pas partager le pain eucharistique, sans partager aussi le pain quotidien, par nos gestes. Pour le bien des autres. Avec nous le monde entier célèbre, l’Eglise entière ».

Des interventions encore plus récentes de Kasper sur le thème de l’Eucharistie concernent la possibilité de concéder l’accès à la communion eucharistique aux fidèles qui, une fois divorcés, se sont mariés selon un rite civil. Kasper se fait promoteur de toute une série d’hypothèses "pastorales" qui en pratique méconnaissent la doctrine certaine sur le sacrement de la Pénitence et sur celui de l’Eucharistie. Et dire que Kasper avait dit en 2003 à propos de la communion aux "divorcés remariés" qui ne peuvent pas recevoir l’absolution sacramentelle en tant qu’incapables de sortir d’une situation de péché grave :

« Déjà Saint Paul dans la première lettre aux Corinthiens écrit qu’un homme, lorsqu’il accède à l’Eucharistie s’éprouve lui-même. L’Eucharistie et le sacrement de la confession des péchés sont nécessairement liés. Mon papa, il y a plusieurs années, chaque dimanche, ne recevait pas la communion s’il ne s’était pas confessé avant, et peut-être cela pouvait sembler un peu exagéré. Mais maintenant il me semble qu’on est en train d’exagérer abondamment dans le sens contraire. On ne peut pas aller prendre la communion sans tenir compte de l’état de sa propre conscience »[29].

Maintenant, au contraire, Kasper avance des hypothèses variées de solutions pastorales à ce problème, en souhaitant qu’elles soient adoptées par le Synode des évêques de 2015, en instrumentalisant à cette fin le recours à la communion spirituelle. Par exemple, lorsqu’il introduisait le consistoire de février 2013, il se réfère à ce que Benoit XVI avait dit en 2012, c'est-à-dire que « les divorcés remariés ne peuvent pas recevoir la communion sacramentelle mais peuvent recevoir la communion spirituelle », et en conséquence il propose de conseiller officiellement à tous ces fidèles qui ne se trouveraient pas dans les conditions pour recevoir la communion sacramentellement la pratique de la "communion spirituelle". Mais ensuite, en expliquant le sens de sa proposition, Kasper montre ne pas savoir distinguer la "communion de désir" de la véritable communion sacramentelle au sens propre, qui est pour lui un acte purement "spirituel" et symbolique, sans une réelle rencontre du fidèle avec le Christ, le Verbe Incarné. Et en effet il dit :

« Plusieurs personnes seront reconnaissantes pour cette ouverture. Cependant elle soulève différentes interrogations. En effet, celui qui reçoit la communion spirituelle est une seule chose avec Jésus-Christ. […] Pourquoi, donc, ne peut-il pas recevoir aussi la communion sacramentelle ? […] Certains soutiennent que la non participation à la communion est justement un signe de la sacralité du sacrement. La question que l’on pose en réponse est : ne s’agit-il pas d’une instrumentalisation de la personne qui souffre et qui demande de l’aide si nous faisons d’elle un signe et un avertissement pour les autres ? La laissons-nous sacramentellement mourir de faim pour que d’autres vivent ? » [30].

Que l’on remarque l’ambiguïté - ou, pour mieux dire, la vacuité sémantique - de cette phrase, toute pleine de rhétorique et pas du tout théologique. Que voudrait-il dire, théologiquement parlant, « laisser sacramentellement mourir de faim » des fidèles en ne leur reconnaissant pas les dispositions de grâces dues pour recevoir l’Eucharistie ? L’Ecriture, lorsqu’elle parle de "faim", au sens théologique, entend la « faim et soif de justice », non pas la satisfaction d’un prétendu besoin affectif, psychologique, analogue aux besoins de nutrition pour le corps. Si un fidèle est conscient d’être en état de péché mortel, sa « faim et soif de justice » est à entendre comme un désir de conversion et de réconciliation, pour pouvoir recevoir ensuite, une fois réconcilié par la valide célébration du sacrement de la Pénitence, le sacrement de l’Eucharistie, qui assure au fidèle une augmentation effective (qu’elle soit perçue sentimentalement ou non par le sujet) de la grâce sanctifiante. Tant dans l’un que dans l’autre sacrement opère (mystérieusement mais efficacement) la grâce du Christ, notre divin Rédempteur, et l’âme croyante s’adresse justement à Lui, perçu par la foi à travers les signes sacramentels, lorsqu’elle sent la « faim et soif de justice ».

En tout cas, la Relation de Kasper a été contestée par de nombreux cardinaux, tant pendant le Consistoire qu’après. Mais son choix d’équiparer la communion spirituelle et sacramentelle a été peu touché par les critiques, qui se sont concentrées sur d’autres points de la Relation. Cependant c’est justement cette égalisation qui a été critiquée comme "fallacieuse" par Alessandro Martinetti dans un texte publié par Sandro Magister[31].

 

C’est l’immanentisme historiciste qui porte Kasper à priver le dogme de la Présence Réelle du Christ dans l’Eucharistie de la vérité de son contenu propre.

De ce que nous avons vu jusqu’à maintenant, il est clair que l’ecclésiologie historiciste héritée par ses maîtres Rahner et Küng est ce qui rend Kasper incapable de comprendre le mystère eucharistique dans ses termes essentiels, qui sont métaphysiques et réalistes. Les discours de Kasper sur l’Eglise, réduite à une simple communauté de croyants dans le Christ, - que l’Esprit guiderait plutôt vers une "dynamique créativité" qui rend possible le "dialogue avec les hommes de son propre temps" qu’à une "statique" fidélité à la Tradition -, s’ils sont dans un certains sens plausibles au point de vue sociologique, ne le sont pas du tout au point de vue théologique. Rien ne justifie la conception exclusivement "pneumatique" de l’Eglise, présentée par le théologien allemand comme « sacrement de l’Esprit », définition qui selon lui devrait remplacer la définition "juridique" traditionnelle, telle qu’on la retrouve par exemple dans l’encyclique Mystici Corporis du Pape Pie XII [32]. En effet, le champ d’action de l’Esprit Saint ne coïncide pas, comme le veut la Tradition, avec celui de l’Eglise catholique romaine, mais il s’étend à une plus vaste réalité œcuménique, l’ "Eglise du Christ" dont l’Eglise catholique est une partie. Pour Kasper le décret Unitatis redintegratio de Vatican II a dépassé l’ecclésiologie traditionnelle, en enseignant qu’il faut identifier l’unique Eglise du Christ dans plusieurs communautés ecclésiales séparées : la véritable Eglise catholique se trouve là « où il n’y a aucun évangile sélectif », là où tout s’élargit de manière inclusive, dans le temps et dans l’espace[33]. Donc, la mission actuelle de l’Eglise catholique est de "sortir d’elle-même" pour acquérir à nouveau une dimension qui la rende véritablement universelle[34]. Dans cette lignée se situe les nombreuses propositions de réforme de l’Eglise formulées par Kasper en vue des multiples initiatives ecclésiastiques pour intensifier le dialogue œcuménique, et plus récemment en vue du Synode pour la famille[35].

Cette élimination radicale de la théologie d’un "discours sérieux" sur Dieu comme une réalité personnelle et transcendante n’est pas un aspect marginal de la reformulation de la christologie proposée par Kasper, lequel reconnaît sa dépendance de l’interprétation immanentiste de l’Incarnation, déjà donnée par deux autres théologiens catholiques influents, l’allemand Karl Rahner[36] et le suisse Hans Küng[37], tous deux convaincus que la reprise de la pensée religieuse de Hegel et de Schelling aurait favorisé le renouvellement de la théologie chrétienne. En confirmation de tout cela, un de ses écrits de 1970 semble être assez significatif, il fait partie des Die Frage nach Gott, œuvre collective à laquelle les théologiens allemands les plus actifs de l’époque ont collaboré[38]. Dans l’édition italienne[39] la contribution de Kasper a pour titre La questione di Dio come problema della predicazione [la question de Dieu en tant que problème de la prédication] et il reprend les thèses agnostiques et historicistes exposées peu de mois auparavant dans son œuvre Glaube und Geschichte[40]. L’auteur, peu de temps après la conclusion de Vatican II, n’estime pas suffisant ce que l’Eglise elle-même a solennellement enseigné par la constitution Gaudium et spes mais il soutient que le devoir des théologiens est de remettre radicalement en discussion la possibilité de parler de Dieu aux hommes de notre temps[41]. La première chose à faire, à ce sujet, c’est de démolir par la critique rationaliste la tradition dogmatique et pastorale de l’Eglise, une tradition qui s’est déroulée avec une absolue cohérence depuis l’époque apostolique jusqu’à l’époque contemporaine mais qui - selon Kasper - n’a jamais été capable de susciter une foi authentique :

« Seule la foi dans le Dieu présent dans l’histoire est capable d’offrir un ubi consistam dans l’histoire. La pensée historique contemporaine ne représente pas pour cela seulement une mise en question des façons de parler de Dieu en vogue jusqu’à présent; il ouvre aussi un kaïros unique à la prédication chrétienne, en tant qu’aujourd’hui historiquement pour la première fois il peut se développer dans des conditions qu’elle-même a contribué à produire. Pour pouvoir saisir ce kaïros la théologie et la prédication doivent certainement se libérer des formes et des formules traditionnelles, sans cependant perdre la substance contenue en elles. En effet, déjà dans le cadre de la doctrine traditionnelle de Dieu, calquée sur les catégories de la métaphysique grecque, on était arrivé avec difficulté à exprimer de manière adéquate, le Dieu vivant dans l’histoire »[42].

On ne peut ne pas remarquer qu’au dessous de l’évidente rhétorique historiciste, il n’y a pas dans ce discours une pensée qui ait une quelconque consistance, ni au point de vue théologique ni au point de vue philosophique. Les contradictions s’accumulent à chaque pas, et on peut se demander sur quels critères Kasper prétend « exprimer de manière adéquate, le Dieu vivant dans l’histoire », en partant du présupposé que la « doctrine traditionnelle de Dieu, calquée sur les catégories de la métaphysique grecque » a été totalement inadéquate. Qu’est ce qui rendrait adéquate aux exigences pastorales d’aujourd’hui la nouvelle doctrine (immanentiste, historiciste, transcendantale, phénoménologique) déjà proposée par Rahner et reproposée aujourd’hui par Kasper ? La réponse à une question de ce genre ne peut évidemment pas se trouver dans les écrits de Kasper : il ne fait que répéter sans cesse la nécessité d’éliminer toute la théologie précédente, ce qui constitue la pars destruens de sa dialectique historiciste, sans se préoccuper d’illustrer quelle devrait être la plausible pars construens. En réalité, Kasper est intéressé seulement par le fait de mettre de côté le Dieu que la raison humaine (du sens commun jusqu’à la métaphysique comme science de l’être) reconnaît comme transcendant, en tant que créateur (même si l’Ecriture commence justement avec la révélation de cette vérité : « au commencement Dieu créa le ciel et la terre » : Livre de la Genèse I,1); le Dieu qui se révèle comme l’Etre subsistant par soi (c’est la "métaphysique de l’Exode" illustrée par Etienne Gilson); le Dieu éternel et immuable qui a créé librement, par amour, et qui destine les hommes à la communion avec Lui-même dans la vie éternelle. Le fait de mettre de côté ce Dieu, estimé "imprésentable" à la culture sécularisée d’aujourd’hui, est pour Kasper le principal devoir de la théologie, qui doit aujourd’hui s’occuper seulement de l’homme dans l’histoire : Dieu peut rester, dans le discours théologique, seulement comme expérience intérieure de l’homme (Gotteserfahrung), comme vécu religieux existentiel (religioser Erlebnis). Voilà donc ce qu’il écrit :

« Sur la base d’un concept statique de l’éternité, souvent on a presque rendu Dieu prisonnier de son propre être et de son propre système. Les apories qui passent d’ici à la christologie où il s’agit de penser le devenir-homme (Menschen-werdung) de Dieu, ont été récemment relevées avec force encore une fois par H. Küng, à la suite de K. Rahner. Les conséquences d’une telle conception pourraient être certainement encore plus funestes pour la prédication de la foi. Un Dieu qui n’a pas la possibilité d’être continuellement un nouveau commencement, selon Schelling est "un Dieu à la fin" »[43].

Cette brève citation (qui est cependant tout à fait homogène au style et au contenu de tout l’écrit) suffit pour comprendre comment le discours de Kasper sur Dieu n’a rien de proprement scientifique, mais il procède en empilant les lieux communs les plus banals du journalisme religieux catholique du XIXème siècle, tributaire de la théologie (ou mieux, de la philosophie religieuse) luthérienne, représentée par Hegel et Schelling au XIXème siècle, auxquels se relient d’une certaine façon Oscar Cullmann et Karl Barth au XXème siècle. Que l’on remarque en particulier l’absurdité de parler d’un « concept statique de l’éternité » qu’il faudrait substituer par un « concept dynamique de l’éternité » capable d’inclure en lui le devenir : il s’agit d’une absurdité, comme je l’ai dit, parce que la notion métaphysique de Dieu créateur comme "acte pur" n’implique pas du tout le fait d’être statique, alors qu’il exclut le devenir, qui est une caractéristique des créatures ; et aussi parce que ces théologiens qui mettent de côté le Magistère pour rester avec la seule Ecriture, contredisent exactement ce qui est énoncé avec grande insistance dans l’Ecriture elle-même, c'est-à-dire la transcendance de Dieu par rapport au devenir du monde[44]. Il est encore plus absurde de broder des argumentations insensées sur la fausse notion d’un « devenir-homme (Menschen-werdung) de Dieu », alors que le dogme catholique et sa référence biblique disent tout autre chose c'est-à-dire qu’ils parlent de l’Incarnation comme assomption dans le temps de la nature humaine de la part du Verbe éternel (« ho logos sarx egeneto »). Par l’Incarnation Dieu reste dans son éternelle perfection et transcendance : ne change pas, ne disparaît pas et ne s’annule pas dans l’homme; seule la nature humaine, assumée par la Personne du Verbe, change et est élevée grâce à l’union hypostatique. Mais il ne vaut pas la peine de soumettre à une analyse critique ces farfelues élucubrations dialectiques, vu que chez Kasper elles ont seulement une fonction pragmatique, performative : elles servent à arriver à la conclusion que Jésus-Christ est homme (mieux, symbole et métaphore de l’homme) et que Dieu peut être laissé de côté par une théologie qui veut parler à l’homme d’aujourd’hui. Cette intentionnelle déconstruction du dogme christologique - duquel dépend la droite compréhension du mystère de l’Eglise - est le présupposé doctrinal de toutes les ambiguïtés et des évidentes erreurs théologiques des références que Kasper fait à l’Eucharistie dans ses œuvres. En effet, la dogmatique catholique, comme cela résulte dans les formules adoptées par les Conciles œcuméniques des cinq premiers siècles, exprime le mystère du Christ en des termes dont la sémantique est toujours matériellement (et parfois même formellement) métaphysique, en tant que basée sur la notion de "personne" (et donc de substance) en rapport dialectique avec la notion de "nature" (ou "essence") ; en conséquence, même le dogme eucharistique, comme Paul VI le rappela lors de la conclusion de Vatican II[45], est également exprimée en des termes dont la sémantique est toujours métaphysique, en tant que basée sur la notion de "substance". Avec cette notion seulement est possible la compréhension de la signification du terme "transubstantiation" et son effet sacramentel, la "présence réelle" du Christ en Personne (métaphysiquement, la personne est rationalis naturae individua substantia), c'est-à-dire le fait qu’après la consécration le Christ soit présent « vere, realiter et substantialiter » sous les espèces du pain et du vin. Un théologien qui a choisi comme méthode théologique "plus adéquate aux temps" le fait d’éliminer la sémantique métaphysique de la compréhension et de l’approfondissement du dogme eucharistique, ne peut que parler de l’Eucharistie en des termes rhétoriques, pas du tout concluants, au final irrespectueux de ce grand mystère d’Amour qui nous a été révélé par Dieu et que l’Eglise proclame infailliblement par ses définitions dogmatiques, dont on retrouve l’écho fidèle dans la tradition liturgique[46] : c’est exactement ce qu’on retrouve dans les œuvres théologiques de Kasper, comme je l’ai suffisamment démontré.

 

 

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[18] Saint Jean Paul II, encyclique Ecclesia de Eucharistia, 17 avril 2003.

[19] Cf Gianni Valente, “La Chiesa non si dà la vita da sola. Il presidente del Pontificio Consiglio per la promozione dell’unità dei cristiani interviene sull’ultima enciclica del papa”, interview au cardinal Walter Kasper, in Trentagiorni, mai 2003. Dans l’interview qui pourtant regarde directement et exclusivement les mystères eucharistiques en rapport avec la vie surnaturelle de l’Eglise, le journaliste présentait Kasper en avertissant les lecteurs que le théologien «non ha un profilo da nostalgico tradizionalista. Il cardinale Walter Kasper viene spesso annoverato nell’ala "progressista" da chi ama dividere anche il Sacro Collegio secondo le categorie ingessate del bipolarismo politico. Dal marzo 2001 è presidente del Pontificio Consiglio per la promozione dell’unità dei cristiani. È quindi ex officiol’esponente di spicco della Curia romana più coinvolto nei rapporti con i capi delle altre Chiese e comunità ecclesiali cristiane. […] Le sue lucide e pacate considerazioni acquistano valore anche in virtù del ruolo affidatogli, visto che le critiche più forti finora espresse all’Ecclesia de Eucharistia hanno preso di mira soprattutto il presunto passatismo antiecumenico che serpeggerebbe nell’enciclica»

[20] Walter Kasper, in Trentagiorni, cit.

[21] Walter Kasper, in Trentagiorni, cit.

[22] Walter Kasper, in Trentagiorni, cit.

[23] Cfr Karl Rahner - Herbert Vorgrimler, Kleines theologishces Worterbuc, Verlag Herder, Freiburg 1968; trad. it.: Dizionario di teologia, ed. Giuseppe Ghiberti et Giovanni Ferretti, Editori Associati, Milano 1994, pp. 243-244: «Tale trasformazione si realizza per offrire la possibilità al credente di mangiare il corpo e il sangue di Cristo al momento della comunione e per rendere presente attraverso ad essa il sacrificio della croce in quest’ora concreta della storia (ad opera della Chiesa). Tuttavia l’avvenimento che in essa si attua è permanente: fintantoché le specie del “cibo” (per essere mangiate) rimangono presenti, è presente anche Cristo (perché venga adorato). Tale presenza durevole e reale di Cristo (“presenza reale”) resta però necessariamente rapportata all’atto con il quale la Chiesa la pone e alla sua finalità che è appunto la sua recezione (“mangiare”) da parte del credente».

[24] Walter Kasper, in Trentagiorni, cit.

[25] Walter Kasper, in Trentagiorni, cit.

[26] Walter Kasper, Sakrament der Einheit. Eucharistie und Kirche [2004]; trad. it.: Sacramento dell'unità. Eucaristia e Chiesa, trad. it. Queriniana, Brescia 2004, p.7.

[27] Kasper se réfère d’ailleurs à une célèbre phrase du Père Paul Couturier (Lyon, 29 juillet 1881- 24 mars 1953), inventeur d’un « œcuménisme spirituel », ce dernier souhaitait que dans l’Eglise se formât « un monastère invisible dans lequel on prie sans cesse pour l’avènement de l’Esprit » (cf Walter Kasper, Sakrament der Einheit , trad.it., cit., p. 75).

[28] Cf Giuseppe Siri, Dogma e liturgia, ed. Antonio Livi, Leonardo da Vinci, Roma 2014.

[29] Walter Kasper, in Trentagiorni, cit.

[30] Le texte de la Relation Introductive au débat consistoriale, muni d’une Prémisse et de deux appendices, est publié in Walter Kasper, Das Evangelium von der Familie. Die Rede vor dem Konsistorium, Verlag Herder, Feiburg 2014; trad. it.: Il Vangelo della famiglia, Editrice Queriniana, Brescia 2014; le volume comprend aussi ses Considerazioni finali [Considérations finales ] par rapport au débat qui s’est déroulé à l’intérieur de l’assemblée des Cardinaux et un Epilogue intitulé «Che cosa possiamo fare?» [Que pouvons nous faire].

[31] «Occorre badare a non favorire che prenda piede nella coscienza del fedele la convinzione fallace secondo cui la comunione sacramentale dell’eucaristia e la comunione spirituale siano sostanzialmente la stessa cosa. La convinzione della sostanziale identità tra comunione eucaristica e comunione spirituale condurrebbe infatti il fedele ad assuefarsi alla condizione di peccato grave abituale che gli impedisce la ricezione della comunione eucaristica, mettendo a repentaglio la salvezza della sua anima. Da una catechesi e da una pastorale che non siano limpide al riguardo il fedele potrebbe essere infatti indotto ad avvalorare il ragionamento seguente: la comunione spirituale produce i medesimi effetti della comunione eucaristica, non c’è differenza tra l’una e l’altra nel grado di unione a Cristo che realizzano, quindi il peccato grave che mi impedisce di ricevere la comunione eucaristica non è tale da interdirmi la medesima unione con Cristo che conseguirei con la recezione dell’Eucaristia. Conclusione: questo peccato grave (se ha ancora senso chiamarlo tale) non produce effetti così gravi da giustificare che io mi adoperi per emendarmene. Non mi pare inutile pertanto rimarcare che la comunione spirituale con Cristo da parte di chi, versando in situazione di peccato grave abituale, non può accostarsi alla comunione eucaristica, è dono largito dall’amore misericordioso di Cristo, che non vuole la morte del peccatore, ma incessantemente opera perché si converta e giunga a una perfetta comunione con Lui. La comunione spirituale deve pertanto essere vissuta (e i pastori debbono curare che sia intesa e praticata correttamente così) non come esauriente surrogato della comunione eucaristica ma come dono con il quale Cristo si unisce spiritualmente al fedele per infiammarlo di sempre più fervente desiderio di unirsi perfettamente a Lui, purificandosi dal peccato per poter accedere all’assoluzione sacramentale e alla comunione eucaristica» (Alessandro Martinetti, cité par Sandro Magister, “Settimo cielo”, in L’Espresso, 22 mai 2014).

[32] Cf Walter Kasper, Gerhart Sauter, Kirche - Ort des Geistes [1980]; trad. it.: La Chiesa luogo dello spirito. Linee di ecclesiologia pneumatologica , trad. it., Queriniana, Brescia 1980, p. 91.

[33] Walter Kasper, Das Absolute, trad. it. cit., p. 94. Il est notoire que cette théorie (et la fausse interprétation relative du texte conciliaire) a été officiellement démentie par l’instruction Dominus Iesus.

[34] Walter Kasper, Das Absolute, trad. it. cit., p. 206. La même thèse se retrouve, plusieurs années après, in Walter Kasper,Katholische Kirche. Wesen – Wirklichkeit – Sendung, Verlag Herder, Freiburg im Breisgau/Basel/Wien 2011 (cf trad. it.: Chiesa cattolica. Essenza, realtà, missione, Editrice Queriniana, Brescia 2012, p. 289).

[35] Cf Dogma e pastorale. L’ermeneutica del Magistero, dal Vaticano II al Sinodo sulla famiglia, ed. Antonio Livi, Leonardo da Vinci, Roma 2015.

[36] Cf Karl Rahner, Zur Theologie der Menschenwerdung, in Schriften zur Theologie, vol. IV, Einsiedeln 1960, pp. 145 ss.

[37] Cf Hans Küng, Menschenwerdung Gottes. Eine Einfürung in Hegels theologische Denken als Prolegomena zu einer künftigen Christologie, Verlag Herder, Freiburg im Breisgau 1970, pp. 522-557; 637-646

[38] Die Frage nach Gott, herausgegeben von Joseph Ratzinger, Verlag Herder, Freiburg im Breisgau 1971

[39] Saggi sul problema di Dio, ed. Joseph Ratzinger, Editrice Morcelliana, Brescia 1975

[40] Cf Walter Kasper, Unsere Gottesbeziehung angesichts der sich wandelden Gottesvorstellung, in Idem, Glaube und Geschichte, Matthias-Grünewald-Verlag, Mainz 1970, pp. 101-119; Idem, Möglickheiten der Gotteserfahrung heute, in Idem, Glaube und Geschichte, pp. 120.143

[41] «In Rahner e nella vasta scuola (non si sbaglierebbe troppo se si dicesse che oggi è, forse, la dominante, almeno in sede accademica) a lui ispirata o prossima il mondo (de facto il mondo moderno, ovvero la modernità assiologica) diviene, in forza d’una ridefinizione del rapporto tra Dio e la Storia, della nozione di Rivelazione e del concetto stesso d’Incarnazione e di molto altro, luogo teologico, anzi “il” luogo teologico» (Samuele Ceccotti, “La sentenza della Corte suprema degli Stati Uniti e la non negoziabilità dei principi contrari all’ordine naturale”, in Osservatorio Internazionale Cardinale Van Thuan, 23 luglio 2015)

[42] Walter Kasper, La questione di Dio come problema della predicazione, in Saggi sul problema di Dio, cit., p. 182.

[43] Walter Kasper, La questione di Dio come problema della predicazione, in Saggi sul problema di Dio, cit., p. 183.

[44] Voir, par exemple, ce qu’on lit dans l’Epitre de Saint Jacques, I, 16-18: « Ne vous égarez pas, mes frères bien aimés : tout don excellent, toute donation parfaite vient d’en haut et descend du Père des lumières, chez qui n’existe aucun changement ni l’ombre d’une variation. Il a voulu nous enfanter par une parole de vérité pour que nous soyons comme les prémisses de ses créatures»

[45] Cf Paolo VI, encyclique Mysterium fidei, 3 septembre 1965.

[46] Cf Giuseppe Siri, Dogma e liturgia, ed. Antonio Livi, Leonardo da Vinci, Roma 2014

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Un nouveau prêtre à la Communauté Saint Grégoire le Grand

par Disputationes theologicae

Interview de M. l’Abbé Jean Pierre Gaillard

29 septembre 2015, Saint Michel Archange

 

Pèlerinage des prêtres de la Communauté Saint Grégoire le Grand  à la Sainte-Baume

 

Pèlerinage des prêtres de la Communauté Saint Grégoire le Grand  à la Sainte-Baume

 

M. l’abbé, pourriez-vous vous présenter à nos lecteurs?

Abbé Jean Pierre Gaillard : Je suis né en France, dans la région du massif central; après mon service militaire, je me suis posé sérieusement la question de la vocation et je suis rentré au séminaire de Wigratzbad où j’ai reçu une partie de ma formation. En juillet 2006, avant que l’Institut du Bon Pasteur ne soit érigé, je suis arrivé à Bordeaux où j’ai participé à la restauration de l’église Saint Eloi. Au mois de septembre de cette même année, j’étais présent lors de la fondation de cet Institut, dont je partageais l’idéal fondateur initial. J’ai été ordonné prêtre le 22 septembre 2007 par le Cardinal Castrillon Hoyos. En 2008, j’ai commencé mon apostolat dans l’école catholique de la paroisse où je suis resté jusqu’à la fin de l’année scolaire 2015.

Après les événements bien connus de 2012-2013 et ladite « élection », à cause des procédés employés j’ai pris mes distances mais j’ai choisi de continuer à préserver le bien commun de l’école en poursuivant mes fonctions de direction. Cependant, le temps a révélé qu’il n’était plus possible de rester dans cette situation, surtout en raison de la position que j’assumais ouvertement. J’ai alors évalué ce que je pouvais faire. Après un temps de réflexion, de prière et des signes clairs de la Providence j’ai compris que s’obstiner dans cette voie n’était pas la volonté de Dieu. J’ai donc fait le choix de rejoindre la Communauté Saint Grégoire le Grand.

 

Pouvez-vous nous expliquer ce qui vous a déterminé à faire ce choix?

Depuis un certain temps, je m’interrogeais sur les issues du chemin pris par l’IBP, mais j’attendais d’y voir plus clair. Par la suite, j’ai été notamment indigné par le constat du silence sur des problèmes majeurs en échange de concessions - je pense entre autres à la grave question de la communion aux "divorcés remariés". On ne voyait plus la détermination à dénoncer publiquement les problèmes, pas même sur un sujet aussi évident que celui de la famille. Ce renoncement à toute critique publique par rapport aux questions cruciales actuelles (ce qui était l’idéal de l’IBP), s’accompagnait de dureté de positions dans les discussions privées et même de sévérité vis-à-vis des fidèles qui exprimaient la moindre critique sur ce changement de cap. J’ai même été involontairement témoin de l’instrumentalisation de l’absolution sacramentelle.

Il n’était plus possible de cautionner une pareille attitude. Il était grand temps de faire le choix que la Providence m’indiquait. Je voyais qu’à la Communauté Saint Grégoire il n’y avait pas cette duplicité de langage et en toute franchise c’est peut-être cela qui m’a touché le plus.

 

Pourriez-vous nous parler de la vie quotidienne à la Communauté Saint Grégoire le Grand?

Dès mon arrivée ici à Camerino, j’ai d’abord trouvé les bienfaits de la vie en communauté. Horaires réguliers, prière et offices en commun, repas fraternels au cours desquels nous pouvons échanger ouvertement, discuter sur la vie de l’Eglise et, plus en général, sur la situation actuelle. Cela permet de réfléchir entre prêtres sur les problèmes majeurs de la société et surtout de se soutenir réciproquement. La journée se découpe en temps d’approfondissement, de lecture et de petits travaux manuels inhérents à toute fondation. Mes confrères disent déjà que je suis bon “bricoleur”….

Nous sommes à la campagne (et à la montagne même…), ce qui favorise la contemplation et la vie de prière. Je découvre également petit à petit les apostolats que nous avons dans les régions environnantes. En même temps, notre présence ici demeure un point de repère : des fidèles viennent assister aux offices et des prêtres des alentours viennent de temps en temps nous rencontrer pour comprendre en quoi consiste notre modeste témoignage.

 

Pensez-vous que d’autres prêtres pourraient vous suivre?

Veritas liberabit vos. Lorsqu’on n’agit pas en vérité on est prisonnier, lorsqu’on agit droitement selon sa conscience là on est libre. J’ai confiance que la force de la vérité et la grâce agissent toujours. Certes, nous avons tous nos moments d’hésitation, c’est un peu naturel, mais la tendance à ne pas s’engager peut être aussi une tentation du Malin. En tant que prêtres, par notre caractère sacerdotal, nous avons tous une grave responsabilité…

Plusieurs confrères m’ont avoué qu’ils se posent sérieusement des questions. Pour vaincre notre “peur de s’exposer” il faut penser que le bien commun de l’Eglise dépend aussi des choix personnels de chacun d’entre nous… Agir c’est aussi faire preuve de charité.

 

Un mot final pour nos lecteurs Monsieur l’Abbé

Il faut prier pour diriger l’action : nous sommes tenus d’agir, mais il faut avant beaucoup prier et spécialement le chapelet. Défendons la vérité surtout et les fondements de la société, témoignons ouvertement pour la famille et l’enseignement catholique. Car Notre Dame a promis aux enfants de Fatima que - après les épreuves - son Cœur Immaculé triomphera… et ce triomphe arrivera par la récitation du Rosaire.

 

Nicolas Fulvi

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Le fond inquiétant de la proposition kaspérienne

par Disputationes theologicae

 
Mgr Livi, doyen de Philosophie à l’Université du Latran, intervient sur le Synode d’octobre
 
31 juillet 2015, Saint Ignace de Loyola
 
 
Dans notre dernier article sur les risques de profanation du sacrement de la Confession nous avions relevé : “voilà le processus qui est derrière ces phénomènes et qui est une réalité d’une portée bien plus large que les points spécifiques des “divorcés remariés” et des homosexuels. Nous sommes devant l'assaut final de la pensée gnostico-maçonnique contre l’Eglise du Christ”. Pour voir l’étendue de l’affrontement en acte Disputationes Theologicae entend examiner les aspects sous-jacents à la scandaleuse “proposition Kasper”, ou impliqués par celle-ci. Dans cette perspective, Mgr Livi analyse le fond de la “théologie eucharistique” de l'ecclésiastique allemand.
 
 
 
L'Eucharistie selon Kasper
 
par Antonio Livi
 
 
Walter Kasper est né en Allemagne le 5 mars 1933, à Heidenheim (Brenz) aux alentours de  Rottemburg. Une fois achevées ses études de Philosophie et de Théologie auprès de la Faculté théologique Catholique de l’Université de Tübingen, en 1961 il a obtenu son doctorat avec une thèse sur Die Lehre von der Tradition in der Römischen Schule, et a obtenu la libre faculté d’enseigner la Théologie quatre ans après. De 1964 à 1970 il a enseigné à l’Université de Münster et depuis 1971 il est retourné à l’Université de Tübingen en tant que titulaire de la chaire de Théologie dogmatique. Ordonné prêtre en 1957, il a été consacré Evêque de Rottenburg-Stuttgart en 1989. En 1994 commencent ses charges dans le domaine de l’œcuménisme avec la nomination comme co-président de la Commission internationale pour le dialogue catholique-luthérien, à laquelle suit en mars 1999 la nomination en tant que secrétaire du Conseil Pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens et en mars 2001 la nomination en tant que Président du Conseil Pontifical pour l’unité des chrétiens. Au Consistoire du 21 février 2001 Kasper a été élevé à la pourpre cardinalice.
 
La production théologique de Kasper est constituée d’essais surtout au sujet de l’ecclésiologie et de la pastorale; l’édition complète de ses œuvres, programmée par Herder Verlag, prévoit jusqu’ici 18 volumes [1]. La première observation à faire au sujet de ces œuvres et de celles qui se sont ajoutées par la suite dans les dernières années, est le fait qu’en elles résulte avec évidence l’absence d’une méthodologie théologique correcte.
Chacune des thèses soutenues par Kasper (qui rarement ont le caractère de l’originalité, étant donné que l’auteur se contente de répéter ce qui a déjà été soutenu par ses maîtres à commencer par Karl Rahner), si elles sont analysées d’un point de vue rigoureusement épistémologique, paraissent dépourvues de la consistance épistémique qui caractérise la vraie théologie; ses recherches théologiques ne sont pas (et même, elles ne se proposent pas de l’être) une hypothèse d’interprétation scientifique de la foi professée par l’Eglise à travers la Sainte Ecriture, les formules dogmatiques et la liturgie : elles sont plutôt des expressions d’une ambigüe “philosophie religieuse”, terme par lequel je désigne cette interprétation arbitraire des notions religieuses propres au christianisme qui a produit au XIXème siècle les grands systèmes de l’idéalisme historiciste, comme celui de Hegel et celui de Schelling [2]. A ces systèmes de pensée - lesquels, au point de vue épistémologique, sont à considérer exclusivement philosophiques mais qui dans les milieux luthériens desquels ils ont surgi sont considérés aussi théologiques - se sont inspirés au cours du XIXème siècle et s’inspirent aujourd’hui plusieurs théologiens catholiques, parmi lesquels notamment Walter Kasper. Ce dernier s’est formé auprès de cette même école de Tübingen qui, comme lui-même écrit en se félicitant dans une de ses premières œuvres,
 
«a mis en route un renouvellement de la théologie et du catholicisme allemand tout entier dans la rencontre avec Hegel et Schelling» [3],
 
la dite «rencontre entre Schelling et Hegel», que les théologiens de l’école de Tübingen ont estimé nécessaire pour “renouveler” la théologie et avec elle l’Eglise “conciliaire” toute entière, est en réalité une incompréhensible régression aux positions idéologiques de ces théologiens (ce n’est pas un hasard qu’ils soient tous allemands) qui au XIXème siècle avaient été condamnés par le Saint Siège justement pour l’adoption en théologie des catégories philosophiques de l’idéalisme hégélien et schellingien. Le fait que, au cours du XXème siècle des savants catholiques aient voulu mener leur combat contre la tradition métaphysique en théologie par la reprise systématique d’une philosophie religieuse née dans le milieu luthérien et toujours critiquée dans le milieu catholique, n’a pas d’autres explications plausibles que leur assujettissement psychologique à l’égard des théologiens luthériens, dont l'hégémonie a toujours été absolue dans la culture allemande (que l’on considère que même la critique de Hegel menée par Kierkegaard est née et est restée à l’intérieur de la culture luthérienne). Entre Hegel et Schelling, Kasper préfère ce dernier, en l’appelant «géant solitaire» [4] et en se montrant fasciné par le caractère gnostique de ses recherches philosophico-religieuses, sans s'embarrasser nullement par leur issue clairement  panthéiste [5]. La reprise de thèmes spécifiquement schellingiens de la part de Kasper me fait penser au choix analogue d’un autre théologien catholique allemand, Klaus Hemmerle, à l’école duquel s’est formé par la suite en Italie Piero Coda, tous les deux critiqués analytiquement par moi-même en raison de leur méthode théologique, radicalement incompatible avec celle de la vraie théologie [6].
 
Kasper semble partager sans réserve les prémisses immanentistes de l’analyse philosophique de la foi chrétienne menée par Schelling, et dans les mots par lesquels il se déclare convaincu de devoir “renouveler” la théologie catholique - évidemment sur la base de ces prémisses - on voit clairement combien il est dépourvu du sens critique qui est la première chose requise dans toute recherche scientifique, au point que sa synthèse de la philosophie religieuse de Schelling n’est qu’un cumul de mots n’ayant aucun sens :
 
«Schelling ne conçoit pas de façon statique, métaphysique et méta-temporelle le rapport entre le naturel et le surnaturel, mais au contraire de manière dynamique et historique. L’essentiel de la révélation Chrétienne est proprement cela, qu’elle est histoire» [7].
 
Que signifie que la révélation chrétienne dans son “essence” (terme indubitablement métaphysique, mais qui a du échapper à Kasper) est “histoire?  Histoire de quoi, de qui? Doit-on entendre l’histoire des hommes (ce que Kasper appelle la «nature») en rapport à l’action de Dieu (le «surnaturel»)? Dans ce cas-ci, il s’agirait de la notion théologique d’ “histoire du salut”, c’est-à-dire de l’initiative salvifique de Dieu Créateur et Rédempteur, qui est révélée à l’homme par Dieu lui-même d’abord aux moyens des prophètes et ensuite, de façon définitive, par l’Incarnation du Verbe. Celle-ci cependant ne peut pas être la conception de Kasper, parce qu’elle correspond pleinement à la doctrine théologique traditionnelle, qui pour Kasper serait à rejeter parce qu’elle sous-entendrait une «façon statique, métaphysique et meta-temporelle» de concevoir «le rapport entre naturel et surnaturel». Or, en considérant le fait que, en parlant d’un «rapport entre naturel et surnaturel» Kasper admet (involontairement) la distinction entre le monde (la création) et Dieu (le Créateur), un des deux termes du rapport, Dieu, ne peut pas être identifié avec “l’Histoire” : à moins qu’on ne veuille, au final, exclure Dieu du discours théologique et parler seulement du monde et de ses vicissitudes, même lorsqu’il s’agit de la vie de la religion et de l’Eglise. C’est vraiment ce que Kasper entend, comme nous le verrons bientôt.
 
 
Dans une ecclésiologie immanentiste le mystère eucharistique ne trouve plus sa place théologique.
 
Les fréquents changements de thèses théologiques qui ont caractérisé la production scientifique et les publications destinées à une large diffusion de Kasper font penser que le critère (les cibles,la finalité, le but final) de ses discours n’est pas tellement une proposition valide d’interpréter le dogme, animée par le zèle de son application salvifique pour le salut des fidèles, mais plutôt l’anxiété de s’imposer dans l’opinion publique en tant que figure de proue de l’aile progressiste de la théologie contemporaine, surtout par rapport à l'œcuménisme, c’est-à-dire au “dialogue” avec les protestants en vue d’un “rapprochement” rituel et doctrinal entre eux et l’Eglise catholique. Dans tous les cas, il faut remarquer que dans l’œuvre de Kasper, le propos récurrent de “réformer” l’Eglise - réformes institutionnelles, liturgiques et pastorales - ne tient pas compte de la référence nécessaire à la “forme” fondamentale que l’Eglise a par divine institution; et cela dépend de la dévaluation des principes proprement théologiques de l’ecclésiologie, à commencer par la reconnaissance explicite de la nature divine du Christ comme Verbe Incarné qui a confié à l’Eglise fondée par Lui la charge de continuer sa mission salvifique par l’annonce fidèle des mystères surnaturels et la grâce sanctifiante des sacrements. Les principes proprement théologiques de l’ecclésiologie avaient été justement connectés avec le dogme christologique (et aussi au dogme mariologique) dans les années précédant le concile par un autre théologien, le suisse Charles Journet, qui avait su présenter à nouveau et développer avec cohérence les principes essentiels de la tradition dogmatique sur Jésus-Christ, la Sainte Vierge Marie et l’Eglise dans son traité sur L’Eglise du Verbe Incarné [8], la doctrine duquel a été reprise en grande partie dans la constitution dogmatique Lumen Gentium spécialement dans le huitième chapitre, là où le Concile parle de la Sainte Vierge Marie, Mère de Dieu et Mère de l’Eglise [9]. Mais Kasper, qui pourtant se présente comme “théologien conciliaire”, ignore de façon systématique les notions proprement théologiques de l’ecclésiologie, et même prétend “purifier” la foi catholique des «formes et formules» qui pourtant avaient été confirmées solennellement par Vatican II, en tant que justement ces «formes et formules» assurent le caractère surnaturel (transcendant) des réalités divines et justifient le culte d’adoration que l’Eglise offre au Christ, qui est Dieu, le Verbe éternel qui dans le temps s’est fait chair et est réellement présent dans l’Eucharistie, ainsi qu’ils justifient la vénération envers la Très Sainte Vierge Marie, reconnue comme Mère de Dieu en tant qu’elle est la vraie Mère du Christ qui est Dieu [10]. La bataille pour l’abolition des termes théologiques à la saveur “métaphysique”, présentée comme simple exigence pastorale (la récurrente prétendue nécessité d'abandonner un langage qui serait incompréhensible et inacceptable à l’homme d’aujourd’hui) vise en réalité à éliminer de la “prédication” tous les principes de base de l’ecclésiologie catholique, en les soumettant à une critique rationaliste systématique, en commençant bien par la notion de “Verbe Incarné”. Celle-ci est réduite en effet en des termes immanentistes dans son œuvre la plus connue, Jesus der Christus [11], où Kasper propose “sa” christologie en version anti-métaphysique: il s’agit en réalité d’une reformulation du dogme chrétien par l’adoption des catégories immanentistes spécifiques à la philosophie religieuse de Schelling, qui réduit les trois personnes divines à trois “modes de subsistance” d’une unique réalité divine, dont la nature se réduit dans sa manifestation au monde. Dans l’horizon de cette  Selbstoffenbarung Gottes, Jésus-Christ n’est plus cru et adoré comme médiateur entre Dieu et les hommes [12], mais Il est réduit à la manifestation historique de la Trinité “économique” [13]. Kasper n’arrive pas à s'émanciper de la philosophie de la révélation de Schelling, comme l’avait fait par contre dans ce même milieu allemand Romano Guardini [14], et c’est ainsi qu’en théologien catholique il finit par s’obstiner dans une œuvre insensée de déconstruction du dogme christologique traditionnel; même les preuves historiques de la divinité du Christ - c'est-à-dire les miracles opérés par Lui avec l’intention explicite de montrer sa toute puissance et soutenir ainsi la foi de ses disciples - sont soumis au doute par Kasper sur leur vérité factuelle et sur leur signification théologique par rapport à la foi, de la sorte qu’au final ils sont niés pour ce qu’ils sont réellement, c’est à dire l’évidence empirique de l’intervention de Dieu, qui fait partie des motifs de crédibilité. De la négation implicite de la divinité du Christ dérive l’usage répété que Kasper fait de l’expression «Dieu de Jésus-Christ», expression qui paraît comme titre d’une des œuvres  citées plus haut (Der Gott Jesu Christi) et qui du fait qu’elle sépare le nom de Dieu de celui de Jésus-Christ, insinue au niveau sémantique la négation de la divinité de Jésus-Christ, non reconnu comme le Fils unique de Dieu, consubstantiel au Père [15]. En réalité, Kasper participe à plein titre au courant idéologique qui se réfère à Hans Küng et à Karl Rahner et qui entend la théologie comme anthropologie, en suggérant à l’Eglise de parler non pas de Dieu mais plutôt de l’homme [16]; conformément à cette précise orientation spéculative, Kasper met de côté le discours sur la double nature du Christ, le Verbe éternel (discours qui a logiquement un sens seulement si on admet que les catégories métaphysiques de “personne” et de “nature” sont adéquates à la nécessaire formulation dogmatique du mystère surnaturel contenu dans la révélation) et réduit la christologie à un discours au caractère phénoménologique sur la conscience de Jésus en tant qu’ “homme qui parle de Dieu”.
 

A SUIVRE



 

1 Vol.  1: Die Lehre von der Tradition in der Römischen Schule; vol.  2: Das Absolute in der Geschichte; Vol.  3: Jesus der Christus; vol.  4: Der Gott Jesu Christi; vol.  5: Das Evangelium Jesu Christi; vol.  6: Theologie und Wissenschaft; vol.  7: Grundlagen der Dogmatik; vol.  8: Gott, der Schöpfer und Vollender; vol.  9: Jesus Christus, das Heil der Welt; vol.  10: Die Liturgie der Kirche; vol.  11: Die Kirche Jesu Christi; vol.  12: Die Kirche und ihre Ämter; vol.  13: Katholische Kirche; vol.  14: Wege zur Einheit der Christen; vol.  15: Einheit in Jesus Christus: vol.  16: Kirche und Gesellschaft; vol.  17: Pastoral; vol.  18: Predigten.
2 Cf Antonio Livi, Vera e falsa teologia. Come distinguere l’autentica “scienza della fede” da un’equivoca “filosofia religiosa”, Leonardo da Vinci, Roma 2012.
3 Walter Kasper, Das Absolute in der Geschichte. Philosophie und Theologie der Geschichte in der Spätphilosophie Schellings, Matthias-Grünewald-Verlag, Mainz 1965; trad. it.: L’assoluto nella storia nell’ultima filosofia di Schelling, Jaca Book, Milano 1986, p. 53.
4 Walter Kasper, Das Absolute, trad. it. cit., p. 90.
5 La métaphysique historiciste de Friedrich Schelling (1775-1854), une fois éliminée la transcendance d’un Dieu créateur et providant, élabore au final une notion de l’Histoire (Geschichte) qui figure comme l’unique agent universel de tout événement, avec les caractéristiques de l’ «anima mundi» des stoïciens et du  «Deus sive natura» de Spinoza. Dans sa dernière oeuvre, Philosophie der Offenbarung (1858), Schelling oppose au christianisme “dogmatique” le christianisme  de l’ “histoire”, et réduit la notion réaliste de “révélation” à la notion immanentiste d’auto-conscience a (Selbsbewußtsein)  de l’Esprit dans son développement historique.
6 Cf Antonio Livi, Vera e falsa teologia, cit., pp. 246-255. Un historien de l’Eglise est du même avis, il a parlé de «ces théologiens - et aujourdh’ui ce sont la plupart- qui ce sont formés non pas sur la Summa  de Saint Thomas d’Aquin ni non plus sur ce “loci” que  Melchior Cano individua surtout dans la Révélation, dans l’Eglise et dans la Tradition, mais sur les textes de renommés maîtres-à-penser, de préférence post-conciliaire, presque tous sensibles à la suggestion d’un hegelisme vaguement christianisé, lequel malgré cela emprisonne le message évangélique dans les chaînes du devenir, le dépouille de toute composante surnaturelle et le réduit à une donnée toujours changeante de l’immanence» (Roberto de Mattei, “Pasticcio Kasper”, in Il foglio, 1° ottobre 2014, pp. 1-3)
7 Walter Kasper, Das Absolute, trad. it. cit., p. 206.
8 Cf Charles Journet, L’Église du Verbe Incarné. Essai de théologie spéculative, tome I:  La hiérarchie apostolique, Téqui, Paris 1941; tome II: Sa structure interne et son unité catholique, Desclée de Brouwer, Paris 1952.  Nouvelle édition : Charles Journet, L’Église du Verbe Incarné, 5 vol., Editions Saint-Augustin, Saint-Maurice 1998-2005. Cf Antonio Livi, “Presentazione”, in Charles Journet, Maria corredentrice, Edizioni Ares, Milano 1989, pp. 6-10; Idem, Marian Coredemption in the Ecclesiology of Cardinal Charles Journet, in Mary at the Foot of the Cross, VII: Corredemptrix, therefore Mediatrix of All Graces, ed. Alessandro Apolloni, Academy of the Immaculate, New Bedford, Massachusetts 2008, pp. 355-366.
9 Cf Concile Vatican II, const. dogm. Lumen gentium, §§ 52-69.
10 Cf Concile Vatican II, const. dogm. Lumen gentium, § 61. "La bienheureuse Vierge, prédestinée de toute éternité, à l’intérieur du dessein d’incarnation du Verbe, pour être la Mère de Dieu, fut sur la terre, en vertu d’une disposition de la Providence divine, l’aimable Mère du divin Rédempteur, généreusement associée à son œuvre à un titre absolument unique, humble servante du Seigneur. En concevant le Christ, en le mettant au monde, en le nourrissant, en le présentant dans le Temple à son Père, en souffrant avec son Fils qui mourait sur la croix, elle apporta à l’œuvre du Sauveur une coopération absolument sans pareille par son obéissance, sa foi, son espérance, son ardente charité, pour restaurer la vie surnaturelle des âmes. C’est pourquoi elle est devenue pour nous, dans l’ordre de la grâce, notre Mère". Que l’on remarque en particulier l’expression vie surnaturelle des âmes”, qui constitue le démenti le plus formel des prétentions d’une certaine exégèse des textes conciliaires ( je pense à Yves Marie Congar, à Henri de Lubac, et enfin à Karl Rahner maître de Kasper) chez lesquels on ne trouverait plus ni le substantif “âme” ni l’adjectif “surnaturel”, considérés comme des résidus de la théologie scolastique.
11 Cf Walter Kasper, Jesus der Christus, Matthias-Grünewald-Verlag, Mainz 1974;  trad. it.: Gesù il Cristo, Editrice Queriniana, Brescia 1974.
12 Cf Première Lettre à Timothée,  2, 5: «Car il y a un seul Dieu; et aussi un seul médiateur entre Dieu et les hommes, le Christ Jésus fait homme».
13 Pour une synthèse à jour des différentes interprétations théologiques des relations intra-trinitaires et des rapport de la Trinité avec le monde (création, mission du Fils et du Saint Esprit), cf Antonio Livi, I presupposti logico-aletici delle diverse ipotesi teologiche sulle relazioni intratrinitarie, in Il “Filioque”. A mille anni dal suo inserimento nel Credo a Roma (1014-2014), ed. Mauro Gagliardi, Libreria Editrice Vaticana, Città del Vaticano 2015, pp. 325-342.
14 Cf Josef Kreiml, Die Selbstoffenbarung Gottes und der Glaube des Menschen: Eine Studie zum Werk Romano Guardinis, EOS Verlag, Sankt Ottilien 2002.
15 Cf Brunero Gherardini, “Il Dio di Gesù Cristo”, in Divinitas, 2004.
16 Cf  Cornelio Fabro,  La svolta antropologica di Karl Rahner, Editore Rusconi, Milano 1970; Antonio Livi, “Il metodo teologico di Karl Rahner. Una critica del punto di vista epistemologico”, in Fides catholica, n. 2, II, 2007, pp. 269-276; Idem, Il metodo teologico di Karl Rahner. Una critica del punto di vista epistemologico, in Karl Rahner. Un’analisi critica, ed. Serafino M. Lanzetta, Edizoni Cantagalli, Siena 2009, pp. 13-27; Idem, Vera e falsa teologia, cit., pp. 222-227.

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Missionnaires de la Miséricorde ou de la profanation de la confession?

par Disputationes theologicae

Réflexions en marge d’une intervention du “papabile” Cardinal Tagle

 

31 mai 2015, Marie Reine      

 

                         

 

Quelles sont les manœuvres en vue du prochain Synode d’octobre et du post-Synode ? Concédera-t-on ouvertement la Communion aux pécheurs publics ou la subversion prendra-t-elle des formes moins apparentes, mais non moins efficaces ? Certaines récentes déclarations du Cardinal Tagle nous mettent sur la piste que le parti progressiste - en se souvenant du cuisant rejet de la “ligne Kasper” au Synode d’octobre 2014 - pourrait parcourir si le Synode de 2015 aussi devait mal se passer pour eux. Manœuvres dans lesquelles une certaine ruse jésuitique pourrait s’ajouter à la fuyante ambiguïté du modernisme.

Dans la réalité des faits déjà la prétention à la réception indigne de la Très Sainte Eucharistie - comme dit courageusement le Cardinal Burke - a reçu une croissance exponentielle, à cause des attentes engendrées par la scandaleuse Relation introductive au Consistoire de février 2014, confiée au Cardinal Kasper, et de la perception générale que cette lignée ait le soutien d’une plus haute autorité. Pour donner l’idée des tendances montantes, que l’on pense à la récente intervention d’un Evêque de Colombie, Mgr Cordoba, qui à l’occasion d’un forum, tout en disant que “l’Eglise ne reconnaîtra jamais comme famille l'union entre personnes de même sexe, il a dit aussi : “personne n’a choisi d’être homosexuel ou hétérosexuel. Simplement on ressent, on s’aime, on expérimente, on s’attire. Et aucune attraction est en soi mauvaise (....) le péché est une autre chose. C’est simplement ne pas respecter la dignité des autres (...). Frères homosexuels, dans le cas où vous vous marieriez, ayez de belles familles, basées sur la fidélité, et éduquez avec amour les enfants” (Cf. Semana, 14 mai 2015). On n’a pas connaissance que cet Evêque ait été mis sous commissaire ou destitué, comme cela a été fait fort peu miséricordieusement avec d’autres de la ligne opposée...

Cependant les déclarations du Cardinal Tagle émergent plus particulièrement. Un prélat dont le nom circule avec insistance comme “papabile” (peut-être aussi en raison de certains problèmes de santé du Pape Bergoglio, connus des Cardinaux électeurs seulement après l’élection). Nous essayerons ici d’analyser de telles affirmations, surtout pour qu’on ne se réduise pas uniquement à attendre l’ennemi à un passage qu’il pourrait ne pas emprunter et pour qu’on ne se laisse pas obstinément illusionner.

 

La logique du cardinal Tagle, révélatrice des prochains risques

Visage jeune et souriant, de grandes capacités médiatiques, Luis Antonio Tagle vient du Tiers Monde, mais il a bien appris en étudiant aux Etats-Unis, ce qui lui a donné une certaine familiarité avec certains lobbies - ecclésiastiques et non ecclésiastiques - occidentaux. Ses origines géographiques, unies à l’appartenance au courant progressiste et éventuellement au soutien du parti “diplomatico-curial” (en confirmant à ce dernier la Secrétairerie d’Etat par exemple), risque de permettre qu’au prochain Conclave se répète le scénario de l’ “opération Bergoglio”. L’actuel Evêque de Manille est aussi jeune et - avec un pontificat potentiellement long - pourrait ainsi se réaliser le projet qui était lié à l’élection “espérée” du Cardinal Martini : c’est à dire la capitulation aux pouvoirs mondialistico-maçonniques, même là où les pontificats précédents n’ont pas cédé (morale et famille).

Lisons donc la conversation que le Cardinal a eu avec le quotidien Daily Telegraph. L’Evêque de Manille a débuté : “je pense que le langage aussi a déjà changé, que les dures paroles qui étaient utilisées dans le passé concernant les "gays", les divorcés et les personnes séparées” étaient “très graves”[1]. Nous verrons d’ici peu ce qui se cache derrière le vieil artifice du “langage”, nous remarquons pour l’instant l’éloquente harmonie avec l'harcelante campagne des médias et des promoteurs de la “dictature du relativisme” qui sont derrière....

En répondant aux questions du journaliste, il a favorablement confirmé le projet de changer la “praxis pastorale” de l’Eglise pour permettre aux personnes qui vivent des unions irrégulières de recevoir la communion. Il a confirmé la proposition du Cardinal Kasper, en affirmant que cela devrait être matière à discussion pour les “cas individuels”.

Il est intéressant de remarquer que dans cet interview semble vraiment apparaitre ce qui sera la ligne des promoteurs de Vatican III pour le futur proche : “l'Eglise doit prendre en compte les récentes tendances sociales et la plus grande compréhension de la psychologie. Il a déclaré : Nous devons admettre que toute cette spiritualité, cette progression dans la miséricorde et l'actuation de la vertu de miséricorde est une chose que nous devons apprendre toujours plus. En partie ce sont aussi les changements de sensibilité culturelle et sociale qui font que ce qui était dans le passé une façon acceptable de montrer miséricorde… ne peut plus, de nos jours, vu notre mentalité contemporaine, être considéré de la même façon.

Beaucoup de personnes qui appartenaient à ces catégories ont été marquées, ce qui a conduit à leur isolement de la société en général. Je ne sais pas si cela est vrai, mais j'ai entendu dire que dans certains milieux, milieux chrétiens, la souffrance subie par ces personnes a été considérée comme une conséquence légitime de leurs erreurs, et ainsi spiritualisé en ce sens[2].

Voici posée la prémisse des affirmations alarmantes qui suivront et qui, comme nous le verrons, en sont la conséquence logique : tout le discours se fonde sur le relativisme subjectiviste plutôt que sur le droit naturel et la Révélation. L’accent est posé sur les facteurs subjectifs et sociologiques du moment plutôt que sur la fidélité à la vérité et sur le bien objectif de l’âme. Nous sommes en face du plus typique substrat de l’hérésie moderniste, dans laquelle ce qui compte - plus que l’évaluation de l’objet - est la perception personnelle du sujet singulier, en relisant toute chose sous l'aspect immanentiste et à la lumière de la “vie vécue” de chacun. La Nouvelle Morale de l’ “église en sortie” - donc - “sort” des paramètres catholiques et des évaluations objectives, pour se modeler sur l’ “individualité” ou mieux sur la “perception individuelle” et sur les phénomènes sociaux du moment. L’idée de péché (terme qui a presque disparu même dans certains milieux officiellement catholiques) est calquée sur le sujet, ou plutôt sur l’omniprésente “pensée unique” du politiquement correct, et ainsi - en pratique - une telle notion est dissoute. C’est l’homme qui “se donne” la loi à suivre, c’est l’homme qui - presque “en se créant lui même” - s’autodétermine et s’autorégle de manière indépendante. Ce n’est plus Dieu, Créateur et Législateur, qui ordonne le monde et la finalité des créatures, mais - en deux mots - c’est l’homme qui se fait Dieu.

Voilà le processus qui est derrière ces phénomènes et qui est une réalité d’une portée bien plus large que les points spécifiques des “divorcés remariés” et des homosexuels. Nous sommes devant l'assaut final de la pensée gnostico-maçonnique contre l’Eglise du Christ, et que l’on remarque le renversement diabolique qui est sous-jacent à ce discours : on ne regarde plus l’actualité à la lumière de la foi, mais on regarde la foi au brouillard de l’actualité (actualité, entre autre, médiatiquement manipulable).

Mais lisons les mots suivants du Cardinal : “Toute situation de ceux qui sont divorcés remariés est assez unique. Avoir une règle générale pourrait être contre-productif au final. Ma position en ce moment est de demander, ‘Pouvons-nous prendre au sérieux tous les cas et existent-t-ils là, dans la tradition de l'église, des parcours pour les résoudre individuellement, au cas par cas ?’ Ceci est une question à laquelle j’espère les gens apprécieront qu’il n’est pas facile de répondre ‘non’ ou ‘oui’. Nous ne pouvons pas donner une formule pour tous[3].

S’avance donc la cohérente concrétisation “pastorale” de toutes ces prémisses et nous attirons ici encore plus l’attention du lecteur sur les lignes qui vont suivre, parce que nous sommes peut-être devant le danger de faire entrer par la fenêtre ce que l’on n’a pas pu faire entrer par la porte : “Ici, au moins pour l'Eglise Catholique, il existe une approche pastorale qui se passe dans le conseil, dans le sacrement de la réconciliation où des personnes singulières et des cas particuliers sont pris en compte singulièrement ou individuellement de sorte qu'une aide, une réponse pastorale, puisse être donnée de façon adéquate à la personne[4].

“A bon entendeur salut”. Le Cardinal Tagle ne serait-il pas en train de révéler, entre autre, le futur rôle non précisé des dits “Missionnaires de la Miséricorde” ? Pour admettre les divorcés dits “remariés” à la communion ou pour dédouaner les “couples” homosexuels, ne passera-t-on pas par le confessionnal, “cas par cas”, en trouvant ainsi une voie de sortie moins “bruyante” au problème ? En s’inspirant d’une manière cohérente d’un tel subjectivisme, ne finira-t-on pas par donner à certains “Missionnaires de la Miséricorde” l’ordre officieux-miséricordieux de donner aux pénitents la permission d’accéder à la Communion, même si ces derniers se trouvent objectivement en état de péché mortel et ont l’intention d’y rester ? Cela ne serait-il pas cohérent avec tout l’enchaînement des affirmations du Cardinal Tagle ?

Si on ne peut pas ouvertement changer la doctrine, qu’on change la praxis; la doctrine ensuite s’effritera toute seule. Et que la révolution aille de l’avant.... Le Marxisme fait école.
Et la voie du “Confessionnal facile” - et en ce cas profané - serait une voie “très pratique” et “capillaire” pour “ouvrir les danses” non seulement dans les diocèses et les paroisses d’avant garde, mais aussi éventuellement en utilisant des “envoyés spéciaux” de la “Miséricorde”.

 

La gravité d’une telle occasion prochaine de profanation du confessionnal (can. 1387)

Tout le monde ne sait pas qu’une telle “proposition” non seulement est une instigation au sacrilège de la confession, non seulement cache de très graves conséquences doctrinales, mais elle est déjà condamnée de fait non seulement par la vraie Tradition de l’Eglise, mais aussi par le Code de Droit Canonique en vigueur (can. 1387), qui prévoit encore aujourd’hui des sanctions sévères pour les prêtres qui se rendraient coupables d’une telle faute jusqu’à la démission de l’état clérical.

En effet, le prêtre qui conforte le pénitent dans son état peccamineux, qui l’autorise de fait à y rester, en prolongeant la vie commune more uxorio avec le concubin (même homosexuel), avec tous les aspects que cela comporte d'ordinaire (ou du moins avec toutes les occasions prochaines que cela entraîne) et en aggravant son conseil même “en l’autorisant” au sacrilège de l'Eucharistie, ne peut-il pas tomber dans ce grave délit que les théologiens appellent “sollicitation à des choses honteuses” (sollicitatio ad turpia) ? Délit que le Code punit sévèrement même lorsqu’il n’y a pas complicité directe du prêtre dans la transgression [5]. Dans les faits, comment cela pourrait ne pas se résoudre dans une invitation plus ou moins directe à demeurer dans des péchés même particulièrement graves ?

Un projet semblable - au cas où il serait obstinément confirmé - serait simplement satanique : il profane l’Eucharistie, profane la Confession, répand l’erreur en utilisant le Sacrement, protège les diffuseurs d’hérésies derrière la sainteté du sceau sacramentel. Un coup de maître de Satan.

 

Quelle Miséricorde?

Comme si tout cela ne suffisait pas un dommage supplémentaire est constitué par l’altération, et parfois par le discrédit, qu’on apporte ainsi à cette grande chose qu’est la Divine Miséricorde, en instrumentalisant entre autre les épouvantables maux contemporains pour accréditer les (aberrantes) “doctrines” du moment, et avec elles soi- même. Saint Augustin dit :

Soyez tranquilles ! Dieu ne condamnera personne (...) et même dans la maison de votre Dieu, si vous en aviez envie, festoyez même ! (...) si nous vous faisions ce genre de discours, nous rassemblerions peut-être autour de nous des foules plus nombreuses; et, même s’il y en avait quelques-uns qui s'apercevaient combien dans notre discours nous disons des choses inexactes, nous nous rendrions ennemis à ce petit nombre de personnes, mais nous gagnerions la faveur de l'énorme majorité. Cependant, en nous comportant de cette manière, nous vous annoncerions non pas les paroles de Dieu ou du Christ mais nos paroles; et nous serions des pasteurs qui paissent eux mêmes, non pas les brebis” (Discours 46, Sur les Pasteurs).

Et lorsque le Cardinal Tagle affirme “vu notre mentalité contemporaine” ce qui était une manifestation de miséricorde hier “ne peut plus être considérée de la même façon” aujourd’hui, émerge alors la vraie question : quelle Miséricorde ? Qu’est ce que la Miséricorde ? Ici se fait visible le fait que la charité, dans ce cas la charité pastorale, ne peut pas faire abstraction de la question prioritaire de la vérité, et la pastorale ne peut pas s’affranchir de la doctrine de la foi.

Un autre Prélat, le Cardinal Sarah, a indiqué la vraie réponse aux maux pastoraux d’aujourd’hui : en effet, en plus du fait de se ranger fortement contre la “ligne Kasper”, il a relevé que  “face à la vague de subjectivisme qui semble emporter le monde (...) l’Eglise doit retrouver une vision[6]. Et dans cette perspective la ligne proposée par notre revue, c’est à dire une ample “critique constructive” à la voie qui a conduit à des issues aussi désastreuses, peut représenter une importante contribution au bien commun de l’Eglise.

 

Association de Clercs Saint Grégoire le Grand

 


[1] John Bingham (ed.), «Cardinal: Church’s ‘severe’ stance towards gay or divorced Catholics left people ‘branded’ », in Daily Telegraph du 9 mars 2015. Les mots en gras sont de notre Rédaction.

[2] Ibidem.

[3] Cf. aussi Rachel Obordo (ed.), Cardinal Tagle: There is no “formula for all” on Communion for the divorced and remarried, in Catholic Herald du 17 mars 2015.

[4] Cf. note 1.

[5] En commentant la constitution Sacramentum Paenitentiae de Benoit XIV, l’édition commentée du Code, éditée par Juan Ignazio Arrieta, écrit : “L’acte délictueux consiste dans le fait d’instiguer le pénitent à pécher contre le 6ème commandement tant avec l’instigateur lui même, tant avec d’autres”, J. I. Arrieta (ed.), Codice di Diritto Canonico e leggi complementari commentato, Roma 2007, p. 921, note au canon 1387. Unanime est l’avis des théologiens moralistes : S. Alphonsus Maria De Ligorio, Theologia Moralis, t. III, Graz, 1954, n. 691, p. 706; H. Noldin, Summa Theologiae Moralis, t. De Sacramentis, Oeniponte, 1912, n. 389, p. 450; B. H. Merkelbach, Summa Theologiae Moralis, t.III De Sacramentis, Brugis, 1932, n. 640, p. 606; H. Jone, Précis de Theologie Morale Catholique, Casterman-Tournai-Paris, 1958, n. 592, p. 408 ; D. M. Prummer, Manuale Theologiae Moralis, Friburgi Brisgoviae, 1960, t. III, n. 461, p.332.

[6] R. Sarah, Dieu ou rien. Entretien sur la foi, Paris 2015

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Le rapport entre croix et autel dans l’Antiquité chrétienne

par Disputationes theologicae

Témoignages historiques et archéologiques

(II)

 

Suite, ici la première partie de l’article

 

 

Un élément mobile

Dans le Vaticanus Reginensis 316, connu aussi comme le Sacramentaire Gélasien, datant environ de 750, dans les pages qui décrivent le rite du Vendredi Saint, on lit : “hora nona procedunt omnes ad ecclesiam; et ponitur crux super altare”; il n’est pas clair s’il s’agit d’un reste de rite jérosolimitain ou du retour de la croix, cachée pendant le carême, il est certain cependant que la croix est mise sur l’autel juste après l’entrée; suite au récit de certaines oraisons “ingrediuntur diaconi in sacrario. Procedunt cum corpore et sanguinis Domini quod ante die remansit, et ponunt super altare. Et venit sacerdos ante altare adorans crucem Domini et osculans” (47). L’identification entre l’autel et le Calvaire est claire, même sous les aspects de la mystique et de la didactique eucharistique, non sans analogie avec le sermon de Saint Augustin : “pour participer à cet autel approchez-vous avec crainte et tremblement; reconnaissez dans le pain ce qui fut suspendu à la croix et dans le calice ce qui coula de son côté” (48). Le texte du Sacramentaire parle aussi clairement d’une croix sur l’autel avant le déploiement des nappes pour accueillir les espèces eucharistiques; la croix devait être sur l’autel, mais dans une position détachée de la table d’autel, pour ne pas entraver la disposition des saintes espèces.

En Occident des sources plus tardives attestent que la croix était portée sur l’autel seulement au moment de la célébration eucharistique; Innocent III réfère dans le De Sacro Altaris Mysterio: “inter duo candelabra in altari crux collocatur media” (49); dans l’Ordo Bernhardi on spécifie que pendant le chant de la Messe “crux a mansionariis super altare maius ponitur”(50). Nous avons aussi l’attestation que dans certains diocèses de France jusqu’au XVIème siècle était en vigueur la norme qu’il revenait au célébrant de porter la croix sur l’autel (51). Le grand nombre de croix amovibles - réalisées au Moyen-âge de façon à être détachées de la hampe et qui présentent la possibilité d’être enfoncées sur un piédestal - trouve peut être sa raison dans une telle logique (52); à ce propos le Cӕremonialis Episcoporum fait foi d’un usage qui prévoit une croix amovible, indépendante de l’élément qui la soutient, alors qu’il parle pour l’adoration du Vendredi Saint de “détacher la croix du piédestal” (53)

La preuve de ces usages justifierait pourquoi il y a tant de représentations de l’autel sans croix même en plein XVème siècle, alors que désormais la croix sur l’autel pendant la Messe est attestée partout; il est probable qu’à certains endroits elle était apportée à l’autel seulement à certains moments, parce que proprement le sacrifice ne s’accomplit pas pendant l’ensemble de toute la célébration, mais seulement au moment de la consécration, nous ne pouvons pas non plus exclure qu’à certains endroits en raison d’un usage ancien, ou d’un abus récent, elle était absente ou placée ailleurs. L’exigence de rendre visible la croix pendant la “crucifixion non sanglante” représentée par la Messe est aussi à mettre en connexion avec les limites de la compréhension humaine, pour laquelle il n’y a pas l’évidence sensible du mystère célébré. Déjà Saint Ambroise disait: “etsi nunc Christus non videtur offerre, tamen ipse offertur in terris quando corpus Christi offertur”(54); ainsi la représentation visible devient aussi une exigence naturelle.

 

Preuves d’une croix sur l’autel en Orient au V-VIème siècle

Un lien s’impose avec la représentation, sur la pyxide du Cleveland Museum of Art, d’une table d’autel tripode sous un ciborium, sur laquelle se trouvent une croix et un livre fermé (55); malgré les difficultés sur la datation, qui tourne autour du V-VIème siècle, nous avons la preuve d’une croix en position centrale par rapport à la table d’autel, dans une évidente fonction rituelle. Elle se trouve d’ailleurs au centre de la courbature d’un autel tripode en sigma, dans la position opposée à celle du célébrant, qui était toujours du côté droit. Il n’est pas à exclure que la croix avait un piédestal propre et indépendant de la table d’autel; au sujet de la découverte de la pyxide subsistent certains doutes en raison de sa provenance d’une collection, mais l’hypothèse unanimement avancée est celle du milieu syro-palestinien.

 

La “pyxide du Cleveland Museum of art" (V-VI sec.); sur la gauche l’autel tripode avec croix

 

Des interrogations sont soulevées aussi par la représentation sur un sarcophage restitué par la nécropole de Takadyn, en Asie Mineure, qui semble reproduire un autel surmonté par une croix, sous un baldaquin en arc; il est à noter que la croix représentée est dotée d’un piédestal, ce qui conduirait à penser à un élément mobile (56). La datation de la nécropole et du sarcophage est plutôt incertaine, elle pourrait être placée aux environs du Vème ou VIème siècle.

D’un relief particulier est la notice selon laquelle, au VIème siècle, dans les églises nestoriennes de Mésopotamie, la présence de la croix était courante et prescrite sur une console au-dessus de l’autel adossé au mur, le dit “Katastroma” (57). A ce dernier s’adressait le prêtre pendant la consécration. Nous sommes en présence de certaines données qui témoignent d’usages communs ou similaires dans l’Orient chrétien antique à une époque qui ne dépasse pas le V-VIème siècle.

 

Conclusions

Legimus in Veteri testamento quod semper Dominus Moysi et Aron ad ostium tabernacoli sit locutus” écrit Saint Jérome (58). Pour s’adresser à Dieu et en recevoir des bénédictions il est naturel qu’on s’adresse vers lui ou vers ce qui indique sa présence et son lien avec les hommes. Dans l’ancien rituel du temple de Jérusalem le sacrifice et la prière étaient adressés vers l’Arche de l’Alliance et, après que l’Arche fut emportée, vers la pierre qui la soutenait, la dite sethiya. Dans les synagogues, où il n’était pas possible de faire des sacrifices, on s’y rendait pour prier et se tournait en direction de Jérusalem (59) et dans cette direction il y avait une niche où se trouvaient les livres sacrés de la même façon que l’Arche avait contenu les tables de la loi (les découvertes archéologiques de la synagogue de Doura Europos ont restitué un exemple d’une telle niche creusée dans le mur avec une orientation précise).

Le prêtre est médiateur et, dans son rôle d’intercesseur, ne peut que s’adresser à Dieu ou à ce qui le figure. Comme l’Arche dans l’Ancien Testament la Croix est ainsi le symbole de la Nouvelle Alliance scellée par le Christ, du nouveau lien entre Dieu et les hommes. La mosaïque de Sainte Pudentienne à Rome, au caractère plus liturgique que décoratif, semble témoigner particulièrement de cette idée de la Croix comme le pont entre le divin et l’humain, comme l’unique moyen pour atteindre la Jérusalem céleste vers laquelle on se tourne (60). La Croix est le point culminant vers lequel le regard du célébrant et des fidèles “s’oriente”. Selon la thèse de Stefan Heid la croix et l'abside assument en ce cas la fonction d’ “Orient idéal” vers lequel on adresse la prière, surtout dans les édifices où manque une orientation “physique” vers le lever du soleil, comme à Rome (61). On peut aussi avancer l’hypothèse que dans les temps anciens la croix n’obligeait pas toujours et en tous cas à se tourner directement vers elle, mais qu’elle était présente, dans des positions différentes, mais toujours centrales, comme le signe visible du renouvellement du sacrifice du Christ sur les autels : une monition pour le célébrant et les fidèles. Per visibilia ad invisibilia. Dans le contexte eucharistique où une chose est ce qu’on voit, autre chose est ce qu’elle est, l’image du mystère qui se réalise a plus que raisonnablement sa place.

Il est avéré que le fait de se tourner vers la croix prévaut dans la liturgie romaine jusqu’à devenir général du moins à partir du bas Moyen-âge. On ne peut peut-être pas affirmer avec certitude la diffusion universelle de cette pratique à l’époque de l’Antiquité tardive et il n’est pas certain que dès les premiers siècles on priait partout “versus crucem”. Cependant dans le milieu romain et de Ravenne il est probable que déjà au cours du V-VIème siècle, dans l’espace presbytéral, la croix pouvait être suspendue à une certaine hauteur dans la nef ou dans le sanctuaire, ou qu’elle était située à proximité de l’autel, peut-être sur un piédestal indépendant de la table d’autel (62), ou comme dit plus haut, représentée dans l’abside. Les datations pour le milieu oriental paraissent analogues.

Il est peut-être possible que pour le rite romain la généralisation uniforme des usages ne soit pas arrivée avant le XIIème siècle, mais la célébration vers la croix ou la présence centrale de celle-ci dans le cadre liturgique sont difficiles à nier déjà pour le Vème siècle et les témoignages archéologiques et documentaires semblent aller en ce sens.

 

Don Stefano Carusi

 

 

(47) A. Chavasse, Le cycle liturgique romain annuel selon le sacramentare du “Vaticanus reginensis 316”  in Textes liturgiques de l’Eglise de Rome, Paris 1997, p. 98-103 ; Id., La liturgie de la Ville de Rome du Vᵉ au VIIᵉ siècle, Roma 1993 (Studia Anselmiana 112 - Analecta liturgica 18), p. 191, l’auteur renvoie cette pratique liturgique du Vendredi Saint à la liturgie titulaire.

(48) Aug., serm. CCXXVIII B (PL 46, 827-828). Miscellanea Agostiniana, vol. I, Sancti Augustini sermones post Maurinos reperti, ed. G. Morin O.S.B., Romae, Typis polyglottis Vaticanis, 1930, pp. 18-20.

(49) Innoc. III, De Sacro Alt. Myst., II, c. 21 (PL 217, 811). Il sacrosanto mistero dell’altare (De sacro altaris mysterio),  ed. Stanislao Fioramonti, Città del Vaticano 2002 (Monumenta Studia Instrumenta Liturgica 15).

(50) Ludwig Fischer (ed.), Bernhardi cardinalis et Lateranensis ecclesiae prioris Ordo Officiorum Ecclesiae Lateranensis, München u. Freising 1916, p. 98; M. Righetti, Manuale, p. 536 ss.

(51) Ibidem.

(52) Déjà l’Ordo Romanus I, 125-126 (Andrieu), parle de “cruces portantes”, quoique leur fonction n’ait pas encore été tout à fait éclaircie.

(53) Cӕremonialis Episcoporum, l. II, cap. XXV, 23  (ed. 1752).

(54) Ambr., Explan. psalm. XII, XXXVIII, 25, 3 (ed. Petschenig, CSEL 64/6).

(55) Archer St. Clair, The Visit to the Tomb:Narrative and liturgy Three Early Christian Pyxides, in Gesta, t. 18 (1979) p. 131 ss., fig. 9.

(56) Pasquale Testini, Archeologia Cristiana, Bari 1980, p. 305.

(57) Il s’agit des homélies du Pseudo-Narsai, cfr. Richard Hugh Connolly, The liturgical homilies of Narsai, Cambridge 1909, Cfr. Sebastian P. Brock, Diachronic aspects of syriac word formation : an aid for dating anonymous texts, in V Symposium Syriacum (Katholieke Universiteit, Leuven, 29-31 août 1988), Roma 1990, pp. 321-330, (OCA 236); Louise Abramowski, Die liturgische Homilie des Ps. Narses mit dem Meßbekenntnis und einem Theodor-Zitat, in Bulletin of the John Rylands University Library of Manchester 78 (1996), p. 87-100.

(58)  Hier., epist. XVIII A (ad Damasum), 8, 1 (CSEL 54/1).

(59) Louis Bouyer, Architettura e liturgia, Magnano 1994, pp. 16 e ss.

(60) S. Heid, Kreuz, Jerusalem, Kosmos, Munster 2001, pp. 169 e ss.

(61) S. Heid, Gebetshaltung und Ostung in frühchristlicher Zeit. in Rivista di Archeologia Cristiana 82 (2006).

(62) Cette dernière solution résoudrait dans le cas de Rome la fameuse question d’une croix sur l’autel avant le déploiement attesté des nappes de la part des diacres.

 

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Le rapport entre croix et autel dans l’Antiquité chrétienne

par Disputationes theologicae

Témoignages historiques et archéologiques

(I)

 

 

 

L’étude de la liturgie ancienne, romaine en particulier, doit se mesurer dès le début avec la difficulté à reconstituer avec précision la disposition du sanctuaire dans les huit premiers siècles de l’ère chrétienne. Il n’est pas toujours aisé de reconstituer avec précision l’espace absidale et même la position de l’autel avec son ameublement pose encore aujourd’hui des problèmes en partie non résolus. Nous savons avec certitude qu’à l’époque médiévale et moderne la prescription d’une croix en correspondance de la mensa est recommandée comme fondamentale par les missels et par la tradition des différents rites. Nous sommes aussi certains que, déjà à partir des premiers siècles du second millénaire, dans les différentes familles liturgiques du monde chrétien, la représentation de la croix dans l’agencement de l’autel est désormais généralisée : sa présence rappelle le sacrifice du Vendredi Saint et souligne la signification théologique de la Messe. L’époque de l’introduction d’un tel élément comme ameublement central de l’autel est plus discutée parmi les spécialistes, surtout si le débat historique concerne le premier millénaire de l’ère chrétienne.

Dans l’analyse qui suit on essayera d'approfondir le lien symbolico-liturgique entre la célébration eucharistique, l’autel et la croix. On essayera, selon les territoires analysés, et avec une particulière attention à la péninsule italienne, de vérifier s’il est possible de proposer une datation relative à la présence certaine de la croix dans le cadre cultuel, en tant qu’élément fondamental et central de la disposition de l’autel.

Il est bien de poser comme prémisse que les sources littéraires et les découvertes archéologiques à ce propos sont limitées et que les découvertes locales et sporadiques - en considérant aussi le particularisme liturgique du monde chrétien ancien - ne se prêtent pas à des généralisations trop empressées. Il est notoire que dans le domaine de l’histoire de la liturgie la prudence doit être une préoccupation particulière du chercheur, non seulement en raison de la délicatesse du sujet, mais aussi parce que plusieurs reconstitutions académiques faites a priori, ont révélé, avec le temps, les incertitudes et les incongruités de thèses audacieuses et parfois infondées. Au contraire, il est notoire que le conservatisme rituel marque la liturgie, au point que, jusqu’à une époque récente, il est plus facile de rencontrer des usages dont on avait perdu le motif que d’assister à des introductions ex nihilo. Dans le cas d’une tradition notoire et récurrente - comme la présence de la croix sur l’autel - il est méthodologiquement plus correct de démontrer l’époque de son introduction plutôt que d’en nier l’existence à l’époque ancienne sur la base des silences des sources, car l’absence de preuves n’est pas toujours preuve d’une absence[1].

Au passage il est aussi utile de rappeler que l’histoire de la liturgie se trouve, pour plusieurs raisons, exposée à des interprétations souvent arbitraires; la projection dans l’antiquité de débats théologiques récents a souvent faussé la vision des choses et un primitivisme aux utopies rétrospectives a attribué aux chrétiens de l’antiquité tardive des problèmes très lointains de leurs esprits.

 

Status quaestionis

La prière liturgique selon le témoignage vétérotestamentaire ainsi que la successive tradition chrétienne consiste essentiellement à s’adresser à Dieu pour impétrer propitiation, louer, remercier, adorer au moyen d’un médiateur, le prêtre institué par Dieu lui-même[2]; le rapport entre Dieu et les hommes est lié par un pacte, par une alliance; le signe de cette alliance était anciennement l’arche, dans les temps nouveaux la Croix. C’est le sacrifice du Fils qui réconcilie les hommes avec le Père, c’est la crucifixion, qui se renouvelle de façon non sanglante sur les autels, qui a restauré la chute d’Adam[3]; il faut donc déterminer s’il est cohérent avec les données historico-archéologiques de penser que ce qui se réalise d’une façon non directement visible aux yeux de la chair, était représenté de façon visible dans l’espace connexe à l’autel.

C’est une donnée certaine que la présence de la croix sur l’autel soit une constante pour la majorité des rites en Orient à partir du VII - VIIIème siècle, plus discutée est la situation en Occident, à cause des incertitudes sur l’époque d’introduction suivant les différentes régions. Il apparait assez singulier le fait que cette uniformité se remarque même dans les communautés chrétiennes séparées de Rome et de Constantinople dès le VIème siècle, comme c’est le cas de certaines communautés de Syrie, d’Egypte, de Mésopotamie et d’Inde. Il faut établir si la donnée est si primitive qu’elle précède la séparation ou s’il y a eu émulation, et en ce dernier cas, il faut évaluer dans quel sens l’influence a eu lieu.

Dans le milieu romain et occidental, selon certains auteurs, on ne peut pas parler de la présence de la croix sur l’autel avant le XIIème ou XIIIème siècle[4]. Le silence sur le sujet de la part de l’Ordo Romanus I[5] et certaines représentations de la disposition de l’autel, qu’on peut dater du X - XIème, lesquelles ne reproduisent pas encore la croix sur la table d’autel, en seraient le témoignage (pour citer certains exemples dans le milieu romain et d’Europe central on peut mentionner la fameuse fresque de la Messe de Saint Clément peinte dans la basilique de Rome qui porte ce nom ou les enluminures dans l’évangéliaire pour l'abbesse Uta de Niedermunster[6] ou de l’évangéliaire de Saint Bernward de Hildesheim[7]).

Cependant l’étude de la documentation de la haute antiquité chrétienne pose des questions qui, quoique pas faciles à résoudre, ne permettent pas de donner le caractère catégorique attribué dans le passé à la thèse de l’introduction de la croix dans le moyen-âge tardif.

Il est difficile d’établir avec certitude si une représentation de l’instrument de la Passion était ou non sur l’autel à l’époque ancienne ou si elle était en position centrale et visible, quoique pas directement posée sur la table d’autel ou si enfin il y avait une relation avec l’orientation vers le Levant. Cependant, aujourd’hui plus que dans le passé, apparait avec évidence la nécessité d’élargir la perspective selon ses aspects archéologiques et symbolico-théologiques en analysant la possibilité d’une rétro-datation de la présence de la croix sur l’autel.

 

Orient et Croix dans certains passiones et écrits antiques

Les actes de certains martyrs de Samosate, qui ont vécu au III-IVème siècle[8], offrent des données intéressantes; dans les Acta Hipparchi Philothei et sociorum[9], on lit que certains chrétiens s’étaient rassemblés dans la maison d’un certain Hypparque, pour prier vers l’Orient et vers la croix : “[…] crucemque pinxerat in orientali pariete. Ibi, ante crucis imaginem, converso ad orientem ore, Dominum Iesum Christum quotidie septies adorabant[10]. On constate clairement que les chrétiens de Samosate priaient vers l’Orient et qu’ils peignaient dans cette direction une Croix sur la paroi. Dans le texte cité on lit ensuite que les païens accusèrent les chrétiens de vénérer une croix de bois; le texte étant datable du Vème siècle, Peterson déduit que la référence à la croix de bois est probablement une interpolation arrivée au moment de la rédaction, mais que la référence à la croix peinte sur les murs est à considérer comme authentique, donc du III-IVème siècle[11]; nous avons donc, même en considérant les récentes critiques que Wallraff a formulées sur ce texte[12], une preuve de prière “versus crucem et orientem” attestée au moins au IVème siècle; non moins intéressante est l’interpolation du Vème siècle au sujet de la croix de bois, car il n’est pas improbable qu’une pratique liturgique contemporaine puisse avoir influencé les rédacteurs.

L’orientation au Levant durant certaines phases de la prière, largement connue par les écrits de Tertullien[13] et de nombreux Pères, est depuis longtemps objet de débat scientifique, mais, tant Dölger[14] que Gamber[15], qui ont étudié le sujet et démontré comment le phénomène intéressait une grande partie du monde chrétien ancien, se sont occupés marginalement du lien avec la croix.

Au V-VIème siècle la relation entre l’Orient et la croix semble être acquise, du moins pour la Syrie : dans les actes de Kardagh on lit que le Saint après la conversion “subito surgens ingressus est cubiculum et delineavit in pariete orientali signum crucis, et cecidit super faciem suam in terram et oravit coram illo[16]. Le document constitue une ultérieure preuve de la pratique de peindre une croix sur la paroi orientale à l’occasion de la prière, donc de l’exigence d’avoir devant les yeux l’instrument de la Passion.

La question de la croix sur les murs est connue même par un écrit attribué autrefois à Saint Jean Chrysostome[17]. Origène relate la donnée intéressante d’une orientation de la prière vers le Levant en direction d’un mur [18].

L’hérésiologie fournit des indices ultérieurs : les marcionites qui étaient fortement hostiles au culte de la croix, priaient vers l’Occident avec une claire intention polémique[19]; le lien entre les deux éléments semble être de nouveau attesté même si c’est par une preuve “a contrario”.

La prière vers l’Orient et vers la croix, comme le soutenait Peterson[20], aurait une signification eschatologique; ce serait le fait de s’adresser, selon le passage connu de saint Mathieu[21], vers la direction dont le Christ a promis de revenir sur Terre précédé de la croix; l’interprétation de cette association, dans son aspect historique et théologico-symbolique, a été l’objet de récentes études et débats[22].

Dans la polémique antichrétienne du IIème siècle, le discours attribué à Fronton et relaté dans l’ “Octavius” de Minucius Felix est intéressant; parmi certaines accusations contre la nouvelle religion on trouve la mention que les chrétiens non seulement accomplissaient des cérémonies avec le bois de la croix “crucis ligna feralia eorum caerimonias fabulatur”, mais qu’ils lui érigeaient des autels “congruentia perditis sceleratisque tribuit altaria, ut id colant quod merentur[23]. La donnée qu’il y avait à Rome dans la seconde moitié du IIème siècle des autels sur lesquels on vénérait la croix devait horrifier les païens contemporains. Cette donnée apparait dans le texte avec des accusations infondées contre les chrétiens, mais à la différence de celles-ci cette référence semble assez vraisemblable et pose des éléments intéressants surtout en considérant la continuité avec la praxis postérieure.

 

Certains témoignages sur les Basiliques romaines et le Liber Pontificalis de Rome et de Ravenne

Il se révèle plutôt ardu d’enquêter sur l’histoire liturgique à travers les restes des “tituli romani[24] de la même façon que la reconstitution de l’agencement du sanctuaire des basiliques constantiniennes de Rome comporte des problèmes difficiles à résoudre[25]; la continuité du culte chrétien nuit aux études et les structures successives ne rendent pas toujours identifiables les restes anciens. Le témoignage offert par le Liber Pontificalis[26] par contre semble permettre d’avancer des hypothèses plus circonstanciées.

Les donations constantiniennes à la Basilica Salvatoris nous permettent de reconstituer certains éléments fondamentaux[27] : nous savons que Constantin donna les fameux “septem altaria” d’argent, avec sept chandeliers à poser devant eux; sur ce sujet ont été soulevé de nombreux doutes sur la fonction de ces objets précieux. Le fait que les autels étaient d’égal poids laisse supposer que parmi eux n’était pas compris l’autel de la consécration qui aurait dû avoir des dimensions majeures et une ampleur plus monumentale. L’absence d’une donation impériale à ce sujet, notamment pour la basilique des Pontifes Romains, laisse ultérieurement déposer en faveur de la véracité de la tradition parvenue jusqu’à nous, c’est-à-dire que dans la basilique était encore en usage à l’époque de Constantin l’ancien autel des évêques précédents, qui, en vertu de son antiquité et de sa vénération, aurait conservé sa fonction initiale même en plein IVème siècle[28]. Cette donnée redimensionnerait les théories sur les bouleversements liturgiques réalisés à l’époque constantinienne et témoigneraient de changements seulement marginaux, en rétro-datant donc l’introduction de certains usages.

Sur la base de ces présupposés, Klauser avance l’hypothèse que les sept autels avaient la fonction de table pour les offrandes et pense à une disposition à coté du “Fastigium”, selon une disposition asymétrique de quatre d’un côté et de trois de l’autre. Des études plus récentes sur l’espace autour du “Fastigium” se sont concentrées sur la reconstitution des espaces autour du sanctuaire, mais il demeure difficile d'avancer des reconstitutions détaillées sur le rite qui devait s’accomplir à l’intérieur[29].

La reconstitution de l’agencement de l’espace absidale de la Basilique Vaticane de Saint Pierre a été rendue possible par une découverte archéologique du début du XXème siècle faite dans l’église de Sainte Ermagora à Pola, le recouvrement de la dite “Capsella de Samagher” : “il est difficile d'imaginer un autre repère qui assume autant que celui-ci tant d’importance dans des domaines différents, dans l’histoire de l’art paléochrétien, dans l’histoire de l’empire, dans l’histoire de l’Eglise”[30]. Ce coffret fut réalisé à Rome vers 440 et destiné à contenir des reliques, il fut peut être donné par Sixte III ou par Léon le Grand à Valentinien. Sur les quatre facettes sont représentés certains lieux saints de la Chrétienté, dont la Basilique de Saint Pierre sur le côté postérieur; au de-là de la dite “Pergula Vaticana”, est représentée une construction quadrangulaire au dessus de laquelle est visible une croix; il n’est pas aisé d’établir si elle est fixée sur la surface ou si elle est une décoration d’une niche qui serait derrière, cependant son indéniable présence dans ce contexte est à reconduire à la memoria de l’Apôtre Pierre et peut-être à un rôle liturgique, les deux hypothèses ne s’excluant pas réciproquement. L’autel pouvait, si on suppose sa mobilité, être apposé à proximité de la confession pendant le rite et donc ne pas être représenté dans la capsella, mais il reste raisonnable de penser que la célébration s’accomplissait à proximité de la memoria de l’Apôtre; la position latérale des personnages représentés, déterminée par l’impossibilité d’être sur le front en raison de la “fenestella confessionis”, pose l’interrogation encore irrésolue de la position précise de la table d’autel[31].

 

Côté postérieur de la Capsella de Samagher, la "Pergula Vaticana" et la Memoria de Saint Pierre

 

L’hypothèse que dans la Basilique Vaticane on célébrait en présence d’une croix, intentionnellement ou pas, déjà au début du Vème siècle, ne peut pas être contournée, la croix est au centre de l’espace du sanctuaire. L’hypothèse qu’elle soit seulement signe de la memoria de l’Apôtre ou qu’elle se trouvait dans une niche en arrière, ne compromet pas le rapport avec la liturgie, parce que l’espace de la memoria de l’Apôtre est aussi l’espace privilégié de la célébration.

Un autre problème au sujet de la disposition de l’espace liturgique est constitué par les oratoires et autels latéraux, présents au moins dès l’époque du Pape Hilaire (461-468) dans la Basilica Salvatoris et dès l’époque du Pape Symmaque (498-514) dans la Basilique Vaticane, qui apparaissent adossés à des niches et orientés de manières différentes. Dans le cas de la Basilique Vaticane l’ “Oratorium Sanctae Crucis”, que nous savons être situé dans l’espace du transept droit, était doté d’une croix gemmée contenant une relique de la Vraie Croix, posée dans une niche, et d’un autel correspondant, vraisemblablement tourné vers la niche; dans l’espace du baptistère, les autels de Saint Jean l’Evangéliste et celui du Baptiste étaient tous les deux adossés au mur; dans la dite “Rotonda” l’autel de Saint André et ceux autour étaient orientés selon des directions différentes mais tous vers un mur[32]; il n’est pas toujours facile d’établir quand et comment on célébrait sur ces autels, mais il est probable que le célébrant était tourné vers le mur ou vers l’éventuelle image ou relique qui y était déposée.

Selon le Liber Pontificalis de Rome, les donations de croix à la Basilique Vaticane et aux autres édifices de l’Urbe se suivent avec continuité. Constantin, sous le Pape Sylvestre (314-335), offre à la Basilique de Saint Pierre une grande croix de 150 livres à mettre devant le corps de Saint Pierre[33], une autre du même poids à mettre “super locum Beati Pauli[34]; nous lisons que Vigile (537-555) “obtulit crucem auream cum gemmis[35]; à l’époque de Pélage II la croix donnée par Bélisaire se trouve encore “ante corpus Beati Petri[36]; est intéressant aussi le don d’une croix de la part de Léon III (795-816), “pendentem in pergola ante altare[37]; le même Pontife “fecit crucem maiorem (…) stat iuxta altare maiore[38], en ce cas il s’agit d’une grande croix, la principale (maiorem) et surtout destinée à l’autel majeur, “iuxta” peut signifier au dessus, suspendue, ou enfoncée dans un support. Nous savons d’une croix, avec le nom de Léon IV, dont la “virga in qua cruce continetur” fut réargentée et laquelle “stat parte dextra iuxta altare maiore[39]; la localisation et la fonction de cet élément interroge particulièrement, et pourrait être un renvoi à une croix de procession située auprès de l’autel, une fois encore l’autel majeur, et qui nécessitait un support éventuellement fixe.

Les donations de croix regardent aussi les autels latéraux. Le Pape Hilaire donne à chacun des oratoires de la Basilica Salvatoris, l’un de Saint Jean l’Evangéliste, l’autre de Saint Jean Baptiste, une “confessio” avec une croix d’or et fait une donation semblable, mais dans ce cas-ci avec le bois de la Sainte Croix, pour l’Oratoire de la Sainte Croix[40]; pour un autre Oratoire de la Sainte Croix, celui de la Basilica Sancti Petri, le Pape Symmaque donne une “confessionem et crucem ex auro[41]. Il apparaît extrêmement significatif que le Liber Pontificalis parle de “confessionem et crucem ex auro” comme d’un ensemble et le lien - ou la citation des deux éléments en association - se retrouve dans plusieurs passages, autant pour les deux Basiliques majeures de l’Urbe que pour Sainte Marie Majeure, pour laquelle des donations de croix pour l’autel ne manquent pas[42].

La connexion entre sépulcre vénéré, autel majeur et croix semble une donnée suffisamment documentée, mais plus ardue se révèle la reconstitution de la disposition strictement liturgique.

L’emphase donnée à certaines donations, la préciosité du matériel utilisé, l’unicité de la pièce donnée, laissent entendre que l’objet était destiné à un usage qui prévoyait centralité, relief et visibilité.

Dans le cadre de Ravenne, nous savons que l’évêque Maximianus “crucem vero auream maiorem ipse fieri iussit et pretiosissimis gemmis et margaritis ornavit[43], revient le terme “maiorem” qui met en évidence la monumentalité que l’objet devait avoir même dans sa localisation. Au VIème siècle, l’évêque Agnellus (557-570) “fecit crucem magnam de argento in Ursiana ecclesia super sedem post tergum pontificis in qua sua effigies manibus expansis orat[44]; l’existence d’une croix d’argent de dimension considérable située au dessus de la cathedra ou au centre de la cuvette absidale, peut renvoyer à une centralité liturgique de l’œuvre métallique[45].

 

A SUIVRE....

 

 

 

* Je voudrais remercier le Rév. Prof. Stefan Heid de l’Institut Pontifical d’Archéologie Chrétienne et le Prof. Philippe Bernard de l’Université d’Aix-en-Provence; est adressée une spéciale et reconnaissante pensée à la Prof. Simonetta Minguzzi de l’université d’Udine

 

[1] Il s’agit d’un débat fleuri autour des visions historicistes du siècle dernier qui a influencé tant l’archéologie que l’historiographie ecclésiastique; les disciplines historiques antiques en furent influencées elles aussi, surtout en rapport à la donnée de la tradition, à laquelle on niait systématiquement la valeur de “source”, Cf. Maurice Blondel, Histoire et dogme. Les lacunes philosophique de l'exégèse moderne, in La Quinzaine 16 janvier 1904, pp. 145-167, 1er février, pp. 349-373, e 16 février, pp. 433-458, repris in Les premiers écrits de Maurice Blondel, Paris, 1956 (Bibliothèque de philosophie contemporaine), pp. 149-228, et in M. Blondel, Œuvres complètes, t. 2, Paris, 1997, pp. 387-453 ; Id., De la valeur historique du dogme, in Bulletin de littérature ecclésiastique 7 (1905), pp. 61-77, repris in Les premiers écrits de Maurice Blondel, pp. 229-245, et in M. Blondel, Œuvres complètes, t. 2, pp. 494-507. Cf. Pierre Gauthier, Newman et Blondel : tradition et développement du dogme, Paris, 1988 (Cogitatio fidei, 147) ; Rèné Virgoulay, Blondel face à l'historicisme : Histoire et dogme, in De Renan à Marrou : l'histoire du christianisme et les progrès de la méthode historique, 1863-1968, Villeneuve-d'Ascq, 1999 (Histoire et civilisations), pp. 83-93 ; Rosanna Ciappa, Rivelazione e storia. Il problema ermeneutico nel carteggio tra Alfred Loisy e Maurice Blondel (febbraio-marzo 1903), Napoli, 2001 (Pubblicazioni del Dipartimento di discipline storiche, 14) ; Louis-Pierre Sardella, Mgr Eudoxe Mignot (1842-1918). Un évêque français au temps du modernisme, Paris, 2004 (Histoire religieuse de la France, 25), pp. 689-699 ; Giacomo Losito, “De la valeur historique du dogme” (1905). L’epilogo del confronto di Maurice Blondel con la storicismo critico di Loisy , in Cristianesimo nella storia 27 (2006), pp. 471-511.

[2] Cf. Martin Klöckener, Conversi ad Dominum in Augustinus-Lexikon, t. 1, col. 1280-1282 ; Id. Die Bedeutung der neu entdeckten Augustinus-Predigten (Sermones Dolbeau) für die liturgiegeschichtliche Forschung, in Augustin prédicateur (395-411). Actes du colloque international de Chantilly (5-7 septembre 1996), Paris 1998, pp. 153-154 ; François Dolbeau, Augustin d'Hippone, Vingt-six sermons au peuple d'Afrique retrouvés à Mayence, Paris 1996, pp. 171-175 e 623 ; Noël Duval, Les églises africaines à deux absides. Recherches archéologiques sur la liturgie chrétienne en Afrique du Nord, Rome, 1971 (BEFAR 218 bis), pp. 303 ss. e 350-351 ; Id., Les installations liturgiques dans les églises paléochrétiennes, in Hortus artium medievalium 5, Zagreb (1999), p. 15 ; Id., Commentaire topographique et archéologique de sept dossiers des nouveaux sermons, in Augustin prédicateur (395-411). Actes du colloque international de Chantilly (5-7 septembre 1996), Paris 1998, pp. 196-198; Id., Architecture et liturgie : les rapports de l’Afrique et de l’Hispanie à l’époque byzantine, in V reunió d’arqueologia cristiana hispànica (Cartagena, 1998), Barcelone, 2000, p. 16; Raymond Étaix, Le sermon 17 de saint Césaire d'Arles. Texte complet, in Philologia sacra. Biblische und patristische Studien für Hermann J. Frede und Walter Thiele zu ihrem siebzigsten Geburtstag, t. 2, Fribourg, 1993 (AGLB 24), pp. 560-567; Sible de Blaauw, In vista della luce, in Arte medievale, le vie dello spazio liturgico, Paolo Piva (ed.), Milano 2010, pp. 15-45.

[3] Marius Lepin, L’idée du Sacrifice de la Messe, Paris 1926, pp. 37-94.

[4] Josef Andreas Jungmann, La liturgie de l’église romaine, Mulhouse 1957, p. 69; la même opinion in Mario Righetti, Manuale di storia liturgica, Milano 1964, t. I, p. 535; les deux textes ont un caractère de manuel, mais l’opinion sur la position de la croix relatée par eux a eu une diffusion considérable même dans les milieux spécialisés, malgré le fait qu’elle manquait d’un solide fondement archéologique.

[5] Michel Andrieu, Les Ordines Romani du Haut Moyen Age 2, Louvain, 1948, pp. 67 et ss.

[6] Louis Grodecki, Florentine Mutherich, Jean Taralon, Le siècle de l’an mil, 1973, p. 157.

[7] Ibidem, p. 108, 109.

[8] Bibliotheca Sanctorum, Roma 1961-1969, vol. VII, p. 864 s.

[9] Evodio Assemani, Acta Hipparchi, Philothei et sociorum, in Acta sanctorum martyrum orientalium et occidentalium, II, Romae 1748, pp. 124-147.

[10] Ibidem, p. 125.

[11] Erik Peterson, La Croce e la preghiera verso Oriente in Ephemerides Liturgicae, vol. 59 (1945), p. 52.

[12] Au sujet du lien symbolique, fréquent dans la littérature des Pères, entre Christ Rédempteur et la lumière du Christ “Soleil de salut” : Franz Joseph Dölger , Sol salutis. Gebet und Gesang im christlichen Altertum, Münster, 2 ed., 1925 (LQF 4/5); Martin Wallraff, Christus verus sol. Sonnenverehrung und Christentum in der Spätantike, Münster, 2001 (JAC, Ergänzungsband 32). Cf. aussi Ignazio Tantillo, L’impero della luce. Riflessione su Costantino e il sole, in MEFRA 115 (2003), pp. 985-1048, e Stephan Berrens, Sonnenkult und Kaisertum von den Severern bis zu Constantin I. (193-337 n. Chr.), Stuttgart, 2004, pp. 229-234 (Historia Einzelschriften 185).

[13] Tert., Apol. XVI, (ed. E. Dekkers, CCL 1/1).

[14] F.J. Dölger, Sol Salutis.

[15] Klaus Gamber, Conversi ad Dominum, in Romische Quartalsschrift fur christiliche Altertumskunde und fur Kirchengeschichte 67 (1972), pp. 49- 64.

[16] Jean Baptiste Abbeloos, Acta Mar Kardaghi martyris, Bruxelles 1890, p. 34 s.; Anton Baumstark, Geschichte der syrischen Literatur, Bonn 1922, l’auteur date les actes au VIème siècle; on ne peut pas déduire avec certitude à quelle époque ait vécu le Saint, mais, en s’agissant d’un Père Abbé on a émis l’hypothèse qu’il n’ait pas vécu avant le IVème siècle; E. Peterson, La Croce, p. 53.

[17] [Io. Chr.], Hom. in Matth. LIV, 4 (P.G. 58, 537); cf. aussi Io. Chr., Contra Iudeos et Gentiles (P.G. 48, 826).

[18] Orig., De orat., 32 (ed. Koetschau, GCS 3).

[19] Tert., Advers. Marcion., III, 22 (ed. Kroymann, CCL 1/1). ; F.G. Dölger, Sol salutis, p.173.

[20] E. Peterson, La Croce, p. 63.

[21] Mt, 24, 30.

[22] Uwe Michel Lang, Rivolti al Signore, Siena 2006, passim.

[23] Min. Fel., Oct., IX, 4 (ed. B. Kytzler, “Bibliotheca Teubneriana”). Enrico Cattaneo, Il culto cristiano in Occidente, Roma 1992, pp. 59-60, Carlo Maria Kaufmann, Manuale d’Archeologia Cristiana, Roma 1992, pp. 59-60.

[24] Guglielmo Matthiae, Le chiese di Roma dal IV al X secolo, Rocca San Casciano 1962, p. 24.

[25] cf. Richard Krautheimer, Architettura sacra, passim.

[26] Louis Duchesne, Liber pontificalis, Roma 1880, (LP), pp. 172- 176; cf. aussi Eus., V. C., III, 45; IV, 46 (ed. Winkelmann, GCS 7/1). La fiabilité des listes contenues dans le Liber pontificalis a été confirmée par des récentes études, qui ont mis en évidence la véracité des données concernant la liste de propriétés terriennes, R. Krautheimer, Architettura sacra paleocristiana e medievale, op. cit., p. 22; cf. aussi Hermann Geertmann, Hic Fecit Basilicam, Leuven 2004.

[27] Sible de Blaauw, Cultus et Decor, liturgia e architettura nella Roma tardo antica e medievale, Città del Vaticano 1994.

[28] Theodor Klauser, Die konstantinischen altäre der Lateranbasilika, in Römische Quartalsschrift fur christliche Altertumskunde und für Kirchengeschichte, 43, 1935, pp. 179-186.

[29] Ursula Nilgen, Das fastigium in der basilica constantiniana un vier bronzesaulen des Lateran, in Romische Quartalsschrift fur christiliche Altertumskunde und fur Kirchengeschichte, 72, 1977, pp. 20 ss.

[30] Angela Donati (ed.), Dalla Terra alle Genti, Milano 1996, p. 327; Margherita Guarducci, La capsella eburnea di Samagher, un cimelio di arte paleocristiana nella storia del tardo impero, Trieste 1978 (Estratto da Atti e memorie della Società Istriana di Archeologia e storia Patria, vol. 78, 1978, pp. 5-141).

[31] S. de Blaauw, Cultus et Decor, t. 2, p. 470 et ss.

[32] Ibidem, t. 2, pp. 485-492, pp. 566-579 e fig. 19, l’auteur propose aussi une éventuelle croix à l’intérieur d’une niche sur le front de l’autel en bas.

[33] LP, 34, 17; H. Geertmann, Hic Fecit Basilicam, p. 63.

[34] LP, 34, 21.

[35] LP, 62, 2.

[36] LP, 59, 2.

[37] LP, 98, 49 .

[38] LP, 98, 87.

[39] LP, 105, 56.

[40] LP, 48, 2-3.

[41] LP, 53,7.

[42] LP, 98, 50; 98, 86.

[43] Giuseppe Bovini, Suppellettile d’oro e d’argento nelle antiche chiese di Ravenna in Corsi di cultura sull’arte ravennate e bizantina (1975), Ravenna, pp.139 e ss.

[44] Ibidem.

[45] G. Bovini, ”Le imagines Epicoporum” Ravennae ricordate nel Liber Pontificalis di Andrea Agnello”, in Corsi di cultura sull’arte ravennate e bizantina (1974), Ravenna, pp. 58, 61.

 

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La courageuse lettre ouverte de Mgr Lenga

par Disputationes theologicae

27 février 2015

 

Que disent la Fraternité Saint Pierre et l’Institut du Bon Pasteur, ainsi que ceux qui les soutiennent?

Ont-ils perdu la liberté de dire la vérité pour s’assurer «les marmites de viande» (Ex. 16, 3)?

 

Nicolas Fulvi

 

 

Réflexions sur différents problèmes actuels

touchant à la crise de l’Eglise Catholique

 

 

J’ai connu personnellement de nombreux prêtres internés dans les prisons et les camps staliniens, mais qui sont restés fidèles à l’Eglise. A l’époque de la persécution ils ont exercé avec amour leur devoir sacerdotal d’annoncer la doctrine catholique tout en menant une vie digne à la suite du Christ, leur divin maître.

Moi-même j’ai effectué toutes mes études dans un séminaire clandestin d’Union Soviétique tout en travaillant de mes mains pour gagner mon pain quotidien. J’ai été ordonné prêtre en secret, la nuit, par un évêque qui avait lui-même souffert pour sa foi. Dès ma première année de sacerdoce j’ai été expulsé du Tadjikistan par le KGB.

Par la suite, au cours de mes 30 années de séjour au Kazakhstan, j’ai servi 10 ans comme prêtre en desservant les fidèles de 81 paroisses. Ensuite j’ai été nommé évêque, dans les premiers temps à la tête de cinq Etats d’Asie centrale s’étendant sur une surface d’environ quatre millions de km².

Etant évêque j’ai été en contact avec le saint pape Jean Paul II, avec de nombreux évêques, prêtres et fidèles de différents pays dans les circonstances les plus diverses. J’ai été membre des synodes des Evêques au Vatican ayant pour sujets « l’Asie » et « l’Eucharistie ».

Tout cela - et bien d’autres choses encore – m’autorise à exprimer mon avis sur la crise actuelle de l’Eglise catholique. Ces convictions qui sont les miennes sont dictées par mon amour pour l’Eglise ainsi que par le désir de sa véritable rénovation dans le Christ. Je me vois forcé de choisir la forme d’une lettre ouverte, étant donné que tout autre procédé de communication se heurterait à un mur de silence total et de volonté d’ignorer.

Je suis tout à fait conscient des possibles réactions à ma lettre ouverte. Pourtant la voix de ma conscience ne me permet pas de me taire quand l’œuvre de Dieu se trouve outragée. C’est Jésus-Christ qui a fondé l’Eglise et Il a montré en paroles et en actes la façon dont doit être accomplie la volonté de Dieu. Les Apôtres auxquels Il a transmis l’autorité dans l’Eglise ont accompli avec zèle la tâche qui leur avait été confiée en souffrant pour la vérité à proclamer, car ils ont « obéi à Dieu plutôt qu’aux hommes ».

Malheureusement de nos jours il devient de plus en plus évident qu’au Vatican à travers la Secrétairerie d’Etat on a emprunté la voie du politiquement correct. Certains nonces sont au plan de l’Eglise universelle des diffuseurs du libéralisme et du modernisme. Ils se sont appropriés le principe du « sub secreto Pontificio » par lequel on cloue habilement le bec des évêques. On leur fait comprendre que ce que dit le nonce est pratiquement ce que souhaite le Pape. Avec de telles méthodes les évêques sont séparés les uns des autres, si bien que les évêques d’un pays donné ne sont parfois plus à même de parler d’une seule voix dans l’esprit du Christ et de l’Eglise pour défendre la foi et la morale. Pour ne pas tomber en disgrâce auprès des nonces, certains évêques acceptent leurs recommandations qui ne reposent que sur leurs propres paroles. Au lieu de diffuser la foi avec zèle, de proclamer courageusement l’enseignement du Christ, de tenir bon dans la défense de la vérité et de la morale, les évêques, lors des conférences épiscopales, s’occupent souvent de choses qui n’ont rien à voir avec les devoirs des successeurs des Apôtres.

Dans tous les domaines de l’Eglise on remarque une diminution notable du «sacrum». C’est «l’esprit du monde» qui mène paître les bergers. Ce sont les pécheurs qui indiquent à l’Eglise comment elle doit être à leur service. Dans leur embarras les pasteurs taisent les problèmes actuels et en fait se paissent eux-mêmes. Le monde est tenté par le diable et s’oppose à l’enseignement du Christ. Mais pourtant les pasteurs sont tenus – que cela leur plaise ou non - d’enseigner toute la vérité sur Dieu et les hommes.

Sous le pontificat des derniers saints papes on a pourtant observé un grand désordre concernant la pureté de la doctrine et la sacralité de la liturgie. C’est précisément dans la liturgie qu’on refuse à Jésus-Christ le respect visible qui Lui est dû. Dans nombre de conférences épiscopales les meilleurs évêques sont « persona non grata ». Où sont alors les Apologistes d’aujourd’hui qui annoncent clairement et de façon compréhensible aux gens les dangers menaçants de la perte de la foi et de celle du salut ?

De nos jours la voix de la plupart des évêques ressemble plus au silence des agneaux face aux loups enragés, les fidèles dans ce cas sont souvent comme des brebis sans défense. Les hommes ont reconnu le Christ comme étant celui qui parlait et agissait, comme celui qui détenait l’autorité et qui transmit cette autorité à ses Apôtres. Dans le monde d’aujourd’hui les évêques devraient se détacher de tous les liens du monde, et, après avoir fait pénitence, ils devraient se convertir au Christ, afin que, fortifiés par l’Esprit Saint, ils proclament courageusement que le Christ est le seul Sauveur. Au final tout un chacun aura à rendre compte à Dieu de ce qu’il aura fait et de ce qu’il n’aura pas fait.

Il me semble que cette voix bien peu audible de nombreux évêques est une conséquence de ce que, lors du choix des nouveaux évêques, les candidats sont examinés de façon insuffisante, surtout en ce qui a trait à la fermeté exempte de doute, à l’intrépidité dans la défense de la foi, à la fidélité aux traditions séculaires de l’Eglise et à la piété personnelle. De toute évidence, lors de la nomination de nouveaux évêques et même de cardinaux, on tient parfois plus compte des critères d’une certaine idéologie, voire d’impératifs dictés par des groupes très éloignés de l’Eglise. De même, la bienveillance des mass-médias semble être un critère important. Ces mêmes médias qui ridiculisent habituellement les candidats « trop saints » et diffusent d’eux une mauvaise image, vont faire les louanges de candidats qui possèdent moins l’esprit du Christ, les présentant comme ouverts et modernes. Par ailleurs seront mis intentionnellement sur la touche les candidats qui se distinguent tant par leur zèle apostolique que par leur courage à proclamer l’enseignement du Christ et par leur amour de tout ce qui est saint et sacré.

Un nonce m’a dit un jour : « Dommage que le pape (Jean Paul II) ne prenne pas part personnellement à la nomination des évêques. Le pape a tenté de changer un peu les choses dans la Curie romaine, mais il n’y est pas parvenu. Il vieillit et les choses reprennent leur cours d’avant».

Au début du pontificat de Benoît XVI je lui ai envoyé une lettre dans laquelle je lui demandais de nommer de saints évêques. Je lui racontai l’histoire d’un fidèle allemand qui, à la suite de la décadence de l’Eglise dans son pays après le concile Vatican II, resta fidèle au Christ et rassembla autour de lui la jeunesse pour l’adoration et la prière. Lorsqu’il était près de mourir et qu’il apprit l’élection du nouveau pape, il dit ceci : « Si le pape Benoit utilisait son pontificat ne serait-ce que pour nommer de bons et fidèles évêques, il aurait accompli sa mission ».

Malheureusement le pape Benoît XVI de toute évidence n’y est souvent pas parvenu. On a peine à croire que le pape Benoît XVI ait renoncé en toute liberté à sa tâche de successeur de Pierre. Ce pape était à la tête de l’Eglise, mais son entourage n’a pratiquement pas appliqué son enseignement, il l’a plutôt passé sous silence ou bloqué ses initiatives pour une vraie réforme de l’Eglise, de la liturgie, de la manière de distribuer la communion. Face à la détermination du Vatican de garder le secret il était absolument impossible à nombre d’évêques d’apporter une aide au pape dans sa tâche de chef de l’Eglise.

Il ne devrait pas être superflu de rappeler à nos frères évêques la déclaration d’une loge maçonnique italienne datant de 1820 : « Notre travail est un travail de centaines d’années. Laissons de côté les vieux et allons vers la jeunesse. Les séminaristes deviendront alors des prêtres avec nos idées libérales, puis ils deviendront évêques avec nos idées libérales. Ne nous flattons pas de faux espoirs. Nous ne ferons jamais du pape un franc-maçon. Mais des évêques libéraux qui œuvreront dans l’entourage du pape lui proposeront dans la gouvernance de l’Eglise des idées qui nous seront favorables et le pape les appliquera ». Cette intention des francs-maçons se réalise de toute évidence dans une mesure suffisante et elle devient de plus en plus manifeste, et cela non seulement grâce aux ennemis déclarés de l’Eglise, mais aussi avec l’aide de faux témoins qui occupent des places de haut rang dans la hiérarchie de l’Eglise. Ce n’est pas sans raison que le bienheureux pape Paul VI a déclaré : « Par quelque fissure la fumée de Satan est entrée au sein du temple de Dieu ». Je pense que cette fissure aujourd’hui s’est passablement agrandie. Le diable utilise toutes ses forces pour renverser l’Eglise du Christ. Toutefois, afin que cela ne se produise pas, il est nécessaire de revenir à une proclamation claire et nette de l’évangile à tous les niveaux du service ecclésial, car l’Eglise possède tout pouvoir et toute grâce que le Christ lui a donnés, lorsqu’Il a dit : « Tout pouvoir m’été donné au ciel et sur la terre. Allez et enseignez toutes les nations, et exhortez-les à suivre tout ce que je vous ai enseigné. Je suis avec vous jusqu’à la fin du monde » (Mt.28, 18-20), « la vérité vous rendra libres » (Jn. 8, 22) et « que votre langage soit : Oui ? oui, non ? non : ce qu’on dit de plus vient du mauvais » (Mt.5, 37). L’Eglise n’a pas à s’adapter à l’esprit du monde, mais elle se doit de le changer grâce à l’esprit du Christ.

De toute évidence au Vatican on cède de plus en plus au tapage des mass-médias. Et il n’est pas rare que pour plaire aux mass-médias et au nom d’une paix incompréhensible on sacrifie les meilleurs de ses fils et de ses serviteurs. Alors que les ennemis de l’Eglise n’abandonneront pas leurs fidèles serviteurs, même si leurs mauvaises actions sont manifestes.

Si nous restons fidèles au Christ en paroles et en actes, Il trouvera Lui-même les moyens de changer les cœurs et les âmes des hommes et par là-même le monde changera également au temps voulu.

Aux époques de crise de l’Eglise Dieu utilisa souvent pour son véritable renouveau les sacrifices, les larmes et les prières de ses enfants et des serviteurs de l’Eglise qui, aux yeux du monde et de la bureaucratie de l’Eglise, étaient considérés comme insignifiants ou qui, en raison de leur fidélité au Christ, furent persécutés et marginalisés. Je suis convaincu que dans les temps difficiles que nous vivons cette loi du Christ se réalise et que l’Eglise va se renouveler. Toutefois cela présuppose de notre part un véritable renouveau et une véritable conversion.

 

1er janvier 2015, en la fête de Marie, Mère de Dieu

 

+ Jan Pawel Lenga

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L’exhumation intéressée du Père Dupuis

par Disputationes theologicae

Répétition générale de Vatican III, contre Dominus Jesus

 

29 Janvier 2015, Saint François de Sales


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Alberto Melloni avec Enzo Bianchi

 

Ce n’est pas un hasard si depuis quelque temps, dans l’actuel cadre doctrinal et ecclésial complexe, soit en marche - avec une vraie et propre “liquidation” organisée de Dominus Jesus - une œuvre de mise en valeur des théories du jésuite Jacques Dupuis, dont la condamnation, sous le Pontificat de Jean Paul II, fut un événement d’une portée non secondaire. Au nom du fameux “Esprit du Concile” (désormais Vatican III ou IV) ont été aussi avancées des accusations ouvertes contre le Cardinal Ratzinger à l’époque - Benoît XVI -, en affirmant que le Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi n’aurait pas été en harmonie avec Jean Paul II (1). Dans cette opération ce dernier est présenté - par une manœuvre politique sans trop de scrupules - comme proche même des théories (héréticales) du Père Dupuis. On méconnait que le Pape Jean Paul II dédia l’Angelus du 1er octobre 2000 à la Déclaration Dominus Jesus, et qu’il répondait déjà : “c’est moi qui l’ai voulue, elle est parfaitement conforme à ma pensée” (2), comme relaté même dans les témoignages rendus par le Cardinal Tarcisio Bertone, à l’époque Secrétaire de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Au même endroit (le livre “L’ultima veggente di Fatima”), le Cardinal témoigne aussi de l'intéressante genèse du dit document : à ce même Pontife étaient parvenus de nombreux témoignages de missionnaires du monde entier, selon lesquels la vague œcuméniste était en train d’apporter un dommage à la vigueur missionnaire (3).

Les fauteurs de Vatican Trois en effet ont une spéciale antipathie pour la Déclaration Dominus Jesus, vue comme un texte qui voulut poser, quoique avec les limites des textes de compromis, un frein au projet d'extrême dissolution des contenus de la foi. La dissension ne se limite pas à des parties accidentelles ou à ce qui pourrait, dans une certaine mesure, être encore une question ouverte, mais elle se déchaine spécialement sur le fond du sujet, c’est-à-dire sur l’unicité du salut en Jésus-Christ et seulement par Lui, en diffusant dans les faits l’hérésie ouverte. Une telle contestation, qui couve discrètement sous les cendres depuis des années (en février 2011 notre revue avait écrit L’Osservatore Romano attaque "Dominus Jesus" et la Commission Ecclesia Dei), entraine aussi l’autre texte connexe à la problématique et malheureusement connu presque seulement par les spécialistes, la Notification sur le livre du Père Dupuis (4). C’est sur cette dernière que nous nous arrêterons; en effet, elle - plus concise et plus ponctuelle que Dominus Jesus à laquelle elle renvoie - utilise des expressions qui ont la “faute” d’un certain courage doctrinal et d’une certaine netteté expressive. Affirmations qui, ce n’est pas un hasard, ont attiré les violentes attaques de “l’Ecole de Bologne” et aussi de ceux qui - sur la famille et le mariage - voudraient justifier théologiquement le divorce entre l’Evangile du Christ et un nouveau “souffle de l’Esprit”. Un dessein théologique (ou plutôt idéologique) assez vaste.

 

Le Père Dupuis et la condamnation des doctrines hérétiques

Le Père Jacques Dupuis, jésuite, nait en Belgique en 1923. Le religieux passe une grande partie de son activité en Inde où il s’interroge sur la question du salut pour ceux qui se trouvent en dehors de l’Eglise catholique; nait ainsi un intérêt pour la dite “théologie (même là où il n’y a pas de théologie) des religions non chrétiennes”. En 1984, il est appelé à enseigner à la Grégorienne, en recevant aussi la nomination de consulteur du Conseil Pontifical pour le dialogue interreligieux. Grâce au prestige de l’enseignement dans une telle Athénée, sa pensée “théologique” acquiert de la notoriété et des consensus, pas seulement dans l’Urbe, jusqu’en 1997 lorsqu’il publie son livre : “Vers une théologie chrétienne du pluralisme religieux”. C’est le moment où le Père Dupuis fait “le grand saut”, selon les dire de nombreux collègues qui ne sont pas hostiles à la figure du jésuite; c’est en effet le moment où se fait clair le passage vers les positions du “pluralisme inclusif” ou “inclusivisme pluraliste”, comme on veut.  Que ces termes n’impressionnent pas, leur contenu - quoique en continuelle évolution interprétative - sera expliqué par la suite; pour l’instant nous remarquons seulement que si d’un côté ils sont utiles aux théologiens pour cataloguer les lignées de pensée (même hétérodoxes), d’un autre côté ils servent aussi à faire passer en douce comme “théorie soutenable parmi tant d’autres” ce qui n’est par contre qu’hérésie pure et simple (5).

Nous posons comme prémisse que pour la doctrine de l’Eglise le salut en dehors des confins visibles de l’Eglise catholique n’est pas impossible, et - sans attendre la découverte des Amériques, ni les théoriciens de “l’inclusisivisme pluraliste” d’aujourd’hui - Saint Thomas en parle déjà (6), mais une telle union au Christ Sauveur arrive “malgré” l’appartenance aux fausses religions. C’est-à-dire que l’appartenance à celles-ci n’est absolument pas cause de salut, parce qu’elles ne sont pas instrument de la grâce du Christ, au contraire en elles-mêmes elles sont un obstacle au salut. Il est vrai cependant qu’accidentellement peuvent être présent en elles certaines vérités en tant que dérivées de la Révélation primitive, de la loi naturelle ou aussi d’une intervention surnaturelle (quoad modum) qui n’est pas impossible dans des cas singuliers, qui ne renvoient pas à la fausse religion en tant que telle. C’est le cas par exemple, traditionnellement admis, des Sibylles païennes, lesquelles purent prophétiser le vrai sur le Christ. Jamais cependant l’intervention divine accrédite de telles fausses religions, mais elle permet seulement qu’en elles demeurent des lueurs de vérité, pour que soit facilité l’abandon de l’erreur et qu’on rentre - ou du moins qu’on ait le désir même seulement implicite d’entrer (cf Mystici Corporis) - dans l’unique Arche de salut : l’Eglise Catholique, Apostolique et Romaine, c’est-à-dire l’unique société surnaturelle visible qui soit médiatrice de salut.

Qu’est ce donc que le dit “pluralisme inclusif” ou “l’inclusivisme pluraliste” de Dupuis, dont Enzo Bianchi - fraichement nommé consulteur au Conseil Pontifical pour l’unité des chrétiens - avait fait l’éloge sur Avvenire du 22 septembre 1997 : “contribution très précieuse, presqu’un guide, une boussole, qui peut orienter le chemin de la théologie chrétienne face au troisième millénaire entrant” ? En quoi consiste une telle doctrine que l’Ecole de Bologne aussi apprécie et propage avec tant d’enthousiasme ?

Comme le sait bien celui qui connait la tactique des modernistes, ils affirment rarement de façon claire ce qui est condamné ouvertement par l’Eglise, ils insinuent plutôt des contenus dangereux pour le dogme - même en se rétractant si nécessaire dans d’autres contextes - pour ensuite revenir à la charge avec une dose de venin plus grande encore. Très souvent ensuite ils font usage de la donnée subjectivo-immanente, en concentrant l’analyse sur les intentions internes (et insondables) des auteurs, d’ailleurs interprétées de façon élastique et “utile”, plutôt que sur la signification des mots ou des textes.

Une fois cette prémisse posée et pour en venir au Père Dupuis, du fait que son cœur n’est connu que par Dieu et du fait que les récentes déclarations-interprétations d’Alberto Melloni (7) à ce sujet ne sont pas pleinement vérifiables, à cause aussi de la mort de l’auteur, il faut s’en tenir - comme toujours dans ce cas - à la seule donnée objective. Telle a toujours été l’attitude du Saint Office, qui condamne ou approuve le sens objectif des phrases écrites ou dites. Si par ailleurs l’auteur avait une intention différente ou s’il s’est mal exprimé, tant mieux, cela voudrait dire que sa faute est moindre ou même nulle, mais cela n’enlève pas qu’un texte puisse être hérétique et donc dommageable pour la foi, et qu’en conséquence il soit à sanctionner publiquement. Si ensuite l’auteur est honnête, il peut se rétracter, accepter la doctrine catholique dans sa claire formulation traditionnelle et, s’il n’a jamais voulu la corrompre, il serait aussi une bonne chose qu’il s’excuse humblement envers l’Eglise - Fénelon le fit de la chaire - pour le dommage involontaire apporté aux âmes. Nous ajoutons aussi l’affirmation, pour ceux qui veulent vraiment rester sur le terrain subjectif, que fit Jacques Dupuis lui-même, lequel suite à l’acceptation de la Notification de 2001 confirmait “ sa volonté de rester fidèle à la doctrine de l’Eglise et à l’enseignement du Magistère”(8).

En faisant maintenant abstraction des dispositions internes du jésuite cité, dont l'intérêt - en dépit de l’instrumentalisation qu’en fait la faction progressiste - est en soi assez relatif, nous remarquons que le “pluralisme inclusif” du livre en question non seulement cherche à expliquer les voies mystérieuses de Dieu, qui ne dédaigne pas d’offrir une certaine possibilité de salut aussi aux non catholiques, mais il ouvre même la route à des voies de salut qui ne passeraient pas par Jésus-Christ. De telles voies - parmi lesquelles celle de l’hindouisme, bien connu par Dupuis - seraient possible en vertu d’une étrange œuvre universelle du Verbe ainsi que de celle de l’Esprit. Les fausses religions ne seraient même plus des instruments à inclure - thèse déjà en soi digne de censure - dans le projet salvifique du Christ, qui se servirait d’elles en tant que telles pour infuser la grâce, mais on s’aventure même dans une idée de “complémentarité” des autres religions par rapport au Christianisme. Cela serait comme si le salut, à travers le Verbe et l’Esprit, devenait possible même dans les fausses religions non seulement “malgré elles” comme l’affirme la droite doctrine; non seulement “en se servant d’elles, quoique non principalement”, ainsi que le dit un certain “relativisme modéré” appelé (euphémistiquement) “christocentrisme inclusif”; mais même “par elles” en tant que “voies complémentaires” - de fait alternatives - au salut par Jésus-Christ. Nous sommes face à la recherche d’un fondement spéculatif pour une structure qui apparait plutôt comme une sorte de relativisme “inclusivo-panthéiste”. Le Père Dupuis - avec une certaine cohérence interne - arrive à s’interroger sur comment et quand se réalisera la souhaitée “convergence universelle” de toutes les religions, mais il utilise aussi des expressions sur la “complémentarité réciproque” et sur l’effectif “enrichissement et transformation réciproques” que de telles religions peuvent apporter au Christianisme et cela non seulement dans l’ordre socio-culturel mais même dans l’ordre surnaturel du salut (9).

 

La condamnation des hérésies connexes à l’œuvre de Dupuis

Le 24 janvier 2001, après une longue analyse et avec des mots qui ne manquent pas de trouver des excuses subjectives pour l’auteur, par ordre du pape Jean Paul II, le préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, à l’époque le Cardinal Ratzinger, “dans le but de sauvegarder la doctrine de la foi catholique d’erreurs, d’ambiguïtés ou d’interprétations dangereuses” - lit-on dans le Préambule - signe la Notification sur le livre du P. Jacques Dupuis, s.j.,«Vers une théologie chrétienne du pluralisme religieux». La Notification avec un ton assez clair (les mots en gras sont de la Rédaction) affirme d’abord qu’ “il faut croire fermement que Jésus-Christ, Fils de Dieu fait homme, crucifié et ressuscité, est le médiateur unique et universel du salut de toute l’humanité” (n°1). Ensuite - les erreurs du Père Dupuis altérant plus ou moins indirectement aussi la doctrine de l’union hypostatique et de la divinité du Christ - la Notification affirme : “Il faut aussi croire fermement que le Jésus de Nazareth, Fils de Marie et seul Sauveur du monde est le Fils et le Verbe du Père. En raison de l’unité du plan divin de salut, qui a son centre en Jésus-Christ, il faut tenir en outre que l’œuvre salvifique du Verbe est accomplie dans et par Jésus-Christ, Fils incarné du Père, en tant que médiateur du salut de toute l’humanité. Il est donc contraire à la foi catholique non seulement d’affirmer une séparation entre le Verbe et Jésus ou une séparation entre l’action salvifique du Verbe et celle de Jésus, mais aussi de soutenir la thèse d’une action salvifique du Verbe comme tel, dans sa divinité, indépendamment de l’humanité du Verbe incarné” (n°2).

Elle déclare aussi qu’il n’y a aucune complémentarité des autres religions dans la voie du salut parce que : “la révélation historique de Jésus-Christ offre tout ce qui est nécessaire pour le salut de l’homme et n’a pas besoin d’être complétée par d’autres religions” et qu’ “il est donc contraire à la foi de l’Eglise de soutenir que la révélation par/en Jésus-Christ soit limitée incomplète ou imparfaite” (n°3).

Ainsi il est aussi “contraire à la foi catholique de considérer les diverses religions du monde comme des voies complémentaires à l’Eglise pour ce qui est du salut” (n°6). Et “considérer comme voies de salut ces religions, prises comme telles, n’a aucun fondement dans la théologie catholique; en effet, elles présentent des lacunes, des insuffisances et des erreurs sur les vérités fondamentales regardant Dieu, l’homme et le monde” (n°8).

On ne peut pas parler non plus d’un “souffle de l’Esprit Saint” qui dépasse l’Evangile et qui va au-delà de Jésus-Christ et de Ses paroles de vie éternelle : “La foi de l’Eglise enseigne que l’Esprit Saint, à l’œuvre après la résurrection de Jésus-Christ, est encore l’Esprit du Christ envoyé par le Père qui opère de manière salvifique aussi bien dans les chrétiens que dans les non-chrétiens. Il est donc contraire à la foi catholique de considérer que l’action salvifique de l’Esprit Saint puisse s’étendre au-delà de l’unique économie salvifique universelle du Verbe incarné” (n°5).

 

Un texte encombrant

Il est notoire que les ennemis de la Notification sur le livre de Dupuis n’aiment pas non plus Dominus Jesus, mais la Notification  en raison de certaines condamnations laconiques de ce qui est “contraire à la foi catholique” et en raison de certaines affirmations circonscrites de ce “qu’il faut croire fermement”, demeure pour eux le texte le plus odieux de ces dernières années. Et cela bien au-delà des seules discussions théologiques sur la pensée du jésuite belge. L’enjeu est bien plus élevé et en même temps plus concret. Il suffit de la relire rapidement - elle est même assez courte - pour s’en rendre compte LINK (ici le texte intégrale).

En effet, la haine récemment déversée sur ce texte a aussi pour  raison une actualité plus brulante. Les thèses connues et insoutenables qu’on voulait imposer au récent Synode sur la famille, on le sait, ont été précédées par une œuvre “théologique” qui permettait “d’outrepasser” l’obstacle posé par les trop claires paroles du Christ. Il était nécessaire de poser l’hypothèse d’un “souffle de l’Esprit” qui sauve les hommes “au-delà” de ce qu’ils appellent “l'événement Christ”, en permettant ainsi d’aller “au-delà” des paroles de l’Evangile. Ce n’est pas un hasard si “l’aspect théologique” qu’on voulait donner à certaines thèses synodales sur l'accès sans distinction à l’Eucharistie - courageusement refusées, du moins en 2014 - était celui de faire un parallélisme avec “la largeur” des voies de salut des non chrétiens. “Voies” qui pourraient aller d’une certaine façon même “au-delà du Christ” (quoiqu’en sauvant la façade par quelques éventuelles référence à Lui) et “au-delà de Sa loi”... De tels discours ont été tenus ouvertement surtout pendant la préparation du Synode (qu’on voit à ce sujet la présentation en juin 2014 du Documentum laboris) et ils ont aussi leurs lointaines racines doctrinales dans cette notion de salut et de grâce que la Notification condamne. En effet, le document affirme qu’un vague “souffle de l’Esprit” - pas “Saint” parce que séparé du Christ et de son Evangile qui ne peuvent jamais être “outrepassés” - n’est pas et ne sera jamais cause de salut universel. Il s’en suit donc au moins un redimensionnement indirect des autres théories dérivées du “spiritualisme panthéiste”, si cher à une certaine littérature allemande (Cf. L’influence de Luther derrière la “thèse Kasper”?).

Au sujet de l’apparent et postérieur retour du Père Dupuis aux erreurs qu’il avait déjà réprouvés, nous remarquons que cette donnée, tout en n’étant pas à exclure, est cependant à nuancer par rapport à l’instrumentalisation des publications actuelles; la plupart des affirmations se fondent en effet sur des textes que l’auteur ne publia pas de son vivant. Nous rappelons aussi que la Notificationapprouvée par le Saint Père [Jean Paul II ] durant l’audience du 24 novembre 2000, a été présentée au Père Jacques Dupuis et acceptée par lui. En signant ce texte, l’Auteur s’est engagé à reconnaître les thèses énoncées et à s’en tenir à l’avenir, dans ses activités théologiques et ses publications aux contenus doctrinaux indiqués dans la Notification” (10).

En conclusion, il faut souligner que le problème implique toute l’Eglise, bien au-delà des événements personnels du complexe jésuite. A ceux qui utilisent le défunt pour des manœuvres politico-idéologiques, nous répondons : Iam parce sepulto. Et nous ajoutons que si la pertinace obstination dans l’erreur et dans l’hérésie que dans les faits on lui attribue peut bénéficier peut-être de circonstances atténuantes, par contre de ce privilège bienveillant ne peuvent pas en bénéficier ceux qui s’obstinent sans retenue et continuent aujourd’hui à défendre des thèses condamnées même sévèrement, jusqu’au point de s’opposer dans les pages des grands quotidiens et même dans un cadre théologique autorisé - avec une persévérance luciférienne - à l’évidence de la doctrine catholique.

 

La Rédaction de Disputationes Theologicae

 

__________

 

1) Cf. A. Melloni, “La salvezza è di tutti, non sono eretico”, attacco a Dupuis per colpire Woytila, in Corriere della Sera, 4 gennaio 2015, p. 12.

2) T. Bertone, L’ultima veggente di Fatima, Milano 2007, p. 113.

3) Ibidem, p. 112.

4) Congregation pour la Doctrine de la Foi, Notification sur le livre du P. Jacques Dupuis, s. j., “Vers une théologie chrétienne du pluralisme religieux”  Paris, Cerf 1997, 24 janvier 2001 [Notification].

5) Cf. par exemple l’encadrement générale de la question chez P.F. Knitter, Introduzione alle Teologie delle Religioni, Brescia 2005; cf. aussi F. Patsch, Metafisica e religioni: strutturazioni proficue, una teologia delle religioni sulla base dell’ermeneutica di Karl Rahner, Roma 2011, pp. 389 e ss.

6) Sur les effets du “Baptême de désir” cf. S. Th., IIIa, q. 68, a. 2 corpus; IIIa, q. 69, a. 4, ad secundum; Ia IIae, q. 106, a. 1, ad tertium.

7) Cf. note 1.

8) Notification, cit., Préambule.

9) Jacques Dupuis, Verso una teologia cristiana del pluralismo religioso, Brescia, 1997, pp. 19, 439, 337-341, passim.

10) Notification, cit., Préambule.

 

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L’influence de Luther derrière la “thèse Kasper”?

par Disputationes theologicae

publié dans A l'école théologique romaine

Un aspect du dernier Synode sur la Famille

 

                                                                              21 décembre 2014, Saint Thomas Apôtre

 

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Que se cache-t-il derrière la dite “thèse Kasper”, thèse qu’on a essayé d’imposer au dernier Synode, sur l’admission à la Communion eucharistique des divorcés “remariés”? Les facteurs sont multiples et certainement, comme l’a courageusement souligné Socci, il s’agit d’une capitulation totale aux requêtes des “pouvoirs mondains”. Ce n’est pas non plus un hasard si le Cardinal Pell, un des ecclésiastiques qui se sont le plus distingués dans la bataille contre ces attaques, a dit : “c’est un enjeu dans l’affrontement entre ce qui reste du Christianisme en Europe et un néo-paganisme agressif. Tous les adversaires du christianisme voudraient que l’Eglise capitule sur ce point” (au passage, c’est une grande joie de constater qu’il y a eu ici une résistance tenace aux abus de pouvoir par le travail d’une partie du milieu ecclésial modéré, mais en même temps il est douloureux de constater les résistances manquées dans une large partie du milieu Vetus Ordo).

Dans cette brève étude nous voudrions mettre en évidence un aspect non secondaire. La question posée est la suivante : de telles positions, au-delà des prétextes pastoraux présentés, ne sont-elles pas dans une certaine cohérence théologique avec le luthéranisme?

 

La gravité radicale des questions en jeux

La foi est un édifice harmonieux, dans lequel tous les mystères se relient admirablement et s’embrassent dans celui qu’on appelle “nexus mysteriorum”; les dogmes sont tellement liés entre eux et intimement unis, en tant que reflet de l’unité de Dieu, que si on déstabilise une seule “tour” du “château de la foi”, tout l’édifice s’effondre (Léon XIII dans Satis cognitum rappelle qu’on perd la foi en en niant un seul article). Les thèses “kaspériennes”, citées plus haut, en effet, ne peuvent qu’être intimement connexes aux notions de grâce, état de grâce, grâce sanctifiante. Une grave interrogation théologique surgit donc : quelle “théologie” de la grâce, quelle “théologie” des vertus théologales - mais aussi quelle “théologie” sacramentaire - est compatible avec la thèse de donner la communion à des âmes en état de péché mortel ? 

Il est notoire que la “théologie de la grâce” est depuis longtemps contaminée par l’immanentisme, par l’abandon de la saine vision métaphysique de Saint Thomas et plus spécifiquement par les influences d’un certain protestantisme (parfois le luthéranisme au sens strict, parfois ses variantes qui sont le protestantisme libéral et le modernisme). A ce propos dans les articles précédents ont été dénoncées les influences acatholiques, protestantes et idéalistes, dans le domaine doctrinal, exégétique, pastoral, mais aussi ecclésiologique (cf: Le Dieu de Jésus-Christ; l’Ascension, le dogme nié; L’ecclésiologie de Hans Kung). 

Dans cette exposition, après une description synthétique de la doctrine catholique de la grâce en la comparant à ce courant de la pensée protestante, nous aborderons la conséquente notion luthérienne du salut sans mérite pour ensuite conclure sur les conséquences d’une telle hérésie - élaborées de nouveau par la pensée moderniste - qui conduisent tout droit à la démolition des notions catholiques de Sacrement et de Grâce et à la ruine de la vertu d’Espérance elle-même. Espérance qu’on voudrait mettre en valeur mais qui est remplacée par son contraire, c’est-à-dire la capitulation face la situation socio-culturelle de l’instant présent.

Avant de proposer une réponse aux questions soulevées, il ne sera pas inutile de répéter que de tels arguments - y compris la communion aux concubins, pécheurs publics - ne sont pas une matière de libre discussion entre les théologiens, tout simplement parce que la réponse, lorsqu’elle n’est pas inscrite dans le droit naturel, a déjà été donnée par la bouche même du Rédempteur depuis 2000 ans au moins, constamment enseignée par l’Eglise (réaffirmée même par le Magistère qui s’est exprimé récemment) et solennellement définie - au sujet des notions connexes de grâce et de péché - par le Concile de Trente, avec Magistère infaillible. Nous ajoutons aussi que presque la totalité des thèses aujourd’hui traitreusement remises en discussion, comme si on était en train d’opiner sur des sujets discutables, lorsqu’elles ne sont pas explicitement révélées ou définies, sont du moins métaphysiquement connexes au révélé et plusieurs d’entre elles sont patrimoine du Magistère ordinaire infaillible. La technique invétérée des modernistes, par contre, continue à ouvrir des “débats libres” (d’ailleurs avec une liberté à sens unique...) là où la sentence catholique a déjà été prononcée. De fait, les fidèles sont jetés dans le doute et dans la confusion des critères, on diffuse plus ou moins indirectement l’hérésie, tout en évitant d’encourir directement les condamnations de l’Eglise, comme mettait déjà en garde l’encyclique “Pascendi”.

 

Le transitus dans la justification catholique et la notion protestante de “grâce”

La Révélation nous enseigne que, de fils de ténèbres que nous étions, nous pouvons être lavés, purifiés, vivifiés, rendus justes, fils de Dieu, libres, lumineux, nouveaux. La théologie thomiste parle à juste titre d’un “transitus”, d’une “translatio” : l’âme du pécheur qui devient juste passe de l’état d’inimitié avec Dieu à celui d’amitié. La “justification est un passage de l’état de péché à celui de grâce”[1]. Et le Concile de Trente définit infailliblement : “la justification du pécheur est le passage de l’état dans lequel l’homme naît fils du premier Adam à l’état de grâce et d’adoption de fils de Dieu [ Rom 8,15] au moyen du second Adam Jésus-Christ notre Sauveur” [2].

Le changement - dans la doctrine catholique - est réel : l’injuste (dans l’image biblique celui qui n’est pas en état de grâce) devient juste (homme en état de grâce). L’Aquinate enseigne qu’il faut penser à la justification “secundum rationem motus” [3], ce qui veut dire qu’il y a eu un mouvement, on est passé d’un terme duquel on partait au terme opposé, et dans ce cas ce point d’arrivée est l’infusion de la grâce qui avant n’y était pas. Il y a donc une entité nouvelle dans le juste parce que la faute est enlevée et la grâce est infusée dans l’âme [4].

La grâce sanctifiante, cette nouvelle entité, qui habite dans le juste “recréé”, “renouvelé”, “régénéré”, est donc dans le justifié une nouvelle réalité [5]. Réalité créée, en effet elle n’est pas l’Esprit-Saint contre l’opinion de Pierre Lombard; réalité interne, elle n’est pas extrinsèquement imputée sans changement dans les profondeurs de l’âme; réalité permanente, elle est quelque chose d’habituelle, elle n’est pas seulement une grâce actuelle transitoire, elle est surnaturellement stable; réalité ontologique, elle n’est pas l'ensemble d’actes moraux bons, mais elle est réalité métaphysiquement présente dans l’âme du juste, dont l’âme subit un réel “changement”, et est absente chez le pécheur [6]; réalité surtout surnaturelle, elle est une certaine participation à la nature et à la sainteté même de Dieu (2 Pt 1,4), elle n’est pas une disposition naturelle au bien moral, encore moins une fiction de la conscience que l’homme pourrait “s’auto-communiquer”, comme dans les envahissantes perspectives panthéistes [7]. L’Ecole parlera pour la grâce sanctifiante - avec un terme d’une précision inégalée - de “habitus entitativus”.

L’homme renouvelé, donc assaini et élevé à l’ordre surnaturel, acquiert de nouveau la réalité de l’amitié avec Dieu, est purifié et élevé aussi pour qu’il puisse dans cette vie accéder dignement au Suprême Sacrement, l’Eucharistie, où il s’unit avec Jésus-Christ lui-même. C’est l’anticipation terrestre de l’union avec Dieu dans la gloire et il faut donc une certaine “connaturalité” de la part de celui qui s’unit. L’homme se joint à son Créateur et Rédempteur qui daigne l’élever à un tel contact et il doit donc correspondre en en étant pour ainsi dire “digne”, c’est-à-dire en étant en état de grâce (sans le péché originel et sans péché actuel grave). Se présenter sans le vêtement blanc devant l’Epoux - d’autant plus si l’attitude est délibérée, obstinée et publique - serait offenser tout le dessein de la Rédemption et en mépriser les dons surnaturels. Offense grave de la part du fidèle qui communierait, plus grave encore de la part du prêtre qui s’en rendrait complice et même promoteur. Si l’habit est taché par le péché il faut le laver, et c’est ce que fait l’infusion de la grâce par le Baptême ou la Confession, mais il n’y a pas possibilité de concilier péché et grâce, il y a seulement possibilité de transitus, c’est-à-dire de passage d’un stade mauvais à un bon. C’est la justification de l’impie qui, devenu fils de lumière, peut accéder au Banquet céleste.

Il n’en est pas ainsi chez les protestants. Nous savons que les thèses interprétatives sur la pensée de Luther sont innombrables, en raison même des étrangetés expressives du subjectivisme protestant (repris ensuite par l’illuminisme et le modernisme) et des évolutions pas toujours cohérentes de l’augustin apostat, mais un point du moins fait généralement l’unanimité des critiques et c’est celui qui nous intéresse ici : l’homme après le péché originel peut être en même temps juste et pécheur, “simul justus et peccator” selon l’expression connue. C’est-à-dire l’homme auquel ont été imputés les mérites du Christ - et qui serait donc un juste - n’est pas pour cela renouvelé par la grâce sanctifiante, n’est pas revêtu de l’habit blanc après avoir déposé l’habit sale du péché, n’est pas une âme nouvelle, un “homo novus”, mais il est une “charogne” (les termes sont luthériens) qui est “enveloppé” par le manteau blanc des mérites du Christ tout en restant “pourriture” à l’intérieur [8]. En restant dans cette image, il est quelque chose d’abominable à l’intérieur - “peccator” -, mais les mérites du Christ lui sont extrinsèquement imputés et le rendent d’une certaine façon “simul justus”. Donc, sans abandonner le péché, il peut être un juste.

 

Le salut sans mérite

Pour le luthérien peut importe l’état effectif de l’âme, ses dispositions, ses efforts et surtout ses sacrifices, soutenus par la grâce coopérant, pour éviter le péché et s’en corriger, ce qui compte est une illusoire foi-confiance dans son propre salut, en faisant abstraction de l’application de la volonté, de ses propres mérites et surtout, de fait, du difficile sacrifice de soi et de ses propres caprices. La corruption radicale a porté Luther à la théorisation d’un salut “sola fide” [9], une “foi” dont la notion - qui aujourd’hui a envahi le monde catholique - est fausse, parce qu’elle n’est pas la foi dogmatique, pour laquelle est essentielle l’adhésion au contenu de la Révélation, mais la foi-confiance dans laquelle ce qui compte est l’aspect pour ainsi dire “sentimental”. Donc “pèche fortement, mais crois plus fortement encore” (“pecca fortiter, sed crede fortius”), c’est-à-dire que plus on est endurci dans le péché, plus on continue de pécher et plus on démontre sa confiance absolue et complète dans les mérites du Christ, les uniques capables de sauver, indépendamment du libre arbitre de l’homme, lequel ne peut rien faire d’autre que “espérer” avec force [10]. “Pèche fortement, mais croit plus fortement encore”, c’est-à-dire si l’état de pécheur et ennemi de Dieu est permanent et s’il est et sera inéluctablement tel, s’il ne reste que la justification imputée par le Christ, qui couvre de son blanc manteau l’homme, pourriture pécheresse et incapable de mérite volontaire, il ne reste rien d’autre que de continuer à pécher, et même il est mieux de s’établir dans le refus de la loi morale de Dieu en péchant encore plus.

 

Le rôle des sacrements et plus particulièrement de l’Eucharistie

Dans la perspective luthérienne décrite de la grâce imputée, de la négation du mérite pour un homme “simul justus et peccator”, le sacrement a inévitablement perdu la fonction catholique de signe qui produit la grâce qu’il représente [11], car la causalité qu’il exerce au sujet de la grâce n’est certainement pas physico-instrumentale. Le Baptême et la Confession n’opèrent pas instrumentalement le “transitus” ontologique cité, et il n’est pas possible de penser à une augmentation de grâce au moyen de la réception du Corps du Christ substantiellement présent dans les espèces consacrées. En effet le juste - et pécheur en même temps - ne se confie pas à l’efficacité des sacrements, en essayant de les recevoir le plus dignement possible, ni encore moins s’appuie sur les effets de la digne réception de l’Eucharistie, mais il se confie dans le “réveil” en son âme de la foi-confiance en son propre salut. Salut auquel, en toute logique, il ne peut pas coopérer, parce qu’il est imputation des mérites du Christ, mais dans lequel il doit cependant “croire” fermement (il y a ici une certaine incohérence interne des thèses protestantes). Et les sacrements, désormais dénaturés, sont réduits à la fonction de raviver cette “conviction”.

De plus, au sujet de l’Eucharistie, n’étant même plus le Corps du Christ transsubstantié et la Messe étant réduite à une “Cène évocatrice”, le problème de l’union entre le Corps très Saint du Christ et l’âme d’un pécheur endurci ne se pose plus en ces termes.

 

La mort de la vie (et de l'espérance) chrétienne: “pecca fortiter... et communica fortius”

L'hérésie luthérienne a structuré autour de ses théories sur la grâce qui s’opposent au dogme catholique, des thèses qui sont une diabolique contrefaçon de la vraie confiance dans la Miséricorde de Dieu et qui ont toujours eu un évident - et satanique - “charme”, parce qu’elles permettent de conjuguer le nom de chrétien, et même la participation aux “sacrements”, avec la persistance (légitimée même par principe) dans les déviations peccamineuses les plus graves. Ce sont les fruits, comme noté plus haut, de la théorie du “simul justus et peccator”.

A une époque comme la nôtre, immergée dans l'hédonisme et surtout dans l’immanentisme qui refuse de raisonner en termes métaphysiques autant pour les objets naturels que surnaturels, la perspective citée ne peut que récolter du succès, comme cela arrive dans les faits. Une large partie du monde catholique, agressé par les ferments du protestantisme libéral, du modernisme et du relativisme mondain, semble avoir lui aussi perdu la correcte notion de grâce, état de grâce, grâce sanctifiante. Tout le patrimoine catholique sur ce sujet est systématiquement relu de manière anti-métaphysique, en renonçant non seulement à la très utile notion scolastique de “habitus entitativus”, mais aussi aux définitions du Concile de Trente elles-mêmes. Il ne reste qu’une lecture immanentiste de la grâce, laquelle - si elle n’est pas ouvertement décrite dans les termes de Martin Luther - est du moins associée à un état sentimentalo-confiant, plutôt qu’à une réalité entitative présente dans l’âme du juste et absente chez le pécheur.

En conséquence, si la grâce n’est pas une entité à laquelle on arrive après le Baptême ou la Confession (avec le propos d’abandonner le péché), mais plutôt - dans le meilleur des cas - une disposition de la conscience de chacun, indépendamment de la volonté d’abandonner le péché, on comprend alors pourquoi on peut “peccare fortiter ... et ... communicare fortius”. On comprend pourquoi on peut accéder à la communion sans arrêter de pécher, et même en endurcissant et en fossilisant l’état de pécheur. La vie de l’âme en état de grâce n’étant plus synonyme d’infusion surnaturelle de Vie trinitaire, dans l’évolution actuelle de la pensée protestante et moderniste, devient plutôt une auto-communication que l’homme se donne à lui-même : “en se sentant” digne d’accéder à l’Eucharistie (d’une façon subjectiviste) il le devient, et cela indépendamment de sa vie morale réelle. Ainsi, le sacrement est devenu plus ou moins ce moyen ordonné seulement à produire “le sentiment religieux” ainsi que le voulaient les modernistes condamnés par Saint Pie X [12]. Modernistes qui, selon les paroles du Saint Pape - dont nous fêtons le centenaire de la mort cette année et dont nous invoquons la protection sur l’Eglise - tout en évitant les expressions condamnées par le Concile de Trente sont tout simplement en train d’affirmer avec Luther que les Sacrements servent seulement à nourrir la (présumée) foi [13]. Et sur cette voie l’homme, en suivant les pas du surnaturel transcendantal de Rahner - leur “grand” maître - “se fit Dieu”.

 

                                                                                                         Don Stefano Carusi




[1] S. Th., Ia IIae, q. 113, a. 1, c: “iustificatio importat transmutationem quandam de statu iniustitiae ad statum iustitiae”.

[2] Denz. 1524.

[3] S. Th., Ia IIae, q. 113, a. 1, c. : “potest fieri iustitia in homine secundum rationem motus qui est de contrario in contrarium. Et secundum hoc, iustificatio importat transmutationem quandam de statu iniustitiae ad statum iustitiae praedictae”.

[4] S. Th., Ia IIae, q. 113, a. 6, c., ad 2.

[5] S. Th., Ia IIae, q. 110, a. 1, c.

[6] A. Piolanti, Dio nel mondo e nell’uomo, Città del Vaticano 1994, pp. 522-533.

[7] Ibidem, p. 547 e ss.

[8] Ibidem, pp. 413-419.

[9] B. Gherardini, Riflessioni su Martin Lutero, in Divinitas 28 (1984), passim.

[10] Ibidem.

[11] S. Th., IIIa, q. 62, a.1, ad 1; Denz. 1666.

[12] Denz. 3489.

[13] Ibidem.

 

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Mgr Pozzo: la Messe “extraordinaire” peut être interdite par l’autorité

par Disputationes theologicae

publié dans Positions théologico-ecclésiales

 

Et l’IBP doit «assimiler» ces contenus. Voilà le fruit du choix de se rendre!

 

 

15 novembre 2014, St Albert le Grand, Docteur de l’Eglise

 

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Pour l’inspection canonique, portraits bergogliens sur tous les murs de Courtalain

(et même dans la salle à manger....)

 

 

Les spécificités fondatrices de l’IBP.... introuvables

Une large documentation sur la situation actuelle de l’Institut du Bon Pasteur nous est arrivée. Nous la publions en bas de cet article, elle comporte :

 

1) Les deux textes des conférences du Secrétaire de la Commission Ecclesia Dei, illustrant le nouveau “protocole d’enseignement” pour le séminaire de l’Institut;

 

2) La lettre du 7 avril 2014 de Mgr Pozzo au Supérieur Général de l’IBP, contresignée par M. l’Abbé Laguérie (qui s’y félicite même «pour cette très belle réussite»);

 

3) Le «Rapport sur l’état de l’Institut du Bon Pasteur (2008 à 2013)  et perspectives» daté du 19 mars 2014;

 

4) Une lettre très significative signée par le Commissaire Forgeot.

 

Nous faisons remarquer que dans sa lettre à M. l’Abbé Laguérie (Supérieur de l’IBP par installation forcée de l'extérieur) Mgr Pozzo ne manque pas de souligner à propos des deux conférences : «je tiens à vous redire» la requête que «professeurs et séminaristes les étudient pour en assimiler le contenu». Il s’agit donc là des nouvelles lignes directrices de la formation dans l’Institut du Bon Pasteur. Dans le même temps, la “direction fantocheˮ  de l’Institut, dans le Rapport ci-dessus, cite la formule «les seules caractéristiques fondamentales» de l’IBP, mais sans jamais les nommer expressément; de ce fait pourrait s’en suivre (de façon illusoire, comme nous le verrons) une quelconque impression de leur maintien.

 

Analysons donc les conférences de Mgr Pozzo, nouveau phare pour l’orientation du séminaire de l’Institut, et voyons ce qu’il reste des spécificités fondatrices, car il ne correspondrait pas du tout à la réalité de penser que la “sensibilité” pour le rite ancien, seulement en raison de sa beauté et de sa solennité, puisse être une «caractéristique fondamentale» propre de l’IBP.

 

Que reste-t-il de la “critique constructive” ?

Comme il a été dit plusieurs fois en 2006 et dans les années suivantes, l’Institut du Bon Pasteur présentait comme ses spécificités propres - en plus de la charité pastorale et ecclésiale rappelée par son nom - la faculté reconnue d’une “critique constructive” de certains points du Concile Vatican II (et à plus forte raison des développements successifs) et la faculté, pareillement reconnue, de l’usage “exclusive”  du rite traditionnel, exclusivité qui pour les membres de l’Institut était conçue comme un engagement fondateur.

 

Dans la conférence, intitulée «Le Concile Vatican II : renouveau dans la continuité avec la Tradition», que reste-il du pilier originel de la critique constructive ? Cette faculté est réduite à la portion congrue, rien de plus qu’un petit renvoi submergé sous de nombreuses affirmations qui vont dans la direction opposée.

 

Par contre, Mgr Pozzo insiste sur la seule “herméneutique de la continuité”. Ligne qui en théorie, comme elle est souvent entendue, pourrait être opposée à celle des progressistes, mais qui en réalité s’est montrée à ce sujet une faillite. Pour confirmer cela il suffit de citer le fait qu’un “herméneute de la rupture” déclaré, tel que Mgr Tagle, a reçu malgré cela la pourpre cardinalice (en revenant affirmer récemment, et de manière triomphale, que “l’Esprit du Concile souffle à nouveau” et cela sans qu’il soit mis... “sous tutelle”). Cette solution s’est révélée être si peu convaincante que quelqu’un, in altissimo loco, a affirmé, dans la fameuse interview  à La Civiltà Cattolica, que le Concile Vatican II aurait été «une relecture de l’Evangile à la lumière de la culture contemporaine» (une des nombreuses choses dites et faites pas tout à fait en ligne avec l’herméneutique de la continuité). L’exigence incontournable d’appliquer l’herméneutique de la continuité vaudrait-elle donc seulement pour les traditionalistes ? De fait, l’importance que Mgr Pozzo attribue à la question herméneutique laisse si peu d’espace aux possibilités de critique, quoique “sérieuse et constructive”, qu’il insiste - dans une conférence si bien «réussie» - à l’appliquer en particulier à Dignitatis Humanae. Bien que, comme il le dit lui-même, cette Déclaration soit un «des textes de caractère pratico-pastorale» (p.8) - qui en soi exige donc un assentiment de degré inférieur -, même cela ne peut pas être critiqué? De fait lui, en contournant les critiques respectueuses mais ponctuelles, comme celles de Mgr de Castro-Mayer (cfr. La iberté religieuse: une position claire de Mgr De Castro-Mayer), propose de nouveau en substance les thèses du Père Basile du Barroux, thèses qui n’avaient pas convaincu les premiers membres de l’IBP en 2006 et avec lesquelles ils avaient pris leurs distances : maintenant les séminaristes de l’IBP doivent-ils les «assimiler» ?

 

Un autre exemple : Mgr Pozzo en vient à dire que le dernier Concile est «en parfaite continuité et fidélité avec la Tradition» (p.2). Une continuité même «parfaite» ! Donc l’herméneutique de la continuité n’est même pas, selon une telle approche, un mode pour aborder le problème de certains aspects du Concile Vatican II et des réformes successives. Différents auteurs par exemple (parmi lesquels le Cardinal Siri), avaient admis la présence dans ces textes de certaines ambiguïtés, à résoudre donc par une interprétation “à la lumière de la Tradition”. Non, même pas cela : si la continuité est même «parfaite», alors il ne s’agit même pas de la résolution d’un problème mais de l’affirmation - tautologique - de l’inexistence du problème. D’ailleurs une herméneutique de la continuité ainsi conçue (qui n’est même pas “ le Concile à la lumière de la Tradition”) est demandée non seulement pour les textes de Vatican II mais aussi sur toute la ligne : à tel point que le Bon Pasteur devrait mettre aussi en lumière «la continuité liturgique entre le Vetus Ordo et le Novus Ordo» (p.3). Et cela devrait-être «assimilé» par les séminaristes !

 

Mgr Pozzo indique qu’une telle herméneutique est la panacée de tout problème ecclésial et va même jusqu’à dire que le Pape François, comme Benoit XVI et Jean Paul II, s’est exprimé «sans équivoque» sur «l’indifférentisme religieux» (p.6) ! C’est le comble du triomphe de la pétition de principe sur la réalité.

 

Avec quel courage donc parle-t-on encore du maintien des «seules caractéristiques fondamentales» de l’IBP?

 

Il y a donc négation du problème. Pourquoi alors faire la ratzinguérienne “réforme de la réforme”? De plus : le Concile (et plus largement, comme nous avons vu) n’est pas un “Super Dogme” affirme Mgr Pozzo, en rappelant la caustique expression du Cardinal Ratzinger, cependant on est presque porté à penser que, si ce n’est pas un “Super Dogme”, c’est au moins un dogme (bien que pas l’unique). En effet, dans plusieurs passages de la conférence il semble presque qu’un tel Concile soit inséré dans l’objet de la foi. Suivant cette lignée, il n’est pas étonnant que, dans un tel protocole de formation doctrinale, Mgr Pozzo condamne aussi une position génériquement «minimaliste» sur Vatican II, qui soulignerait trop qu’il «n’est qu’un concile pastoral» (p.8). Il est évident que cette ligne n’est même pas favorable à un redimensionnement du dernier Concile. Et c’est aussi évident - pour celui qui n’est pas aveuglé par l’intérêt - que “la critique constructive” en ressort ensevelie, et que nous sommes même aux antipodes de ce point fondateur.

 

Que reste-t-il de l’ “exclusive” ?

Si c’était possible, encore moins.

 

En effet, Mgr Pozzo dans la lettre du 7 avril, citée plus haut, demande expressément une «application du motu proprio Summorum Pontificum et de l’instruction Universae Ecclesiae» qui soit «sans aucun exclusivisme». Nous avons du mal à croire que l’on puisse être autant aveuglé par la duplicité opportuniste (qui oscille entre le servilisme en public et l'extrémisme en privé) pour qu’on ne puisse pas voir que la direction indiquée est aux antipodes de l’exclusive. D’ailleurs, une requête aussi absolue («aucun exclusivisme») est un puits sans fond, que l’on peut appliquer aussi à ceux qui, par exemple, essayent d’utiliser le nouveau rite de la façon la plus traditionnelle possible : car même l’usage exclusif de la première des Prières Eucharistiques au choix (plus ou moins le Canon romain) est de tout façon un exclusivisme. De même, le fait d’exclure la dixième Préface, celle qui sent l’hérésie, dans laquelle on affirme que «l’humanité tout entière entrera dans ton (de Dieu) repos», serait de la même façon une exclusion.... Où finira-t-on en suivant cette voie, sinon au désarmement absolu de toute résistance catholique ?

 

Dans cette perspective, «il faut mettre en relief l’intime convergence des deux formes» (p.5) et en plus, serait «fortement conseillée» la concélébration des prêtres adhérents au Vetus Ordo qui opèrent dans les diocèses (p.7). Il est vrai qu'officiellement c’est donné comme un conseil et non pas comme une obligation ni comme un engagement. Cependant, cet adverbe, «fortement», est très peu rassurant et de plus est surtout préoccupant le contexte qui émerge de l’affirmation de Mgr Pozzo, qui jette sur tout l’ensemble une lumière assez sinistre.

 

En effet, il fait apparaître une étrange et inquiétante explication “herméneutique” : le Vetus Ordo n’a jamais été aboli en soi (p.4) et cela parce que, on précise de façon assez réductrice, l’Eglise «n’abolit pas une forme en tant que telle», cependant «l’autorité de l’Eglise limite ou restreint l’usage des textes liturgiques»; et dans les faits c’est cela qui «s’est produit dans les années de l’après-Concile», et tous doivent obéissance à ce genre de mesures restrictives (p.4), qui de fait peuvent ne pas permettre, en certains temps ou à certains sujets, la célébration de la messe traditionnelle quoique celle-ci, en soi, reste “jamais abolie”. Il s’agit vraisemblablement d’une herméneutique de la continuité tellement poussée à l’extrême (ne serait-elle pas elle aussi de «l’idéologisation» ?) qu’elle veut voir la continuité même entre le motu proprio Summorum Pontificum (avec son “jamais aboli”) et la notoire et récente prohibition d’une telle célébration à un certain Ordre, quoique bi-ritualiste et aussi partisan de l’obéissance aveugle. Mais - de facto - un pareil discours a aussi le ton d’un avertissement: dans la réalité concrète, la messe traditionnelle peut être enlevée.

 

On ne voit vraiment pas comment des avertissements de ce genre peuvent ne pas constituer un dangereux conditionnement psychologique, lorsqu’on les met aussi en rapport avec les fortes invitations à concélébrer. Conditionnement connexe également avec le souvenir des ordinations sacerdotales que la Commission, en accord avec le Commissaire Forgeot et l’Abbé Aulagnier, a bloqué - le 10 juin 2013 - la veille au soir de la célébration ! Deux diacres du Bon Pasteur ont appris à la fin de leur retraite préparatoire à l’ordination, que le lendemain matin, à 9h00, ils ne seraient pas ordonnés prêtres; ils ont dû renvoyer à la maison leurs parents (venus du Brésil), annuler leurs premières messes, et cela pour des «causes politiques», comme cela fut dit explicitement. En violant sans retenue même le canon 1030 (CIC).

 

On ne voit donc pas  comment une «assimilation» d’un tel discours dans l’enseignement, et dans un pareil contexte, puisse être compatible avec le charisme originaire de l’Institut, qui - avec l’autorisation du Saint Père - avait dans l’exclusive un de ses points fondamentaux.

 

Le reniement du charisme originaire de L’IBP, directement....

Les actuels Supérieurs de l’IBP sont-ils d’accord sur le fait de prendre cette voie ? Dans leur coeur certainement pas : au point d’ailleurs qu’en privé (avec un style qui ne nous appartient pas), ils parlent de Mgr Pozzo en des termes lourdement offensants et ont défini la “Nouvelle Messe” avec des expressions indicibles. Dans les conférences internes aux séminaristes (encore en 2014 !) l’Abbé Aulagnier a affirmé - avec une singulière exégèse de l’Apocalypse - que : «le blasphème qui sort de la bouche de la Bête c’est la nouvelle messe», et ce dernier a été nommé d’office par Dom Forgeot Recteur du séminaire (et tout ça, est-ce quelque chose de sérieux ?). Et pourtant, dans les discours publics l’Abbé Laguérie parle de Mgr Pozzo comme de notre “protecteur” et dans un texte officiel tel que le «Rapport sur l’état de l’Institut du Bon Pasteur (2008-2013) et perspectives» on parle de «soutien constant» de la part de Rome envers l’Institut en affirmant que cela l’aurait «maintenu intact sur ses bases solides»!

 

Dans ce document, les Supérieurs demandent certes «la faveur (sic!) de proroger ses Statuts en l’état et de lui (à l’Institut, ndr) accorder sa reconnaissance définitive par le Saint-Siège», mais ceux-là, comme il est évident dans le cadre que l’on vient d’exposer, seraient complètement vidés de leur substance. Les statuts actuels resteraient, éventuellement, juste pour la façade (et aussi en raison des objections publiques faites contre ces manoeuvres par certains contestateurs que nous connaissons bien...). Et cela est tellement objectivement fondé que dans ce document des “Supérieurs -marionnettes”- de l’IBP on lit que quelque modification des Statuts «pourrait paraître souhaitable à long terme», cependant «elle n’est pas envisageable aujourd’hui et pourrait lui être fatale». Il est considérable qu’une telle affirmation (on peut changer mais pas aujourd’hui) paraisse tout de suite après la phrase suivante, qui fait clairement référence à ce qui fut notre résistance interne, menée lorsqu’il était juste de l’essayer : «l’Institut du Bon Pasteur a besoin d’une période de calme, de travail, de perfectionnement dans les vertus de respect, d’obéissance (interne et externe) parfois bien malmenées par le passé».

 

Et il est tellement vrai que les voix critiques ne sont pas admises que, dans la documentation citée plus haut, nous avons trouvé aussi, de façon explicite, ce que dans la substance nous connaissions déjà : le Commissaire de l’IBP, l’Abbé Antoine Forgeot, auteur du “putsch de Fontgombault”, comme l’a appelé un des présents à la votation (Quelles sont les conséquences de l’altération du corps électoral de l’IBP? et La soi-disant “élection” de l’Abbé Laguérie à Supérieur de l’IBP), a écrit le 29 septembre 2013, à la Signature, pour «faire taire»  un prêtre de l’Institut, Don Stefano Carusi, «très procédurier et contestateur» . Mise à part la tendance obvie à personnaliser, nous remarquons avec stupéfaction que certains puissent être dérangés par l’attention à suivre droitement les procédures canoniques (du reste, c’est la mode....); mais remarquons aussi le conditionnement sain, cette fois-ci, qu’ont représenté, évidemment, les objections des résistants.

 

De leurs côtés, les Supérieurs réinstallés par l'extérieur ont-ils quelque chose à redire sur «l’assimilation» d’un pareil “protocole doctrinal” ? Et, sans se limiter aux documents : ont-ils quelque chose à dire sur les scandales de l’actualité ecclésiale, comme par exemple au Synode ? L’Abbé de Tanouarn par exemple, qu’ils appellent “la gauche de l’IBP” et qui n’est pas sur nos positions, a bien eu cette honnêteté intellectuelle sur son blog par des articles documentés. Disputationes Theologicae a écrit : allons “Aux racines du poison synodal”, en rappelant certaines de ses études contre la “Nouvelle Théologie”. Et les supérieurs de l’IBP ? Ou plutôt, au lieu de résister loyalement à de telles pressions, ont-ils choisi la voie double de se montrer ralliés (et même élogieux) officiellement et de laisser à la sphère privée la critique qui par compensation est très violente et destructive ? Et ceux qui, à l’IBP, disent s’inspirer de l’esprit romainement combattif de Mgr de Castro-Mayer, ont-ils quelque chose à dire ?

 

 Nous sommes certes «très procéduriers et contestateurs», mais le fait reste que, nous, nous avons soutenu à visage découvert des thèses, nous avons réalisé des études sur les questions évoquées, dans lesquelles nous avons essayé de réaliser une saine critique et en même temps nous avons essayé d’indiquer comment les spécificités de l’Institut peuvent être compatibles avec les normes en vigueur (cf. Le “rite propre” et l' “herméneutique de continuité” sont-ils suffisants? et Novus Ordo Missae: la légitimité d’exprimer avec franchise une pensée théologique propre). Et eux ?

 

.... et indirectement

Il y a aussi une autre façon d’annihiler le charisme fondateur de l’Institut, en le reniant tout en voulant sauver son propre orgueil : cela réside dans le choix de certains prêtres, évidemment en désaccord avec les supérieurs “officiels” de l’IBP, de s’en aller individuellement ailleurs.

 

Dans le Rapport sur l’état de l’Institut (dans lequel on déduit en plus que la “compensation” pour ces changements, représentée par l’ouverture de nouveaux apostolats, laisse beaucoup à désirer, voir entre autres le cas de Zarate-Campana en Argentine...) ont dit que «deux de nos prêtres incardinés et un autre devant l’être, tous trois découragés, ont ainsi rejoint la Fraternité St Pie X». Au passage, remarquons que dans ce Rapport on parle de la FSSPX comme de «groupes «schismatiques»» à ne pas «conforter manifestement en leur funeste erreur» (significativement à l’unisson de quelques phrases de Mgr Pozzo dans son bureau à Rome), alors que dans d’autres occasions l’Abbé Laguérie s’est exprimé sur la FSSPX de manière bien différente.

 

D’autres prêtres encore de l’Institut ont rejoint la Fraternité St Pierre ou de manière individuelle les diocèses.

 

Il est clair (ou cela devrait l’être) que si on se dissout  ailleurs, évidemment on n’est pas solide dans sa propre identité. On n’estime pas avoir quelque chose de spécifique à dire.

 

Pour ne pas annuler ce charisme

Dans ce cadre, comment peut-on dire que “l’entrisme”, cette absolutisation du “être dedans”, est automatiquement la voie pour obtenir de plus grands résultats ? Ce qui a été rendu public plus haut, témoigne de l’exact contraire. Le vrai résultat obtenu en imposant ou en acceptant cette voie bien connue (et c’est bien le cas de le dire “errare humanum est, perseverare diabolicum”) est celui de rendre, dans les milieux traditionnels, certains complexés et craintifs de ne pas être suffisamment “intégrés” (ce qu’à l’IBP nous appelions le “complexe du rallié”) et d’autres - pris dans une spirale extrémiste - exaspérés.

 

Cependant, la conclusion à en tirer n’est pas celle de se résigner à la mort de ces spécificités fondatrices. Et c’est justement pour cela que les anciens résistants de l’IBP sont restés ensemble, réunis dans l'Association Saint Grégoire le Grand, en continuant de témoigner en faveur de ces spécificités qui en 2006 furent la raison d’être de l’Institut, et dont ils sont fiers.

 

Face à cette douloureuse annihilation, tant par la voie de l’opportunisme que par la voie complémentaire du découragement, nous pouvons par contre trouver dans la documentation examinée des éléments qui montrent comment notre témoignage, quoique modeste, est tout sauf vain.

 

Par exemple, s’exposerait-on à s’adresser au Suprême Tribunal de la Signature Apostolique -en faisant des affirmations aussi lourdes, surtout pour un religieux, telles que “faites les taire”- si les témoignages, que nos objections représentent, étaient sans effets ? Evidemment, nous sommes bien conscients des répercussions auxquelles cette franchise peut nous exposer, mais patience...

 

Et pour quel motif nous a été transmis ce matériel, évidemment par des confrères qui sont encore à l’intérieur de l’IBP, sinon parce qu’ils estiment vraiment que nous - à la différence d’eux qui ont la bouche et les mains liées - nous pouvons poser publiquement des questions?

 

Face à cette multiforme dissolution, nous proposons à nouveau le manifeste fondateur de notre jeune communauté (link).

 

 

 

Association de Clercs “Saint Grégoire le Grand”

 

 

Documents

n°1: Conférences du Secrétaire de la CommissionEcclesia Dei:

            a) “Le Concile Vatican II : renouveau dans la continuité avec la Tradition; 

            b) “Sacerdoce ministériel, liturgie et autres questions particulières”

  

n°2: Lettre du 7 avril 2014 de Mgr Pozzo au Supérieur Général de l’IBP, contresignée et notée par l’Abbé Laguérie;  

 

n°3: “Rapport sur l’état de l’Institut du Bon Pasteur de 2008 à 2013, et perspectives” daté du 19 mars 2014: introduction et conclusion


n°4: Lettre signée par le Commissaire Forgeot au Suprême Tribunal de la Signature Apostolique du 29 septembre 2013

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