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25 janvier 2023 3 25 /01 /janvier /2023 11:09

Et sa proximité avec la Franc-maçonnerie?

 

25 janvier 2022, Conversion de saint Paul

 

Couverture de Franc-Maçonnerie Magazine n° 26, Sept.-Oct. 2013

Il n’est pas dans l’esprit de notre revue d’alimenter ou de diffuser les discours morbides de la presse concernant certaines faiblesses personnelles du clergé au sujet desquelles, lorsqu’elles sont avérées, la sage position de Saint Jean Bosco devrait être prise en compte. Cependant, pressé par un de nos lecteurs concernant une histoire passée admise par le Cardinal Jean-Pierre Ricard, influent président de la Conférence Épiscopale Française pendant des années, nous pensons qu'il est un devoir de proposer des éléments de réflexion. On sait que la presse mondano-maçonnique, aime amplifier de manière démagogique les affaires concernant le sixième commandement lorsqu’elles touchent le clergé alors qu’elle adopte une position ultra-libertine lorsque des quidams en sont les protagonistes. Récemment, elle a souillé l'image de l'Église de France, également en proie à d'autres scandales par un martèlement médiatique dépassant largement la réalité.

Il est évident que certains actes, lorsqu'ils sont avérés, ont une réelle gravité morale intrinsèque. Il est également vrai que tant que quelqu'un ne se charge pas de les diffuser, ils n'impliquent pas nécessairement un scandale public... A cet égard, un certain monde médiatique catholique, voire traditionnel, apparemment soumis à des critères mondains et conformistes doit être réprimandé pour le plaisir qu’il trouve dans la dénonciation des scandales impliquant des autorités de tendance moderniste. À notre avis le débat doit rester sur le plan doctrinal, puisque l'autre est glissant ; d’ailleurs que celui qui se tient debout prenne garde de ne pas tomber... aucun milieu n’est exempt des conséquences du péché originel et il est très peu chevaleresque de fixer le niveau de la confrontation sur ce plan. D'autant plus que ces questions-là sont déjà largement montrées du doigt par l’opinion publique, alors qu'ailleurs l'oubli règne.

 

Malheureusement, le puritanisme hypocrite des protestants et de la culture anglo-saxonne qui nous domine désormais a également déformé la façon de penser de ceux qui se croient de mentalité traditionnelle, en plaçant au premier rang les péchés contre le sixième commandement (ou plutôt certains des péchés contre le sixième commandement). Personne ne croit désormais qu'il existe des péchés contre la foi. Le protestantisme et le catholicisme moderniste en effet, avec leur subjectivisme, considèrent qu'un "comportement inapproprié" (et il semble qu’en fin de compte ce soit le cas de l'accusation portée contre le Cardinal) est plus grave que la négation d'une vérité de foi. Si chacun est libre de construire sa propre foi, tous les concepts qui y sont liés sont relatifs et subjectifs, on ne peut même plus parler de péché contre la foi.

 

Il est évident, dans la perspective catholique traditionnelle, que les actes contre le sixième commandement sont graves, mais il devrait être tout aussi évident que les péchés contre la foi sont gravissimes. Si les premiers se limitent souvent à des affaires privées avec un scandale circonscrit, les seconds - surtout dans le clergé ou le haut clergé - comportent presque toujours un aspect de gravité publique, de scandale généralisé, de corruption du depositum fidei, de la plus grande gravité pour un Cardinal. D'autant plus que, si les premiers peuvent être imputés à la faiblesse, à une chute occasionnelle ou à la surprise, les seconds impliquent généralement préméditation et réflexion.

 

Que ces distinctions soient difficilement accessibles aux hâbleurs de la presse libéralo-maçonnique, ou qu'ils se vautrent délibérément dans la boue pour nuire à l'Église, n'est guère surprenant. Il est surprenant que les ragots scandaleux parviennent, sous prétexte de "transparence", à influencer et même à conditionner la pensée catholique à la recherche d’une utopique et inexistante "impeccabilité du clergé". En revanche, on se moque sans aucune honte des questions principales, celles qui ont trait à la doctrine de la foi !

 

C'est ainsi que les plus hautes autorités ecclésiastiques ont agi - stimulées par les journaux et la pensée dominante - avec une sollicitude totalement inhabituelle lorsque les affaires sont d'un autre ordre.

 

Mais où étaient-ils ces ecclésiastiques érigés en juges très sévères et en gardiens inflexibles de la morale lorsque le Card. Ricard a révélé publiquement sa participation à des séances maçonniques ? En tant que Cardinal en plus ! Nous ne parlons pas d'une erreur commise par un jeune prêtre, pour laquelle - après des décennies - il aurait même eu droit au pardon et à l'oubli, mais d'un scandale public en matière gravissime, passible même d’excommunication dans l'ancien code de droit canonique !

 

Existe-t-il, oui ou non, une hiérarchie des péchés ? Y a-t-il des péchés "graves" et des péchés "gravissimes" ? Est-ce l'opinion publique la source de cette hiérarchie ? En réalité, on ne se déchaine que contre les péchés "graves", qui de plus datent de cinquante ans et sont incertains, mais on ne prend pas de mesures contre les "gravissimes", qui sont publics, récents et sans équivoque, mais qui jouissent des applaudissements médiatiques. Ainsi en est-il de la participation à une "tenue blanche" de la Franc-maçonnerie.

 

Les péchés contre la foi, oui ceux-là, sont "gravissimes" pour un prélat, avec leur aspect souvent prémédité et moins passionnel que d'autres faiblesses moins contrôlables. Mais surtout parce qu'ils touchent un objet - la foi justement - qui est au sommet, qui est suprême, qui est la richesse la plus précieuse à défendre dans l'Église. Quand Son Éminence Révérendissime le Cardinal Ricard s'est rendu à une "tenue blanche" de la Franc-maçonnerie - la Contre-Eglise selon les Papes - comme l'a rapporté Franc-Maçonnerie Magazine ( n° 26, Sept.-Oct. 2013, p. 22), scandale dénoncé dans notre article du 22 février 2014, nous n'avons pas connaissance que le chœur des évêques de France ou les autorités du Saint-Siège aient bougé pour faire justice et condamner le coupable à une abjuration publique et à une demande tout aussi publique d'excuses au peuple scandalisé, comme ils l'ont exigé et obtenu pour l’affaire révélée récemment.

 

Nous ne pouvons pas non plus passer sous silence une question qui traverse notre esprit et celui de certains lecteurs : quelle nécessité y a-t-il d'aller dans une loge quand on est libre de tout conditionnement ? Est-ce toujours un libre choix de fréquenter certains cercles ? Est-ce parfois une nécessité de se lier d’amitié avec eux, les premiers informés "d’erreurs de jeunesse" de prêtres devenus par la suite évêques et cardinaux ? Et qui peut-être - en espérant que ces cas soient limités -ont-ils été promus à des postes de responsabilités précisément parce que contrôlables ?

C'est peut-être une coïncidence, le Card. Ricard se vit confier le rôle décisif de "Cardinal-Conseil" dans ce qui avait toutes les apparences d’une "mise sous commissaire permanent" de l'IBP. Dans quelle mesure, ses choix, non seulement sur ce point que nous connaissons si bien, mais aussi sur bien d’autres dossiers délicats de l’Eglise de France ont-ils été réellement libres ?

 

Nous répondons donc à nos lecteurs en soulignant plusieurs aspects : la gravité de la crise dans l'Église - et malheureusement pas seulement dans le milieu ouvertement moderniste - est telle que les péchés contre la foi, qui dans les cas graves mériteraient une excommunication immédiate et une réduction à l'état laïc, sont réduits à des "sensibilités différentes" ou tout au plus à des "initiatives pastorales inopportunes", mais on ne voit ni sanctions ni même de réprimandes. Certains péchés contre le sixième commandement, vieux de nombreuses années et parfois d’une portée douteuse comme ceux reprochés au Card. Ricard sont devenus impardonnables pour des décennies. Ce sont aujourd’hui les seuls pour lesquels l’autorité ecclésiastique est capable de présenter des excuses, marquant ainsi sa soumission "aux maitres du discours" qui, non seulement dirigent les médias, mais indiquent aussi à l'Église quels sont les péchés graves à punir et les péchés gravissimes à déclassifier.

 

C'est le plein triomphe du subjectivisme dans la foi. Et dans la morale. Dans la foi, puisqu'en rejetant l'objectivité des dogmes à croire, en épousant l'immanentisme le plus éhonté, en minimisant l'importance de la matière doctrinale, on ne conçoit plus la gravité d'un péché contre une vérité révélée par Dieu. Subjectivisme dans la morale, car notre monde est devenu incapable de traiter l'agir humain selon une hiérarchie objective à l’égard de la plus ou moins grande gravité d'un acte. Dans l'analyse, on se laisse influencer par le pilonnage médiatique, qui nous pousse vers un puritanisme à l'américaine et un indifférentisme moderniste dans les vérités de la foi et de la loi naturelle. Cela, oui, c’est grave, même mieux gravissime. Cela crie vengeance aux yeux de Dieu.

 

La Rédaction de Disputationes Theologicae

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1 janvier 2023 7 01 /01 /janvier /2023 22:11

A l’annonce de la mort de Sa Sainteté Benoit XVI nous invitons nos lecteurs à lever des ferventes prières pour la Sainte Église et à réciter le De Profundis pour le repos de Son âme.

 

De profùndis clamàvi ad te, Dòmine;

Dòmine, exàudi vocem meam.

Fiant àures tuae intendèntes

in vocem deprecatiònis meae.

 

Si iniquitàtes observàveris, Dòmine,

Dòmine, quis sustinèbit?

Quia apud te propitiàtio est

et propter legem tuam sustìnui te, Dòmine.

 

Sustìnuit ànima mea in verbo ejus,

speràvit ànima mea in Dòmino.

 

A custòdia matutìna usque ad noctem,

speret Ìsraël in Dòmino,

quia apud Dòminum misericòrdia,

et copiòsa apud eum redèmptio.

Et ipse rèdimet Ìsraël

ex òmnibus iniquitàtibus ejus.


La Rédaction

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18 novembre 2022 5 18 /11 /novembre /2022 22:45

18 novembre 2022, Dédicace des Basiliques de S. Pierre et S. Paul

Ambrogio Lorenzetti, Allégorie du Bon Gouvernement, Sala dei Nove del Palazzo Pubblico, Sienne

(Effets du Bon Gouvernement en ville et à la campagne, le murailles ouvert de Sienne entre ville et campagne)

 

Pour lire la première partie cliquer ici

 

Du XIe au XIIIe siècles, on assiste à l'émergence généralisée d'autonomies communales, dont les statuts ont presque toujours eu le dessus sur les structures féodales. Il convient de rappeler que la tradition urbano-centrique de l'Italie n’a jamais disparu et que la densité des sièges épiscopaux, donc des villes, était particulièrement élevée en Italie centrale1. Durant cette période, les Papes ne possédaient pas pleinement le contrôle du territoire. Cependant les Communes prospérèrent grâce à l’exercice d’une « autorité médiate par des communautés et institutions juridiques implantées localement et entretenant des relations très diversifiées avec le pouvoir central […], mais toujours dans une dimension bilatérale des rapports »2. S’installe ainsi «un processus de reconstruction de la territorialité centrée sur la ville, n’ayant pas de termes de comparaison précis dans d’autres régions d’Europe»3.

 

L’engagement de Grégoire VII, la détermination d'Innocent III et de Boniface VIII, constituent des exemples significatifs de la consolidation de l’état ecclésiastique, «cependant les cités-Etats sont plutôt incorporées aux États régionaux qu’absorbées et transformées. Les structures juridiques et organisationnelles du territoire, des communautés de vallée, des petites villes, des seigneuries territoriales sont respectées par un pouvoir politique central qui a une attitude de constatation à l'égard des institutions siégeant sur le territoire, prend acte de leur existence, et en assume la tutelle (le souverain tuteur4. Dans le processus de renforcement des États régionaux, la géographie politique préexistante n'est pas bouleversée, mais elle est respectée. Une fonction fondamentale est reconnue, conforme au concept de souveraineté typique du Moyen Âge, qui cède de larges pouvoirs aux corps intermédiaires : « dans les États Pontificaux la territorialité des villes soumises (soumises mais encore et toujours capitales provinciales, aux compétences étendues dans les domaines juridictionnel et fiscal) conserve un poids très important, destiné à durer sous plusieurs aspects jusqu'à la fin de l'Ancien Régime »5.

 

En 1309 commence pour l'Église la période de la captivité d'Avignon. Les Papes en résidence forcée en Avignon doivent se soumettre à la pesante tutelle de la monarchie française. Dans les villes majeures de l'Italie papale, dans le sillage d'une pratique généralisée, certaines familles vont profiter de la situation. Les domaines pontificaux verront fleurir un nombre extraordinaire de Seigneuries qui, à divers titres, gouverneront des territoires de taille moyenne, s'improvisant despotes de province ou s’affichant, en quête de légitimité, feudataires du Saint-Siège. L'ère des Seigneuries fut marquée par l'exaspération de l'orgueil des cités hégémoniques. La fierté des Communes s'était propagée au cours des siècles précédents grâce à la tolérance des Pontifes. Désormais ces capitales aux vastes contés, qui avaient érigé des palais civiques austères sur leurs propres places et des clochers élancés pour leurs propres cathédrales, se sentaient capitales dans tous les sens du terme juste après l’Urbs, à laquelle elles reconnaissaient, dans le contexte temporel, une primauté davantage honorifique que factuelle.

 

En 1353, le cardinal Egidio d'Albornoz arriva sur les terres de l'Église comme légat et vicaire général d'Innocent IV. La tâche du Cardinal était de ramener à l'obéissance les villes et les institutions qui avaient excessivement abusé de l'éloignement des Papes. En l'espace de deux ans, le légat obtint l'extraordinaire résultat de faire reconnaitre la suprématie papale dans le Patrimoine toscan, dans le Duché de Spoleto et dans les Marches. Le grand mérite d’Albornoz, cause de son succès rapide fut « une attitude dépourvue de rigidité doctrinale. Il n'y avait pas de modèle fixe de subordination communale »6.

 

Au printemps 1357, le Cardinal voulut a promulgation des Constitutiones Aegidianae, « qui restèrent en vigueur, au moins en partie, dans les États de l'Église jusqu'en 1816 »7, et dont l'esprit était destiné à imprégner toutes les relations futures entre le pouvoir central et les institutions périphériques. Les Constitutiones codifièrent un modèle d'ordre administratif qui, à long terme, porta des fruits abondants ; le Cardinal ne voulut pas s'immiscer dans les diverses formes de gouvernement local qu'il rencontrait ; en l'absence d'interdictions ou de contre-indications précises, les différenciations, surtout si elles découlaient de traditions spécifiques, n'étaient pas perçues comme un obstacle à la consolidation de l'État.

 

A la lecture du texte, on constate que les « laudabiles et antique consuetudines »8 accompagnèrent la législation d’Albornoz, à condition qu'elles ne fussent pas « a jure prohibite »9. De même, les « statuta ordinamenta, decreta aut municipales leges »10 furent accueillies, à condition qu'elles ne fussent pas « contra libertatem ecclesiasticam vel contra constitutiones generales nostras »11.

 

Le principe du respect des coutumes et des traditions locales était consacré, à condition qu'elles ne portent pas atteinte aux droits de l'Église.

 

En ce qui concerne l'organisation interne des Communes, il convient de noter qu'il est quasiment impossible de dresser un tableau unique de la situation dans les domaines pontificaux, précisément en vertu de la pratique décrite ci-dessus, car les réalités administratives, loin d'être imposées d'en haut, se forgèrent selon les caractéristiques géographiques et selon la répartition de la population. Elles varièrent en fonction des moments historiques ; il y eut des formes de démocratie directe, de gouvernement aristocratique, de participation mixte bourgeoise et noble, de législation antimagnatizia avec exclusion de la noblesse des magistratures ou, plus tard, avec la présence du podestat.

 

A partir du XIIIe siècle, les Arts, associations qui regroupaient les membres des métiers et défendaient leurs intérêts dans les domaines législatif et fiscal, prirent un pouvoir de plus en plus important12. Le droit coutumier obtint sa codification au sein des sociétés communales par des réglementations qui protégeaient les différentes composantes sociales par le biais d’un système corporatif et veillaient aux intérêts de la population à travers une représentation territoriale capillaire13.

 

De nombreuses Communes, au XIVe siècle, étaient devenues des Seigneuries, en vertu desquelles un régime monocratique dirigé par une famille s’était instauré dans les villes et dans les territoires soumis. Dans ces cas également, l’Albornoz avait accepté le statu quo, se limitant à exiger des actes de soumission plus formels que réels. A la fin du XVème siècle, la poussée seigneuriale touche à sa fin et le Saint-Siège entame le long chapitre de la récupération des territoires inféodés. Les villes passent alors d’une domination exercée par l’intermédiaire du seigneur local à une dépendance directe du Siège romain par le status de villes immediate subiectae. Dans ce cas également, le pouvoir central, poursuivant une politique immuable, n'osa ni ne voulut assujettir les communautés de l'État, qui au cours des siècles avaient démontré une extraordinaire capacité d’autogouvernement, sans turbulences excessives14.

 

Avec les villes, le retour à la domination papale directe était convenu mais pas imposé ; dans le cas d'Urbino, on attendra pendant des décennies15. En même temps, le respect des coutumes et de l'autonomie était garanti, les lois locales protégées et le droit d'en promulguer de nouvelles accordé. Le droit de déterminer de manière autonome la composition de la classe dirigeante était reconnu, au moment de la dévolution et dans les années à venir16. La perspective était de laisser les grands centres continuer à exercer le rôle de capitale de leur territoire ; dans certains cas, le Saint-Siège alla jusqu'à accorder le maintien du titre d' Etat. Souvent cette reconnaissance dura jusqu'à la chute du pouvoir temporel des Papes, démontrant que l'ampleur des concessions n'était pas un impératif dicté par les contingences, mais une véritable ligne d'intervention17. On prenait acte de l'existence d'un ensemble d'États mineurs, dont la survie était garantie au sein d'une structure plus large, en échange on demandait aux bénéficiaires la reconnaissance d’un pouvoir temporel absolu : non pas au sens de l'absolutisme royal de l'époque moderne, celui des États protestants ou de la France de Louis XIV, mais plutôt au sens médiéval de la summa legibusque soluta potestas18 du Pontife. Un pouvoir par lequel le Gouvernant, voyant les choses d'en haut, doit administrer en vue du vrai bien commun et de ce fait n'est pas tenu par le respect pointilleux et légaliste de toute norme juridique. C’est en ce sens qu’il est absolu, au sens de absolutus (délié) de cette obligation. Il n'est pas soumis aux lois positives, mais les adapte et les corrige là où elles entravent le bien, il les applique précisément ad mentem legislatoris, trouvant dans la loi naturelle et révélée ou dans le droit coutumier les limites de son pouvoir royal.

 

Dans l'optique d'un État d’États, Rome n'était la ville dominante que pour son attrait spirituel et parce qu'elle était la résidence du souverain. Aucun cas similaire n’exista en Europe ni dans la République de Venise, ni dans l'État florentin ou dans le duché de Milan19.

Le pouvoir central se limita à envoyer des représentants dans la périphérie, mais garda toujours des sphères d'intervention distinctes, non seulement à l'égard des magistratures des villes, mais aussi à l'égard des pouvoirs religieux locaux. Là où le Pape envoyait des Cardinaux légats ou des Prélats gouverneurs, les chevauchements avec l'autorité épiscopale locale étaient toujours évités ; dans l'État du Pape, l'évêque avait des fonctions pastorales, tandis que les occupations temporelles étaient l'apanage des légats pontificaux20.

 

Des pactes étaient conclus entre le pouvoir central et la périphérie, par lesquels les gouverneurs envoyés et les organes des villes collaboraient à la bonne gouvernance des affaires publiques, dans le respect mutuel de leurs rôles. Le gouverneur n'était pas un plénipotentiaire (les recours à la Sacrée Consulte ou à la Congrégation du Bon Gouvernement contre eux seront très fréquents)21 et les magistrats communaux n'étaient pas des oligarques despotiques. Au contraire une diarchie qui cherchait à être une garantie contre les excès et les abus se créait dans les capitales.

 

La liberté de la cité reposait sur des gouvernements locaux dont les membres étaient choisis, au gré des lieux et des époques, par les familles aristocratiques du territoire ou par l'ensemble de la population urbaine ayant le droit de cité, par les capitaines des arts ou par les trois catégories citées. Dans certains cas, le gouvernement local était confié aux plus fortunés, en excluant parfois la noblesse féodale, dans d'autres situations, ceux qui s'occupaient des arts mécaniques ou ceux qui pratiquaient l'agriculture sur leurs propres terres étaient également admis aux magistratures22.

 

Le modèle du patriciat urbain fut le plus largement diffusé : les magistrats étaient élus ou tirés au sort au sein d’un noyau de familles inscrites dans des registres spéciaux. Il constituait un corps ouvert et les nouvelles admissions étaient souvent cooptées selon un ius proprium, en complète autonomie par rapport au souverain, qui se bornait souvent à ratifier les normes des Statuts civiques. Les associations de métiers étaient représentées dans les conseils, tout comme les communautés des contés qui continuaient à avoir leur mot à dire. En cas d'événements extraordinaires, les chefs des ordres religieux, étaient consultés pour leur sagesse et leur expérience23.

 

Grâce à cette souplesse, le Saint-Siège, au cours de deux siècles (XV-XVI), réussit une entreprise apparemment désespérée : la récupération d'un territoire soumis à des cités indomptées. Ce projet était certainement plus difficile qu'ailleurs, puisque l'autorité centrale manquait de continuité dynastique et de projets familiaux, la papauté étant une charge élective, parce que le Pontife possédait une cour, la Curie Romaine, cosmopolite et variée et parce que le souverain, facteur extrêmement important, ne disposait pas « in toto, comme dans les États protestants, du patrimoine ecclésiastique »24. Ce dernier était soumis à des normes coutumières stratifiées qui dépendaient d’une forêt d'institutions propriétaires, allant des confréries aux ordres religieux, des mensae épiscopales aux bénéfices paroissiaux, des canonicats aux chapellenies. Il était donc impossible, si tant est qu'on y ait pensé, d'orienter l'exploitation économique de ce capital vers le renforcement du sommet de l'État, comme ce fut le cas à l'époque moderne chez les princes protestants, qui après avoir confisqué les biens ecclésiastiques les géraient de manière autocratique.

 

Plus le travail s’annonçait difficile, plus la patience et la prévoyance des Papes se révélèrent fructueuses : les actions de force, qui auraient affaibli et épuisé ces villes, épine dorsale e richesse de l'État, furent limitées ou pratiquement interdites : l’autodétermination locale fut privilégiée. Conscient que personne ne pouvait mieux administrer un territoire s’étendant des marais Pontins à ceux de Ferrare, des forêts de la Tuscia aux collines fertiles des Marches, du Bénévent à Avignon, le pouvoir central laissa une large place aux forces locales qui avaient prospéré sur la base de rapports et de coutumes pluriséculaires.

 

Ce soin apporté au traitement de leurs sujets entraina une saison de richesse et de prospérité, au cours de laquelle les avantages pour les gouvernants et les gouvernés se multiplièrent. Montaigne, Montesquieu, Goethe s'émerveillèrent de la densité du réseau urbain des provinces pontificales. Celui-ci comptait plus de cent villes, dont la moitié avec un évêché antérieur à l'an 1000 et la présence d'une deuxième ville comme Bologne. On relevait l'autosuffisance des collectivités locales « en termes de structures d’assistance et de sauvegarde sociale : hôpitaux, œuvres pieuses et caritatives, monts de piété et frumentari, annona [...], d’activités liées à l'échange et à la distribution de biens (foires et marchés), [...] des gestions de grande importance dans l'économie agricole (possession en commun, domaines collectifs). Que l’on pense aussi aux activités liées à la gouvernance hydrologique des territoires comme par exemple la réglementation des eaux intérieures dans les régions de Ferrare et de Bologne »25.

 

Ce système de gouvernement a permis une vivacité culturelle des villes visible encore aujourd’hui, que l’on pense aux productions artistiques de la période médiévale et de la Renaissance, du baroque et du XVIIIe siècle. La floraison de théâtres et de tribunaux, de musées et de bibliothèques, d'académies littéraires et scientifiques, de collections publiques et privées témoigne d'une opulence passée. De même, la réalité provinciale constituait, pour l'administration centrale, un réservoir de juristes, formés dans certaines des plus anciennes universités, l'État n’en comptant pas moins de huit : Ferrare, Bologne, Pérouse, Fermo, Camerino, Urbino, Macerata, et bien sûr, la Capitale.

 

Un paysage où l'identité d'un territoire était liée à une capitale, à laquelle même les habitants des campagnes les plus reculées s'identifiaient, où les limites des réalités administratives n'étaient guère plus que provinciales, où les villes immediate subiectae, si fières d'un glorieux passé, ne devait obéissance qu'au Pape.

 

La Révolution française avec ses idées d'étatisme transalpin sapa l'ancien système et l'ère ultérieure de la soi-disant Restauration, ne fut pas capable de reproposer - certes avec les adaptations qui se rendaient nécessaires aux circonstances changées - l’esprit de la souveranité médiate et des autonomies médiévales. Même dans les Etats Pontificaux l’historien avisé a du mal à cerner une volonté ferme de reconstruire ce tissus qui avait porté tant de paix et prospérité dans le passé. On poursuivit plutôt, quoique timidement, un modèle de “modernisation administrative”  qui regardait peut-être trop aux pressions européennes et trop peu à la vielle tradition d’équilibre entre centre et périphérie. Et cela à cause aussi d’une certaine sujétion culturelle du monde catholique envers quelques idées des Lumières”. Cependant, rien de comparable à la tempête idéologique de l’époque de l’unification qui frappa avec férocité les États Pontificaux en bouleversant l’organisation pluriséculaire de son territoire.

 

En 1832 le Cardinal Tommaso Bernetti écrivait: « Toutes les instances et controverses relatives aux changements territoriaux concernant les agrégations ou les séparations de communautés [...] seront résolues par les délégués respectifs [...] après avoir exploré le vœu des populations concernées »26. Quelques années plus tard, suite à l'unification de l'Italie, démontrant cet esprit centralisateur si cher aux gouvernements d'inspiration révolutionnaire, les provinces de Frosinone, Velletri, Civitavecchia, Orvieto, Viterbo, Camerino, Rieti, Fermo, Spoleto furent supprimées au mépris des protestations de la population.

Pour le soi-disant État moderne, l’idée conçue sur un coin de table l’emporta sur la réalité, et des territoires connexes furent démembrés et des paysages différents unifiés, dans le mythe, partagé uniquement par les cartographes, de dessiner des régions inexistantes27.

 

A suivre.

 

 

1 G.M. VARANINI, L’organizzazione del territorio in Italia: aspetti e problemi, dans La Società Medievale, sous la direction de S. Collodo e G. Pinto, Bologna 1999, pp. 135 e ss.

2 Ibidem, p. 161.

3 Ibidem, p. 162.

4 Ibidem, p. 168.

5 Ibidem, p. 169.

6 D. Waley, Lo stato papale dal periodo feudale a Martino V, cit., p. 295.

7 E. Saracco Previdi, Descriptio Marchiae .Anconitanae, Dep. di Storia patria per le Marche, Ancona 2000, p. XXI; pour l’oeuvre du Cardinal d’Albornoz cf. aussi P. Colliva, Il Cardinale Albornoz, lo stato della Chiesa, le Constitutiones Aegidianae (1353-1357), con in appendice il testo volgare delle costituzioni di Fano dal ms Vat. Lat. 3939, Bologna 1977.

8 P. Sella, Costituzioni Egidiane dell’anno MCCCLVII, Roma 1912, pp. 233 e ss.

9 Ibidem.

10 Ibidem, et pp. 84 e ss.

11 Ibidem. Pour un approfondissement de la question voir Colliva, op. cit.

12 J.C. Maire Vigueur, Comuni e Signorìe in Umbria, Marche, Lazio, in Storia d’Italia, cit., I comuni nel periodo consolare e podestarile, pp.383 ss.

13 Ibidem, pp. 383-384.

14 B. G. Zenobi, “Le ben regolate città”, modelli politici nel governo delle periferie pontificie in età moderna, Roma 1994, pp.14-16 e 45-49.

15 La devolution du Duché d’Urbin se fera seulement en 1631. Cfr. Zenobi, cit., p. 95.

16 Ivi, p. 238.

17 Que l’on pense au cas de Camerino auquel même après la dévolution du Duché et le passage à Siège de Delegation Pontificale fut reconnu le titre d’ État, Ville et Duché, P. Savini, Storia della Città di Camerino, Camerino 1895, passim. L’usage de cette formule est très fréquent dans les documents d’archive de la ville et dans l’usage générale au moins jusqu’à la Révolution Française, après l’époque de la Restauration les mentions se font plus rares.

18 Voir aussi R. de Mattei, La sovranità necessaria. Riflessioni sulla crisi dello Stato moderno, Roma 2001.

19 B. G. Zenobi, op. cit, p. 6.

20 “Salvo temporanee e rarissime supplenze interinali o speciali attribuzioni di poteri commissariali affidati eccezionalmente ai titolari del governo spirituale delle diocesi (...) immediatamente reperibili (..) e ben informati degli affari locali”. Ivi, p. 6.

21 Ibidem, pp. 47-48.

22 Ibidem, pp.197 e ss.

23 P. Savini, op. cit., p. 180.

24 B. G. Zenobi, Le ben regolate città, cit., p. 51.

25 Ivi, p. 7.

26 Editto del Cardinale Tommaso Bernetti “Disposizioni sull’organizzazione amministrativa delle provincie", Roma 1831, nella stamperia della Rev.da Camera Apostolica, titolo I, 4.

27 Osservazioni interessanti in proposito provengono anche da altri punti di vista, cfr. R. Volpi, Le regioni introvabili, centralizzazione e regionalizzazione dello Stato Pontificio, Bologna 1983.

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29 septembre 2022 4 29 /09 /septembre /2022 21:39

29 septembre 2022, Saint Michel Archange

 

"Allégorie des effets du bon et du mauvais gouvernement"

Ambrogio Lorenzetti - Palazzo Pubblico de Sienne

 

Le mondialisme maçonnique d'aujourd'hui propose, ou plutôt impose un modèle de gestion du monde, dans lequel la notion même d'État, d'organisation étatique, de chose publique sont dissous, liquéfiés et refondus dans une idée informe au service de la grande finance internationale et de ceux qui la manœuvrent comme instrumentum regni. Sans racines, sans identité, sans religion, sans roi, sans aristocratie, sans même le peuple et sans même - si cela était possible - la terre que nous avons sous les pieds. On construit un monde fondé sur la dissolution de toute certitude naturelle et surnaturelle et sur un idéalisme qui voudrait abattre toutes les frontières et toutes les limites de l'être créé.

 

Face à cette dérive, nous proposons le texte d’une conférence donnée il y a une vingtaine d’années au congrès de Controrivoluzione de Civitella del Tronto, sous le titre Lo Stato Pontificio e i corpi intermedi (Les États pontificaux et les corps intermédiaires). Les indications intemporelles contenues dans l’histoire de l’État catholique par excellence, répondent en partie à la crise déclenchée par l’ étatisme d’aujourd’hui.

 

L'idée centrale, dont nous verrons l'application pratique dans l'histoire de l'administration des États pontificaux, est celle qu'Aristote et saint Thomas avaient déjà illustrée : on n'applique pas une idée à la réalité en déformant cette dernière pour garder intacte l'idée préconçue. On lit la réalité qui se présente à nous - et qu'un Autre a créée avec ses propres règles - et seulement ensuite on cherche le meilleur système pour la gouverner, en la dirigeant vers son bien objectif. C'est ainsi que les deux grands penseurs, même si saint Thomas exprime sa préférence pour la monarchie pour sa plus grande ressemblance au gouvernement divin, n'absolutisent aucun modèle administratif, mais nous disent que la forme monarchique, aristocratique ou démocratique peuvent toutes être bonnes, pourvu qu'elles répondent au caractère et à la tradition des peuples gouvernés. De plus, ces adaptations administratives stratifiées dans le temps, s'adaptant à la diversité des réalités, peuvent souvent constituer une richesse à maintenir. En d'autres termes, il existe des peuples et des territoires qui doivent être gouvernés différemment parce que - tout simplement - ils sont différents. Il n'y a pas de modèle unique de gouvernement à reproduire en série, il y a des peuples, des histoires, des territoires, des cultures. On n’impose pas des systèmes d’en haut, on constate des réalités.

 

Il existe aussi au sein de l’État des réalités sociales qui lui sont naturelles et constituent pour le gouvernant à la fois un soutien et une limite qui doivent être respectées. Il s’agit de ces entités qui sont comme les membres d'un corps que le chef ne peut couper sans nuire gravement au bien-être de l'organisme tout entier, des entités qui ne remplacent pas le chef, mais que le chef ne peut supprimer ou modifier selon ses caprices, car ce n’est pas à lui de les inventer. Il les constate ou à la limite en favorise la naissance, laissant prospérer les inclinations de la nature. Ce sont les corps intermédiaires.

      

Cette étude tend à montrer comment l’Église a déployé sa sagesse millénaire dans l’administration des territoires qui lui étaient soumis « in temporalibus », en s’appuyant sur les applications pratiques du principe décrit plus haut. Elle ne prétend pas à l’exhaustivité, mais tente de fournir quelques éléments de réflexion en précisant que ce qui est proposé présuppose d'abord la défaite de l'apostasie actuelle.

 

Les fruits du bon gouvernement, de la richesse, de l'épanouissement du savoir et des arts dans les États pontificaux n'ont pas besoin d'explication pour quiconque connait l’histoire. Une des causes de cette si grande prospérité réside en partie dans l'exercice de la souveraineté par des corps intermédiaires, une approche très éloignée de la déification absolue de l'État et du droit positif et de l'uniformisation absolue du mondialisme d’aujourd'hui. Pour comprendre concrètement la distance qui sépare ces deux mondes, nous concentrerons notre regard sur trois aspects. Le premier est le rapport entre l'autorité centrale et le territoire, il implique l’exigence d'unité autour du gouvernant dans le respect des particularités et des autonomies des gouvernés, réunis eux-mêmes dans d'autres sociétés qui ne doivent être ni phagocytés ni dissoutes, mais respectées. Le deuxième point concerne l'aspect économique de la conception de la propriété foncière et son utilisation à la fois pour la prospérité de l'État et la protection des pauvres. Au-delà de la conception certainement datée, qui voyait la richesse principalement dans la terre, l'œil attentif et non idéologique pourra discerner l’approche économique d’un ordre qui vise à observer la justice et la charité, dans la recherche légitime du bien-être y compris économique, mais sans affamer les pauvres. Le troisième point porte sur le travail d'agrégation, et d'assistance réalisé par les corps de métier et les confréries, qui unissaient et organisaient les couches de la société autour de tâches précises et s'incarnaient dans le territoire, de manière à être un véritable et efficace ciment de la société, prenant soin de tous.

 

 

Les prémisses historiques     

 

Au cours des Ve-VIIe siècles après J.-C., après le déplacement du siège impérial à Constantinople et le transfert progressif de l'aristocratie sénatoriale vers le Bosphore, Rome se présentait comme une ville provinciale en décadence; à l'exception de l'exemple de Justinien, le désintérêt des empereurs était tel qu'il alarmait les contemporains; les seules autorités concernées par le sort de la ville étaient les évêques de l'Urbs, qui avaient assumé un rôle de catalyseur en raison de leur prestige[1].

 

L'intervention des Pontifes suppléait souvent aux absences impériales, au point que l'approvisionnement de la ville en denrées, l'annone, en vint à être supporté par les greniers de l'Église ; le rôle traditionnel d'assistance aux pauvres se confondait ainsi avec les tâches que le pouvoir civil était incapable d’accomplir [2].

 

Les évêques romains, bien qu'exerçant de véritables fonctions gouvernementales, réaffirmèrent constamment leur loyauté envers l'Empereur, au point de l'implorer, souvent avec véhémence, de s'occuper de l'Occident avec plus de sollicitude, et Grégoire le Grand, en 593, « dénonça avec angoisse le vide laissé par le Sénat » [3].

 

Au cours de la première moitié du VIIIe siècle, la situation commença à devenir intenable : les Lombards d'Astolphe menaçaient Rome, dans le désintérêt total de Byzance, qui était par ailleurs effectivement impuissante [...]. En 756, Pépin III le Bref, roi des Francs, au terme de sa campagne victorieuse en Italie, donnait les territoires envahis par les Lombards au Prince des Apôtres, « à saint Pierre et par lui au Pontife régnant et à ses successeurs à perpétuité »[4]. Le document (donatio) et les « claves portarum civitatum » [5] furent déposés sur la Confession de Saint-Pierre : par cet acte on prouvait que la transmission avait eut lieu. Charlemagne, en confirmant la donation de son père, mentionnait la limite septentrionale des territoires donnés, de Luni dans le nord de la Toscane (« Luni cum Corsica ») à Monselice en passant par Parme et Reggio, il remettait au Pontife une vaste portion de l'Italie qui comprenait, outre l'Italie centrale et le Sud avec les trois grandes îles de la mer Tyrrhénienne, mais également Venise et l'Istrie ; cependant la question des frontières, notamment celles du nord-est, a suscité dans le passé chez les juristes, aujourd'hui chez les historiens, des controverses qui ne sont pas encore apaisées [6].

 

L'assentiment impérial à la donation fut réaffirmé par Louis le Pieux en 817 et par le Privilegium d'Othon Ier en 962 ; l'empereur Henri II en 1020 confirma également l’œuvre de ses prédécesseurs. Si l'on peut émettre des doutes quant au pouvoir des premiers rois francs de donner des territoires byzantins, on ne peut en dire autant des derniers exemples mentionnés [7].

 

Les États pontificaux émergeaient lentement dans une situation de grande incertitude et d'instabilité. Les pontifes étaient confrontés à un territoire à peine sorti des ruines des invasions barbares, frappé par le désintérêt des empereurs byzantins et que les empereurs germaniques s’apprêtaient à délaisser pour longtemps. Pour aggraver la situation, s’ajoutèrent au cours des IXe et Xe siècles les incursions des Sarrasins (870, 910) depuis leur base du Garigliano et les invasions des Hongrois (927, 937, 942), événements à l'origine du phénomène d'enchâtellement de toute la campagne romaine. Mais, dans la mesure du possible, les Papes cherchèrent constamment à maintenir le tissu urbain romain, favorisant ainsi l'élan communal qui allait marquer la grande floraison du Moyen Âge en Italie centrale.

A suivre…

Don Stefano Carusi

 

 

[1] G. Arnaldi, Le origini del Patrimonio di S. Pietro, dans Storia d'Italia, dirigé par G. Galasso, Turin, v. VII, t.II, p15 et ss. Les fonctionnaires byzantins étaient présents à Rome jusqu'au VIIIe siècle, mais leur influence réelle sur la politique de la ville était marginale : cf. O. Bertolini, Roma di fronte a Bisanzio e ai Longobardi, dans Storia di Roma (ed. Istituto di Studi Romani), Bologna 1941, v. IX.

[2] Ibidem, p. 38 et ss. ; pour la gestion des patrimoines ecclésiastiques, cf V. Recchia, Gregorio Magno e la società agricola, Roma 1978.

[3] Ibidem, p. 16. Même par la suite, les Papes, à « l'exception notable de Grégoire III, avaient toujours veillé à ce que la défense de l'orthodoxie et la nécessité même de contenir les Lombards ne portent pas atteinte à leur ligne de loyauté absolue [envers l'Empire] », Ibidem, p. 114.

[4] Ibidem, p. 119, 120.

[5] Ibidem.

[6] Pour la question complexe des confins, cf. Arnaldi, op. cit., p. 127 et ss. Les textes des donations sont dans A. Theiner, Codex diplomaticus domimi temporalis S. Sedis, recueil de documents pour servir à l'histoire du gouvernement temporel des Etats du Saint-Siège extraits des archives secrètes du Vatican, Rome 1861.

[7] Des doutes subsistent parmi les spécialistes quant à la légitimité du geste de Pépin; selon certains, il n'avait aucun pouvoir reconnu sur les terres données, formellement encore byzantines, comme Charles ne l'avait pas non plus en 781. Ce dernier, après son couronnement impérial en 800, ne voit son pouvoir sur l'Occident reconnu par son collègue byzantin qu'en 812. Par commodité, l'appellation de "Roi" a également été donnée à ceux qui étaient plutôt des chefs de peuples.

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29 juillet 2022 5 29 /07 /juillet /2022 21:40

Mise en garde sur cette tendance

24 juin 2022, Fête du Sacré-Cœur de Jésus

 

Et aujourd'hui ils parlent de «brigandage»...

 

Les lecteurs de cette revue née dans la logique d'une critique constructive à large spectre, se souviendront que nous avons consacré des articles détaillés au danger réel pour l'Institut du Bon Pasteur de perdre les spécificités de sa fondation en 2006. Ces études présentes dans cette revue méritent d'être relues face aux récentes sorties de l'Abbé Laguérie. En fait, en quelques interventions, il manifeste maintenant une ligne opposée, et même diamétralement opposée, à celle qu'il tenait officiellement jusqu'à il y a environ un an. Certes, Traditionis Custodes a été une douche froide pour un certain traditionalisme qui voulait se nourrir d'illusions, et ajoutons que maintenant l'Abbé Laguérie n'est plus le Supérieur Général de l'Institut...

A titre d'exemple, il y a une dizaine d'années, alors qu'il était encore en fonction, il écrivait dans la Position commune des membres du Conseil général de l'IBP, Dans le respect du Magistère et du Droit liturgique en vigueur, rédigée à Paris le 23 juin et remise officiellement à Mgr. Pozzo le 20 juillet 2011 : « Nous recevons le texte de tous les Conciles, et notamment du concile Vatican II selon les normes définies par l'Église [...] nous nous attachons à promouvoir "l'herméneutique de continuité et de réforme" ». En ce qui concerne la messe de Paul VI : « Nous attestons "la validité́ ou la légitimité́ du Saint Sacrifice de la Messe ou des Sacrements célébrés dans la forme ordinaire", selon les termes de l'Instruction Universae Ecclesiae du cardinal Levada (30/04/2011)». Dans ce même texte - position officielle - toutes les références au droit de célébrer exclusivement dans le rite traditionnel ont été éliminées et on ne parle plus désormais que de rite propre. Abstraction faite de tout jugement sur le fond, on se demande: où est la cohérence avec les déclarations rapportées dans l'interview accordée à Anne Le Pape dans le journal Presént du 19 janvier 2022 cité au-dessous de cet article?

Nous avons amplement analysé cette question dans de nombreux articles antérieurs, parmi lesquels nous citons à titre d'exemple: Le “rite propre” et l’“herméneutique de continuité” sont-ils suffisants?

De plus, était-ce vraiment nécessaire de faire l’éloge servile de Mgr Pozzo, au moment où il venait de formuler la menace d’une possible abolition de la messe traditionnelle, précisément lors de sa conférence au séminaire de l’IBP? Cf. Mgr Pozzo: la Messe “extraordinaire” peut être interdite par l’autorité.

Le lecteur trouvera ci-dessous des textes récents d’une teneur diamétralement opposée. Bien sûr, il ne serait pas juste d'attribuer uniquement à l'abbé Laguérie le phénomène que nous décrivons dans le titre, mais cet ensemble de données, ainsi que nos articles précédents, ont une valeur illustrative claire. La question qui se pose, y compris dans le monde catholique traditionnel, est la suivante : dans quelle mesure les choix sont-ils dictés par la conscience et dans quelle mesure sont-ils dictés uniquement par l’utilité? Ou par la “supposée” utilité?

La Rédaction de Disputationes Theologicae


 

Voici les extraits publiés sur internet de l'interview d'Anne Le Pape avec l'abbé Philippe Laguérie, Présent, 19 janvier 2022:

Monsieur l’abbé, pensiez-vous revivre un jour une période de chasse aux sorcières (si j’ose cette expression) vis-à-vis du rite traditionnel?

Oui et non ! Si l’on considère les causes profondes de la révolution liturgique des années soixante, l’infestation moderniste du brigandage de Vatican II (bien plus sinistre que celui d’Éphèse!), les mêmes causes produisant les mêmes effets : oui ! Malgré la tentative, qu’on peut dire aujourd’hui échouée, sous Benoît XVI, de rendre à la liturgie bimillénaire de l’Église ses lettres de noblesse, le personnel de l’Église est resté et demeure foncièrement révolutionnaire. « Un mauvais arbre ne peut porter de bons fruits... » Mais à considérer la violence des deux derniers documents romains (Traditionis Custodes et les réponses aux Dubia), leur mépris de la tradition liturgique, le cynisme des mesures adoptées, la rage même de destruction systémique qui suinte la haine, alors on se dit que le pape ne travaille plus « aux périphéries » mais bien plutôt sur une autre galaxie. On sait d’ailleurs de ses voyages que son orthodoxie est inversement proportionnelle au carré de son altitude! Oui: consternation. Nous voilà revenus aux années 70, aux suspens a divinis, au « séminaire sauvage », aux « excommunications ». Odeur de poudre.

Comment comprendre l’attitude du pape François: purement malveillante, ou simplement cohérente avec Vatican II?

Ne surtout pas perdre de vue que le pape actuel est un jésuite! C’est la première fois et, j’espère bien, la dernière. Toujours, un jésuite préférera l’efficacité à la cohérence. Saint Ignace le savait bien, qui avait assujetti ses religieux à un quatrième vœu : celui d’obéissance au pape. Histoire de limiter la casse de ces génies (car la Compagnie en compte à foison). Que l’efficacité livrée à elle seule n’y devienne pas extravagance, présomption, mégalomanie, autoréférence. Les cardinaux l’avaient compris, qui jamais n’avaient élu un jésuite. Un jésuite pape, sans supérieur donc, c’est un génie fou aux commandes d’ un Mirage ou d’un Rafale: garez-vous. Sans qu’il ne soit besoin de supposer au for interne la moindre malveillance. Allons donc, qui vous l’autorise? Un jésuite peut vous assassiner quelqu’un Ad majorem Dei gloriam; facile, si son supérieur n’ y trouve rien à redire et s’il manipule convenablement sa direction d’intention (cf. Les Provinciales). Au XVIIe siècle, ils avaient inventé tant d’ hérésies (probabilisme, molinisme, casuistique, etc.) que le pape dût leur imposer le silence. Et ils se turent! Mais aujourd’hui, on ne voit pas bien, sauf Jésus-Christ lui- même, qui pourrait faire taire un jésuite sans supérieur... Au moins qu’il ne prenne plus l’ avion.

Que pensez-vous de l’objection: «Ne vouloir célébrer que dans l’ancien rite est contester la valeur du nouveau»?

Là-dessus, je me dois d’être clair, après une période de silence diplomatique. Je suis de ceux qui pensent que notre refus absolu de la messe de Paul VI n’est ni affectif, ni disciplinaire, ni charismatique, etc. Il est théologal, théologique, dogmatique et moral. Absolu, quoi! Le péché originel de cette querelle liturgique détestable dans l’Eglise, c’est l’inénarrable et folle audace du pape Paul VI de promulguer un nouvel ordo missae basé sur la recherche des experts, des F... M... et des protestants, et de mettre aux orties (avec des trémolos dans la voix) la messe des pontifes Léon et Grégoire, grands tous les deux. La liturgie catholique ne peut et ne doit être qu’une transmission de l’héritage des Apôtres. Une messe concoctée 19 siècles plus tard ne peut être qu’une ambition prométhéenne, une chimère romantico-libertaire, un populisme de mauvais goût, indigne de l’Eglise de Jésus-Christ. La promulgation du nouvel ordo missae de Paul VI est sans doute légale et valide, mais sûrement pas légitime. Ce qui va être très instructif dans cette crise, c’est le repositionnement d’un chacun: ceux qui survivent par diplomatie et dos ronds ecclésiastiques vont se noyer. Seuls subsisteront les passionnés de la vérité. Ayant passé ma vie à combattre, je suis heureux de constater que je vais mourir, non comme un retraité, mais comme un soldat.

Comment envisagez-vous la question des ordinations?

Je laisse cette question au supérieur général de notre institut, M. l’abbé Gabriel Barrero, qui l’a bien prise en main et avec quelques belles perspectives, mais qui réclame à juste titre le silence...

Y a-t-il selon vous un risque réel de rupture de transmission du rite traditionnel? Si oui, quelles en seraient les conséquences?

Aucun, aucune! La «bataille» de la messe catholique a été gagnée définitivement et irréversiblement par Mgr Lefebvre dans les années 80. Ce qui est fait n’est plus à faire! Il y a des dizaines de milliers de prêtres de par le monde qui célèbrent la messe grégorienne et ce ne sont pas les gesticulations de quelque secrétaire romain ou de quelque évêque résidentiel, qui fait des heures « sup », qui y changeront quelque chose. C’est trop tard : nous avons gagné la bataille. Je ne suis pas de ceux qui spéculent sur un infarctus ou un AVC du pape: je trouve cela misérable, d’autant que le parieur pourrait bien faire les frais de son pari. Je sais par contre que TOUS les prêtres que je connais (à commencer par moi) ne passeront jamais à cette messe qui a ruiné l’Eglise d’Occident, d’Amérique et d’Afrique. Macron aura plutôt fait de vacciner les fœtus que François de nous imposer la synaxe de Paul VI. Avec 43 ans de sacerdoce, croyez-vous seulement que j’irai demander quelque permission à qui que ce soit pour célébrer la messe de mon ordination?

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2 avril 2022 6 02 /04 /avril /2022 19:45

Sur la décadence de l'Église en tant que "societas"

2 avril 2022, Dimanche de la Passion

 

 

Il fallait un "libéral" de la trempe d'Ernesto Galli della Loggia, dans un journal  habituellement porte-drapeau du politiquement correct, comme "Il Corriere della Sera", pour soulever une vérité connue de tous les prêtres, a fortiori s'ils vivent "Oltretevere" (le Vatican Ndt) ! Mais une vérité inavouable : la justice au Vatican, au sens de justice rendue à celui qui la demande ou à celui qui a été injustement accusé - si nécessaire en recourant à un débat judiciaire devant les tribunaux - se déroule d’une manière profondément inique. Actuellement, par les "temps bergogliens", nouveaux et radieux, dépeints comme l'avènement tant attendu de "l'équité sociale", de "l'ouverture", de "la miséricorde" d’une Église sortie de l'obscurantisme, la situation - qui n’était déjà pas rose depuis quelques décennies - n'a fait que glisser vers des modèles, auxquels le journaliste fait également allusion, plus... "sud-américains". C’est-à-dire qu’on a ajouté une bonne dose de démagogie. 

Le journaliste susmentionné, à l’approche « laïcisante » générale qu’évidemment nous ne cautionnons en aucune manière, commente la méthode accusatoire et la procédure utilisée en évoquant le cas d’un cardinal bien connu. (Son éventuelle culpabilité ou son innocence ne constituent pas l’objet de cet article). Il écrit ainsi :

« Le procès du cardinal Becciu met en lumière le point qui est à l'origine, du moins à l'origine immédiate, de la crise qui semble désormais se propager dans l'Église catholique 

Le procès dont l'accusé le plus célèbre est le cardinal Becciu a un effet certain. Que personne, s'il était appelé à répondre d'une quelconque accusation - de l'homicide volontaire à l'excès de vitesse - n'accepterait jamais, s'il en avait le choix, d'être jugé par un tribunal du Vatican.

On peut en effet débattre longuement de la question de savoir s'il est préférable de faire face à la justice devant une cour américaine ou devant un tribunal italien, mais après ce que nous avons vu depuis deux ans environ, il est certain qu'aucune personne saine d'esprit ne songerait à affronter la déesse aux yeux bandés dans une salle d'audience à l'ombre de Saint-Pierre ».[1]

Nous répétons ici que notre intérêt n’est pas de savoir si le Card. Becciu est coupable ou innocent de ce dont on l'accuse, ou des événements peu clairs, peut-être même vraisemblables, qui se cachent derrière cette histoire, mais de voir que même les ennemis de l'Eglise sont scandalisés (malheureusement avec de bons arguments) par les procédures de jugement dans "l'Eglise en sortie". Citons ce qui est devenu clair même pour les journalistes du Corriere :

« 1) que, comme dans Alice au pays des merveilles, dans l'État du Vatican, les peines sont imposées avant la condamnation (Becciu a été privé de tous les droits attachés au cardinalat ex abrupto par le pape sans qu'aucun acte judiciaire d'aucune sorte n'ait été pris contre lui auparavant) ; 2) qu'au Vatican - toujours comme au pays des merveilles - ceux qui ont le pouvoir de le faire peuvent changer les règles du procès comme ils le souhaitent au cours de celui-ci : et non pas une, mais deux, trois, quatre fois, au moyen de pronunciamientos sur mesure appelés « rescritti » ; 3) que le principal suspect, tel Monseigneur Perlasca, peut non seulement devenir par magie le principal témoin de l'accusation et ainsi éviter non seulement toute inculpation mais même le tracas de comparaître devant le tribunal pour réitérer ses accusations ; 4) que ce n'est pas le président du tribunal qui dirige effectivement le procès, mais la partie qui mène l’Accusation Publique, qui peut se moquer des instructions péremptoires données par le président susdit et donc, par exemple, déterminer quand présenter la documentation demandée et n'en donner qu'une partie, et choisir toujours cette partie à sa guise ; 5) que par conséquent, dans cette salle d'audience, les temps du procès sont ce qu’il y a de plus aléatoire qu'on puisse l'imaginer (encore pire qu'en Italie, ce qui est tout dire) ».[2]

L’influent journaliste, libéral et peut-être connaisseur quelque peu approximatif du véritable fonctionnement vertueux des tribunaux de l’Eglise dans le passé, se réfère ironiquement aux paroles prononcées pour « légitimer les nombreuses anomalies indiquées ci-dessus » par un des représentants de l’Accusation Publique du Vatican : « C'est l’ordonnancement canonique qui est la première source normative du Vatican, c'est le droit divin qui est la base du pouvoir du Pape : si vous ne comprenez pas cela, vous vous égarez ».

Ce qui a été dit, même si c'est sur un ton moqueur, est fondamentalement vrai, mais il faut surtout préciser une distinction capitale qui échappe au chroniqueur, plus porté sur la rhétorique, citant le besoin de se renouveler, l'air frais à faire entrer dans l'Église et l’incontournable renouveau de Vatican II... il oublie cependant combien les juges qu'il stigmatise comme iniques sont, au moins en paroles, des promoteurs acharnés et sans critique de ce Concile.

Au fond, cela est vrai, avons-nous dit : l'Église est fondée sur le droit divin. Et cela est  juste et bon. Toute autorité ne juge et n'a le pouvoir de juger qu'en tant que représentante de la Justice divine, du Juste, entendu comme Notre Seigneur Jésus-Christ et comme Justice objective plus largement, le "iustum". Le critère de jugement, n’en déplaise à Galli della Loggia, n'est donc pas la démocratie libérale, ce n'est pas la dictature de la majorité, ce n'est pas le politiquement correct ; le critère de jugement des tribunaux de l'Église doit être le droit qui découle de Dieu et non des caprices des médias. La règle reste donc la conformité ou non de l'acte avec le droit naturel et révélé, reconnaissant au Souverain Pontife - en vertu du Pouvoir Suprême des Clés - d'intervenir également dans un procès, en graciant ou en condamnant par son jugement incontestable un baptisé sur lequel il a autorité ; il faut cependant des preuves certaines de la sorte que la procédure requise par la justice naturelle ne fasse pas défaut. Mais attention - et c'est là la distinction sur laquelle nous insistons - ce pouvoir incontestablement donné par le Christ au Pape (ou au Roi dans l'ordre temporel) présuppose une donnée fondamentale : son exercice doit être ouvertement déclaré et non pas supposé, insinué, sous-entendu et donc invoqué subrepticement pour imposer l'arbitraire. Prenons un exemple : lorsque le Souverain Pontife, ayant reçu des preuves suffisantes de la culpabilité d'un prêtre, décide même sans procès entendu à la manière moderne, de le punir justement, il n'a pas besoin de convoquer des juges et des avocats. Il peut, et parfois doit, agir même seul, sous réserve d'une enquête préliminaire adéquate afin de ne pas être injuste. Mais il doit le déclarer : « Moi, Souverain Pontife, usant du pouvoir que le Christ m'a donné, je dépose tel roi infidèle, je punis tel prêtre parjure, j'excommunie tel fidèle hérétique ». C'est ainsi que l'Église a toujours agi, c'est ainsi que les Souverains Pontifes se sont toujours comportés... avant que le "complexe" du moderniste (qui demeure cependant un autocrate...) ne s’emparât des esprits.

Aujourd'hui, cependant, d'une part on a honte d'exercer ouvertement un pouvoir monarchique venant de Dieu, mais d'autre part il est commode de faire taire les opposants en l'invoquant implicitement, sans l'exercer ouvertement. Le résultat ? On feint d’utiliser le "débat procédural", les "méthodes démocratiques" comme dans le "libéralisme parlementaire", les "procédures nouvelles et équitables par rapport à l'autocratie papale du passé", mais en fait le recours au "droit divin" demeure, en l'utilisant toutefois de manière objectivement diabolique. Parce que l’exploitation et la corruption des choses les plus saintes, données par Dieu pour la défense de Église, par des méthodes les plus iniques et les plus sournoises scandalisent même les journaux maçonnico-illuministes qui,  constatant l'abus d'autorité, affirment que tout cela en dit long sur la gravité de « la crise qui semble maintenant se propager dans l'Église catholique ». En effet, à l'exception de ce qui est strictement garanti par la nature divino-humaine de l'Église, lorsque les rapports ne sont pas réglés par la justice, pire lorsque l'arbitraire est élevé au rang de principe, tout l'organisme social tend vers la décadence parce que la confiance dans l'autorité et entre les membres se perd. Et fallait-il un laïc libéral comme Galli della Loggia pour nous rappeler cette vérité ? N’était-ce pas plutôt le rôle des nombreux réformateurs de l’ « Eglise en sortie » ?

N'étions-nous pas au grand moment des "garanties démocratiques", parce que nous étions désormais "Fratelli tutti" et qu'il n'y avait plus l'autorité hargneuse du Moyen Âge ? Ou alors est-il vrai que derrière le légalisme hypocrite moderne se cache le fait qu'il n'y ait plus personne qui prenne ses responsabilités ? Et - à la manière des Jacobins - on intimide et on punit d’une façon … "impersonnelle" ?

La vérité est que ce système pourri et arbitraire d'administration de la justice est le plus éloigné de la vision médiévale et catholique de l'administration… de la justice.

Il suffit de penser à la méticulosité et à la miséricorde des procès de l'Inquisition romaine lors desquels la justice donnait d’une part d'amples garanties de défense à l'accusé et d’autre part reconnaissait la place du monarque, au-dessus de la loi, précisément pour garantir une application équitable de ce qui est « juste » et pas seulement « légal ».

C’est cela que notre Rédaction affirmait il y a quelques années : si le Saint-Siège veut imposer à un Institut religieux un chef qui n'a pas été élu par les membres, il a le pouvoir de le faire. C'est le pouvoir des Clés. Bien sûr, nous ne parlons pas d'infaillibilité, il n'y a aucune promesse divine d'infaillibilité papale dans les choix contingents de gouvernement, mais il y a exercice légitime d'un pouvoir de gouvernement qui n’est pas exempt d'erreur humaine. Le Pape en soi peut donc déposer un supérieur et en placer un autre, même s'il serait gravement immoral de le faire uniquement sur un coup de tête et non pour le véritable bien de l'Église.

En tout cas, on ne peut jamais affirmer - pas même un Pape ne peut le faire - qu'une procédure illégitime en soi et même contraire au droit naturel, devienne légitime et morale. Tout au plus, on peut faire ce qu'on appelle une "régularisation", une "sanatio", des irrégularités, mais il est honnête de le déclarer. Par exemple, nous avons écrit que si l'autorité veut vraiment que telle personne soit à la tête de tel organisme on ne manipule pas le collège électoral afin de pouvoir dire qu’on est arrivé - librement et même "démocratiquement" - au résultat voulu par l'autocrate. Cela n’est pas "l'exercice du droit divin", comme semble l'insinuer Galli della Loggia, mais c’est l'hypocrisie du système libéralo-maçonnique qui s’est emparé aussi des esprits de nombreux prélats. A la limite, on peut exercer l’autorité et imposer un légat pontifical. Cette dernière procédure aurait le mérite de ne pas être aussi hypocrite que la précédente. On assume au moins la responsabilité de la gouvernance. Si l'on est chef, on décide ou on punit en son nom propre, sans se couvrir derrière la composition des jurys, la modification des chapitres électifs, la substitution des juges et des procédures au cours du débat judiciaire. Ceci est contraire à la justice naturelle, alors qu'il n'est pas contraire à la justice qu'un Pape gouverne en tant que monarque avec des méthodes "romaines" et non pas avec une "démagogie sud-américaine".

C'est le courage que doit avoir l'Église, d'être elle-même, avec autorité si nécessaire, même en revêtant le gant de fer si la situation l'exige, mais avec la franchise du Moyen Âge chrétien et non pas avec l'hypocrisie libérale, qui se cache derrière des subterfuges procéduriers. Que l’on condamne, si nécessaire, mais que l’on ne change pas en cours de route la procédure afin d'obtenir - d’une manière politiquement correcte - le résultat qui était déjà fixé.   

Quelques années avant Galli della Loggia (que cette crise de l’Eglise est donc grave puisque seule la parole d’un libéral peut être entendue !...) nous avions déjà posé la question suivante :

est-il possible qu'une personne qui défend ses propres droits auprès du Tribunal Suprême de la Signature Apostolique ne puisse pas lire son propre mémoire de défense, alors que les mêmes autorités du Vatican s'évertuent à exiger la plénitude des droits civils pour tous les immigrés islamiques ou même les terroristes assassins, en revendiquant avec une rhétorique mielleuse les "droits universels de l'homme " ? Le mémoire de défense de celui qui défend son propre droit est en fait rédigé par un autre, par un avocat tiré de la liste très limitée de ceux qui sont accrédités auprès du Tribunal de la Signature. Et il est tenu secret pour la personne concernée! Je ne peux pas savoir comment je me suis défendu, je ne connais pas ma défense ! Mais une sentence me parviendra qui mentionnera ce que je n'ai pas écrit. Ou plutôt, ce que j'ai dû suggérer à l'avocat, sans savoir s’il le transcrirait, dans l'ignorance quasi totale des documents pour ou contre moi. Oui, car on ne peut pas - et pas seulement dans des cas particuliers - connaître les documents présentés au juge par l'autre partie.

Il est vraiment arrivé que (link) , après avoir demandé une assistance judiciaire, la réponse négative arrivât vers le 31ème jour, alors que les délais de recours expiraient le 30ème jour - ou arbitrairement les faisait-on expirer ce jour là ? - et ainsi un procès dérangeant ne fût même pas débattu. Vous avez trente jours pour répondre, mais nous vous dirons le 31ème que nous ne vous accordons pas l'avocat commis d’office, donc les délais sont expirés et le procès ne sera pas entendu. Est-ce cela la justice ? La procédure nous a été décrite comme telle - ou comme devenue telle - par le strict Mgr Daneels comme par l’ l'ultra-bergoglien Mgr Sciacca, Secrétaires de la Signature Apostolique.

D'après ce que révèle Il Corriere della Sera, on peut se demander : mais vraiment était-ce ainsi ou bien les procédures sont-elles habituellement manipulées et adaptées ? Et si les plaignants ont vraiment tort, ne serait-il pas plus honorable pour un tribunal - qui se targue du titre d' "apostolique" - de permettre au moins un débat judiciaire ? "Si j'ai mal parlé, dis-moi en quoi je me suis trompé, sinon pourquoi me frappes-tu" ?

Telle est, malheureusement, la réalité de la "justice" au Vatican et, à l'époque bergoglienne, les choses ne se sont certainement pas améliorées. Contrairement à Galli della Loggia, nous soutenons qu'il est juste que l'Église soit fondée sur le droit divin. Mais avec des dirigeants qui assument la responsabilité de leurs choix, y compris les choix punitifs. Telle est l'Église des Saints, qui sait quelle grandeur lui a été confiée et qui fait ouvertement usage de ses justes pouvoirs, sans se couvrir de ridicule en singeant en paroles le système libéral et en se comportant en fait comme un autocrate. Lorsque Saint Pie V fut élu au trône, l'une des premières choses qu'il entreprit fut de réformer les tribunaux pour qu'ils rendent la justice, conscient que l'Église n'est pas réductible à cette indéfinie "communion d'amour" que les modernistes brandissent, mais qu'elle est avant tout "société". Et une société se fonde sur la justice des rapports. C'est le même Saint Pontife qui, lorsqu'il eut affaire à Elisabeth d'Angleterre, n’institua pas "démocratiquement" et "hypocritement" une commission de membres manœuvrables, ne modifia pas les procédures en cours de route pour parvenir à un "résultat partagé", comme on dit aujourd'hui, mais en revêtant simplement et évangéliquement la crosse et la tiare déposa l'hérétique sanguinaire du trône qu'elle usurpait, assumant pleinement ses responsabilités devant Dieu et devant l'histoire. Juste exercice du droit divin et zèle pour que les tribunaux humains soient justes. Face à ces réalités douloureuses, comme lui, nous recourrons pour l’Eglise à l’arme du saint Rosaire en nous souvenant que « la force principale des mauvais, c’est la faiblesse et la lâcheté des bons» (Saint Pie X).

Don Stefano Carusi

Abbé Louis-Numa Julien

 

[1] E. Galli della Loggia, I molti aspetti singolari della giustizia vaticana, in Il Corriere della Sera, 16 febbraio 2022.

[2] Ibidem.

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6 mars 2022 7 06 /03 /mars /2022 19:19

Nous recevons et nous publions

Carême 2022

 

Après plus de huit ans, la lettre suivante - dont le contenu n’a pas perdu son actualité - n’a pas reçu de réponse. Au lieu de l’ « ouverture » affichée, on remarque plutôt, pour les voix critiques d’un certain type, la mise en place de mesures destinées à réduire au silence (elles vont du renvois de cardinaux jusqu’au régime restrictif des “concessions” du rite traditionnel), ce qui favorise le découragement et l’exaspération. Ndr.

 

Lettre ouverte au Cardinal Maradiaga

Février 2014

A S. E. R. le Card. Oscar Andrés Rodríguez Maradiaga

Coordinateur de la "Commission des Cardinaux"

 

Et, par connaissance,

A d’autres Cardinaux

 

« Je promets de ne rien diminuer ou changer de ce que j’ai trouvé conservé par mes vénérés prédécesseurs, et de n’admettre aucune nouveauté, mais de conserver et de vénérer avec ferveur, comme leur véritable disciple et successeur, de toutes mes forces et avec tous mes efforts, ce qui a été transmis [...] Si j’ai la prétention d’agir en dehors de ces choses, ou de permettre à d’autres de le faire, Vous ne me serez pas favorable au jour redoutable du jugement divin » (extrait du Serment des Papes le jour de leur couronnement […] à propos de la grandeur et des limites du pouvoir pontifical).

 

Eminence Révérendissime,

dans l’interview que Votre Éminence a accordée à La Repubblica, l’organe de la gauche maçonnique en Italie, le 22 novembre dernier, en réponse à la question du journaliste "Pourquoi avez-vous choisi Bergoglio au conclave ?", Votre Éminence a déclaré : "C’était l'Esprit Saint. Ce jour-là, il n’était pas en vacances ou en train de faire la sieste. Bergoglio avait déjà démissionné de son poste d'Archevêque de Buenos Aires et attendait son successeur pour partir en retraite. Il ne pensait pas à l'élection et avait son billet de retour à la main. Au lieu de cela, l'Esprit a suggéré un nom différent de celui de la curie et de l'Italie". En nous conformant à humour de votre réponse, et confiant dans l'esprit salésien de Votre Eminence, nous nous permettons de Vous présenter avec franchise quelques perplexités que nous avons à ce sujet, en Vous ouvrant librement notre cœur.

 

A vrai dire - selon la logique de la réponse, qui semble d'ailleurs aller au-delà de la question - « l'Esprit » semblerait avoir éclairé encore plus précisément La Repubblica d'Eugenio Scalfari (et les cercles qui se cachent derrière) : en effet, il est avéré qu'il avait déjà deviné le nom du nouveau Pape quelques jours auparavant, alors que l'intéressé direct a dit y avoir pensé seulement pendant l'élection, et seulement après avoir dépassé les soixante-dix-sept voix (cf. le très favorable A. Tornielli Francesco Insieme, pp.68-69).

 

Nous ne doutons pas que le Cal. Bergoglio avait un billet de retour pour Buenos Aires à la main, mais nous devons également constater quelques éléments dissonants. Oublions sa déclaration de faire de feu Don Giacomo Tantardini son secrétaire en cas d’éléction (Don Giacomo Tantardini est décédé un an avant l'élection). Oublions la campagne électorale mise en œuvre pour lui dès 2005 par le diplomate Mgr Pietro Parolin aujourd’hui cardinal et secrétaire d’état. Oublions ses visites incognito non encore éclaircies à ce haut lieu clérico-curialo-mondain, l’Académie Ecclésiastique, précisément dans les semaines précédant le dernier Conclave. Oublions encore que le nom de l’élu était certes, suffisamment « différent de celui de la Curie » mais pas au point d'empêcher des hommes influents de la curie de permettre cette élection ni au point de mettre en péril le milieu diplomatique curial à l’issue d’un consistoire ostensiblement pénalisant pour d’autres milieux ecclésiastiques. Oublions beaucoup d’autres choses encore. Demeure alors le fait qu’à l’époque du « billet d’avion », il avait dit à ses amis qui s’appliquaient à faire campagne pour lui, à « penser » et à travailler discrètement à l’élection, que s’ils l’élisaient, il accepterait l’élection, qu'il nettoierait vigoureusement le Vatican et qu'il se garderait bien de prendre un café dans le Palais papal (prévoyant déjà de résider ailleurs).

 

En réalité, la question posée se référait clairement aux déclarations faites à L'Espresso - un magazine lié à la Repubblica et appartenant au même groupe éditorial - par l'un de ses confrères du Sacré Collège, le Cal. Barbarin (29 octobre 2013). Selon le cardinal français, le cardinal Bergoglio aurait été élu sur la base d'une intervention selon laquelle il aurait « dit textuellement » : « J'ai l'impression que Jésus a été enfermé à l'intérieur de l'Église et qu'il frappe parce qu'il veut sortir, il veut s’en aller ». Ces déclarations d'un cardinal électeur, attribuées à celui qui siège sur le trône de Pierre et présentées expressément à la revue comme étant littérales - bien qu'en contraste direct avec certaines de ses homélies en tant que Pape -, ne sont pas faciles à interpréter et de toute manière ne correspondent pas à l’idée d'une expansion missionnaire de l'Église du Christ lui donnant de nouveaux enfants. Ces affirmations sont parues sous le titre : Pape Bergoglio : le Christ veut sortir de l'Église. De fait, elles ont été comprises par la rédaction, par de nombreux lecteurs, comme une légitimation de la vieille revendication hérétique et maçonnique de séparer le Christ de son Église ; laissant penser tranquillement ainsi qu’on peut rester avec le Christ tout en s’obstinant à refuser « ce qui est propre au Christ », comme le disait saint Ambroise.

 

Peut-être, cet article a-t-il un goût de rappel et d'avertissement, c’est-à-dire de pression sur l’élu ? Quoi qu'il en soit, curieusement, le protagoniste de ces signaux probables est le même groupe éditorial qui a accueilli le célèbre Diario del Conclave (le Journal du Conclave, Ndt), duquel a émergé le rôle important du Cal. Bergoglio en tandem avec un journaliste du mouvement Communion et Libération. En outre, des journalistes du mouvement Communion et Libération de Rome (dont l'une aurait déjà fait carrière), ainsi que certains ecclésiastiques appartenant à un courant ecclésial bien défini et correspondant précisément aux référents ecclésiastiques de ce groupe éditorial, ont travaillé dans le plus grand secret à la candidature du Cal. Bergoglio. Certains d'entre eux ont pensé soutenir l'ami de Don Giacomo Tantardini, prêtre romain de Communion et Libération, les autres - du moins ceux qui l’ont clairement annoncé - ont pensé s'opposer à la candidature du "papabile" de Communion et Libération le Cal. Scola. Tout comme, selon certaines déclarations, certains ont pu comprendre que "la publicité aurait changé mais que le produit serait resté le même" et d'autres - même au sein de l'Église - ont pu comprendre qu'il en émergerait "une nouvelle Église" - bien que d’une manière oscillante et à la limite aussi dissimulée que nécessaire dans l’esprit d’un "retour" du Cal. Martini.

 

Alors qu'un homme de curie puissant et de longue date comme le Cal. Sodano, qui s'était montré tout sauf enthousiaste à l'égard du précédent Conclave (supposant en privé que le Pontificat de S.S. Benoît XVI ne serait pas long), puis, étrangement, avait célébré les funérailles de Don Tantardini, dressait un portrait parfait de l'Archevêque de Buenos Aires dans l’homélie de la Sainte Messe Pro eligendo Romano Pontifice. Alors qu'un autre prélat avait prédit des mois plus tôt ce qui, en substance, s'est réellement passé : le pape Ratzinger ne passerait pas Noël 2012. Alors que la campagne Vatileaks, précédant le retrait du Pontife qui a rendu possible ce nouveau Conclave, et à laquelle - connexion curieuse et récurrente - les organes de ce même groupe éditorial ont fortement fait écho, semble s'être arrêtée (du moins pour l'instant) comme par enchantement. Éminence, au lieu de "trop" se réfugier derrière l'Esprit Saint, combien de choses y-aurait-il à clarifier !

 

Après avoir évoqué les questions historiques, ne négligeons surtout pas les questions doctrinales. Dans la tendance à une sorte de refondation de l'Église, édifiée hier sur Pierre et aujourd'hui sur Simon (un glissement qui, évidemment, ne sera jamais complet, nous le savons bien, mais qui, entre-temps, peut être nuisible et radicalement trompeur), nous relevons en particulier, avec une certaine inquiétude, trois points spécifiques. Par conséquent, après avoir attendu dans le calme et la prière, et en prenant au sérieux certaines déclarations générales vibrantes du Pape Bergoglio, qui, lorsqu'elles sont appliquées, nous amènent tous à traiter ces questions, nous présentons ces points - dans un esprit de parrhesia évangélique - à Votre Éminence en raison de Votre fonction, et aussi pour que Vous puissiez éventuellement les présenter à Sa Sainteté François. Nous pensons, en conscience, que de cette manière nous ne serons certainement pas des courtisans (phénomène qui, comme le népotisme, ne semble pas se limiter à la Curie Romaine des temps récents).

 

1) Dans Evangelii gaudium n° 253, par exemple, le Pape François prend soin de déclarer expressément l'exclusion des « odieuses généralisations », négatives envers les musulmans (avec un jugement d'ailleurs largement bienveillant sur l’Islam). Cependant, vis-à-vis des catholiques appartenant à la typologie de ceux qui n’ont pas voté pour lui au conclave et dont le profil ne correspond ni à sa formation personnelle ni à sa sensibilité ni aux expériences antérieurs à son élection, le souci d’apporter des éclaircissements pour exclure les « odieuses généralisations » ne s’est pas manifesté (cf. Evangelii gaudium n° 94 et 95, et encore plus en diverses autres occasions). Au contraire : à plusieurs reprises, il a eu des mots méprisants, durs et nous dirions presque violents à l'encontre de certains catholiques ; parfois même du sarcasme. Sans compter d’autres phrases, pour lesquelles on se demande parfois où était le Cal. Bergoglio au cours des dernières décennies, qui sont des expressions, indépendamment de l’intention, que certains milieux influents peuvent facilement utiliser (en sélectionnant parmi certaines déclarations ambivalentes) : non seulement contre certains catholiques qui ne sont pas des disciples de Bergoglio, contre des catholiques qui ne partagent pas le martèlement de certains slogans devenus une idéologie intouchable, mais - et c'est ce qui est particulièrement inquiétant - contre certains thèmes, contre certaines instances.

 

En ce sens, nous constatons que le même document prend soin de citer le célèbre passage (usé et abusé, même selon le témoignage de S.S. Jean Paul Ier) de S.S. Jean XXIII sur les « prophètes de malheur » (n.84), mais omet les déclarations pontificales de teneur opposée, y compris les plus récentes moins connues qui comprennent une certaine autocritique, jusqu’aux larmes.

 

2) Une certaine tendance épiscopalienne, assez marquée est également préoccupante. Après son auto-présentation depuis le balcon de Saint-Pierre de Rome avec pour seule carte de visite son titre d’évêque de Rome répété à trois ou quatre reprises dans ce bref discours (certains se sont d’ailleurs immédiatement demandés s’il s’agissait d’un signe pour quelqu’un) ; après son éloge lors de son premier Angélus du cardinal Kasper (tout en mentionnant aussi la Vierge pèlerine de Fatima et le confessionnal), cardinal dont il loue non seulement un livre, mais sa théologie en générale et qui est l’un des principaux représentants de la tendance épiscopalienne. Et maintenant cette tendance est favorisée par la décentralisation préconisée aussi par Evangelii Gaudium.

 

Il est vrai que pendant qu'il disait ces choses, le Pape Bergoglio (ou celui qui faisait ça à sa place) n’a pas manqué de donner des ordres. Mais il est également vrai que (par exemple) un important vaticaniste, absolument favorable à cette tendance en question, a pu commenter avec une satisfaction factieuse : par une décentralisation de ce genre, concernant même les compétences doctrinales, une Conférence épiscopale particulièrement progressiste aura la voie ouverte pour - par exemple - changer dans les faits la position de l'Église sur les " divorcés remariés ". Voilà les attentes qui, quel que soit le résultat final, sont entre-temps encouragées !

 

Ce n'est pas suffisant. En fait, nous trouvons déjà un programme de décentralisation étendue dans le magazine du Grand Orient de France, L'Humanisme. Et nous imaginons que le cœur salésien de Votre Eminence va sursauter en repensant à cette phrase de Saint Jean Bosco : la Franc-Maçonnerie, c'est-à-dire le diable. Dans le numéro de mai-octobre 1968, cette revue parle, avec une grande franchise, d'une sorte de « révolution copernicienne », d'une « révolution gigantesque dans l'Église » qui porte déjà en elle, (pour ses ennemis), « le prélude de la victoire ». En effet, outre l'éloge du processus de désacralisation, on peut lire : « Lorsque les structures traditionnelles s'effondreront, tout le reste suivra. [...] Ce n'est pas la guillotine qui attend le Pape, mais ce sera l'établissement d'Eglises locales, qui s'organiseront démocratiquement et refuseront de reconnaître les frontières entre clercs et laïcs, qui construiront leurs propres dogmes et vivront en totale indépendance de Rome. [...] Le Vatican ne pourra plus contrôler les mouvements d'un grand corps que l'on croyait homogène... Le temps ne serait-il pas venu de revenir aux Eglises "nationales" ? Que le Pape ne s'attende pas à la guillotine car notre époque est devenue plus humaine; mais les "Églises locales" attendent cela, et il lui faudra trouver un accord avec elles. Il serait facile de rappeler certains épisodes du passé, comme l'Église gallicane par exemple. Une fois l'évolution terminée, le pape deviendra superflu, puisque les Églises locales "vivront en pleine indépendance par rapport à Rome". C'est donc la guillotine, mais sous une autre forme : l'anéantissement ! ». On touche ici, volontairement ou non, à la Constitution divine de l'Église; et l'esprit se porte sur le fruit de la décentralisation épiscopale orthodoxe historique : sa faiblesse structurelle, par exemple face au pouvoir mondain. Votre frère dans l'épiscopat, Mgr Rudolf Graber, commente dans son livre Saint Athanase et l'Église de notre temps (p. 81) : « Nous savons maintenant à quoi nous avons affaire. Le "plan de Lucifer" nous a été clairement et ouvertement révélé ».

 

3) Les discours répétés contre le prosélytisme (sans que son sens exact soit clairement défini) inquiètent. Il ne fait aucun doute que si l'on entend par ce mot la mise en œuvre de l'apostolat avec des méthodes indignes (par exemple, celles que des laicistes comme Eugenio Scalfari appellent les méthodes jésuites), nous sommes tous d'accord. Cependant, comme l'a reconnu avec embarras un évêque dans sa revue diocésaine, ce que la multitude a compris de l'apparente interview à La Repubblica c'est qu'il n'y a pas besoin de se convertir au catholicisme (interview probablement mal rapportée, mais en fait c'est le message qui est passé; alors nous demandons : le Pape n'est-il pas obligé, par strict devoir d'état, d’agir - justement humblement - avec une grande prudence ?). Le message passé indique tout au plus souhaitable de se convertir au catholicisme, pour certains, mais pas nécessaire (une option). N'est-ce pas cela, au sens évangélique du terme, un scandale ? Les Apôtres, le premier Pape dans son discours paradigmatique, Saint François au Sultan, ont-ils parlé de manière à ce que leurs interlocuteurs puissent comprendre cela ? [...] Comment pourrait-il être fidèle aux paroles divines « euntes docete » ? Qu'en est-il de cette phrase divine « celui qui croira et sera baptisé sera sauvé, celui qui ne croira pas sera condamné » ? [...] Qu'est-il advenu de l'avertissement répété du Saint-Esprit selon lequel « si tu ne l'as pas averti de sa ruine, c’est à toi que je demanderai des comptes » ? [...] Qu'advient-il dans ce contexte de deux œuvres de miséricorde, vraiment de miséricorde, telles que l'instruction des ignorants et l'admonition des pécheurs ? [...].

 

4) Enfin, relisons quelques passages des lettres de saint François d'Assise, le saint précisément dont Bergoglio porte le nom.

Lettre à tous ceux qui ont des charges publiques : « Souviens-toi et pense que le jour de la mort approche. Je vous supplie donc, aussi respectueusement que je le peux, de ne pas oublier le Seigneur, pris que vous êtes par les soucis et les préoccupations du monde. Obéissez à ses commandements, car tous ceux qui oublient le Seigneur et se détournent de ses lois sont maudits et seront oubliés par lui. Et quand viendra le jour de la mort, toutes ces choses qu'ils pensaient avoir leur seront enlevées. Et plus ils sont savants en ce monde, plus ils auront à souffrir les peines de l'enfer [...] Vous êtes tenus de donner au Seigneur tellement d'honneur parmi le peuple qui vous est confié, que chaque soir vous fassiez annoncer, au moyen d'un héraut ou de quelque autre signe, que des louanges et des remerciements soient rendus au Seigneur Dieu tout-puissant par tout le peuple. Et si vous ne le faites pas, sachez que vous aurez à en rendre compte à Dieu devant votre Seigneur Jésus-Christ au jour du jugement ».

 

Lettre aux fidèles laïcs, sur celui qui ne suit pas le Christ : « Ils sont prisonniers du diable... ils voient et reconnaissent, connaissent et font le mal, et perdent sciemment leurs âmes. Car celui qui meurt en état de péché mortel... le diable enlève son âme... et ils iront en enfer où ils seront tourmentés éternellement ».

 

Lettre aux prêtres : « Rendez le plus grand honneur au Corps et au Sang très saints de notre Seigneur Jésus-Christ ». Parfois au contraire « le Corps du Seigneur est placé et laissé dans des lieux indignes, il est transporté sans aucun honneur et reçu sans les dispositions dues et administré sans révérence ».

 

En les lisant, nous pensons avec tristesse : quand ces avertissements résonnent-ils dans le monde catholique d'aujourd'hui ? Quand le pape François sera-t-il lui aussi François en confessant ces vérités, en avertissant le troupeau (actuel et potentiel) des dangers comme l’enfer, tellement graves et tellement perdus de vue aujourd'hui ? Le Seigneur ne dit-il pas, sans circonscrire cela "ad intra", que si tu ne l'a pas averti (la lumière ne se met pas sous le boisseau !), de sa mort, à toi je te demanderai d’en rendre compte ?

 

Votre Éminence, c'est par amour pour l'Église que nous Vous avons écrit [...].

 

Mais nous constatons aussi certains efforts récurrents et massifs d'instrumentaliser le Vicaire du Christ : La Repubblica et Famiglia Cristiana ont ouvertement loué, au nom de ce Pape, « une nouvelle Église » (à leur image et à leur ressemblance), exaltant Simon et humiliant Pierre. Cette position est exactement l’opposée de celle de ce Pape [Pie II, Ndt] qui a été humble non pas en refusant, au milieu des applaudissements du monde, les "oripeaux" qu'il trouvait présents pour la fonction qu'il occupait, mais en disant, avec sa bouche et avec des faits : « Aeneam reicite, Pium recipite »; comme l'a fait aussi notre bienheureux Pie IX, sacrifiant comme Pape avec humilité certaines de ses vues, certaines de ses orientations de Cardinal. Un organe officiellement catholique en vint à titrer, idéologiquement et factieusement : « Martini Papa » [le Cardinal Martini a été élu Pape, Ndt]. Et nous ne pouvons pas ne pas penser (car nous serions en train de renier la raison contre l'Évangile et contre le Magistère) que certains actes et certaines paroles de celui qui est maintenant assis sur le Seuil de Pierre, certaines ambiguïtés et imprudences objectives, ont pu favoriser des instrumentalisations aussi importantes.

 

Comme lorsqu'il a fait le large éloge, mentionné ci-dessus, du Cal. Kasper élevé à la pourpre par un récent prédécesseur avec des réserves pontificales contenues dans une lettre d’admonestation et portant précisément sur sa théologie, ce qui est inhabituelle.

 

De nombreuses personnes se rendent compte que l'Église, même si elle ne peut pas le dire immédiatement et ouvertement, change de position sur des questions telles que les "divorcés remariés". Qui répond devant Dieu du mal fait en laissant passer un tel message dans la réalité ? Et si les familles en crise qui ont essayé de tenir bon, quoique assiégées par les tentations, en trouvant ouverte la "voie large" de l'autojustification, considéraient que, finalement, même l'Église dit maintenant qu'il ne faut pas être si rigide... ? Que ce n'est pas certes une chose idéale, mais qui est sans péché ? Et si certaines personnes qui vivent publiquement et en permanence dans le péché, même si elles entendent y rester, se sentaient autorisées à s'approcher des sacrements de la confession et de l'eucharistie, en trouvant peut-être des prêtres qui interprètent certains discours d'actualité comme on peut l'imaginer ? C'est-à-dire donner à Notre Seigneur Jésus-Christ « certainement la plus grande douleur, celle qui transperce le plus son cœur » (Via Crucis au Colisée du 25 mars 2005) ! Celui qui est responsable, activement ou passivement, de toute cette montée du mal, du mal aux âmes et du mal comme profanation des Sacrements, n'a-t-il pas à craindre - selon les mots de Sainte Catherine de Sienne - le Jugement divin ? [...].

 

Prions donc de tout cœur pour que le Pape jésuite puisse montrer, avec des faits sans équivoque et malgré le premier Consistoire, qu'il n'est pas indûment conditionné soit par ses opinions et attitudes très personnelles, soit par certains de ses "grands électeurs".

 

               Et si on laisse parler d'une "révolution de François", la révolution de la transparence au Vatican ne serait-elle pas une belle révolution - pour ainsi dire - bien qu'elle ne soit peut-être pas applaudie par le monde et les puissances mondiales?

 

Par exemple, la publication du soi-disant quatrième secret de Fatima (même sans le reconnaître, si l'on a des doutes sur sa pleine et exacte authenticité surnaturelle : ce ne sont pas que des "coups de bâtons", ce texte a été condamné à la prison à vie !), puisque, en outre, des "experts argentins de Fatima", et pas seulement eux, ont pu sortir des entretiens et des échanges avec l'Archevêque de Buenos Aires en ayant l'impression qu'il était d'accord avec eux.

 

Par exemple, l'abolition, et pas seulement pour l'avenir, du secret du Conclave. Une réforme préconisée par ce grand expert le Cal. Siri, ainsi que d'autres changements : mettre main à la réforme postconciliaire de la Curie, précisément celle actuellement en vigueur. Cette proposition de révision a été paradoxalement combattue, malgré une certaine faveur déclarée de S.S. Jean-Paul II, précisément par les grands noms du progressisme curial : cf. entre autres Il Papa non eletto, Laterza 1993, pp. 288-289.

 

Avec nos pauvres prières, prosternés en embrassant la Pourpre Sacrée,

 

Lettre signée

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17 janvier 2022 1 17 /01 /janvier /2022 12:49

Moralité de “croire” en des données scientifiques

 

17 janvier 2022, Saint Antoine Abbé

 

« Je crois en la science », « il faut croire en la science », telles sont les phrases qui résonnent aujourd’hui à tout bout de champ pour demander ou justifier son assentiment a priori à un ensemble de données “scientifiques”, y compris celles qui parfois ne peuvent être connues que par très peu d’experts et sur lesquelles eux-mêmes ne possèdent peut-être pas de certitudes. En effet, nous assistons aujourd’hui, sur fond d’intérêts stratosphériques, à la fusion d’une prétendue “Foi en la Science” avec l’émotivité savamment guidée par les rênes des médias, auxquels on voue un assentiment aveugle. Et c’est précisément ce même consensus médiatique, qui ne fait pas l’économie du recours à l’irrationalité hystérique, qui invoque sans cesse la “science”, comme couverture, à laquelle « il faut croire ». Les mêmes qui, en sophistes, il y a peu de temps encore, nous enseignaient que la “Science” (avec une majuscule) excluait toute croyance, surtout en Dieu, nous disent maintenant que nous devons « croire en la science », et certains ecclésiastiques sont même allés jusqu’à dire, dans un asservissement total aux pouvoirs mondains, que c’est un péché grave de ne pas obéir aux thèses actuelles “de la science”.

 

Comment est-il possible que le scientisme d’empreinte rationaliste se marie si bien avec l’émotivité d’inspiration immanentiste, et donc fort peu “rationnelle” ? La raison profonde de ce mariage réside dans la mort de la philosophie du réel, celle du bon sens sur laquelle se fonde la métaphysique classique, et dans le scientisme qui, depuis sa naissance à bien voir, a besoin pour survivre de l’immanentisme, c’est-à-dire de l’activité fervente du moi, créateur de réalité, qui remplace la métaphysique en réinventant le réel, recourant même aux mathématiques là où les mathématiques n’ont pas grand chose à dire. C’est ainsi que les traits du scientisme deviennent ceux d’une véritable religion, une religion révélée non pas par Dieu, mais par les organes qui “révèlent” la pensée correcte, exigeant l’assentiment et créant le consensus. Ce processus, qui en stricte logique est anti-scientifique, mériterait un long approfondissement. Dans cet article, nous nous concentrerons pour le moment sur l’affirmation désormais quasi dogmatique « Je crois en la science » et ses implications morales.

 

 

«Je crois...

 

Tout d’abord, « je crois ». Que signifie “croire” ? En restant à un niveau naturel et sans vouloir entrer dans le discours sur la foi infuse, qui n’est pas notre objet, nous pouvons dire que “croire” signifie soumettre l’intelligence à un objet qui n’est pas évident en soi ou évident en soi, mais pas pour celui qui croit.

A titre d’exemple, nous pouvons penser à notre date de naissance, ma mère a l’évidence que c’était le 3 janvier, moi pas. Je crois sa parole car elle sait avec certitude et ne me trompe pas. Cette certitude est appelée “evidentia in attestante”. C’est-à-dire que je fais confiance à celui qui atteste, qui a une connaissance directe et a l’évidence de ce qu’il affirme. Dans le domaine scientifique, ce même type d’assentiment est donné par celui qui croit le scientifique qui a réalisé une expérience dont le résultat s’est imposé avec une certitude absolue. Ce résultat est évident et certain pour ce scientifique mais pas pour l’étudiant, ce dernier le “croit” parce qu’il “a foi en lui”, et dans ce cas d’une manière prudente. Lorsqu’il n’y a pas de preuve certaine, même pour le scientifique la certitude diminue car il manque l’ “evidentia in attestante”. C’est le cas, par exemple, de ce qui se trouve au centre de la terre, une donnée qui n’est évidente pour personne et ne le sera pas avant longtemps. Si j’affirme qu’il existe un noyau incandescent, je le fais par foi. Cette foi naturelle dans une hypothèse scientifique, présente dans tous les manuels scolaires, est devenue un “consensus” peut-être crédible mais qui reste une hypothèse. Comme nous allons le voir, le savant qui l’a inventée n’y croit donc pas par “science” au sens strict. L’affirmation reste une hypothèse pour le scientifique et pour l’élève qui a décidé de croire en lui. Dans ce cas, par rapport au cas précédent, il y a au moins deux actes de foi, le premier est celui du scientifique envers sa propre théorie - toute fondée qu’elle soit - le second est celui de l’élève qui croit à son tour le scientifique. S’il y a une chaîne d’intermédiaires, les actes de foi se multiplient. Si toute une “communauté scientifique” a décidé de croire à une hypothèse qui n’a été démontrée par personne, il y a au moins autant d’actes de foi qu’il y a de scientifiques “qui croient” au noyau incandescent que personne n’a jamais vu, ni foré par des expériences de carottage, et qui demeure une simple hypothèse émise en raison de l’observation de certains “effets”. Ici, pour être complet, il convient de mentionner un phénomène fort peu scientifique : le scientisme ayant la prétention de donner des réponses à tout souffre de devoir se taire sur des questions fondamentales, il préfère ainsi, face à certains mystères de la nature qui n’ont pas encore été éclaircis, avoir foi en une hypothèse et si nécessaire uniformiser le consensus de la foi. Un peu comme ce que certains scientifiques ont admis il y a quelque temps : « Nous devons croire au darwinisme - même si les preuves sont rares - car sinon il ne reste que le créationnisme », mais comme la Création est une “hérésie” condamnée par leur dogme, on ne peut même pas y réfléchir...

 

Pour simplifier, nous pourrions dire que lorsque je n’ai pas l’évidence d’une hypothèse, lorsque je n’ai pas vu, connu, étudié et démontré personnellement cela, lorsque je n’ai donc aucun accès direct à la véridicité d’un tel énoncé, je peux choisir d’y “croire”. La chose n'est pas évidente pour moi, cependant, mon intelligence, la plupart du temps à cause de l’autorité et de la véridicité reconnue de celui qui me propose de croire une telle chose, par une intervention de ma volonté, se soumet et dit - sans en avoir évidence ou sans l’avoir démontré - « je crois », « je te crois », « j’y crois ». Qu’on remarque bien que croire par la foi naturelle, faire confiance à un témoin qui me communique quelque chose qui n’est pas évident pour moi est un processus non seulement légitime, mais nécessaire à la vie quotidienne et louable, lorsqu’il est fait d’une manière prudente. De la même façon, il serait absurde de vérifier chaque fois par des analyses chimiques ce que j’achète chez le boulanger : je fais confiance à celui qui est digne de confiance à la fois parce qu’il sait ce qu’il a mis dans le pain et parce qu’il a toujours bien agi et sans tromperie. La fiabilité du témoin est évidemment une prémisse fondamentale du fait de croire dans tout domaine, y compris le domaine “scientifique”.

 

 

...dans la science ».

 

Qu’entend-on par “science” ? Pour Aristote, qui part de ce qu’on appelle la “philosophie du sens commun” (cfr. Pour une relance de philosophie pérenne”), la science est une connaissance certaine au moyen de la cause nécessaire. La science consiste à connaître les causes propres des choses. Dans un jugement scientifique au sens propre, on ne “croit” donc pas. On ne croit pas car soit on a une perception immédiate et évidente de la vérité, soit on a une démonstration rationnelle qui exclut tout doute. Je connais par les causes nécessaires, je sais que cette chose est nécessairement la cause de cette chose là et non d’une autre. Dans ce cas, nous parlons de la science proprement dite, et non de la foi. Je sais, je ne crois pas. Bien que l’aristotélisme n’exclue pas différents niveaux de rigueur dans la démonstration selon les différents domaines, la procédure proprement scientifique est celle où, à partir d’une chose connue, je parviens à la connaissance d’une chose qui ne m’était pas connue auparavant et où je connais la relation de cause à effet nécessaire entre les deux choses.

 

Du point de vue de certains modernes, mieux vaudrait dire pour le positivisme scientiste du XIXe siècle, largement dépassé, mais dont la rhétorique a du mal à mourir, la science n’est que la description des phénomènes par la méthode dite “scientifique”. En d’autres termes, en voulant atteindre l’objectivité des affirmations, après avoir observé un phénomène, on cherche à créer un modèle mathématique qui décrit le fonctionnement du phénomène dans certaines conditions, puis on vérifie le modèle par des expériences pour en éprouver la validité. Il est évident qu’une telle “connaissance scientifique” n’est pas un objet de foi. Je n’y crois pas, je le démontre. Personne ne conteste qu’elle soit vraie, on conteste seulement qu’en considération des “limites mathématiques” qu’elle s’impose elle sous-évalue trop les capacités abstractives de l’intelligences humaines face à d’autres types de connaissances et qu’en étant une “science de laboratoire”, si on peut passer l’expression, elle n’est valable que lorsque certaines conditions très précises peuvent être reproduites.

 

Il est vrai, cependant, que toutes les sciences, tout en restant de vraies sciences selon leur graduation et par rapport à leur objet et à leur méthode propres, ne peuvent pas être ramenées sic et simpliciter à l’évidence de la vérité et à une démonstration rationnelle nécessaire (conformément à la démarche aristotélicienne), ni à la méthode scientifique expérimentale avec sa réversibilité de vérification, sa reproduction en laboratoire, sa linéarité et sa clarté du recours aux mathématiques (conformément à la démarche du scientiste).

La physique expérimentale moderne nous rappelle aujourd’hui même que nous ne pouvons pas connaître directement de nombreux phénomènes, mais que nous ne pouvons que décrire approximativement leurs effets (que l’on pense à la description du comportement de l’électron). A cela il faut ajouter que des sciences comme la médecine et la biologie expérimentales ne peuvent être envisagées sur l’unique base de critères de nécessité des conclusions, en effet concernant ces sciences-là, on n’est pas en mesure de retrouver les “causes” de tous les “effets”, et on ne peut qu’émettre des hypothèses sans pouvoir “reproduire le phénomène” car il comporte souvent trop de “variants”.

Il existe plus d’une explication plausible, de sorte que lorsqu’il est nécessaire de choisir ou de construire un système d’étude, l’affirmation « je crois » peut aussi légitimement intervenir dans le processus d’étude. Elle peut intervenir précisément parce qu’il n’y a pas de science absolue au sens décrit ci-dessus, et qu’il est également nécessaire, dans des cas spécifiques, de supposer l’assentiment du « je crois ». Ce n’est pas rare du tout dans ce type d’étude, car il peut aussi être nécessaire de supposer une vérité pour pouvoir procéder. Dans ce cas, il s’agit d’une « attitude active de l’esprit qui formule à lui-même l’adhésion donnée à un énoncé, lorsque l’un ou l’autre des éléments requis pour la connaissance scientifique fait défaut », lorsque fait défaut « la certitude parfaite, qui exclut le risque d’erreur » et « l’évidence, capable de s’imposer à tous les esprits ». 1

 

Récapitulons : « l’esprit formule à lui-même l’adhésion à cette affirmation », autrement dit il “y croit”, le processus nous est donc interne, il ne s’agit pas d’un constat indiscutable de faits certains totalement extérieurs au moi. Par conséquent, plus il est nécessaire d’affirmer que « l’on croit en la science » pour défendre l’opinion donnée, plus on affirme que la thèse ne jouit pas de la certitude scientifique stricte, c’est-à-dire de la certitude de la connaissance par les causes nécessaires si l’on est aristotélicien, ou de la vérification par la méthode scientifique si l’on veut se limiter au vieux modèle positiviste. Dans les deux cas, devoir dire « Je crois en la science » revient à affirmer que nous n’avons pas la certitude que nous avons dans d’autres domaines de la science.

 

Alors, l’assentiment donné dans ce cas « exprime un choix entre une affirmation et une négation possibles, ou entre plusieurs énoncés possibles ». Il s’agit donc forcément du choix volontaire d’une opinion. Nous soulignons que volontaire ne signifie pas arbitraire, mais que l’intelligence seule, dans ce cas, n’est pas en train simplement de constater une vérité évidente, mais que la volonté, après avoir évalué un ensemble de facteurs, doit intervenir en faisant son libre choix dans un sens. Et cela parce que nous sommes dans le domaine de la croyance-opinion, qui « comporte en elle-même le risque de l’erreur, dans la mesure où elle est insuffisamment fondée du point de vue expérimental ou rationnel, et ce risque est nécessairement reconnu par celui qui opine »2. Il faut donc le reconnaître, ne pas mentir à son intelligence et admettre la nature non évidente de l’affirmation.

 

 

Moralité de “croire” aux données scientifiques

 

Il s’agit donc souvent, même dans le domaine “scientifique”, de l’opinion de tel ou tel savant, qui - s’il est honnête - doit admettre qu’il a lui-même fait un choix volontaire en faveur d’une opinion, même si elle est la plus probable ; l’opinion du savant est ensuite proposée à la personne qui, n’ayant pas étudié directement l’hypothèse, pourra à son tour (n’étant pas un dogme de foi infuse nécessaire au salut éternel) choisir de croire ou non, sur la base de critères qui reposent sur la compétence du découvreur, sur l’honnêteté intellectuelle dont il a fait preuve au cours de sa vie et aussi sur son désintéressement économique, sur son immunité face aux logiques de carrière, de prestige ou de chantage, autant de facteurs qui augmentent sa crédibilité.

 

Et cela parce que la fiabilité du témoin dans cette matière est capitale. Donc, puisqu’il n’y a pas d’évidence, pour celui qui, comme Aristote, garde les pieds sur terre et veut faire un choix moralement bon, il faut aussi - et c’est vraiment “scientifique” - se demander : le témoin est-il intéressé ? M’a-t-il montré dans leur intégralité les études qui l’ont conduit à ces conclusions ? S’il soutenait la thèse inverse, serait-il exclu de l’université ou de son emploi ? Est-ce qu’il propose comme “certain” ce qui est encore “incertain”, et est donc intellectuellement malhonnête ? Est-il possible que certains scientifiques, même s’ils sont nombreux, puissent être influençables, surtout si des intérêts considérables sont en jeu, ou sont-ils sous la coupe du pouvoir ? Y a-t-il eu des répressions qui ont pu conditionner la liberté du scientifique ? Le dit consensus de la “communauté scientifique”, surtout si l’étude est à l’état embryonnaire, est-il réel car il résulte d’études irréprochables, ou est-il aussi le résultat de ceux qui contrôlent le “consensus émotionnel des masses” ?

 

Ces questions ne peuvent certes pas entrer dans un “modèle mathématique” ou un “taux d’incidence”, mais elles sont véritablement scientifiques car ma connaissance par les causes, si elle doit “croire” une donnée scientifique, doit aussi s’interroger sur la crédibilité et donc le désintéressement du témoin. Ce n’est que de cette façon que mon acte de croire sera prudent. Ce qui a été dit - pour ceux qui sont restés ancrés dans la philosophie réaliste et ne rêvent pas d’un savoir scientifique qui aurait des réponses à tout et tout de suite sous forme d’algorithme - est encore plus vrai dans les premières années qui suivent une découverte. En particulier dans le cadre d’expérimentations dans le domaine médical, sachant que notre connaissance du fonctionnement du corps humain a ses limites, sans parler du système immunitaire. Certaines découvertes acquièrent, sinon une scientificité absolue, du moins une plus grande crédibilité lorsqu’elles ont été éprouvées par le temps. Ma “foi”, non pas dans la science - ce qui ne veut rien dire - mais dans un traitement médical spécifique qui est maintenant établi parce qu’il a porté de bons fruits à long terme, est devenue une “foi raisonnable” avec le temps. Et même “tellement raisonnable” qu’il serait imprudent de ne pas y croire, compte tenu des nombreuses confirmations qui nous sont parvenues au fil des ans. Mais le contraire est également vrai : d’un point de vue moral, il pourrait être gravement imprudent, et ce pourrait même être un péché grave de crédulité - s’il y a pleine advertance - de donner son assentiment imprudemment, c’est-à-dire sans les vérifications nécessaires. Surtout si nous avons un rôle de scientifique, de médecin ou de gouvernant, avec de graves responsabilités sur celui qui nous écoute ou nous obéit.

 

En conclusion, je peux croire tel ou tel scientifique pour des raisons fondées et non émotionnelles ou d’utilité, mais dire « je crois en la Science » ne veut rien dire. Il n’existe pas un credo dans la Science, il y a la possibilité d’attribuer une crédibilité plus ou moins grande à un savant ou à un autre concernant une déclaration spécifique. Le reste n’est que cette émotivité irrationnelle intimement liée au scientisme positiviste du XIXe siècle mentionné plus haut, qui, ayant renié la métaphysique classique, tente, lorsqu’il manque de certitudes, de les imposer “à coups de majorité”, réelle ou fictive.

 

Don Stefano Carusi

 

1 R. Jolivet, Psicologia, Brescia 1958, p. 569.

2 Ibidem.

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18 novembre 2021 4 18 /11 /novembre /2021 21:12

L’abomination de la désolation dans le lieu saint

 

18 novembre 2021, Dédicace des Basiliques de saint Pierre et saint Paul

 

 

Un de nos lecteurs, Alessandro C., nous a envoyé un lien vers un article du Corriere della Sera” du 30 octobre 2021 relatant les déclarations du prêtre qui a effrontément donné la communion à l’avortiste Joe Biden à Rome même:

«Le président américain Joe Biden a assisté dans la soirée à la messe à l’église San Patrizio de la Via Boncompagni, à quelques centaines de mètres de l’ambassade des États-Unis [...] Biden a reçu la communion le lendemain du jour où le pape lui a demandé de continuer de recevoir le sacrement, malgré l’opposition de certains conservateurs en Amérique qui contestent sa position sur l’avortement. [En réalité l’opposition est beaucoup plus substantielle, c’est la ligne de l’épiscopat américain, ndlr]. Le président reçoit régulièrement l’Eucharistie dans les diocèses de Washington et du Delaware, mais communier à Rome revêt une signification particulière pour lui. Le pape est techniquement l’évêque de Rome, et la paroisse de San Patrizio fait partie de son archidiocèse. Environ 30 personnes ont assisté au rite. La famille Biden s’est assise au dernier rang, indiqué “réservé”. La messe a été célébrée par le père Joe Ciccone, qui n’a fait aucune annonce particulière aux personnes présentes. “La communion est ce qui nous unit dans le Seigneur, aucun de nous n’est pur ou parfait, nous sommes tous des saints et des pécheurs”, a commenté le prêtre à la fin de la célébration».

Nous remercions notre lecteur. Considérant que l’information concernant le consentement du Pape Bergoglio n’a pas été démentie, il est difficilement concevable qu’un geste d’une telle ampleur accompagné d’une déclaration d’une telle gravité, à Rome même, résultent d’un choix personnel et spontané du Père Ciccone. Toute l’Amérique, et pas seulement l’Amérique, attendait de savoir ce qui allait se passer ce jour-là dans la Ville Sainte. Et comme rien ne dit qu’à ce jour le père Ciccone ait été sanctionné - nous ne parlons pas de la sévérité et de l’aigreur que l’on est capable d’utiliser contre le camp conservateur, mais nous n’avons même pas vu un léger rappel protocolaire, comme le faisaient au moins les communistes dans les années 1970 avec les “camarades excessifs” -, il est légitime de penser que les événements ont été orchestrés. Orchestrés, si c’est le cas, lâchement avec la méthode marxiste habituelle déjà amplement décrite dans nos colonnes, selon laquelle on agit en changeant la praxis là où on ne peut pas changer la doctrine, en donnant publiquement le corps du Christ à ceux qui ne peuvent évidemment pas Le recevoir. Cette fois, cependant, il y a quelque chose de plus par rapport à Amoris Laetitia. On trouve une certaine structure “théologique” invoquée en appui d’une praxis hérétique qui, à moins d’un démenti improbable, est la confirmation de l’avancée de “l’abomination de la désolation dans le lieu saint”, compte tenu aussi du lieu qui a été le théâtre de ces événements. Ces déclarations, sans aucune distinction et de surcroît en étroite association avec la profanation publique de l’Eucharistie qui vient d’avoir lieu, ne sont ni plus ni moins que la théorie luthérienne éculée du « simul iustus et peccator ». La profanation de l’Eucharistie s’accomplit au nom de «nous sommes tous saints et pécheurs». La doctrine catholique sur l’état de grâce, la distinction catholique entre un état de péché mortel (public et social, d’ailleurs, dans le cas de Biden), qui empêche l’accès à la Communion, et un état de grâce avec quelques péchés véniels qui au contraire le permet, est enterrée précisément avec la...“théorie de la praxis” de la Communion au Président américain. Et de plus à Rome, publiquement, dans la Ville Sainte.  Nous renvoyons à la lecture de «La malice intrinsèque de la Communion sacrilège».

Cette fois, les paroles du Père Ciccone (à Rome, là où « ne bouge aucune feuille sans que le Pape ne veuille », par qui ont-elles été inspirées ?) montrent que nous sommes en train de dépasser la phase de la simple “praxis hérétique”, pour arriver à sa théorisation.  Déjà dénoncée lors de sa phase encore embryonnaire en 2014, «L’influence de Luther derrière la "thèse Kasper"» se confirme malheureusement de plus en plus aujourd’hui.

 

Association de clercs « Saint Grégoire le Grand »

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29 septembre 2021 3 29 /09 /septembre /2021 23:45

Entre intérêts "curialesques" et hypocrisie

29 septembre 2021, Saint Michel Archange

 

Bergogliens

 

Une fidèle de Bordeaux s’est adressée à notre rédaction au sujet de Traditionis custodes, texte qui, de fait, interdit presque la célébration de la sainte messe traditionnelle. Son intérêt portait aussi sur la réponse servile donnée à ce texte par les Supérieurs des Instituts traditionnels, appartenant à la Commission "Ecclesia Dei", désormais définitivement supprimée, tout comme est supprimée (même en théorie) cette logique de protection des réalités traditionnelles que Jean-Paul II lui avait attribuée. Notre lectrice nous informe qu’à sa demande expresse, le texte des Supérieurs des Instituts traditionnels réunis à Courtalain a été défini par un prêtre responsable de Saint Eloi comme "suffisamment ambivalent" pour être lu dans les deux sens : le signataire "traditionaliste" ne joue pas carte sur table quant à sa façon de penser et le Vatican peut le lire comme une pleine acceptation de Vatican II. À cela s’ajoute l’information selon laquelle le Supérieur pour l’Italie du même Institut du Bon Pasteur, conformément aux indications du Vicaire général du diocèse d’Ascoli Piceno, a proclamé en chaire - solennellement revêtu des ornements sacrés - le texte intégral de Traditionis Custodes, y compris les passages que récemment encore il aurait jugés inacceptables. A la fin de la messe, la réponse apportée aux interrogations d’un fidèle scandalisé a été celle-ci: "désobéir à cette disposition pontificale serait comme pécher contre l'Esprit Saint". Et vu que la servilité provoque aussi la schizophrénie, un prêtre du même Institut dit - en privé - que le Document des Supérieurs réunis à Courtalain est honteux, qu’il est le fruit de pressions (venant de la Secrétairerie d'Etat?) exercées lors de la réunion par l’intermédiaire de Mgr Wach et avec lequel tous les signataires n’étaient pas d’accord au départ. S’agit-il du même prêtre d’Ascoli Piceno?

Abstraction faite du double jeu intéressé, il nous semble gravement injuste de rejeter toute la responsabilité sur l’Institut du Christ Roi, qui ne brille certes pas par sa critique publique des hérésies modernes, mais qui n’avait pas le pouvoir d’imposer quoi que ce soit à qui que ce soit. Chaque prêtre des Instituts signataires doit assumer la responsabilité de ce qui a été signé par le Chef. Aristote dit que ce que le chef fait, la société dans son ensemble le fait, laissant à l’individu la possibilité de ne pas être d’accord. Ce désaccord doit être exprimé publiquement. Et oui, parce que quand une position engageant tout l’Institut a été adoptée publiquement et qu’en conscience elle est inacceptable pour certains prêtres, ou même pour certains baptisés, ceux-ci ont le devoir d’exprimer publiquement leur désaccord.  Sinon, leur silence équivaut à un acquiescement et les ragots chuchotés en privé n’y changent rien.

A vrai dire, dans les rangs de la Fraternité Saint-Pierre, on avait remarqué, pendant la deuxième quinzaine de juillet, des prises de position publiques un peu plus courageuses qu’ailleurs, et même des commentaires qu’on ne pouvait pas mépriser. Quelqu’un avait même rappelé par écrit la possibilité de la fameuse "critique constructive", qui – n’étant plus défendue par l'IBP - avait été reprise par certains prêtres un peu plus entreprenants de la FSSP. Malheureusement, tout s’est inexorablement éteint après la prise de position du Supérieur Général et encore davantage après la publication du Document des Supérieurs Réunis. Un document lapidairement défini par certains prêtres américains de la FSSP comme : "une capitulation". Ici aussi, cependant, à notre connaissance, le désaccord n’a été exprimé qu’en privé. Si nous nous trompons, nous publierons volontiers une rectification signée. En ce qui concerne les positions des communautés bénédictines signataires de la lettre, Le Barroux in primis, rien n’a encore transpiré, si ce n’est le commentaire unanime que, très familiers de la lectio divina, ce sont eux qui seraient les promoteurs de cette profusion de citations scripturaires, dont la plupart utilisées mal à propos. Quelqu’un nous a objecté que le sens accommodatice d’un texte ironique nous échapperait, car au fond, le Document des Supérieurs Réunis, lorsqu’il invoque la piété et la miséricorde, ferait allusion à la "miséricorde" tant invoquée et si peu appliquée pour les traditionalistes. Pourquoi évoquer précisément ces passages latitudinaires d'Amoris Laetitia, qui de fait ont permis aux divorcés remariés d’accéder à la communion, pour invoquer miséricorde aussi sur la Tradition ? S’il s’agit d’une blague, ce n’est pas drôle du tout, si c’est un signe de la pusillanimité d’un certain monde traditionnel, cela fait pleurer. Le vieil Eléazar du livre des Maccabées doit se retourner dans sa tombe. Quel est l’intérêt de se cacher derrière son petit doigt ? Est-ce ainsi que l’on sert avec amour l’Église dans la tempête ? Oportet aliquandum excessum facere dirait saint Jérôme, et saint Athanase, repris par saint Pie X, nous rappelle que dans la défense de la vérité catholique, l’excès vaut mieux que le défaut, mais jusqu’à présent, on n’a vu que du politiquement correct...

Et puis, si demander la pitié et la miséricorde pour le pécheur en tant que tel, ou pour chacun de nous individuellement en tant que pécheurs, est juste, il devient injuste de demander miséricorde pour des sociétés ou des prêtres qui, même avec leurs limites, essaient de défendre la Tradition. "Agnosce, o christiane, dignitatem tuam". 

Par souci d’équité, nous devons toutefois ajouter, en réponse à notre lectrice, qu’il ne serait pas juste de s’attarder uniquement sur ces formes d’hypocrisie du "monde traditionaliste" défini, pas toujours à tort, comme "rallié", auquel se sont ajoutés récemment à plein-titre - publiquement et sans distinction - ceux même qui, en 2006, disaient tenir une position plus combative parce qu’ils avaient reçu un mandat spécifique du pape Benoît XVI. Cela serait injuste et pour le moins incomplet. En fait, de nombreux cœurs se dévoilent à propos de Traditionis custodes. Notamment celui de la FSSPX bergoglienne, grande bénéficiaire du Pape au visage latino-américain... mais aux méthodes exquisément curiales, qui - en paroles – n’aimerait pas "ceux qui critiquent Vatican II".

Ceux qui suivent les événements depuis des années savent bien que Disputationes Theologicae dénonce depuis un certain temps l'existence d'un accord...pratique (voir même "pratico-pratique") entre le pape Bergoglio et la FSSPX. Nos déductions de l’époque, pourvues d’une certaine évidence à condition de lire les évènements avec une certaine honnêteté intellectuelle, éclatent désormais au grand jour pour ceux qui ont conservé un peu de bon sens.

En effet comment croire que les timides "critiques de Vatican II" exprimées par les Instituts "Ecclesia Dei" (d’ailleurs ont-elles jamais été réellement formulées?) aient pu déclencher Traditions Custodes?

Entre autres choses, selon le raisonnement spécieux invoqué qui dit en gros "puisque parmi ceux qui célèbrent la messe traditionnelle, quelques-uns insultent Vatican II, alors je vous supprime la Messe traditionnelle" on pourrait équitablement inverser "puisque parmi les partisans idéologiques de la Messe réformée de Paul VI il y a de vrais hérétiques qui nient les dogmes sanctionnés par l'Eglise, alors nous interdisons le Novus Ordo", au lieu de quoi, pour ce dernier il n’y a qu'un discours bienveillant et hypocrite sur quelques "abus" à corriger. Pour les éventuels excès de certains, la messe grégorienne est de fait retirée à tous, pour les aberrations des amis modernistes, juste un rappel d’ordre général.

Il nous semble cependant que, plus personne ne se soucie de Vatican II, même pas les progressistes, projetés comme ils sont sur Vatican Trois, mais qu’il est plutôt invoqué pour des manœuvres curiales...notamment en vue du prochain Conclave, bien que l’on cherche à le retarder.

Si la raison d’une telle répression de la Messe traditionnelle réside réellement dans la position divisive des "Instituts traditionnels" sur le dernier Concile, comment se fait-il que, face à des critiques de la part de la FSSPX, certes non dénuées de fondement, mais exprimées d’une manière criarde, parfois débraillée, et dans certains cas sans structure théologique adéquate, on n’agisse pas d’une manière analogue ? La raison est-elle doctrinale ou politique ? En effet, aujourd’hui les Instituts "Ecclesia Dei" ont été étranglés, tandis que les seuls à pouvoir continuer à ordonner des prêtres licitement et sans avoir besoin de lettres dimissoriales par concession du Pape François, les seuls à pouvoir entendre validement et licitement les confessions sans demander les pouvoirs des évêques diocésains avec l’accord du Pape François, les seuls à pouvoir célébrer des mariages validement et licitement  - en donnant un coup de fil au curé en fin de soirée pour qu’il transcrive dans les registres le mariage célébré le matin - en vertu d'une reconnaissance mutuelle avec le Pape de Fratelli Tutti sont juste...les prêtres de la FSSPX.

Mais croit-on vraiment que tout ceci soit une coïncidence ou un oubli ? Celui qui, peut-être trop occupé à préparer le futur Conclave, aurait oublié que les prises de positions discutables de la FSSPX portent sur la validité des "nouveaux" sacrements ? Elles ne portent pas simplement sur la simple "expression correcte de l'orthodoxie", ou la "pleine légitimité doctrinale et canonique" mais bien sur la "validité". Alors qu’il a écrasé les Instituts qui, bien que de manière différente, avaient au moins fait l’effort de maintenir un accord canonique avec Rome pendant des années ? L'abbé Jean-Michel Gleize peut-il nous expliquer cela, lui qui avec une dureté plus proche de l'idéologie que de la théologie, a attaqué sans pitié le Document des Supérieurs Réunis, d’ailleurs critiquable, sans aborder les ambiguïtés de sa propre maison ? N’est-il pas plus hypocrite de se poser en défenseurs inflexibles du dogme sans aucun compromis avec la "Rome moderniste et apostate", comme ils l’appellent, et en même temps de demander - et d’obtenir en dessous de table - toutes ces concessions ? Des concessions qui ne portent pas seulement sur la question des sacrements, mais qui sont aussi très, très concrètes. Elles sont même immobilières. Comment a pu intervenir au moment même de la rédaction de Traditionis Custodes l’approbation romaine de l'achat - mieux encore du don par l'Institut religieux ! - d’« une des églises les plus renommées, belles, et antiques de Vienne, et dans une position privilegié », comme dit l’abbé Frei, par la FSSPX ? Comment est-il possible que Mgr Huonder, ancien évêque de Coire, ait confirmé solennellement encore le 26 août dernier à Wangs que son choix de passer sa retraite dans une maison de la FSSPX était pleinement approuvé et partagé par le pape François ? Comment est-il possible que Mgr Huonder célèbre pontificalement au trône, dans les prieurés de la FSSPX et entouré des Assistants généraux de cette même société le 25 septembre 2021 avec l’encouragement exprès de Bergoglio alors que des prêtres régulièrement incardinés soient contraints de demander une centaine de permissions et ne puissent plus célébrer dans les "églises paroissiales" ? Allons, ne nous leurrons pas...quel aveugle ne peut pas voir la réalité des faits ? Et maintenant, que l'Abbé Gleize de la FSSPX, que Don Davide Pagliarani laisse librement enseigner à Ecône ses positions ecclésiales plutôt discutables (et pas toujours théologiquement fondées), équilibrant ainsi "sur la droite" l'accord bergoglien et tranquillisant la "Résistance interne", ait au moins la courtoisie de faire grâce à ses lecteurs de ses leçons de morale. S’il est vrai que certains Supérieurs "Ecclesia Dei" ont péché par couardise intéressée, au moins ils ne se sont pas posés en sauveurs inflexibles de l'Eglise et ils ont eu le courage de parvenir à un accord public et signé à la lumière du jour. Contrairement à la Fraternité Saint Pie X, ils n’ont jamais dit, que pour parvenir à un accord, ils avaient besoin : 1) de la libéralisation de la messe traditionnelle. Et maintenant on a Traditionis Custodes. 2) Le retrait des excommunications. Et maintenant, dans la lettre accompagnant Traditionis Custodes, on parle de nouveau du "schisme" de Mgr Lefebvre. 3) La conversion de Rome à la suite des discussions doctrinales. Voit-il arriver cela l’abbé Davide Pagliarani? Et aujourd’hui, au lieu de prendre ses distances, l’accord pratique entre la FSSPX et le Pape Bergoglio se poursuit jusqu’au point d’éliminer...ceux qui étaient gênants pour les deux. 

Et nous ajoutons: quel autre pacte inavouable se cache derrière cette promotion de facto de la FSSPX par Bergoglio à laquelle elle répond souvent avec plus de gratitude et de déférence qu’elle ne le faisait avec Benoît XVI ? Il y aura certainement un "donnant-donnant". N’y aurait-il pas des jeux pré-conclave avec des légitimations croisées de ceux qui, de fait, sont largement délégitimées tant pour l’un que pour l’autre ? La FSSPX ne marchande-t-elle pas la légitimité de Bergoglio, critiqué certes, mais reconnu comme "indiscutablement légitime", alors que d’autres plumes émettent des doutes, quoique d’une manière non catégorique (De quel genre est la “démission” de Benoît XVI?; En 2017 Benoit XVI a-t-il accordé la Bénédiction Apostolique?!? ) ?

Le pape Bergoglio, en effet, ayant laissé tomber le masque de franciscain et de "latino-américain" sympathique, fait ressortir tout le curialisme progressiste italien et allemand. D’une part, il stigmatise - au nom de l’unité - les "traditionalistes divisifs", et d’autre part, divise encore davantage l’Église avec son anti-Motu Proprio, en cassant le pontificat de son prédécesseur à coup de hache et en démolissant Summorum Pontificum au marteau-piqueur. Justement Summorum Pontificum, qui, malgré ses limites, était un symbole du pontificat de Benoît XVI et l’un de ses actes les plus éminents (cf. Instruction Universae Ecclesiae) de son Magistère. Mais qu’est-ce qui a été promis lors du dernier Conclave ? Combien y a-t-il de "feuillets de reconnaissance de dette" à payer ? Quand il dit "Je ne fais pas ce que je veux, mais ce que nous avons décidé ensemble", raison pour laquelle il a été élu, à quoi fait-il référence ? S’était-il accordé sur ce point avec tous ceux qui ont voté pour lui ou seulement avec les partisans de la première heure, c’est-à-dire le courant progressiste jésuitico-martinien ?

Qu’en est-il, de plus, de cette accusation selon laquelle les cardinaux se seraient réunis pour préparer un futur conclave pendant sa maladie ? N’est-ce pas lui qui avait parlé en 2014 de sa courte présence, quatre ou cinq ans ? Les Cardinaux en question auront seulement fait le calcul, 2013 plus cinq font 2018 et on est en 2021. Et en outre, cette histoire de la "Papauté à échéance" n'a-t-elle pas déjà été presque imposée, quoique dans des termes différents, à Benoît XVI ? La Papauté avilie était l’un des grands chevaux de bataille du Cardinal Martini et de la mafia de Saint-Gall, et Bergoglio lui-même a parlé plusieurs fois d’une démission au moment opportun. « Certains Cardinaux me voulaient mort », a-t-il sous-entendu, mais le problème ne résiderait-il pas plutôt dans le fait que, comme des sources autorisées nous l’ont signalé, « si on va au Conclave maintenant le Cardinal Tagle (ou Zuppi) ne gagnerait pas, et donc qu’il vaut mieux le retarder »?   

Et puis encore, cette hâte à promulguer Traditionis custodes, à peine sorti de l'hôpital...sans qu’on lui laisse le temps de la convalescence...le fait que la norme doive entrer en vigueur immédiatement, cela sonne comme si tout devait être sécurisé avant que quelque chose de grave ne puisse se produire. Une indication avant le Conclave qui donnerait une claire caractérisation progressiste, anti-Benoit XVI, qui lierait le successeur et qui aurait un effet, sur ces nombreux cardinaux venant "du bout du monde", peut-être un peu moins au fait des manœuvres "vaticanes", de la victoire écrasante et absolue du front de l’extrême gauche ecclésiale.

En conclusion, si ces événements - et Dieu se révèle à travers les événements - ne parviennent pas à une remise en question du chemin emprunté, que faudra-t-il de plus ? Ne méprisons pas ces sollicitations de la Providence, que nous soyons des Cardinaux, avec une immense responsabilité, que nous soyons des prêtres traités moins bien que des hérétiques en raison de la simple célébration traditionnelle, ou que nous soyons de simples baptisés.

La Rédaction de "Disputationes Theologicae"

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