Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

«Je crois en la Science»... ou bien dans le consensus émotionnel?

par Disputationes theologicae

Moralité de “croire” en des données scientifiques

 

17 janvier 2022, Saint Antoine Abbé

 

« Je crois en la science », « il faut croire en la science », telles sont les phrases qui résonnent aujourd’hui à tout bout de champ pour demander ou justifier son assentiment a priori à un ensemble de données “scientifiques”, y compris celles qui parfois ne peuvent être connues que par très peu d’experts et sur lesquelles eux-mêmes ne possèdent peut-être pas de certitudes. En effet, nous assistons aujourd’hui, sur fond d’intérêts stratosphériques, à la fusion d’une prétendue “Foi en la Science” avec l’émotivité savamment guidée par les rênes des médias, auxquels on voue un assentiment aveugle. Et c’est précisément ce même consensus médiatique, qui ne fait pas l’économie du recours à l’irrationalité hystérique, qui invoque sans cesse la “science”, comme couverture, à laquelle « il faut croire ». Les mêmes qui, en sophistes, il y a peu de temps encore, nous enseignaient que la “Science” (avec une majuscule) excluait toute croyance, surtout en Dieu, nous disent maintenant que nous devons « croire en la science », et certains ecclésiastiques sont même allés jusqu’à dire, dans un asservissement total aux pouvoirs mondains, que c’est un péché grave de ne pas obéir aux thèses actuelles “de la science”.

 

Comment est-il possible que le scientisme d’empreinte rationaliste se marie si bien avec l’émotivité d’inspiration immanentiste, et donc fort peu “rationnelle” ? La raison profonde de ce mariage réside dans la mort de la philosophie du réel, celle du bon sens sur laquelle se fonde la métaphysique classique, et dans le scientisme qui, depuis sa naissance à bien voir, a besoin pour survivre de l’immanentisme, c’est-à-dire de l’activité fervente du moi, créateur de réalité, qui remplace la métaphysique en réinventant le réel, recourant même aux mathématiques là où les mathématiques n’ont pas grand chose à dire. C’est ainsi que les traits du scientisme deviennent ceux d’une véritable religion, une religion révélée non pas par Dieu, mais par les organes qui “révèlent” la pensée correcte, exigeant l’assentiment et créant le consensus. Ce processus, qui en stricte logique est anti-scientifique, mériterait un long approfondissement. Dans cet article, nous nous concentrerons pour le moment sur l’affirmation désormais quasi dogmatique « Je crois en la science » et ses implications morales.

 

 

«Je crois...

 

Tout d’abord, « je crois ». Que signifie “croire” ? En restant à un niveau naturel et sans vouloir entrer dans le discours sur la foi infuse, qui n’est pas notre objet, nous pouvons dire que “croire” signifie soumettre l’intelligence à un objet qui n’est pas évident en soi ou évident en soi, mais pas pour celui qui croit.

A titre d’exemple, nous pouvons penser à notre date de naissance, ma mère a l’évidence que c’était le 3 janvier, moi pas. Je crois sa parole car elle sait avec certitude et ne me trompe pas. Cette certitude est appelée “evidentia in attestante”. C’est-à-dire que je fais confiance à celui qui atteste, qui a une connaissance directe et a l’évidence de ce qu’il affirme. Dans le domaine scientifique, ce même type d’assentiment est donné par celui qui croit le scientifique qui a réalisé une expérience dont le résultat s’est imposé avec une certitude absolue. Ce résultat est évident et certain pour ce scientifique mais pas pour l’étudiant, ce dernier le “croit” parce qu’il “a foi en lui”, et dans ce cas d’une manière prudente. Lorsqu’il n’y a pas de preuve certaine, même pour le scientifique la certitude diminue car il manque l’ “evidentia in attestante”. C’est le cas, par exemple, de ce qui se trouve au centre de la terre, une donnée qui n’est évidente pour personne et ne le sera pas avant longtemps. Si j’affirme qu’il existe un noyau incandescent, je le fais par foi. Cette foi naturelle dans une hypothèse scientifique, présente dans tous les manuels scolaires, est devenue un “consensus” peut-être crédible mais qui reste une hypothèse. Comme nous allons le voir, le savant qui l’a inventée n’y croit donc pas par “science” au sens strict. L’affirmation reste une hypothèse pour le scientifique et pour l’élève qui a décidé de croire en lui. Dans ce cas, par rapport au cas précédent, il y a au moins deux actes de foi, le premier est celui du scientifique envers sa propre théorie - toute fondée qu’elle soit - le second est celui de l’élève qui croit à son tour le scientifique. S’il y a une chaîne d’intermédiaires, les actes de foi se multiplient. Si toute une “communauté scientifique” a décidé de croire à une hypothèse qui n’a été démontrée par personne, il y a au moins autant d’actes de foi qu’il y a de scientifiques “qui croient” au noyau incandescent que personne n’a jamais vu, ni foré par des expériences de carottage, et qui demeure une simple hypothèse émise en raison de l’observation de certains “effets”. Ici, pour être complet, il convient de mentionner un phénomène fort peu scientifique : le scientisme ayant la prétention de donner des réponses à tout souffre de devoir se taire sur des questions fondamentales, il préfère ainsi, face à certains mystères de la nature qui n’ont pas encore été éclaircis, avoir foi en une hypothèse et si nécessaire uniformiser le consensus de la foi. Un peu comme ce que certains scientifiques ont admis il y a quelque temps : « Nous devons croire au darwinisme - même si les preuves sont rares - car sinon il ne reste que le créationnisme », mais comme la Création est une “hérésie” condamnée par leur dogme, on ne peut même pas y réfléchir...

 

Pour simplifier, nous pourrions dire que lorsque je n’ai pas l’évidence d’une hypothèse, lorsque je n’ai pas vu, connu, étudié et démontré personnellement cela, lorsque je n’ai donc aucun accès direct à la véridicité d’un tel énoncé, je peux choisir d’y “croire”. La chose n'est pas évidente pour moi, cependant, mon intelligence, la plupart du temps à cause de l’autorité et de la véridicité reconnue de celui qui me propose de croire une telle chose, par une intervention de ma volonté, se soumet et dit - sans en avoir évidence ou sans l’avoir démontré - « je crois », « je te crois », « j’y crois ». Qu’on remarque bien que croire par la foi naturelle, faire confiance à un témoin qui me communique quelque chose qui n’est pas évident pour moi est un processus non seulement légitime, mais nécessaire à la vie quotidienne et louable, lorsqu’il est fait d’une manière prudente. De la même façon, il serait absurde de vérifier chaque fois par des analyses chimiques ce que j’achète chez le boulanger : je fais confiance à celui qui est digne de confiance à la fois parce qu’il sait ce qu’il a mis dans le pain et parce qu’il a toujours bien agi et sans tromperie. La fiabilité du témoin est évidemment une prémisse fondamentale du fait de croire dans tout domaine, y compris le domaine “scientifique”.

 

 

...dans la science ».

 

Qu’entend-on par “science” ? Pour Aristote, qui part de ce qu’on appelle la “philosophie du sens commun” (cfr. Pour une relance de philosophie pérenne”), la science est une connaissance certaine au moyen de la cause nécessaire. La science consiste à connaître les causes propres des choses. Dans un jugement scientifique au sens propre, on ne “croit” donc pas. On ne croit pas car soit on a une perception immédiate et évidente de la vérité, soit on a une démonstration rationnelle qui exclut tout doute. Je connais par les causes nécessaires, je sais que cette chose est nécessairement la cause de cette chose là et non d’une autre. Dans ce cas, nous parlons de la science proprement dite, et non de la foi. Je sais, je ne crois pas. Bien que l’aristotélisme n’exclue pas différents niveaux de rigueur dans la démonstration selon les différents domaines, la procédure proprement scientifique est celle où, à partir d’une chose connue, je parviens à la connaissance d’une chose qui ne m’était pas connue auparavant et où je connais la relation de cause à effet nécessaire entre les deux choses.

 

Du point de vue de certains modernes, mieux vaudrait dire pour le positivisme scientiste du XIXe siècle, largement dépassé, mais dont la rhétorique a du mal à mourir, la science n’est que la description des phénomènes par la méthode dite “scientifique”. En d’autres termes, en voulant atteindre l’objectivité des affirmations, après avoir observé un phénomène, on cherche à créer un modèle mathématique qui décrit le fonctionnement du phénomène dans certaines conditions, puis on vérifie le modèle par des expériences pour en éprouver la validité. Il est évident qu’une telle “connaissance scientifique” n’est pas un objet de foi. Je n’y crois pas, je le démontre. Personne ne conteste qu’elle soit vraie, on conteste seulement qu’en considération des “limites mathématiques” qu’elle s’impose elle sous-évalue trop les capacités abstractives de l’intelligences humaines face à d’autres types de connaissances et qu’en étant une “science de laboratoire”, si on peut passer l’expression, elle n’est valable que lorsque certaines conditions très précises peuvent être reproduites.

 

Il est vrai, cependant, que toutes les sciences, tout en restant de vraies sciences selon leur graduation et par rapport à leur objet et à leur méthode propres, ne peuvent pas être ramenées sic et simpliciter à l’évidence de la vérité et à une démonstration rationnelle nécessaire (conformément à la démarche aristotélicienne), ni à la méthode scientifique expérimentale avec sa réversibilité de vérification, sa reproduction en laboratoire, sa linéarité et sa clarté du recours aux mathématiques (conformément à la démarche du scientiste).

La physique expérimentale moderne nous rappelle aujourd’hui même que nous ne pouvons pas connaître directement de nombreux phénomènes, mais que nous ne pouvons que décrire approximativement leurs effets (que l’on pense à la description du comportement de l’électron). A cela il faut ajouter que des sciences comme la médecine et la biologie expérimentales ne peuvent être envisagées sur l’unique base de critères de nécessité des conclusions, en effet concernant ces sciences-là, on n’est pas en mesure de retrouver les “causes” de tous les “effets”, et on ne peut qu’émettre des hypothèses sans pouvoir “reproduire le phénomène” car il comporte souvent trop de “variants”.

Il existe plus d’une explication plausible, de sorte que lorsqu’il est nécessaire de choisir ou de construire un système d’étude, l’affirmation « je crois » peut aussi légitimement intervenir dans le processus d’étude. Elle peut intervenir précisément parce qu’il n’y a pas de science absolue au sens décrit ci-dessus, et qu’il est également nécessaire, dans des cas spécifiques, de supposer l’assentiment du « je crois ». Ce n’est pas rare du tout dans ce type d’étude, car il peut aussi être nécessaire de supposer une vérité pour pouvoir procéder. Dans ce cas, il s’agit d’une « attitude active de l’esprit qui formule à lui-même l’adhésion donnée à un énoncé, lorsque l’un ou l’autre des éléments requis pour la connaissance scientifique fait défaut », lorsque fait défaut « la certitude parfaite, qui exclut le risque d’erreur » et « l’évidence, capable de s’imposer à tous les esprits ». 1

 

Récapitulons : « l’esprit formule à lui-même l’adhésion à cette affirmation », autrement dit il “y croit”, le processus nous est donc interne, il ne s’agit pas d’un constat indiscutable de faits certains totalement extérieurs au moi. Par conséquent, plus il est nécessaire d’affirmer que « l’on croit en la science » pour défendre l’opinion donnée, plus on affirme que la thèse ne jouit pas de la certitude scientifique stricte, c’est-à-dire de la certitude de la connaissance par les causes nécessaires si l’on est aristotélicien, ou de la vérification par la méthode scientifique si l’on veut se limiter au vieux modèle positiviste. Dans les deux cas, devoir dire « Je crois en la science » revient à affirmer que nous n’avons pas la certitude que nous avons dans d’autres domaines de la science.

 

Alors, l’assentiment donné dans ce cas « exprime un choix entre une affirmation et une négation possibles, ou entre plusieurs énoncés possibles ». Il s’agit donc forcément du choix volontaire d’une opinion. Nous soulignons que volontaire ne signifie pas arbitraire, mais que l’intelligence seule, dans ce cas, n’est pas en train simplement de constater une vérité évidente, mais que la volonté, après avoir évalué un ensemble de facteurs, doit intervenir en faisant son libre choix dans un sens. Et cela parce que nous sommes dans le domaine de la croyance-opinion, qui « comporte en elle-même le risque de l’erreur, dans la mesure où elle est insuffisamment fondée du point de vue expérimental ou rationnel, et ce risque est nécessairement reconnu par celui qui opine »2. Il faut donc le reconnaître, ne pas mentir à son intelligence et admettre la nature non évidente de l’affirmation.

 

 

Moralité de “croire” aux données scientifiques

 

Il s’agit donc souvent, même dans le domaine “scientifique”, de l’opinion de tel ou tel savant, qui - s’il est honnête - doit admettre qu’il a lui-même fait un choix volontaire en faveur d’une opinion, même si elle est la plus probable ; l’opinion du savant est ensuite proposée à la personne qui, n’ayant pas étudié directement l’hypothèse, pourra à son tour (n’étant pas un dogme de foi infuse nécessaire au salut éternel) choisir de croire ou non, sur la base de critères qui reposent sur la compétence du découvreur, sur l’honnêteté intellectuelle dont il a fait preuve au cours de sa vie et aussi sur son désintéressement économique, sur son immunité face aux logiques de carrière, de prestige ou de chantage, autant de facteurs qui augmentent sa crédibilité.

 

Et cela parce que la fiabilité du témoin dans cette matière est capitale. Donc, puisqu’il n’y a pas d’évidence, pour celui qui, comme Aristote, garde les pieds sur terre et veut faire un choix moralement bon, il faut aussi - et c’est vraiment “scientifique” - se demander : le témoin est-il intéressé ? M’a-t-il montré dans leur intégralité les études qui l’ont conduit à ces conclusions ? S’il soutenait la thèse inverse, serait-il exclu de l’université ou de son emploi ? Est-ce qu’il propose comme “certain” ce qui est encore “incertain”, et est donc intellectuellement malhonnête ? Est-il possible que certains scientifiques, même s’ils sont nombreux, puissent être influençables, surtout si des intérêts considérables sont en jeu, ou sont-ils sous la coupe du pouvoir ? Y a-t-il eu des répressions qui ont pu conditionner la liberté du scientifique ? Le dit consensus de la “communauté scientifique”, surtout si l’étude est à l’état embryonnaire, est-il réel car il résulte d’études irréprochables, ou est-il aussi le résultat de ceux qui contrôlent le “consensus émotionnel des masses” ?

 

Ces questions ne peuvent certes pas entrer dans un “modèle mathématique” ou un “taux d’incidence”, mais elles sont véritablement scientifiques car ma connaissance par les causes, si elle doit “croire” une donnée scientifique, doit aussi s’interroger sur la crédibilité et donc le désintéressement du témoin. Ce n’est que de cette façon que mon acte de croire sera prudent. Ce qui a été dit - pour ceux qui sont restés ancrés dans la philosophie réaliste et ne rêvent pas d’un savoir scientifique qui aurait des réponses à tout et tout de suite sous forme d’algorithme - est encore plus vrai dans les premières années qui suivent une découverte. En particulier dans le cadre d’expérimentations dans le domaine médical, sachant que notre connaissance du fonctionnement du corps humain a ses limites, sans parler du système immunitaire. Certaines découvertes acquièrent, sinon une scientificité absolue, du moins une plus grande crédibilité lorsqu’elles ont été éprouvées par le temps. Ma “foi”, non pas dans la science - ce qui ne veut rien dire - mais dans un traitement médical spécifique qui est maintenant établi parce qu’il a porté de bons fruits à long terme, est devenue une “foi raisonnable” avec le temps. Et même “tellement raisonnable” qu’il serait imprudent de ne pas y croire, compte tenu des nombreuses confirmations qui nous sont parvenues au fil des ans. Mais le contraire est également vrai : d’un point de vue moral, il pourrait être gravement imprudent, et ce pourrait même être un péché grave de crédulité - s’il y a pleine advertance - de donner son assentiment imprudemment, c’est-à-dire sans les vérifications nécessaires. Surtout si nous avons un rôle de scientifique, de médecin ou de gouvernant, avec de graves responsabilités sur celui qui nous écoute ou nous obéit.

 

En conclusion, je peux croire tel ou tel scientifique pour des raisons fondées et non émotionnelles ou d’utilité, mais dire « je crois en la Science » ne veut rien dire. Il n’existe pas un credo dans la Science, il y a la possibilité d’attribuer une crédibilité plus ou moins grande à un savant ou à un autre concernant une déclaration spécifique. Le reste n’est que cette émotivité irrationnelle intimement liée au scientisme positiviste du XIXe siècle mentionné plus haut, qui, ayant renié la métaphysique classique, tente, lorsqu’il manque de certitudes, de les imposer “à coups de majorité”, réelle ou fictive.

 

Don Stefano Carusi

 

1 R. Jolivet, Psicologia, Brescia 1958, p. 569.

2 Ibidem.

Voir les commentaires

Le Dominicain qui a donné la communion à Biden s’exprime

par Disputationes theologicae

L’abomination de la désolation dans le lieu saint

 

18 novembre 2021, Dédicace des Basiliques de saint Pierre et saint Paul

 

 

Un de nos lecteurs, Alessandro C., nous a envoyé un lien vers un article du Corriere della Sera” du 30 octobre 2021 relatant les déclarations du prêtre qui a effrontément donné la communion à l’avortiste Joe Biden à Rome même:

«Le président américain Joe Biden a assisté dans la soirée à la messe à l’église San Patrizio de la Via Boncompagni, à quelques centaines de mètres de l’ambassade des États-Unis [...] Biden a reçu la communion le lendemain du jour où le pape lui a demandé de continuer de recevoir le sacrement, malgré l’opposition de certains conservateurs en Amérique qui contestent sa position sur l’avortement. [En réalité l’opposition est beaucoup plus substantielle, c’est la ligne de l’épiscopat américain, ndlr]. Le président reçoit régulièrement l’Eucharistie dans les diocèses de Washington et du Delaware, mais communier à Rome revêt une signification particulière pour lui. Le pape est techniquement l’évêque de Rome, et la paroisse de San Patrizio fait partie de son archidiocèse. Environ 30 personnes ont assisté au rite. La famille Biden s’est assise au dernier rang, indiqué “réservé”. La messe a été célébrée par le père Joe Ciccone, qui n’a fait aucune annonce particulière aux personnes présentes. “La communion est ce qui nous unit dans le Seigneur, aucun de nous n’est pur ou parfait, nous sommes tous des saints et des pécheurs”, a commenté le prêtre à la fin de la célébration».

Nous remercions notre lecteur. Considérant que l’information concernant le consentement du Pape Bergoglio n’a pas été démentie, il est difficilement concevable qu’un geste d’une telle ampleur accompagné d’une déclaration d’une telle gravité, à Rome même, résultent d’un choix personnel et spontané du Père Ciccone. Toute l’Amérique, et pas seulement l’Amérique, attendait de savoir ce qui allait se passer ce jour-là dans la Ville Sainte. Et comme rien ne dit qu’à ce jour le père Ciccone ait été sanctionné - nous ne parlons pas de la sévérité et de l’aigreur que l’on est capable d’utiliser contre le camp conservateur, mais nous n’avons même pas vu un léger rappel protocolaire, comme le faisaient au moins les communistes dans les années 1970 avec les “camarades excessifs” -, il est légitime de penser que les événements ont été orchestrés. Orchestrés, si c’est le cas, lâchement avec la méthode marxiste habituelle déjà amplement décrite dans nos colonnes, selon laquelle on agit en changeant la praxis là où on ne peut pas changer la doctrine, en donnant publiquement le corps du Christ à ceux qui ne peuvent évidemment pas Le recevoir. Cette fois, cependant, il y a quelque chose de plus par rapport à Amoris Laetitia. On trouve une certaine structure “théologique” invoquée en appui d’une praxis hérétique qui, à moins d’un démenti improbable, est la confirmation de l’avancée de “l’abomination de la désolation dans le lieu saint”, compte tenu aussi du lieu qui a été le théâtre de ces événements. Ces déclarations, sans aucune distinction et de surcroît en étroite association avec la profanation publique de l’Eucharistie qui vient d’avoir lieu, ne sont ni plus ni moins que la théorie luthérienne éculée du « simul iustus et peccator ». La profanation de l’Eucharistie s’accomplit au nom de «nous sommes tous saints et pécheurs». La doctrine catholique sur l’état de grâce, la distinction catholique entre un état de péché mortel (public et social, d’ailleurs, dans le cas de Biden), qui empêche l’accès à la Communion, et un état de grâce avec quelques péchés véniels qui au contraire le permet, est enterrée précisément avec la...“théorie de la praxis” de la Communion au Président américain. Et de plus à Rome, publiquement, dans la Ville Sainte.  Nous renvoyons à la lecture de «La malice intrinsèque de la Communion sacrilège».

Cette fois, les paroles du Père Ciccone (à Rome, là où « ne bouge aucune feuille sans que le Pape ne veuille », par qui ont-elles été inspirées ?) montrent que nous sommes en train de dépasser la phase de la simple “praxis hérétique”, pour arriver à sa théorisation.  Déjà dénoncée lors de sa phase encore embryonnaire en 2014, «L’influence de Luther derrière la "thèse Kasper"» se confirme malheureusement de plus en plus aujourd’hui.

 

Association de clercs « Saint Grégoire le Grand »

Voir les commentaires

"Traditionis custodes" et les jeux du Conclave

par Disputationes theologicae

Entre intérêts "curialesques" et hypocrisie

29 septembre 2021, Saint Michel Archange

 

Bergogliens

 

Une fidèle de Bordeaux s’est adressée à notre rédaction au sujet de Traditionis custodes, texte qui, de fait, interdit presque la célébration de la sainte messe traditionnelle. Son intérêt portait aussi sur la réponse servile donnée à ce texte par les Supérieurs des Instituts traditionnels, appartenant à la Commission "Ecclesia Dei", désormais définitivement supprimée, tout comme est supprimée (même en théorie) cette logique de protection des réalités traditionnelles que Jean-Paul II lui avait attribuée. Notre lectrice nous informe qu’à sa demande expresse, le texte des Supérieurs des Instituts traditionnels réunis à Courtalain a été défini par un prêtre responsable de Saint Eloi comme "suffisamment ambivalent" pour être lu dans les deux sens : le signataire "traditionaliste" ne joue pas carte sur table quant à sa façon de penser et le Vatican peut le lire comme une pleine acceptation de Vatican II. À cela s’ajoute l’information selon laquelle le Supérieur pour l’Italie du même Institut du Bon Pasteur, conformément aux indications du Vicaire général du diocèse d’Ascoli Piceno, a proclamé en chaire - solennellement revêtu des ornements sacrés - le texte intégral de Traditionis Custodes, y compris les passages que récemment encore il aurait jugés inacceptables. A la fin de la messe, la réponse apportée aux interrogations d’un fidèle scandalisé a été celle-ci: "désobéir à cette disposition pontificale serait comme pécher contre l'Esprit Saint". Et vu que la servilité provoque aussi la schizophrénie, un prêtre du même Institut dit - en privé - que le Document des Supérieurs réunis à Courtalain est honteux, qu’il est le fruit de pressions (venant de la Secrétairerie d'Etat?) exercées lors de la réunion par l’intermédiaire de Mgr Wach et avec lequel tous les signataires n’étaient pas d’accord au départ. S’agit-il du même prêtre d’Ascoli Piceno?

Abstraction faite du double jeu intéressé, il nous semble gravement injuste de rejeter toute la responsabilité sur l’Institut du Christ Roi, qui ne brille certes pas par sa critique publique des hérésies modernes, mais qui n’avait pas le pouvoir d’imposer quoi que ce soit à qui que ce soit. Chaque prêtre des Instituts signataires doit assumer la responsabilité de ce qui a été signé par le Chef. Aristote dit que ce que le chef fait, la société dans son ensemble le fait, laissant à l’individu la possibilité de ne pas être d’accord. Ce désaccord doit être exprimé publiquement. Et oui, parce que quand une position engageant tout l’Institut a été adoptée publiquement et qu’en conscience elle est inacceptable pour certains prêtres, ou même pour certains baptisés, ceux-ci ont le devoir d’exprimer publiquement leur désaccord.  Sinon, leur silence équivaut à un acquiescement et les ragots chuchotés en privé n’y changent rien.

A vrai dire, dans les rangs de la Fraternité Saint-Pierre, on avait remarqué, pendant la deuxième quinzaine de juillet, des prises de position publiques un peu plus courageuses qu’ailleurs, et même des commentaires qu’on ne pouvait pas mépriser. Quelqu’un avait même rappelé par écrit la possibilité de la fameuse "critique constructive", qui – n’étant plus défendue par l'IBP - avait été reprise par certains prêtres un peu plus entreprenants de la FSSP. Malheureusement, tout s’est inexorablement éteint après la prise de position du Supérieur Général et encore davantage après la publication du Document des Supérieurs Réunis. Un document lapidairement défini par certains prêtres américains de la FSSP comme : "une capitulation". Ici aussi, cependant, à notre connaissance, le désaccord n’a été exprimé qu’en privé. Si nous nous trompons, nous publierons volontiers une rectification signée. En ce qui concerne les positions des communautés bénédictines signataires de la lettre, Le Barroux in primis, rien n’a encore transpiré, si ce n’est le commentaire unanime que, très familiers de la lectio divina, ce sont eux qui seraient les promoteurs de cette profusion de citations scripturaires, dont la plupart utilisées mal à propos. Quelqu’un nous a objecté que le sens accommodatice d’un texte ironique nous échapperait, car au fond, le Document des Supérieurs Réunis, lorsqu’il invoque la piété et la miséricorde, ferait allusion à la "miséricorde" tant invoquée et si peu appliquée pour les traditionalistes. Pourquoi évoquer précisément ces passages latitudinaires d'Amoris Laetitia, qui de fait ont permis aux divorcés remariés d’accéder à la communion, pour invoquer miséricorde aussi sur la Tradition ? S’il s’agit d’une blague, ce n’est pas drôle du tout, si c’est un signe de la pusillanimité d’un certain monde traditionnel, cela fait pleurer. Le vieil Eléazar du livre des Maccabées doit se retourner dans sa tombe. Quel est l’intérêt de se cacher derrière son petit doigt ? Est-ce ainsi que l’on sert avec amour l’Église dans la tempête ? Oportet aliquandum excessum facere dirait saint Jérôme, et saint Athanase, repris par saint Pie X, nous rappelle que dans la défense de la vérité catholique, l’excès vaut mieux que le défaut, mais jusqu’à présent, on n’a vu que du politiquement correct...

Et puis, si demander la pitié et la miséricorde pour le pécheur en tant que tel, ou pour chacun de nous individuellement en tant que pécheurs, est juste, il devient injuste de demander miséricorde pour des sociétés ou des prêtres qui, même avec leurs limites, essaient de défendre la Tradition. "Agnosce, o christiane, dignitatem tuam". 

Par souci d’équité, nous devons toutefois ajouter, en réponse à notre lectrice, qu’il ne serait pas juste de s’attarder uniquement sur ces formes d’hypocrisie du "monde traditionaliste" défini, pas toujours à tort, comme "rallié", auquel se sont ajoutés récemment à plein-titre - publiquement et sans distinction - ceux même qui, en 2006, disaient tenir une position plus combative parce qu’ils avaient reçu un mandat spécifique du pape Benoît XVI. Cela serait injuste et pour le moins incomplet. En fait, de nombreux cœurs se dévoilent à propos de Traditionis custodes. Notamment celui de la FSSPX bergoglienne, grande bénéficiaire du Pape au visage latino-américain... mais aux méthodes exquisément curiales, qui - en paroles – n’aimerait pas "ceux qui critiquent Vatican II".

Ceux qui suivent les événements depuis des années savent bien que Disputationes Theologicae dénonce depuis un certain temps l'existence d'un accord...pratique (voir même "pratico-pratique") entre le pape Bergoglio et la FSSPX. Nos déductions de l’époque, pourvues d’une certaine évidence à condition de lire les évènements avec une certaine honnêteté intellectuelle, éclatent désormais au grand jour pour ceux qui ont conservé un peu de bon sens.

En effet comment croire que les timides "critiques de Vatican II" exprimées par les Instituts "Ecclesia Dei" (d’ailleurs ont-elles jamais été réellement formulées?) aient pu déclencher Traditions Custodes?

Entre autres choses, selon le raisonnement spécieux invoqué qui dit en gros "puisque parmi ceux qui célèbrent la messe traditionnelle, quelques-uns insultent Vatican II, alors je vous supprime la Messe traditionnelle" on pourrait équitablement inverser "puisque parmi les partisans idéologiques de la Messe réformée de Paul VI il y a de vrais hérétiques qui nient les dogmes sanctionnés par l'Eglise, alors nous interdisons le Novus Ordo", au lieu de quoi, pour ce dernier il n’y a qu'un discours bienveillant et hypocrite sur quelques "abus" à corriger. Pour les éventuels excès de certains, la messe grégorienne est de fait retirée à tous, pour les aberrations des amis modernistes, juste un rappel d’ordre général.

Il nous semble cependant que, plus personne ne se soucie de Vatican II, même pas les progressistes, projetés comme ils sont sur Vatican Trois, mais qu’il est plutôt invoqué pour des manœuvres curiales...notamment en vue du prochain Conclave, bien que l’on cherche à le retarder.

Si la raison d’une telle répression de la Messe traditionnelle réside réellement dans la position divisive des "Instituts traditionnels" sur le dernier Concile, comment se fait-il que, face à des critiques de la part de la FSSPX, certes non dénuées de fondement, mais exprimées d’une manière criarde, parfois débraillée, et dans certains cas sans structure théologique adéquate, on n’agisse pas d’une manière analogue ? La raison est-elle doctrinale ou politique ? En effet, aujourd’hui les Instituts "Ecclesia Dei" ont été étranglés, tandis que les seuls à pouvoir continuer à ordonner des prêtres licitement et sans avoir besoin de lettres dimissoriales par concession du Pape François, les seuls à pouvoir entendre validement et licitement les confessions sans demander les pouvoirs des évêques diocésains avec l’accord du Pape François, les seuls à pouvoir célébrer des mariages validement et licitement  - en donnant un coup de fil au curé en fin de soirée pour qu’il transcrive dans les registres le mariage célébré le matin - en vertu d'une reconnaissance mutuelle avec le Pape de Fratelli Tutti sont juste...les prêtres de la FSSPX.

Mais croit-on vraiment que tout ceci soit une coïncidence ou un oubli ? Celui qui, peut-être trop occupé à préparer le futur Conclave, aurait oublié que les prises de positions discutables de la FSSPX portent sur la validité des "nouveaux" sacrements ? Elles ne portent pas simplement sur la simple "expression correcte de l'orthodoxie", ou la "pleine légitimité doctrinale et canonique" mais bien sur la "validité". Alors qu’il a écrasé les Instituts qui, bien que de manière différente, avaient au moins fait l’effort de maintenir un accord canonique avec Rome pendant des années ? L'abbé Jean-Michel Gleize peut-il nous expliquer cela, lui qui avec une dureté plus proche de l'idéologie que de la théologie, a attaqué sans pitié le Document des Supérieurs Réunis, d’ailleurs critiquable, sans aborder les ambiguïtés de sa propre maison ? N’est-il pas plus hypocrite de se poser en défenseurs inflexibles du dogme sans aucun compromis avec la "Rome moderniste et apostate", comme ils l’appellent, et en même temps de demander - et d’obtenir en dessous de table - toutes ces concessions ? Des concessions qui ne portent pas seulement sur la question des sacrements, mais qui sont aussi très, très concrètes. Elles sont même immobilières. Comment a pu intervenir au moment même de la rédaction de Traditionis Custodes l’approbation romaine de l'achat - mieux encore du don par l'Institut religieux ! - d’« une des églises les plus renommées, belles, et antiques de Vienne, et dans une position privilegié », comme dit l’abbé Frei, par la FSSPX ? Comment est-il possible que Mgr Huonder, ancien évêque de Coire, ait confirmé solennellement encore le 26 août dernier à Wangs que son choix de passer sa retraite dans une maison de la FSSPX était pleinement approuvé et partagé par le pape François ? Comment est-il possible que Mgr Huonder célèbre pontificalement au trône, dans les prieurés de la FSSPX et entouré des Assistants généraux de cette même société le 25 septembre 2021 avec l’encouragement exprès de Bergoglio alors que des prêtres régulièrement incardinés soient contraints de demander une centaine de permissions et ne puissent plus célébrer dans les "églises paroissiales" ? Allons, ne nous leurrons pas...quel aveugle ne peut pas voir la réalité des faits ? Et maintenant, que l'Abbé Gleize de la FSSPX, que Don Davide Pagliarani laisse librement enseigner à Ecône ses positions ecclésiales plutôt discutables (et pas toujours théologiquement fondées), équilibrant ainsi "sur la droite" l'accord bergoglien et tranquillisant la "Résistance interne", ait au moins la courtoisie de faire grâce à ses lecteurs de ses leçons de morale. S’il est vrai que certains Supérieurs "Ecclesia Dei" ont péché par couardise intéressée, au moins ils ne se sont pas posés en sauveurs inflexibles de l'Eglise et ils ont eu le courage de parvenir à un accord public et signé à la lumière du jour. Contrairement à la Fraternité Saint Pie X, ils n’ont jamais dit, que pour parvenir à un accord, ils avaient besoin : 1) de la libéralisation de la messe traditionnelle. Et maintenant on a Traditionis Custodes. 2) Le retrait des excommunications. Et maintenant, dans la lettre accompagnant Traditionis Custodes, on parle de nouveau du "schisme" de Mgr Lefebvre. 3) La conversion de Rome à la suite des discussions doctrinales. Voit-il arriver cela l’abbé Davide Pagliarani? Et aujourd’hui, au lieu de prendre ses distances, l’accord pratique entre la FSSPX et le Pape Bergoglio se poursuit jusqu’au point d’éliminer...ceux qui étaient gênants pour les deux. 

Et nous ajoutons: quel autre pacte inavouable se cache derrière cette promotion de facto de la FSSPX par Bergoglio à laquelle elle répond souvent avec plus de gratitude et de déférence qu’elle ne le faisait avec Benoît XVI ? Il y aura certainement un "donnant-donnant". N’y aurait-il pas des jeux pré-conclave avec des légitimations croisées de ceux qui, de fait, sont largement délégitimées tant pour l’un que pour l’autre ? La FSSPX ne marchande-t-elle pas la légitimité de Bergoglio, critiqué certes, mais reconnu comme "indiscutablement légitime", alors que d’autres plumes émettent des doutes, quoique d’une manière non catégorique (De quel genre est la “démission” de Benoît XVI?; En 2017 Benoit XVI a-t-il accordé la Bénédiction Apostolique?!? ) ?

Le pape Bergoglio, en effet, ayant laissé tomber le masque de franciscain et de "latino-américain" sympathique, fait ressortir tout le curialisme progressiste italien et allemand. D’une part, il stigmatise - au nom de l’unité - les "traditionalistes divisifs", et d’autre part, divise encore davantage l’Église avec son anti-Motu Proprio, en cassant le pontificat de son prédécesseur à coup de hache et en démolissant Summorum Pontificum au marteau-piqueur. Justement Summorum Pontificum, qui, malgré ses limites, était un symbole du pontificat de Benoît XVI et l’un de ses actes les plus éminents (cf. Instruction Universae Ecclesiae) de son Magistère. Mais qu’est-ce qui a été promis lors du dernier Conclave ? Combien y a-t-il de "feuillets de reconnaissance de dette" à payer ? Quand il dit "Je ne fais pas ce que je veux, mais ce que nous avons décidé ensemble", raison pour laquelle il a été élu, à quoi fait-il référence ? S’était-il accordé sur ce point avec tous ceux qui ont voté pour lui ou seulement avec les partisans de la première heure, c’est-à-dire le courant progressiste jésuitico-martinien ?

Qu’en est-il, de plus, de cette accusation selon laquelle les cardinaux se seraient réunis pour préparer un futur conclave pendant sa maladie ? N’est-ce pas lui qui avait parlé en 2014 de sa courte présence, quatre ou cinq ans ? Les Cardinaux en question auront seulement fait le calcul, 2013 plus cinq font 2018 et on est en 2021. Et en outre, cette histoire de la "Papauté à échéance" n'a-t-elle pas déjà été presque imposée, quoique dans des termes différents, à Benoît XVI ? La Papauté avilie était l’un des grands chevaux de bataille du Cardinal Martini et de la mafia de Saint-Gall, et Bergoglio lui-même a parlé plusieurs fois d’une démission au moment opportun. « Certains Cardinaux me voulaient mort », a-t-il sous-entendu, mais le problème ne résiderait-il pas plutôt dans le fait que, comme des sources autorisées nous l’ont signalé, « si on va au Conclave maintenant le Cardinal Tagle (ou Zuppi) ne gagnerait pas, et donc qu’il vaut mieux le retarder »?   

Et puis encore, cette hâte à promulguer Traditionis custodes, à peine sorti de l'hôpital...sans qu’on lui laisse le temps de la convalescence...le fait que la norme doive entrer en vigueur immédiatement, cela sonne comme si tout devait être sécurisé avant que quelque chose de grave ne puisse se produire. Une indication avant le Conclave qui donnerait une claire caractérisation progressiste, anti-Benoit XVI, qui lierait le successeur et qui aurait un effet, sur ces nombreux cardinaux venant "du bout du monde", peut-être un peu moins au fait des manœuvres "vaticanes", de la victoire écrasante et absolue du front de l’extrême gauche ecclésiale.

En conclusion, si ces événements - et Dieu se révèle à travers les événements - ne parviennent pas à une remise en question du chemin emprunté, que faudra-t-il de plus ? Ne méprisons pas ces sollicitations de la Providence, que nous soyons des Cardinaux, avec une immense responsabilité, que nous soyons des prêtres traités moins bien que des hérétiques en raison de la simple célébration traditionnelle, ou que nous soyons de simples baptisés.

La Rédaction de "Disputationes Theologicae"

Voir les commentaires

Nos adieux à l’Abbé Paul Aulagnier

par Disputationes theologicae

Camerino, Fête-Dieu 2021

 

                                                                       

Sur le parvis de l’église Saint Jean de la Chaîne, alors que le cercueil de l’Abbé Paul Aulagnier sortait, un jeune prêtre nous a interrogés sur la raison de notre présence à ces funérailles eu égard à un désaccord qui avait causé la séparation de nos routes. Pour rendre hommage à un grand combattant, lui avons-nous répondu, car face à la mort il faut savoir rentrer les épées, surtout quand pendant longtemps on a lutté ensemble contre le progressisme rampant dans l’Église. Et, sachant qu’il était mourant, nous sommes heureux d’avoir pu lui envoyer un confrère pour lui dire que nous voulions que la mort nous voie réconciliés. Chaque décès nous fait réfléchir sur la brièveté de la vie, mais celui-ci nous a confirmé spécialement la nécessité de ne pas baisser la garde dans cette guerre sans merci pour la foi et, propter fidem, pour la Sainte Messe dans le rite de la Tradition. Ce Juge, nous osons l’espérer, nous pardonnera si dans le feu de l’action tous les coups n’ont pas été calibrés à la perfection - et qui peut dire en avoir toujours été capable, “brebis sans pasteur” que nous sommes en partie - ce Juge sera plus sévère si nous n’avons pas défendu sa royauté devant les hommes malgré nos connaissances et nos possibilités. L’heure vient vite, et au moins, puissions-nous dire que, malgré nos nombreuses limites, nous avons essayé de mener ce « bonum certamen ». Ces réflexions flottaient dans l’air le jour de ses funérailles et elles n’étaient pas seulement les nôtres.

 

A la nouvelle de sa mort, il nous a déjà semblé que l’Abbé Aulagnier, qui voit désormais tout sub specie aeternitatis, était encore plus proche de nous, comme il le fut dans tant de batailles, dont certaines longtemps menées côte à côte face à ceux qui voulaient nous faire agir contre notre conscience catholique. L’Abbé Aulagnier appréciait beaucoup Disputationes et nous conservons jalousement ses lettres d’éloges aux résistants du Bon Pasteur de la première heure. Il disait « Foncez », notamment parce qu’il n’était pas du genre à reculer, tout fin politicien qu’il fût. Un peu trop parfois, peut-être pour compenser certaines ardeurs un peu dommageables : comme lors de la fameuse réunion du 31 mai 1988 au cours de laquelle son avis fut décisif dans l’échec de l’accord Rome-Ecône. Un jour, il nous dit que Monseigneur Lefebvre avait parlé de la nécessité d’un genre de revue comme la nôtre, qui alternerait actualité ecclésiale et recherches approfondies voire même exigeantes. Il pensait même que la fameuse lettre des séminaristes de l’IBP était l’œuvre de notre Rédaction. Il se trompait, ne nous a jamais cru et a continué à nous féliciter alors que seule notre position l’avait inspirée, mais nous n’en étions pas les auteurs. En ce moment tragique, il avait grandement apprécié, relu et diffusé cette lettre. L’auteur était cependant un de ses élèves et un des nôtres, mais pas le directeur de cette Revue. Cela vaut cependant la peine de la relire, car il s’agissait d’une réponse à la lutte qui faisait rage à l’époque et à laquelle il avait adhéré de tout cœur (Lettre des séminaristes de l’IBP), même s’il a ensuite choisi la tranquillité, qui avait chez lui le facteur atténuant de son âge et des fatigues accumulées.

 

Nous ne nous sommes jamais lassés de répéter - et quelqu’un l’a également repris dernièrement - que le geste dans lequel transparaît l’aspect le plus cher à nos yeux de l’Abbé Aulagnier, révélateur de son animus, se situe dans les années 2000, lorsque, après l’accord canonique produit dans le cadre de l’Administration Apostolique Saint Jean Marie Vianney de Campos (un bon accord en soi, malheureusement ruiné par le carriérisme notoire d’un homme), il a eu le courage de crier haut et fort au sein de la FSSPX que le temps était venu pour un accord canonique. Un accord qu’il fallait réaliser dans une double perspective : servir l’Eglise, dont le rapport avec le monde traditionnel a des conséquences au niveau général, et préserver le monde traditionnel du danger de l’enracinement d’une mentalité tendant au schisme. Pour ces séminaristes d’esprit romain de Flavigny et d’Ecône, cela signifiait beaucoup : c’était l’ami de Mgr Lefebvre qui parlait, et sa voix était plus difficile à liquider. Il subit des pressions selon les méthodes habituelles - causes d’une détérioration significative de sa santé - réduit au silence, menacé des peines les plus sévères, il choisit cependant de ne pas se taire (ce qui aurait été schizophrène étant donné l’importance de la “dénonciation de l’erreur” prônée par la FSSPX même contre le Vicaire du Christ). Il aurait pu être favorable à l’accord canonique à condition de ne rien déclarer publiquement. Son choix fut d’une grande cohérence : se taire eût été inique. Le devoir de parler, parfois publiquement, pour le bien de l'Église ne peut pas se limiter à certains dangers et, si de graves erreurs se trouvent parfois aussi dans la maison “traditionaliste” et que la vérité vaut plus que l’intérêt, il faut accepter ce rôle ingrat. C’est ce que fit l’Abbé Aulagnier, dénonçant les prémices d’une dérive qui tendait au schisme. Il fut déposé de son rôle d’Assistant Général de la FSSPX, en pratique “raccompagné à la porte”. Et non pas « il s’en éloigna à notre vif regret », comme l’indique le communiqué officiel du 6 mai 2021 de la FSSPX (Fraternité dans laquelle l’ambiguïté obstinée de Mgr Fellay a engendré une réaction de rejet de l’accord et qui est maintenant dirigée par un Chef qui avait préféré s’exiler à Singapour plutôt que se soumettre à un Supérieur “accordiste”. L’Abbé Aulagnier ne devait pas avoir complètement tort...). On ne craint vraiment pas le mensonge le plus éhonté proféré contre ceux qui ne sont plus là. Non, il a été chassé, et d’une mauvaise manière. Si l’on ne reconnait pas le tort, au moins que l’on se taise, et que l’on évite les falsifications de la réalité ad usum delfini. « Qui habet aures audiendi audiat ». Si ces quelques lignes peuvent contribuer à rétablir la justice envers celui qui ne peut plus se défendre sur terre, elles n’auront pas été écrites en vain.

 

Certes, tout le monde sait qu’en 1988, comme nous l’avons dit plus haut, il fut “l’homme des Sacres”, dont il affirma toujours l’absolue nécessité de manière péremptoire et sans vouloir entendre d’arguments pondérés ou du moins s’ouvrir à une réflexion; sur ce point, il a toujours été passionnel. Mais il fut aussi l’homme qui, en conscience lorsqu’il reconnut l’accord possible et nécessaire, eut le courage de le dire, payant par la solitude, l’oubli et la calomnie une position qui n’était pas celle du confort. Honneur à vous, “cher Abbé”, pour reprendre son expression habituelle. Nous nous sommes dit toutes sortes de choses, à certains moments, mais toujours avec la reconnaissance réciproque d’être des soldats de la même armée.

 

Il fut également courageux lorsque - et la Fraternité Saint-Pierre lui doit une reconnaissance éternelle - il révéla unegrande partie de ce plan peu honorable par lequel certains signataires demandèrent à la Curie romaine l’autorisation decélébrer selon le rite réformé, plongeant la FSSP dans le désarroi. Aujourd’hui, sans l’Abbé Aulagnier, qui contribua à rendre publics ces documents, la FSSP ne se serait peut-être relevée en aucun domaine. Nous ne parlons évidemment pas de l’aspect relatif à la bataille doctrinale qui languit encore, tout en étant l’aspect le plus important, mais de la conduite liturgique actuelle. S’il n’y avait pas eu ce prêtre courageux qui savait qu’il s’exposait à des dénonciations et à des amendes judiciaires avec la diffusion de ces documents, la vérité n’aurait pas émergé avec une aussi grande clarté. Qu’ils y pensent, ceux qui... avec une conduite plus servile que véritablement filiale envers l’Autorité, lui envoyèrent ces documents... pour les faire circuler. Et lorsque nous lui avons demandé, sachant qu’il était auvergnat, donc notoirement peu dépensier, si ces amendes pour diffusion de documents internes ne lui avaient pas coûté trop cher, sentant notre provocation, il répondit « jamais l’argent n’a été mieux dépensé ! ». Et il avait bien raison car cette correspondance n’était pas une affaire privée, mais concernait le bien public de l’Église et il a bien fait de les publier.

 

Enfin, un dernier mot sur son amour de la Messe, combat de toute sa vie pour la défense de la « Sainte Messe de toujours » comme il l’appelait, une défense acharnée qui lui laissait parfois échapper quelques phrases déplacées et une fougue que nous nous étions permis de lui reprocher. Mais l’Abbé Aulagnier, sur certains points, était un peu resté dans l’ambiance des années qui suivirent immédiatement 1988 (ou même 1976).

 

C’est ainsi que nous nous souvenons de lui et il était juste que notre Revue lui rendît hommage, sans cette impersonnalité aseptisée des souvenirs funèbres. Nous sommes confiants que de l’éternité, d’où il voit tout avec plus de clarté, l’Abbé Aulagnier nous aide déjà, nous l’avons même expérimenté.

 

  Don Stefano Carusi - Abbé Louis-Numa Julien

 

Voir les commentaires

La malice intrinsèque de la communion sacrilège

par Disputationes theologicae

Une nouvelle “praxis” à la lumière de saint Thomas d'Aquin

 

19 - IV - 2021 

En ces temps très sombres...un Cardinal qui honore sa pourpre.

 

Nous avons déjà évoqué dans le passé les dangers d’une nouvelle “praxis sacramentelle” (Missionnaires de la Miséricorde ou de la profanation de la Confession?), par laquelle se répand dans la pratique un accès objectivement sacrilège à la Communion et qui du moins prétend se référer à la diffusion de documents ambigus comme Amoris Laetitia ou aux tendances permises en haut lieu pour formaliser l’intercommunion avec les protestants (cf. Intercommunion, les fausses raisons doctrinales de Kasper). Nous avions également rappelé comment, dans la pensée marxiste qui fait aujourd’hui école, les programmes révolutionnaires les plus inavouables sont appliqués non pas tant par des documents de spéculation ordonnée, soutenant scientifiquement la validité supposée des nouveautés et acceptant le risque de réactions contraires, mais par l’action factuelle et concrète, précisément, par la “doctrine de la praxis”. En fait, des documents trop articulés et explicites, incapables de résister à un examen rigoureux parce qu’il leur manque un cadre philosophique et théologique solide et surtout un fondement profond dans la Révélation divine, s’avéreraient contre-productifs pour la cause des subversifs. Cela ne signifie pas que le plan pour renverser les choses soit moins articulé, mais seulement on ne l’avoue pas et on se limite à l’appliquer en sous-main, laissant la doctrine se modifier imperceptiblement dans tous les domaines liés à la nouvelle pratique tendant à l’hérésie. A force de ne pas agir comme on pense, on finit par penser comme on agit. Les marxistes - et le catho-marxisme, qui en est un dérivé servile - le savent bien.

 

Actuellement la Communion sacrilège fait rage. Elle est en partie théorisée en évitant la notion trop alarmante de “sacrilège”, lui préférant celle d’ “ouverture” (une ouverture comme par hasard toujours à gauche et jamais à droite, exception faite de quelques “situations fantoches”). Il est donc bon de rappeler l’ample illustration donnée par saint Thomas d’Aquin en essayant de saisir toutes les implications destructrices liées à la malice objective d’un tel sacrilège, subversif également quant au dessein du Christ sur son Église.

 

Il est évident que nous ne sommes pas en train de parler de la faiblesse de ceux qui, par respect humain, s’approchent de la Communion en état de péché mortel, parce qu’ils sont mal formés ou parce qu’ils sont plus attentifs au jugement des hommes qu’à celui de Dieu - ce qui est certainement grave et dont il est impératif de s’amender, mais qui peut parfois être attribué davantage à l’irrésolution humaine qu’à une malice préméditée. Nous nous référons à la “théorisation” voilée (ce qui équivaut à une officialisation) de la “praxis” de la Communion sacrilège, de la part de certains ecclésiastiques, pourtant revêtus de l’autorité.

 

 

Jusqu’à quel point est faussé le signe de l’Eucharistie

 

Lorsque saint Thomas cite le passage bien connu de la première épître aux Corinthiens, « celui qui mange et boit indignement, mange et boit sa propre condamnation » (11, 29) et analyse la gravité de la Communion sacrilège, il ne se réfère pas seulement au grave dommage que subit l’âme du pécheur et à la condamnation que l’on décrète sur soi-même, mais il veut aussi développer en profondeur tout ce que le fait de pécher « sacramentellement » indique et implique.

 

La vision de saint Thomas sur ce point est, comme toujours, très éloignée de l'individualisme et du subjectivisme modernes. L’Aquinate évalue avant tout la chose en elle-même - la gravité intrinsèque d’un tel acte -, il l’évalue ensuite dans tous ses aspects sacramentels, christologiques, ecclésiaux et eschatologiques, mettant en évidence tous les dommages causés à la notion même de sacrement, de présence réelle, d'Église. Il évite de se fonder sur les aspects de tel ou tel cas singulier, tout en sachant tenir comte de ces données.

 

Saint Thomas, dont nous allons essayer d’expliquer brièvement la pensée ci-dessous, affirme par une distinction scolastique classique, que la malice de la Communion faite avec un péché mortel sur la conscience est au moins triple[1].

 

Le premier motif de malice concerne l’Eucharistie dans la mesure où elle est proposée comme nourriture (« in modum cibi proponitur »). La nourriture en effet est proposée à celui qui vit pour qu’il se nourrisse et non pas à celui qui est mort. Celui qui s’en approche sans avoir la vie spirituelle à cause d’un péché mortel commet donc un abus : il fausse ce Sacrement dans son caractère de nourriture pour les seuls vivants.

 

De même que le pain et le vin, nourriture des vivants, se transforment dans la personne de celui qui se nourrit, il en va de même, d'une certaine manière, dans l’Eucharistie, où entre la nourriture spirituelle et les fidèles se produit une union qui est une transformation, avec la différence qu’ « à la table eucharistique, la nourriture est plus forte que celui qui la mange, le fidèle n’assimile pas, mais il est assimilé par le Christ: “Ce n’est pas toi qui me changes, mais moi qui te transforme en moi” (saint Augustin, Les Confessions 7, 10, 16) »[2]. Le Concile de Florence affirme: « L’effet de ce Sacrement, qui se produit dans l’âme de celui qui le reçoit dignement, est l’adhésion de l’homme au Christ. Et puisque l’homme est incorporé au Christ et uni à ses membres par la grâce, chez ceux qui le reçoivent dignement, ce sacrement augmente la grâce et produit pour la vie spirituelle tous les effets que la nourriture et la boisson matérielles réalisent dans la vie corporelle, en nourrissant, développant, restaurant et réjouissant »[3].

 

Quant à la Communion donnée à l’âme en état de péché mortel, rien de ce qui vient d’être dit ne peut valoir. Cette nourriture qui extérieurement semble être la vie pour l’âme est plutôt sa condamnation à la mort. Donc, donner sacramentellement comme nourriture la vie de la grâce à un cadavre, en substance, n’est qu’un mensonge[4]. On fait mentir le Sacrement, en lui faisant dire - au-delà des intentions subjectives - qu’il est quelque chose pour ceux qui sont spirituellement “morts”. Ou alors on nie que le pécheur en état de péché mortel soit réellement “spirituellement mort”, se rapprochant ainsi de la notion luthérienne de l’homme à la fois « pécheur et juste » (pour un examen approfondi de cette notion et de sa diffusion actuelle, nous renvoyons à notre article L'influence de Luther derrière la thèse de Kasper”?) ; ou bien on suggère - un peu “jésuitiquement” - que ce n’est pas un péché mortel parce que, malgré une « matière grave », il y a un manque de « pleine advertance » et/ou de « consentement délibéré ». Cette dernière éventualité est possible, mais l'utilisation d’un tel argument - surtout de manière habituelle - contredit le principe fondamental selon lequel « de internis non iudicat Ecclesia » (cf. “Amoris Laetitia”: Mgr Livi parle aux pénitents et aux confesseurs). 

 

Deuxièmement, par la Communion sacrilège on abuse de la réalité du Christ sous les espèces du pain, cette Hostie consacrée est le Christ lui-même, qui est le Saint des Saints, donc celui qui Le reçoit doit être saint, au sens où il doit être en état de grâce[5] ; c'est-à-dire qu'il est nécessaire d'être exempt au moins de péché mortel pour qu’il puisse y avoir cette conformité entre celui qui accueille en lui le Saint Sacrement et l'Invité Divin, offrant une place digne à un tel Visiteur. Il y a donc un abus, objectivement très grave du Sacrement parce qu’on assume la chose sainte dans ce qui n’est pas saint et, ce faisant, on fausse objectivement le Sacrement. Ajoutons que dans le climat actuel, il pourrait aussi y avoir une négation insidieuse de la sainteté intrinsèque de la Présence Réelle et Substantielle, à la mode protestante, ou une attribution plutôt moderne à tout homme d’une sainteté (plus ou moins « anonyme »), en suivant les traces de Karl Rahner, défini par le Cal. Giuseppe Siri comme le penseur le plus dangereux de l’hétérodoxe “Nouvelle Théologie”, condamnée par Humani Generis.

 

En troisième lieu - et c'est l’aspect le plus grave, lié au précédent - l’accès au Corps réel du Christ signifie et cause également l’union au Corps mystique du Christ, c’est à dire l’union à la Sainteté du Rédempteur dans la Communion des Saints, union “incorporante” avec le Christ et avec les frères en grâce[6]. La Communion sacrilège fausse ici très gravement la signification du Sacrement, car d’un point de vue objectif - qui est et doit être prééminent - elle fait dire au Sacrement que cette circulation mystique de la charité dans la Communion des Saints est une circulation qui peut coexister tranquillement avec le péché grave et, plus largement, même avec ce qui en soi s’oppose à l’unité de l’Église, comme par exemple l’adhésion au schisme ou à l’hérésie protestante. Le Concile de Trente avec autorité dogmatique rappelle que « le divin Sauveur a laissé l'Eucharistie à son Église comme symbole de son unité et de sa charité, par laquelle il a voulu que tous les chrétiens soient unis entre eux et unis de la manière la plus intime »[7], l’Eucharistie étant « le symbole de cet unique Corps dont il est lui-même le Chef » [8], Elle est « signe d’unité » et « lien de charité »[9] entre le Christ et les chrétiens qui accèdent au Banquet céleste. Par conséquent, l’accès indigne à l'Eucharistie (non seulement pour les pécheurs, mais même pour ceux qui sont séparés de l’Église catholique), bouleverse la signification de cette union mystique avec le Christ Chef dans la Communion des Saints qui nous lie aussi à l’Église triomphante et souffrante. Elle fausse la réalité parce que dans les faits la Communion sacrilège brise et profane ce lien avec le Christ et les frères, creusant le sillon au lieu de guérir la blessure. Ici encore, nous pouvons répéter que dans les faits on fait mentir le Sacrement. Même si on ne le révèle pas ouvertement, la théologie sous-jacente est tout autre. Elle va des déviations protestantes classiques aux “interprétations” les plus funestes, parfois même jusqu'à la négation de la sainteté du Christ, dont la Personne et l'action se mêleraient tranquillement au péché dans une synthèse hégélienne des opposés aux connotations quasi panthéistes.

 

Enfin, en ce qui concerne l’aspect eschatologique, le pape Léon XIII écrit dans Mirae Caritatis: « Le désir de bonheur, qui est inhérent au cœur de tout homme, devient de plus en plus fort à mesure qu’il fait l’expérience de la vanité des biens terrestres, de l’arrogance injuste des méchants et de toutes les autres préoccupations matérielles et spirituelles de la vie. L’auguste Sacrement de l’Eucharistie est à la fois cause et gage de bonheur éternel et de gloire, non seulement pour l’âme, mais aussi pour le corps. En effet, de même qu’il enrichit l’âme de l’abondance des biens célestes, il l’arrose de plaisirs si agréables qu’ils dépassent largement toutes les attentes et les espérances humaines. Il soutient dans l’adversité, donne de la force dans la lutte pour la vertu, et garde pour la vie éternelle, à laquelle il conduit comme un viatique. Cette hostie divine inocule dans le corps fragile destiné à la mort, la future résurrection, car le corps glorieux du Christ insère une grain d’immortalité qui germera un jour. De tout temps, l’Église a cru à l’un et à l’autre don, qui sera conféré à l’âme et au corps ». De ces mots si suaves du Pontife pour l’âme en état de grâce, pas un seul ne peut s’appliquer à la Communion sacrilège, par laquelle ce « gage de gloire future, de bonheur perpétuel et donc symbole de cet unique corps dont il est le chef » se transforme en un poison mortel par la faute de celui qui le reçoit. Et, surtout, par la faute objective de celui qui l’a incité à un tel acte. Mgr Piolanti observe: « par l'incorporation au Christ, on reçoit le droit aux mêmes biens que le chef, l’incorporation parfaite au Christ étant réalisée par l’Eucharistie, on obtient par elle le titre maximal à l’obtention pour l’âme et pour le corps de ce bonheur dont le Christ, chef du Corps mystique, jouit déjà parfaitement »[10]. Mais que reste-t-il de tout cela dans la pratique de la Communion sacrilège, si ce n’est une offense à Notre Seigneur Jésus-Christ, qui en soi est susceptible d’ouvrir plus largement les portes de l'Enfer que celles de la Gloire éternelle?

 

 

Le Card. Sarah et ses prises de positions.

Démissionné sans même attendre 76 ans

 

 

 Une “praxis meurtrière”

 

La diffusion objectivement coupable de la pratique de l’accès à l’Eucharistie en état de péché mortel - surtout par les Maiores, qui devraient avoir une plus grande connaissance de cause - fait de facto “mentir le Sacrement”. Les causes de ces “ouvertures” peuvent se trouver dans la complaisance vis-à-vis du Monde (“monde” au sens de l'Écriture Sainte), dans la diffusion d’une théologie sacramentelle qui tend à l’hérésie, mais - si elles sont poursuivies en connaissance de cause - elles peuvent aussi être liées à des aspects qu’il ne faut pas avoir peur de définir comme sataniques, dans la mesure où ils déforment le Sacrement et la notion même d’Église.

 

Le devoir absolu de l’individu qui s’approche de l’Eucharistie en état de péché mortel est de se confesser le plus rapidement possible en raison de la gravité objective de l’acte. Cependant, comme l’observe saint Thomas, il est juste de reconnaître que ce péché peut parfois être déterminé par des conditionnements externes. C’est le cas, par exemple, quand le pécheur craint d’être révélé aux autres comme tel[11] - figurons-nous dans le contexte actuel - ou bien quand il ne perçoit pas pleinement la gravité intrinsèque du sacrilège.

 

Mais que dire de celui qui - même en haut lieu - par la diffusion de cette pratique, élève presque en principe une telle contrefaçon, une telle profanation, un tel bouleversement de la doctrine eucharistique, christologique, ecclésiale et eschatologique ? Combien d’âmes, au lieu d’être aidées, sont seulement trompées et perverties ? Quel dommage est causé à l’ensemble de la doctrine catholique ?

 

Le fait qu’une telle invitation ne soit qu’une “praxis” et non une formulation claire d’un traité spécifique n’est qu’un indice de la malice satanique supplémentaire qui s’y cache, au-delà du degré de conscience des individus. On n’a même pas le courage de l’affirmation hérétique ou sacrilège, on l’applique “seulement”. C’est le modernisme “dernière génération” à l’école des méthodes marxistes, pire encore que cette prise de responsabilité, aussi répugnante soit-elle mais au moins assumée par Luther (lequel selon certains, s’est suicidé comme l’apôtre Judas).

Don Stefano Carusi

 

 


[1] Saint Thomas d'Aquin, In IV Sent., d. 9 q. 1 a. 3 qc. 1 co : « Respondeo dicendum ad primam quaestionem, quod quilibet cum conscientia peccati mortalis manducans corpus Christi, peccat mortaliter, quia abutitur sacramento: et quanto sacramentum est dignius, tanto abusus est periculosior. Ratio autem hujus ex tribus potest sumi. Primo ex eo quod est sacramentum tantum, ex quo apparet, quod hoc sacramentum in modum cibi proponitur ; cibus autem non competit nisi viventi : unde si carens vita spirituali per peccatum mortale accipiat hoc sacramentum, abutitur ipso. Secundo ex eo quod est ibi res et sacramentum, quod est ipse Christus, qui est sanctus sanctorum; unde receptaculum ejus debet esse sanctum ; et ideo si aliquis cum contrario sanctitatis corpus Christi sumat, sacramento abutitur. Tertio ex eo quod est res tantum, quod est corpus Christi mysticum ; quia ex hoc ipso quod aliquis ad hoc sacramentum accedit, significat se ad unitatem corporis mystici tendere ; unde si peccatum in conscientia teneat, per quod a corpore mystico separatur, fictionis culpam incurrit, et ita abutitur sacramento ». Idem, Summa Theologiae (S. Th.), IIIa Pars, q. 80, a.4. Sur la distinction « res tantum, res et sacramentum, sacramentum tantum », voir aussi A. Piolanti, Il Mistero Eucaristico, Vaticano 1996, p. 366. Idem, I Sacramenti, Vaticano 1990, p. 198.

[2] A. Piolanti, Il Mistero Eucaristico, op. cit., p. 607.

[3] Denz. 1322.

[4] «cibus autem non competit nisi viventi : unde si carens vita spirituali per peccatum mortale accipiat hoc sacramentum, abutitur ipso», Saint Thomas d'Aquin, In IV Sent., d. 9 q. 1 a. 3 qc. 1 co.

[5] «Secundo ex eo quod est ibi res et sacramentum, quod est ipse Christus, qui est sanctus sanctorum ; unde receptaculum ejus debet esse sanctum ; et ideo si aliquis cum contrario sanctitatis corpus Christi sumat, sacramento abutitur», Ibidem.

[6] « ex hoc ipso quod aliquis ad hoc sacramentum accedit, significat se ad unitatem corporis mystici tendere ; unde si peccatum in conscientia teneat, per quod a corpore mystico separatur, fictionis culpam incurrit, et ita abutitur sacramento», Ibidem.

[7] Denz. 1635.

[8] Denz. 1638.

[9] Denz. 1649.

[10] A. Piolanti, Il Mistero Eucaristico, op. cit., p. 610.

[11] S. Th., IIIa Pars, q. 80, a. 5, c., “ex quodam timore ne deprehendatur in peccato”.

 

Voir les commentaires

Publié depuis Overblog

par Disputationes theologicae

Réflexions sur l'article du 29 septembre 2020

 

Carême 2021

 

Jacopino del Conte, Sermon de Saint Jean Baptiste,

Rome, Oratoire de S. Jean Bapt.

 

Nous publions la lettre d’un de nos lecteurs, en souhaitant que chacun saura en prendre le contenu de manière à la fois sereine, équilibrée et zélée (Ndlr.). 

***

« Nous avons vu sur le côté gauche de Notre Dame, un peu plus en hauteur, un Ange avec une épée de feu dans la main gauche; elle scintillait et émettait des flammes qui, semblaient devoir incendier le monde; mais elles s’éteignaient au contact de la splendeur qui émanait de la main droite de Notre Dame, en direction de lui; l’Ange, indiquant la terre de sa main droite, dit d’une voix forte: Pénitence! Pénitence! Pénitence! ». (extrait du Troisième secret de Fatima publié).

« Père, nous n’attendons pas un appel à la pénitence du Saint-Père, ni de notre Evêque ou de nos congrégations religieuses. Non! Notre Seigneur s’est déjà servi de ces moyens très souvent, et le monde ne s’en est pas soucié du tout. C’est pourquoi il est maintenant nécessaire que chacun de nous commence à se réformer lui-même spirituellement » (extrait du Colloque de Sœur Lucie avec le Père Fuentes, 26 décembre 1957).

 « Ecris aussi à l’Église de Laodicée: […] tu n’es ni froid ni chaud. Ah! Que n’es-tu froid ou chaud! Mais parce que tu es tiède, et que tu n’es ni froid ni chaud, je vais te vomir de ma bouche ». (Ap 3,14)

 « [Dit le Seigneur] Si mon peuple m’écoute, je lui donnerai de bons prêtres; mais si mon peuple n’écoute pas, je lui donnerai de mauvais prêtres » (Saint Jean Eudes).               

 

Un lecteur

 

Pour lire l'article du 29 septembre dernier sur l’énorme pouvoir de la pénitence, cliquez ici.

Voir les commentaires

«Sauvez-nous de la damnation éternelle»

par Disputationes theologicae

Où est passé le dogme de l’enfer?              

25 janvier 2021, Conversion de Saint Paul

 

Luca Signorelli, Les damnés en enfer, San Brizio (Cappella Nova), Cathédrale d’Orvieto

 

 

Le jour de la Conversion de Saint Paul, nous publions un article écrit au cours des années précédentes et qui nous a été envoyé récemment, constatant avec douleur une nouvelle aggravation de la situation générale. En effet, le Concile Vatican Trois du Cardinal Martini - cet abusif Concile Vatican Trois, soutenu par le monde et non combattu ou combattu de manière inadéquate par la hiérarchie - a pu se répandre pendant des décennies dans l’Église et a aujourd’hui gagné le sommet humain de Celle-ci (Ndr).

***

« [Aujourd’hui] le monde se trouve terriblement englué dans le marécage d’un sécularisme qui veut créer un monde sans Dieu ; d’un relativisme qui étouffe les valeurs permanentes et immuables de l’Évangile et d’une indifférence religieuse qui reste imperturbable face aux biens supérieurs et aux choses qui concernent Dieu et l’Église. [...] Quelques mois avant son élection au trône papal, le cardinal Karol Wojtyla a déclaré : “Nous nous trouvons aujourd’hui face à la plus grande lutte que l’humanité ait jamais connue. Je ne pense pas que la communauté chrétienne l’ait bien compris. Nous sommes aujourd’hui devant la lutte finale entre l’Eglise et l’Anti-Eglise, entre l’Evangile et l’Anti-Evangile”. Cependant, une chose est certaine : la victoire finale appartient à Dieu et elle se produira grâce à Marie, la Femme de la Genèse et de l’Apocalypse, qui combattra à la tête de l’armée de ses fils et de ses filles contre les forces de l’ennemi, de Satan, et qui écrasera la tête du serpent” » (Cardinal Ivan Dias, en tant que Légat Pontifical, homélie de la fête de l’Immaculée Conception, Lourdes 2007).

La gnose (mère de toutes les hérésies, des pouvoirs occultes...) «n’a, d’un certain point de vue, aucune difficulté à s’insinuer dans la pensée catholique, même à un niveau supérieur. […] Aldo Natale Terrin, enquêtant sur le post-moderne, soutient que l’Église d’aujourd’hui vivrait dans l’acceptation d’une double appartenance : pouvoir être catholique (mais de quelle manière ?) et autre chose en même temps, en se vantant d’accéder désormais en toute impunité à d’autres sources. Non seulement la double appartenance serait acceptée en interne aux différents niveaux, mais ferait partie de la proposition même de l’Église à l’homme contemporain : c’est un pacte tacite, interne et externe» (Un professeur de l’“Université du Pape”, le Latran, interview à 30 giorni, mai 2003).

Voici les dangers qu’un grand cardinal (mort « triste » et avec « de grands remords ») avait noté en marge du Concile Vatican II, en les décrivant comme connexes à l’orientation dominante du Concile. Dans l’ambiance qui a suivi immédiatement l’allocution Gaudet Mater Ecclesia, « un air de malaise évident et excité » régnait. Ce témoin autorisé avait vu et prévu que l’on était en train de « jeter dans une zone d’ombre les grands problèmes de l’orthodoxie », au nom d’un « pastoralisme » donné à tort comme une nécessité. Il avait vu et prévu la « formation de deux points de pression (biblique-rationaliste et mysticisme à tendance charismatique) » tendant à « éliminer » la saine doctrine. Il avait vu et prévu la tendance à « répondre à un monde athéisé sur la lignée protestante » (Benny Lai, Il Papa non eletto. Giuseppe Siri cardinale di Santa Romana Chiesa).

***

«Père très clément [...] disposez nos jours dans Votre paix, sauvez-nous de la damnation éternelle, et accueillez-nous dans le troupeau des élus». C’est ce que dit le très ancien Canon Romain, plus au moins repris dans le Novus Ordo Missae, tiré du Vetus Ordo Missae. A propos de ce Canon le pape Paul VI aurait dit à son ami philosophe français Jean Guitton qu’il lui avait donné la première place. En effet, il port dans le Novus Ordo le nom de Prière Eucharistique I.

Alors, maintenant que la Sainte Messe n’est plus habituellement en latin - ce qui est généralement considéré comme l’essence de la réforme liturgique faite au nom du Concile Vatican II - ces mots résonnent-ils plus fortement, enfin compris par le peuple?

En réalité, les choses sont différentes: cette supplication, et cette confession de la « foi catholique transmise par les Apôtres », ont généralement disparu.

Ce qui dans le très ancien Missel traditionnel, même renouvelé, était le Canon est devenu l'un des Canons (au choix, “au libre choix” du célébrant, officiellement). Précisément et officiellement, il est devenu la Prière Eucharistique I.

Prière Eucharistique I, “la première”, donc celle qui sera dite le plus souvent ? Beaucoup auraient pu le penser. Laissons de côté ce mot rassurant sur ce qui est en réalité un déclassement, un glissement, et, plus largement, sur les réserves concernant la réforme liturgique historique[1]. En réalité, elle est souvent devenue la prière eucharistique ultime.

Alors qu’il n’est pas rare d’entendre cette Préface bien connue, dont le sens logique évident et l’idée qu’elle donne sont la négation de l’enfer et la proclamation d’un salut universel subjectif.

En bref: dans la tendance actuelle, l’encouragement de l’hérésie anti-catholique prévaut sur le dogme catholique, condamné au silence. N’est-ce pas une proclamation à l’envers qui sort d’une telle combinaison? Mais qui est celui qui, par excellence, met les choses à l'envers?

Peut-être que les choses sont généralement meilleures dans la prédication, dans les homélies? Pourquoi, parmi les nombreux maux dont les hommes d’Eglise parlent tant, omettent-ils si souvent de rappeler le plus oublié: l’enfer? Pourquoi, au contraire, entendons-nous si souvent des propos qui favorisent sa négation?

Comparons le passage suivant du Magistère (et notons sa teneur stricte et affirmative) avec la réalité constatée actuellement à l’intérieur de l’Église ; un passage dans lequel, en outre, on répond au sophisme allusif fréquemment esquissé en réponse (ou en non-réponse): comment peut-on se fonder sur la peur de l’Enfer!...

« Il est vrai que le désir du Ciel est un motif en soi plus parfait que la crainte du châtiment éternel ; mais il n’en découle pas que pour tous les hommes il soit aussi le plus efficace ». En effet, ce discours de S.S. Pie XII aux curés et aux prédicateurs du Carême de Rome, le 23 mars 1949, ne dit pas que l’enfer devrait être le seul thème de la prédication ; mais si Notre Seigneur Jésus-Christ, qui est le Bon Pasteur, mais qui est aussi le Verbe fait chair, a parlé de cela dans l’Évangile, et pas qu’un peu, celui qui sur l’autel agit in persona Christi peut-il rester presque silencieux sur ce sujet? «[La prédication sur l'enfer] n’a non seulement rien perdu de son opportunité même à notre époque, mais est même devenue plus nécessaire et plus urgente que jamais [...] et aucune circonstance de temps ne peut diminuer la rigueur de cette obligation. Elle oblige tout prêtre en conscience », et la doctrine catholique sur l’enfer doit être proclamée et enseignée «sans aucune atténuatio».

Il serait obtus de ne pas reconnaître que la situation actuelle diffère en partie de celle du temps de Pie XII: c’étaient dans l’ensemble, des temps de « foi diminuée », de « diminution de la ferveur »; maintenant c’est le temps de la « grande apostasie » (de sorte que, comme le disait Jean-Paul II à Fatima, ce sont « les fondements mêmes » du salut qui sont  « minés » : déjà les fondements le sont, déjà les présupposés du discours le sont...et la situation générale a effectivement changé. C’est un aspect réel. Mais en comparant cet enseignement avec la réalité ecclésiale actuelle, n’y a-t-il pas un contraste frappant ? Des problèmes, des doutes et des questions radicales n’apparaissent-ils pas à propos de la rupture dans la praxis de l’unité catholique, qui est avant tout l’unité dans le temps ? Quelle est alors la communion avec de très nombreuses parties de l’unique Église du Christ, telles que l’Église triomphante et l’Église souffrante?

Faire passer les idées par la Praxis est une vieille méthode marxiste (les modernistes remplacent le mot Praxis par le mot Pastoral, la dynamique est la même).

Mais que dire de la demi-réponse, également fréquemment esquissée, selon laquelle la disparition de l’enfer serait justifiée par le Magistère actuel (ou mieux, par le Magistère récemment exprimé)  

Tout d’abord, il faut distinguer les opinions personnelles (même de personnes très haut placées) et le Magistère (bien qu’une opposition entre les deux soit problématique). Les mots, les gestes, les choix ont des degrés d’officialité et d’autorité très différents.

Ensuite, il faut noter que le Magistère récemment exprimé a déclaré officiellement à plusieurs reprises qu’il ne voulait pas remplacer celui qui était exprimé depuis longtemps, mais le laisser intact.

Et puis, prenons comme exemple des textes tels le Catéchisme de l’Eglise Catholique, promulgué en 1992 par le Pape Jean-Paul II et son Compendium, publié en 2005 par le Pape Benoît XVI sur mandat (en 2003) de Jean-Paul II ; en référence stricte au Concile Vatican II (1962-1965) et au Synode des évêques (1985). Dans un texte assez bref comme le Compendium, l’enfer est mentionné aux points 74, 125, 212, 213 et dans l’Appendice.

Le Magistère conciliaire et post-conciliaire ne justifie donc pas cette disparition contrairement  à ce que la tendance progressiste dominante (et un certain traditionalisme “dur”) dit ou insinue à tort de manière idéologique ou partisane.

Mais d’un autre côté, après réflexion, même en admettant que ces déviations outrepassent, instrumentalisent ou ignorent les actes officiels, nous posons la question : le courant centriste (et un certain traditionalisme “modéré” ou plutôt servile) a-t-il pleinement raison d’assurer que les textes du récent Magistère authentique n’ont rien à voir avec de telles déviations?

Prenons par exemple le n° 212 du Compendium du Catéchisme de l’Église Catholique (mars-juin 2005). « En quoi consiste l’enfer ? Il consiste en la damnation éternelle de ceux qui meurent par libre choix dans le péché mortel. Le principal châtiment de l’enfer est la séparation éternelle d’avec Dieu, en Qui seul l’homme a la vie et le bonheur pour lesquels il a été créé et auxquels il aspire. Le Christ exprime cette réalité par ces mots : “Loin de moi, maudits, dans le feu éternel” (Mt 25, 41) ». Juste un exemple : d’une part, l’épithète “principal” indique, en toute logique, que la peine du dam (la plus grande, il est vrai) n’est pas la seule peine de l’enfer ; donc, en enfer, il y a aussi une autre peine, et c’est la peine du sens. En revanche, elle n’est exprimée qu’à travers une allusion indirecte, laissée d’ailleurs quelque peu dans l’ombre. N’est-ce pas déjà anti-traditionnel ? Le développement homogène de la doctrine catholique se fait par explicitation, du gland au chêne, et non l’inverse, face aux menaces contre les vérités de la foi jusqu’alors en état de placida possessio, l’Eglise a toujours et partout réagi en “plaçant sous la lampe” le bien mis en danger. Elle le professe alors de manière plus claire, plus formelle, plus explicite mais certainement pas d’une manière plus ambiguë, plus déficiente et en tout cas plus implicite. Est-ce toujours le cas ici, ou n’est-ce pas plutôt le contraire ? Et cela arrive dans un texte dont l’intention - en soi louable - est de mettre un terme à la perte du contenu doctrinal de la foi, qui sévit. Ne s’agit-il pas déjà d'un renversement de situation en demi-teinte de la tradition catholique?

 

 

[1] Perplexités qui se sont révélées également au Synode de 1967, qui étaient non seulement largement présentes mais où elles ont même été majoritaire, au point de rejeter la ligne liturgique de Mgr Bugnini.

Voir les commentaires

“Fratelli Tutti”: vers un nouveau communisme “ecclésial”?

par Disputationes theologicae

Léon XIII répond dans “Quod Apostolici muneris

30 novembre 2020, Saint André Apôtre

 

 

Une nouvelle forme de “socialisme ecclésial” en vogue, distille les pires erreurs de la Révolution française, du socialisme et du communisme, mettant le nom de chrétien au service du mondialisme maçonnique et relisant même l'histoire du salut à travers le prisme d’un environnementalisme à la page. Il suffit de lire les titres du quotidien des évêques italiens, Avvenire, lors de la publication du document “Fratelli tutti”.

Afin de répondre à nos lecteurs sur le thème évoqué, nous voudrions, avant d'entrer dans les détails de certains arguments, proposer un texte peu connu de Léon XIII, d’une lecture agréable mais qui nous semble néanmoins d'une grande vigueur et revêt un caractère presque explicatif: l'encyclique “Quod Apostolici muneris”. Ce document - indubitablement magistériel par rapport à de nombreuses déclarations actuelles d'autorité douteuse - est plus accessible que l’encyclique “Rerum Novarum”, pourtant très importante et fondamentale.   “Quod Apostolici muneris” apparaît non seulement comme une base solide et abordable pour encadrer les discussions ultérieures sur la philosophie politique, mais se distingue également par sa manière directe d'exposer. La distance abyssale par rapport à ces textes auxquels la situation ecclésiale actuelle nous a habitués apparaît dans toute son évidence, nous indiquant également le style qu’il serait opportun d'adopter dans cette bataille pour une intelligence chrétienne des choses, en appelant les ennemis de l’Église par leur nom. Contre la décomposition de la pensée, à laquelle le modernisme dans sa phase terminale nous a habitués, avec ses textes dépourvus de rigueur logique et de toute architecture discursive, voici un document qui aide à structurer sa pensée sur la vérité pour ensuite évaluer la critique de l'erreur, même dans son évolution contemporaine. Et cela aussi, en tenant compte de cette anguille qu’est le modernisme, qui ne se laisse pas toujours saisir.

 

La rédaction de “Disputationes Theologicae

 

 

 

QUOD APOSTOLICI MUNERIS

 

LETTRE ENCYCLIQUE

DE SA SAINTETÉ LE PAPE LÉON XIII

SUR LES ERREURS MODERNES

 

Dès le commencement de notre Pontificat, Nous n'avons pas négligé, ainsi que l'exigeait la charge de Notre ministère apostolique, de signaler cette peste mortelle qui se glisse à travers les membres les plus intimes de la société humaine et qui la conduit à sa perte ; en même temps, Nous avons indiqué quels étaient les remèdes les plus efficaces au moyen desquels la société pouvait retrouver la voie du salut et échapper aux graves périls qui la menacent. Mais les maux que Nous déplorions alors se sont si promptement accrus que, de nouveau, Nous sommes forcé de Vous adresser la parole, car il semble que Nous entendions retentir à Notre oreille ces mots du Prophète : " Crie, ne cesse de crier : élève ta voix, et qu'elle soit pareille à la trompette " (1).

Vous comprenez sans peine, Vénérables Frères, que Nous parlons de la secte de ces hommes qui s'appellent diversement et de noms presque barbares, socialistes, communistes et nihilistes, et qui, répandus par toute la terre, et liés étroitement entre eux par un pacte inique, ne demandent plus désormais leur force aux ténèbres de réunions occultes, mais, se produisant au jour publiquement, et en toute confiance, s'efforcent de mener à bout le dessein, qu'ils ont formé depuis longtemps, de bouleverser les fondements de la société civile. Ce sont eux, assurément, qui, selon que l'atteste la parole divine, " souillent toute chair, méprisent toute domination et blasphèment toute majesté " (2).

En effet, ils ne laissent entier ou intact rien de ce qui a été sagement décrété par les lois divines et humaines pour la sécurité et l'honneur de la vie. Pendant qu'ils blâment l'obéissance rendue aux puissances supérieures qui tiennent de Dieu le droit de commander et auxquelles, selon l'enseignement de l'Apôtre, toute âme doit être soumise, ils prêchent la parfaite égalité de tous les hommes pour ce qui regarde leurs droits et leurs devoirs. Ils déshonorent l'union naturelle de l'homme et de la femme, qui était sacrée aux yeux mêmes des nations barbares; et le lien de cette union, qui resserre principalement la société domestique, ils l'affaiblissent ou bien l'exposent aux caprices de la débauche.

Enfin, séduits par la cupidité des biens présents, " qui est la source de tous les maux et dont le désir a fait errer plusieurs dans la foi " (3), ils attaquent le droit de propriété sanctionné par le droit naturel et, par un attentat monstrueux, pendant qu'ils affectent de prendre souci des besoins de tous les hommes et prétendent satisfaire tous leurs désirs, ils s'efforcent de ravir, pour en faire la propriété commune, tout ce qui a été acquis à chacun, ou bien par le titre d'un légitime héritage, ou bien par le travail intellectuel ou manuel, ou bien par l'économie. De plus, ces opinions monstrueuses, ils les publient dans leurs réunions, ils les développent dans des brochures, et, par de nombreux journaux, ils les répandent dans la foule. Aussi, la majesté respectable et le pouvoir des rois sont devenus, chez le peuple révolté, l'objet d'une si grande hostilité que d'abominables traîtres, impatients de tout frein et animés d'une audace impie, ont tourné plusieurs fois, en peu de temps, leurs armes contre les chefs des gouvernements eux-mêmes.

Or, cette audace d'hommes perfides qui menace chaque jour de ruines plus graves la société civile, et qui excite dans tous les esprits l'inquiétude et le trouble, tire sa cause et son origine de ces doctrines empoisonnées qui, répandues en ces derniers temps parmi les peuples comme des semences de vices, ont donné, en leurs temps, des fruits si pernicieux. En effet, vous savez très bien, Vénérables Frères, que la guerre cruelle qui, depuis le XVIe siècle, a été déclarée contre la foi catholique par des novateurs, visait à ce but d'écarter toute révélation et de renverser tout l'ordre surnaturel, afin que l'accès fût ouvert aux inventions ou plutôt aux délires de la seule raison.

Tirant hypocritement son nom de la raison, cette erreur qui flatte et excite la passion de grandir, naturelle au cœur de l'homme, et qui lâche les rênes à tous les genres de passions, a spontanément étendu ses ravages non pas seulement dans les esprits d'un grand nombre d'hommes, mais dans la société civile elle-même. Alors, par une impiété toute nouvelle et que les païens eux-mêmes n'ont pas connue, on a vu se constituer des gouvernements, sans qu'on tînt nul compte de Dieu et de l'ordre établi par Lui ; on a proclamé que l'autorité publique ne prenait pas de Dieu le principe, la majesté, la force de commander, mais de la multitude du peuple, laquelle, se croyant dégagée de toute sanction divine, n'a plus souffert d'être soumise à d'autres lois que celles qu'elle aurait portées elle-même, conformément à son caprice.

Puis, après qu'on eut combattu et rejeté comme contraires à la raison les vérités surnaturelles de la foi, l'Auteur même de la Rédemption du genre humain est contraint, par degrés et peu à peu, de s'exiler des études, dans les universités, les lycées et les collèges ainsi que de toutes les habitudes publiques de la vie humaine. Enfin, après avoir livré à l'oubli les récompenses et les peines éternelles de la vie future, le désir ardent du bonheur a été renfermé dans l'espace du temps présent. Avec la diffusion, au loin et au large de ces doctrines, avec la grande licence de penser et d'agir qui a été ainsi enfantée de toutes parts, faut-il s'étonner que les hommes de condition inférieure, ceux qui habitent une pauvre demeure ou un pauvre atelier soient envieux de s'élever jusqu'aux palais et à la fortune de ceux qui sont plus riches ? Faut-il s'étonner qu'il n'y ait plus nulle tranquillité pour la vie publique ou privée et que le genre humain soit presque arrivé à sa perte ? 

Or, les pasteurs suprêmes de l'Eglise, à qui incombe la charge de protéger le troupeau du Seigneur contre les embûches de l'ennemi, se sont appliqués de bonne heure à détourner le péril et à veiller au salut des fidèles. Car, aussitôt que commençaient à grossir les sociétés secrètes, dans le sein desquelles couvaient alors déjà les semences des erreurs dont nous avons parlé, les Pontifes romains, Clément XII et Benoît XIV, ne négligèrent pas de démasquer les desseins impies des sectes et d'avertir les fidèles du monde entier du mal que l'on préparait ainsi sourdement. Mais après que, grâce à ceux qui se glorifiaient du nom de philosophes, une liberté effrénée fût attribuée à l'homme, après que le droit nouveau, comme ils disent, commença d'être forgé et sanctionné, contrairement à la loi naturelle et divine, le pape Pie VI, d'heureuse mémoire, dévoila tout aussitôt, par des documents publics, le caractère détestable et la fausseté de ces doctrines ; en même temps, la prévoyance apostolique a prédit les ruines auxquelles le peuple trompé allait être entraîné.

Néanmoins, et comme aucun moyen efficace n'avait pu empêcher que leurs dogmes pervers ne fussent de jour en jour plus acceptés par les peuples, et ne fissent invasion jusque dans les décisions publiques des gouvernements, les papes Pie VII et Léon XII anathématisèrent les sectes occultes, et, pour autant qu'il dépendait d'eux, avertirent de nouveau la société du péril qui la menaçait. Enfin, tout le monde sait parfaitement par quelles paroles très graves, avec quelle fermeté d'âme et quelle constance Notre glorieux prédécesseur Pie IX, d'heureuse mémoire, soit dans ses allocutions, soit par ses lettres encycliques envoyées aux évêques de l'univers entier, a combattu aussi bien contre les iniques efforts des sectes, que, nominativement, contre la peste du socialisme, qui, de cette source, a fait partout irruption.

Mais, ce qu'il faut déplorer, c'est que ceux à qui est confié le soin du bien commun, se laissant circonvenir par les fraudes des hommes impies et effrayer par leurs menaces, ont toujours manifesté à l'Église des dispositions suspectes ou même hostiles. Ils n'ont pas compris que les efforts des sectes auraient été vains si la doctrine de l'Église catholique et l'autorité des Pontifes romains étaient toujours demeurées en honneur, comme il est dû, aussi bien chez les princes que chez les peuples. Car l'" Eglise du Dieu vivant, qui est la colonne et le soutien de la vérité " (4), enseigne ces doctrines, ces préceptes par lesquels on pourvoit au salut et au repos de la société, en même temps qu'on arrête radicalement la funeste propagande du socialisme.

En effet, bien que les socialistes, abusant de l'Evangile même, pour tromper plus facilement les gens mal avisés, aient accoutumé de le torturer pour le conformer à leurs doctrines, la vérité est qu'il y a une telle différence entre leurs dogmes pervers et la très pure doctrine de Jésus-Christ, qu'il ne saurait y en avoir de plus grande. Car, " qu'y a-t-il de commun entre la justice et l'iniquité ? Et quelle société y a-t-il entre la lumière et les ténèbres " (5) ? Ceux-là ne cessent, comme nous le savons, de proclamer que tous les hommes sont, par nature, égaux entre eux, et à cause de cela ils prétendent qu'on ne doit au pouvoir ni honneur ni respect, ni obéissance aux lois, sauf à celles qu'ils auraient sanctionnées d'après leur caprice. 

Au contraire, d'après les documents évangéliques, l'égalité des hommes est en cela que tous, ayant la même nature, tous sont appelés à la même très haute dignité de fils de Dieu, et en même temps que, une seule et même foi étant proposée à tous, chacun doit être jugé selon la même loi et obtenir les peines ou la récompense suivant son mérite. Cependant, il y a une inégalité de droit et de pouvoir qui émane de l'Auteur même de la nature, " en vertu de qui toute paternité prend son nom au ciel et sur la terre " (6). Quant aux princes et aux sujets, leurs âmes, d'après la doctrine et les préceptes catholiques, sont mutuellement liées par des devoirs et des droits, de telle sorte que, d'une part, la modération s'impose à la passion du pouvoir et que, d'autre part, l'obéissance est rendue facile, ferme et très noble.

Ainsi, l'Eglise inculque constamment à la multitude des sujets ce précepte apostolique : " Il n'y a point de puissance qui ne vienne de Dieu : et celles qui sont, ont été établies de Dieu. C'est pourquoi, qui résiste à la puissance résiste à l'ordre de Dieu. Or, ceux qui résistent attirent sur eux-mêmes la condamnation. " Ce précepte ordonne encore d'" être nécessairement soumis, non seulement par crainte de la colère, mais encore par conscience, " et de rendre " à tous ce qui leur est dû : à qui le tribut, le tribut ; à qui l'impôt, l'impôt ; à qui la crainte, la crainte ; à qui l'honneur, l'honneur "(7).

Car Celui qui a créé et qui gouverne toutes choses les a disposées, dans sa prévoyante sagesse, de manière à ce que les inférieures atteignent leur fin par les moyennes et celles-ci par les supérieures. De même donc qu'il a voulu que, dans le royaume céleste lui-même, les chœurs des anges fussent distincts et subordonnés les uns aux autres, de même encore qu'il a établi dans l'Eglise différents degrés d'ordres avec la diversité des fonctions, en sorte que tous ne fussent pas apôtres, " ni tous docteurs, ni tous pasteurs "(8), ainsi a-t-il constitué dans la société civile plusieurs ordres différents en dignité, en droits et en puissance, afin que l'Etat, comme l'Eglise, formât un seul corps composé d'un grand nombre de membres, les uns plus nobles que les autres, mais tous nécessaires les uns aux autres et soucieux du bien commun.

Mais pour que les recteurs des peuples usent du pouvoir qui leur a été conféré pour l'édification, et non pour la destruction, l'Eglise du Christ avertit à propos les princes eux-mêmes que la sévérité du juge suprême plane sur eux, et empruntant les paroles de la divine Sagesse, elle leur crie à tous, au nom de Dieu : " Prêtez l'oreille, vous qui dirigez les multitudes et vous complaisez dans les foules des nations, car la puissance vous a été donnée par Dieu et la force par le Très-Haut, qui examinera vos œuvres et scrutera vos pensées... car le jugement sera sévère pour les gouvernants... Dieu, en effet, n'exceptera personne et n'aura égard à aucune grandeur, car c'est Dieu qui a fait le petit et le grand, et il a même soin de tous ; mais aux plus forts est réservé un plus fort châtiment " (9).

S'il arrive cependant aux princes d'excéder témérairement dans l'exercice de leur pouvoir, la doctrine catholique ne permet pas de s'insurger de soi-même contre eux, de peur que la tranquillité de l'ordre ne soit de plus en plus troublée et que la société n'en reçoive un plus grand dommage. Et, lorsque l'excès en est venu au point qu'il ne paraisse plus aucune autre espérance de salut, la patience chrétienne apprend à chercher le remède dans le mérite et dans d'instantes prières auprès de Dieu. Que si les ordonnances des législateurs et des princes sanctionnent ou commandent quelque chose de contraire à la loi divine ou naturelle, la dignité du nom chrétien, le devoir et le précepte apostolique proclament qu'il faut obéir " à Dieu plutôt qu'aux hommes " (10).

Mais cette vertu salutaire de l'Eglise qui rejaillit sur la société civile pour le maintien de l'ordre en elle et pour sa conservation, la société domestique elle-même, qui est le principe de toute cité et de tout Etat, la ressent et l'éprouve nécessairement aussi. Vous savez, en effet, Vénérables Frères, que la règle de cette société a, d'après le droit naturel, son fondement dans l'union indissoluble de l'homme et de la femme, et son complément dans les devoirs et les droits des parents et des enfants, des maîtres et des serviteurs les uns envers les autres.

Vous savez aussi que les théories du socialisme la dissolvent presque entièrement, puisque, ayant perdu la force qui lui vient du mariage religieux, elle voit nécessairement se relâcher la puissance paternelle sur les enfants et les devoirs des enfants envers leurs parents. 

Au contraire, le " mariage honorable en tout "(11) que Dieu lui-même a institué au commencement du monde pour la propagation et la perpétuité de l'espèce et qu'il a fait indissoluble, l'Eglise enseigne qu'il est devenu encore plus solide et plus saint par Jésus-Christ, qui lui a conféré la dignité de sacrement, et a voulu en faire l'image de son union avec l'Eglise. C'est pourquoi, selon l'avertissement de l'Apôtre, " le mari est le chef de la femme, comme Jésus-Christ est le Chef de l'Eglise " (12) et, de même que l'Eglise est soumise à Jésus-Christ, qui l'embrasse d'un très chaste et perpétuel amour, ainsi les femmes doivent être soumises à leurs maris, et ceux-ci doivent, en échange, les aimer d'une affection fidèle et constante.

L'Eglise règle également la puissance du père et du maître, de manière à contenir les fils et les serviteurs dans le devoir et sans qu'elle excède la mesure. Car, selon les enseignements catholiques, l'autorité des parents et des maîtres n'est qu'un écoulement de l'autorité du Père et du Maître céleste, et ainsi, non seulement elle tire de celle-ci son origine et sa force, mais elle lui emprunte nécessairement aussi sa nature et son caractère. 

C'est pourquoi l'Apôtre exhorte les enfants à obéir en Dieu à leurs parents, et à honorer leur père et leur mère, ce qui est le premier commandement fait avec une promesse (13). Et aux parents il dit: " Et vous, pères, ne provoquez pas vos fils au ressentiment, mais élevez-les dans la discipline et la rectitude du Seigneur "(14). Le précepte que le même apôtre donne aux serviteurs et aux maîtres, est que les uns " obéissent à leurs maîtres selon la chair, les servant en toute bonne volonté comme Dieu lui-même, et que les autres n'usent pas de mauvais traitements envers leurs serviteurs, se souvenant que Dieu est le Maître de tous dans les cieux et qu'il n'y a point d'acceptation de personne pour lui "(15).

Si toutes ces choses étaient observées par chacun de ceux qu'elles concernent, selon la disposition de la divine volonté, chaque famille offrirait l'image de la demeure céleste et les insignes bienfaits qui en résulteraient ne se renfermeraient pas seulement au sein de la famille, mais se répandraient sur les Etats eux-mêmes.

Quant à la tranquillité publique et domestique, la sagesse catholique, appuyée sur les préceptes de la loi divine et naturelle, y pourvoit très prudemment par les idées qu'elle adopte et qu'elle enseigne sur le droit de propriété et sur le partage des biens qui sont acquis pour la nécessité et l'utilité de la vie. Car, tandis que les socialistes présentent le droit de propriété comme étant une invention humaine, répugnant à l'égalité naturelle entre les hommes, tandis que, prêchant la communauté des biens, ils proclament qu'on ne saurait supporter patiemment la pauvreté et qu'on peut impunément violer les possessions et les droits des riches, l'Eglise reconnaît beaucoup plus utilement et sagement que l'inégalité existe entre les hommes naturellement dissemblables par les forces du corps et de l'esprit, et que cette inégalité existe même dans la possession des biens; elle ordonne, en outre, que le droit de propriété et de domaine, provenant de la nature même, soit maintenu intact et inviolable dans les mains de qui le possède; car elle sait que le vol et la rapine ont été condamnés par Dieu, l'auteur et le gardien de tout droit, au point qu'il n'est même pas permis de convoiter le bien d'autrui, et que les voleurs et les larrons sont exclus, comme les adultères et les idolâtres, du royaume des cieux.

Elle ne néglige pas pour cela, en bonne Mère, le soin des pauvres, et n'omet point de pourvoir à leurs nécessités, parce que, les embrassant dans son sein maternel et sachant qu'ils représentent Jésus-Christ lui-même, qui considère comme fait à lui-même le bien fait au plus petit des pauvres, elle les a en grand honneur; elle les assiste de tout son pouvoir, elle a soin de faire élever partout des maisons et des hospices où ils sont recueillis, nourris et soignés, et elle les prend sous sa tutelle. De plus, elle fait un strict devoir aux riches de donner leur superflu aux pauvres, et elle les effraye par la pensée du divin jugement, qui les condamnera aux supplices éternels s'ils ne subviennent aux nécessités des indigents. Enfin, elle relève et console l'esprit des pauvres, soit en leur proposant l'exemple de Jésus-Christ (16), qui, " étant riche, a voulu se faire pauvre pour nous ", soit en leur rappelant les paroles par lesquelles il a déclaré bienheureux les pauvres, et leur a fait espérer les récompenses de l'éternelle félicité. Qui ne voit que c'est là le meilleur moyen d'apaiser l'antique conflit soulevé entre les pauvres et les riches ? Car, ainsi que le démontre l'évidence même des choses et des faits, si ce moyen est rejeté ou méconnu, il arrive nécessairement, ou que la grande partie du genre humain est réduite à la vile condition d'esclave, comme on l'a vu longtemps chez les nations païennes, ou que la société humaine est agitée de troubles continuels et dévastée par les rapines et les brigandages, ainsi que nous avons eu la douleur de le constater dans ces derniers temps encore.

Puisqu'il en est ainsi, Vénérables Frères, Nous à qui incombe le gouvernement de toute l'Eglise, de même qu'au commencement de Notre pontificat Nous avons déjà montré aux peuples et aux princes ballottés par une dure tempête, le port du salut, ainsi, en ce moment du suprême péril, Nous élevons de nouveau avec émotion Notre voix apostolique pour les prier, au nom de leur propre intérêt et du salut des Etats, et les conjurer de prendre pour éducatrice l'Eglise qui a eu une si grande part à la prospérité publique des nations, et de reconnaître que les rapports du gouvernement et de la religion sont si connexes que tout ce qu'on enlève à celle-ci, diminue d'autant la soumission des sujets et la majesté du pouvoir. Et lorsqu'ils auront reconnu que l'Eglise de Jésus-Christ possède, pour détourner le fléau du socialisme, une vertu qui ne se trouve ni dans les lois humaines, ni dans les répressions des magistrats, ni dans les armes des soldats, qu'ils rétablissent enfin cette Eglise dans la condition et la liberté qu'il lui faut pour exercer, dans l'intérêt de toute la société, sa très salutaire influence. 

Pour Vous, Vénérables Frères, qui connaissez l'origine et la nature des maux accumulés sur le monde, appliquez-Vous de toute l'ardeur et de toute la force de Votre esprit à faire pénétrer et à inculquer profondément dans toutes les âmes la doctrine catholique. Faites en sorte que, dès leurs plus tendres années, tous s'accoutument à avoir pour Dieu un amour de fils et à vénérer son autorité, à se montrer déférents pour la majesté des princes et des lois, à s'abstenir de toutes convoitises, et à garder fidèlement l'ordre que Dieu a établi, soit dans la société civile, soit dans la société domestique. Il faut encore que Vous ayez soin que les enfants de l'Eglise catholique ne s'enrôlent point dans la secte exécrable et ne la servent en aucune manière, mais, au contraire, qu'ils montrent, par leurs belles actions et leur manière honnête de se comporter en toutes choses, combien stable et heureuse serait la société humaine, si tous ses membres se distinguaient par la régularité de leur conduite et par leurs vertus. Enfin, comme les sectateurs du socialisme se recrutent surtout parmi les hommes qui exercent les diverses industries ou qui louent leur travail et qui, impatients de leur condition ouvrière, sont plus facilement entraînés par l'appât des richesses et la promesse des biens, il Nous paraît opportun d'encourager les sociétés d'ouvriers et d'artisans qui, instituées sous le patronage de la religion, savent rendre tous leurs membres contents de leur sort et résignés au travail, et les portent à mener une vie paisible et tranquille.

Qu'il favorise Nos entreprises et les Vôtres, Vénérables Frères, Celui à qui nous sommes obligés de rapporter le principe et le succès de tout bien.

D'ailleurs, Nous puisons un motif d'espérer un prompt secours dans ces jours mêmes où l'on célèbre l'anniversaire de la naissance du Seigneur, car ce salut nouveau, que le Christ naissant apportait au monde déjà vieux et presque dissous par ses maux extrêmes, il ordonne que nous l'espérions, nous aussi ; cette paix qu'il annonçait alors aux hommes par le ministère des anges, il a promis qu'il nous la donnerait, à nous aussi. Car la main de Dieu n'a point été raccourcie, pour qu'il ne puisse nous sauver, et son oreille n'a pas été fermée pour qu'il " ne puisse entendre " (17).

En ces jours donc de très heureux auspices, Nous prions ardemment le Dispensateur de tous biens, Vous souhaitant à Vous, Vénérables Frères, et aux fidèles de Vos Eglises, toute joie et toute prospérité afin que de nouveau " apparaissent au regard des hommes la bonté et l'humanité de Dieu notre Sauveur "(18) qui, après nous avoir arrachés de la puissance d'un ennemi cruel, nous a élevés à la très noble dignité d'enfants de Dieu. Et afin que Nos vœux soient plus promptement et pleinement remplis, joignez-Vous à Nous, Vénérables Frères, pour adresser à Dieu de ferventes prières; invoquez aussi le patronage de la bienheureuse Vierge Marie, immaculée dès son origine, de Joseph son époux, et des saints apôtres Pierre et Paul, aux suffrages desquels Nous avons la plus grande confiance.

Cependant, et comme gage des faveurs célestes, Nous Vous donnons dans le Seigneur, et du fond de Notre cœur, la bénédiction apostolique, à Vous, Vénérables Frères, à Votre clergé et à tous les peuples fidèles.

Donné à Rome, à Saint-Pierre, le 28 décembre 1878, la première année de notre pontificat.
 



NOTES:

(1) Is., LVIII, 1.

(2) Jud. Epist., V, 8.

(3) Tim., 1. VI, 10.

(4) I, Tim., III, 15.

(5) II, Cor., VI, 14.

(6) Ephes., III, 15.

(7) Rom. XIII, 1-7.

(8) I, Cor., X.

(9) Sap., VI, 3 et ssq.

(10) Act., V, 29.

(11) Hebr. XIII, 4.

(12) Eph. V, 23.

(13) Eph. VI, 1-2.

(14) Ibid. VI, 4.

(15) Ibid. VI, 5, 6, 9.

(16) II Cor., VIII, 9.

(17) Is. LIX, 1.

(18) Tit. III, 4.

 

Voir les commentaires

La prophétie de menace ou conditionnée

par Disputationes theologicae

L'énorme pouvoir de notre libre volonté et de la pénitence

 

29 septembre 2020, Saint-Michel Archange

 

La destruction de Sodome

 

Dieu connaît l’avenir et peut librement choisir de révéler des événements futurs, y compris les catastrophes qui pourraient survenir dans le monde. Il l’a fait dans le passé, tant dans la Révélation publique (que l’on pense à la destruction de Jérusalem, au massacre et à la dispersion du peuple juif, prophétisés par Jésus et réalisés en 70 après J.-C.) que dans la Révélation privée (que l’on pense à ce qui a été annoncé à Fatima et déjà exactement réalisé, comme la fin de la Première Guerre mondiale et le déclenchement de la Seconde, la propagation des erreurs fatales du communisme et ce qui n’est pas encore accompli, comme le Troisième secret).

Le plan de la Providence ne dédaigne nullement d'ajouter à ladite Révélation publique - Tradition et Ecriture - les Révélations privées authentiques, qui peuvent également contenir des avertissements pour que l'Eglise ou les nations se mettent sur le bon chemin. C'est ce que Dieu fait souvent dans l’Ancien Testament, avertissant Israël de son infidélité et menaçant de lui infliger un juste châtiment si le peuple ne se convertit pas. Dans certains cas l’événement annoncé prophétiquement diffère donc de sa réalisation effective, sans que cela signifie que la prédiction est fausse. Cette clarification s’avère particulièrement nécessaire à un moment où il existe des avertissements prophétiques qui sont également approuvés par l’Église avec autorité. De plus, à une époque qui - en raison de sa grave infidélité - est objectivement et tragiquement digne de châtiment, tant dans le monde que dans l'Église. Et, si d’une part il peut y avoir une tendance rationaliste à mépriser les prophéties et les avertissements du Ciel, en les ignorant orgueilleusement, d’autre part il peut se développer une tendance à se résigner passivement à un châtiment imminent, dans la conviction de l’inéluctabilité des peines annoncées. Le rationalisme et l’indifférentisme d’une part, le surnaturalisme désordonné et la paresse spirituelle d’autre part, contribuent, de différentes manières, à nier la coopération au salut que Dieu demande à notre libre arbitre.

Dans cet article, nous voudrions expliquer brièvement la distinction entre les différents types de prophéties selon saint Thomas. Nous nous attarderons plus précisément sur la prophétie de  menace. Sa mise en relation avec le plan de la miséricordieuse Providence de Dieu, met en évidence toute la puissance que Dieu confie à notre libre volonté pour détourner ou réduire les châtiments. La responsabilité de chacun d’entre nous, celle des grands prélats ou gouvernants en général, comme celle du dernier des fidèles émerge alors.

 

Prophétie de prescience et prophétie de menace

Saint Thomas d’Aquin dans la Summa Theologiae, à la question 174 de la Secunda Secundae, après avoir traité de la nature, de la cause et du mode de la connaissance prophétique, traite des différents types de prophéties. Dans le corpus du premier article (1), il déclare qu’il existe des prophéties qui décrivent l’événement futur tel qu’il se produira avec une certitude absolue, et qu’il existe d’autres prophéties qui décrivent ce que l’infaillible science divine révèle non pas sur la réalisation certaine de l’événement mais plutôt sur l’inéluctable relation entre cause et effet (2).

Tant dans la Summa Theologiae que dans le De Veritate, saint Thomas parle en détail de trois typologies de prophéties : celle de prédestination, celle de prescience, celle de menace. Lorsque Dieu révèle des événements qui seront accomplis par la seule puissance divine, comme la résurrection de Lazare ou la conception virginale du Christ (3), il révèle des événements qui “ne dépendent pas de nous” mais de Lui seul, on a ici la prophétie de prédestination. Le terme même de prédestination souligne le fait que c’est Dieu qui “prépare” et non pas une autre cause, les libres choix des hommes ne sont pas directement impliqués dans l’accomplissement de telles choses, Dieu précisément “destine” et établit certains événements (4). Ensuite, il y a les événements futurs qui, bien que liés au libre arbitre de l’homme, sont révélés par Dieu exactement comme ils s’accompliront. Et cela arrive non pas en raison d’une forme de “prédestination”, non pas parce que Dieu en a décidé ainsi, car Il ne détermine pas la volonté au bien ou au mal. Dieu, sachant de toute éternité ce que le libre arbitre de l’homme choisira, peut en révéler les conséquences comme elles se produiront effectivement. Dieu voit le passé le présent et l’avenir en un seul regard; Il révèle donc un événement futur déterminé - qui n'est “futur” que pour notre connaissance humaine - de la manière dont il se réalisera dans les faits, mais cet événement se produira en raison d’un libre choix de l’homme. Telle est la prophétie de prescience, qu’il serait plus correct d’appeler de “science” car en Dieu il n’y a pas de “pré-connaitre”, de “savoir à l’avance”, mais seulement un “savoir” (5). Nous l’appelons “pré-science” uniquement pour mieux la distinguer, compte tenu de notre type de connaissance qui est dans le temps et dans la succession.

Il existe également un autre type de prophétie, et c’est précisément celle à laquelle nous faisons particulièrement référence; elle n’est pas la description de l’événement propice ou funeste tel qu’il se produira réellement, mais la révélation du fait que, dans certaines conditions déterminées, l’avenir se réalisera inéluctablement d’une certaine manière. C’est pourquoi on peut la qualifier de prophétie “de menace” ou “conditionnée”. Sa réalisation n’est pas nécessairement ce qui est “menacé”, mais l’issue dépend des hommes et de leurs choix. Dans ce cas, Dieu ne révèle pas en même temps ce que sera le libre choix des hommes, mais révèle seulement que si les hommes persistent dans cette conduite (cause), la punition sera inéluctablement celle annoncée (effet). L’Aquinate écrit: «Et nous entendons par là la prophétie de menace: qui ne s’accomplit pas toujours, mais par laquelle la relation de cause à effet est annoncée» (6). Dieu ne révèle précisément que la relation de cause à effet.

Si cette situation perdure, tel sera le résultat car telle est l’orientation: «Lors donc que la révélation faite au prophète ne porte que sur l’ordination des causes, on parle de prophétie de menace. En effet, dans ce cas il n’est rien révélé au prophète que ceci : compte tenu de ce qui existe maintenant, telle personne s’oriente vers ceci ou vers cela» (7).

Nous citons quelques exemples: 1) La prophétie de prédestination. Le fait que Dieu avait choisi que le Sauveur naisse d'une Vierge pour le salut de tous, est annoncé aux prophètes et s’accomplira quelle que soit la conduite d’Israël. C’est ce que Dieu a “destiné”. 2) La prophétie de prescience. La prophétie de la destruction de Jérusalem se réalisera avec certitude, mais elle n’est pas “inéluctablement prédestinée”, elle dépend du rejet volontaire du Christ par le peuple élu, elle est liée à la libre volonté d’Israël que Dieu connaît, sans pour autant la déterminer, et qu’il révèle à l’avance. 3) La prophétie de menace. Il existe des prophéties dont l'issue n’est révélée que sous condition: «si vous ne faites pas pénitence, vous périrez tous» (Lc 13,5). Il y a un « si », nous ne périrons pas tous si nous faisons pénitence. Il y a une menace qui jaillit de la miséricorde de Dieu, qui désire le bien et menace de punir longtemps en avance, en donnant la possibilité de s’amender.

Donc, si la prophétie ne se réalise pas, elle n’était pas fausse, mais l’issue de la menace ne s’est pas produite parce que les orientations des hommes ont changé, donc la prophétie est toujours parfaitement réalisée dans l’autre cas aussi : les hommes s’étant convertis, ils ne seront pas punis. La condition de culpabilité n’étant plus présente le châtiment révélé par Dieu qui lui était “inéluctablement” lié ne se réalisera pas non plus. Dieu n’a pas changé d’avis, s’il a lié cette cause à cet effet et l’a ainsi annoncé aux hommes, ce lien ne changera pas: «la prophétie de menace possède tout à fait une vérité immobile. En effet, elle ne porte pas sur l’issue des choses mais sur les rapports des causes à cette issue, ainsi qu’on l’a dit. Or l’existence de ce rapport, que prédit le prophète, est nécessaire, bien que parfois l’issue ne s’en suive pas» (8).

Il arrive donc parfois que la menace ne se réalise pas, mais cela ne peut pas arriver parce que Dieu “a changé d’avis”, comme l’affirmerait un certain modernisme panthéiste et évolutionniste. Dieu ne change pas et Dieu ne trompe pas les hommes, et si un châtiment - comme la damnation éternelle pour le pécheur qui meurt sans se repentir - est annoncé, il se produira ainsi. Dieu “ne change pas de conseil”, dit saint Thomas (9), mais il peut et veut “changer de sentence”, c’est-à-dire qu’il veut et favorise le changement des hommes, de telle sorte que la sentence de condamnation puisse être retirée ou atténuée, parce que l’ordre des choses établi par Lui a une vérité immuable, tandis que les créatures et l’orientation de leur volonté sont muables (10). Et Dieu tient compte de cette mutabilité, qui implique aussi une possible amélioration et donc une sentence mitigée (11) quand il n’y a pas d’obstination.

 

“Encore quarante jours et Ninive sera détruite”

«Cette parole de Yahweh fut adressée une seconde fois à Jonas: “Lève-toi, va à Ninive, la grande ville, et prêche-leur la prédication que je te dirai”. Et Jonas se leva et alla à Ninive selon la parole de Yahweh. [...] “Encore quarante jours et Ninive sera détruite”. Les gens de Ninive crurent en Dieu; ils publièrent un jeûne et se revêtirent de sacs, depuis le plus grand jusqu’au plus petit. [...] Dieu vit ce qu’ils faisaient, comment ils se détournaient de leur mauvaise voie; et Dieu se repentit du mal qu’il avait annoncé qu’il leur ferait; et il ne le fit pas» (Jonas 3, 1-10).

Dieu «est lent à la colère» dit le Livre de l'Exode (34, 6), entre autre parce que là où la malice obstinée des hommes aurait amplement mérité un châtiment, sa colère deviendrait implacable. Et elle sera méritée d’autant plus qu’il nous aura avertis et qu’il sera venu nous chercher «une seconde fois». Après tant d’avertissements, d’ailleurs, le châtiment serait doublement mérité, d’abord pour la conduite mauvaise en soi et ensuite en raison de l’obstination face à ses avertissements. Et c’est précisément cela la logique doctrinale des menaces de châtiments, pensons aux apparitions mariales authentiques du XXème siècle, Fatima in primis.

Dieu a lié telle récompense ou tel châtiment à notre libre arbitre, car le lien entre châtiment et admonestation est incontestable, à tel point que si le châtiment devait avoir lieu, nous ne pourrions pas dire qu’il est arrivé pour d’autres causes. Il en est de même pour les damnés de l’enfer, le ver de la conscience les ronge, leur répétant: «Si je brûle éternellement ici-bas, c'est à cause de moi».

Ainsi, si la situation actuelle dans l'Église et dans le monde fait peur - à juste titre - en raison aussi de ce qui a été annoncé dans les prophéties approuvées par l’autorité ecclésiastique et dont la réalisation semble proche précisément à cause de l'obstination de notre volonté, loin de se décourager ou de se résigner seulement à attendre les événements, un remède pour tous demeure : faire comme les habitants de Ninive et non pas comme ceux de Sodome. Il y a une activité que nous pouvons tous exercer dans n’importe quelle situation, et c’est celle de la conversion permanente parce que ces châtiments, inexorablement promis si les hommes persistent à rejeter la loi divine, peuvent tout aussi inexorablement être évités ou réduits précisément à cause de cette relation de cause à effet dont nous venons de parler, car comme le dit l’adage, en enlevant la cause on supprime l’effet (remota causa removetur effectus).

En outre, il convient de rappeler à l’égard précisément de telles menaces prophétiques, que Dieu, tout en ne “changeant pas d’avis”, n’enchaîne pas sa clémence aux calculs d’un rationalisme mathématique. Et l’Écriture nous rappelle aussi qu’Il n'exige pas, en stricte justice, la conversion de tout le peuple pour qu’il ne soit pas puni, mais - quand la conversion du chef et avec lui de toute la société semble impossible - il apprécie aussi la conversion et l’offrande de ces quelques personnes qui veulent s’offrir. Le dogme de la Communion des Saints fait que les bénéfices gagnés par quelques-uns sont reversés à tous. Abraham intercédait ainsi pour Sodome (Gn 18, 20-33) : «“Peut-être y a-t-il cinquante justes dans cette ville : les feriez-vous périr aussi et ne pardonnerez-vous pas à cette ville à cause des cinquante justes? [...] Le Seigneur dit: Si je trouve à Sodome cinquante justes, dans la ville je pardonnerai à toute la ville à cause d’eux”. Et Abraham reprit et dit: [...] Peut-être que des cinquante justes il en manquera cinq ; pour cinq hommes détruirez vous toute la ville?”. Il dit: “Je ne la détruirai pas, si j’en trouve quarante-cinq”». Et Abraham insista, s’ils n'étaient que quarante, s’ils n’étaient que trente, et s’il n'était que vingt? Et à chaque fois, le Seigneur répondit: «Par amour pour le juste, je ne détruirai pas la ville », et enfin: «Que le Seigneur veuille ne pas s’irriter et je ne parlerai plus que cette fois: Peut-être s’en trouvera-t-il dix?» Et il dit : «A cause de ces dix, je ne la détruirai point».  Mais Sodome n' écouta pas.

 

Don Stefano Carusi

 

 

1) Saint Thomas d'Aquin, Summa Theologiae (S. Th.), IIa IIae, q. 174, a. 1, c.

2) Ibidem.

3) En ce qui concerne le caractère volontaire de la réponse de la Vierge et son rôle dans l'Incarnation, cf. saint Thomas d'Aquin, De Veritate (De Ver.), q. XII, art. 10, ad 6.

4) « Unde et praedestinatio quasi quaedam Dei praeparatio dicitur, hoc autem praeparat quod facturus est ipse, non quod alius », Ibidem.

5) Ibidem, ad 2.

6) S. Th., IIa IIae, q. 174, a. 1, c. «Et sic accipitur prophetia comminationis : quae non semper impletur, sed per eam praenuntiatur ordo causae ad effectum» .

7) «Cum ergo fit prophetae revelatio solummodo de ordine causarum, dicitur prophetia comminationis: tunc enim nihil aliud prophetae revelatur nisi quod secundum ea quae nunc sunt talis ad hoc vel illud est ordinatus», De Ver., q. XII, art. 10, c. Selon la traduction du Père Serge-Thomas Bonino:  «Lors donc que la révélation faite au prophète ne porte que sur l'ordination des causes, on parle de prophétie de menace. En effet, dans ce cas, il n'est rien révélé au prophète que ceci : compte tenu de ce qui existe maintenant, telle personne s'oriente vers ceci ou vers cela », Thomas d'Aquin, Questions Disputées sur la vérité, Question XII La Prophétie (De Prophetia), Paris 2006, p. 141.

8) De Ver., q. XII, art. 11, ad 2. Thomas d'Aquin, Questions Disputées sur la vérité, cit. p. 153.

9) De Ver., q. XII, art. 11, ad 3.

10) Ibidem.

11) «Pronior est ad relaxandum poenam quam ad subthraendum promissa beneficia”, S. Th., IIa IIae, q. 174, art. 1, ad 2.

Voir les commentaires

Vatican II: «de quel Magistère s’agit-il?»

par Disputationes theologicae

Sans oublier “Vatican Trois”….

31 juillet 2020, Saint Ignace de Loyola

 

 

Mons. De Castro Mayer


Nous invitons à relire attentivement les deux interventions que Mgr Gherardini publia dans notre revue en 2009 et en 2011, et qui, bien que publiées il y a dix ans environ, n’ont rien perdu de leur actualité. C'est précisément d'un de ses écrits que découle la question contenue dans le titre : « de quel Magistère s’agit-il? », point de départ fondamental pour toute approche ultérieure d'une éventuelle critique théologique et d'un examen des documents.Suite à de récents débats, un lecteur nous a écrit pour nous interroger sur notre position au sujet de l’«interprétation» de Vatican II. Ayant bien à l’esprit que nous en sommes désormais à l’application pratique et diffusée de ce “Vatican Trois”, invoqué par les milieux proches du Cardinal Martini, et sachant qu’une lecture dans toute son ampleur de l’attaque satanique contre l’Eglise, impose aussi, en plus du problématique Vatican II, une analyse attentive des problèmes liés à l’ “avant” et à l’ “après” (problèmes qui ne s’identifient pas forcement avec celui-ci), nous répondons à la question soulevée en proposant certains de nos articles.

Nous publions aussi notre proposition que nous avons appelée “troisième voie”, elle aurait dû être celle de l’IBP de 2006, auquel nous avons adhéré à sa fondation. Après la trahison de ces idéaux et le choix de se rendre cette troisième voie vit aujourd’hui dans la Communauté “Saint Grégoire le Grand”. La dernière référence est un hommage à Mgr De Castro Mayer, injustement oublié, et à son intervention sur Dignitatis Humanae, avec une note sur la “valeur magistérielle” dudit document.

La Rédaction de Disputationes Theologicae

 

Interventions de Mgr. Brunero Gherardini

La valeur magistérielle de Vatican II - par Mgr. Brunero Gherardini

 

Mgr. Gherardini sur l’importance et les limites du Magistère authentique

Eglise-Tradition-Magistère

 

La position de la Communauté “Saint Grégoire le Grand”:

La nécessité théologique et ecclésiale d’une «troisième voie»: ni spirale “schismatique” ni conformisme “rallié”

Première partie

Deuxième partie

 

Le “rite propre” et l’ “herméneutique de continuité” sont-ils suffisants?

 

Mgr Pozzo : la Messe “extraordinaire” peut être interdite par l’autorité

 

 

Hommage à Mgr. De Castro Mayer

La Liberté religieuse : une position claire de Mgr De Castro Mayer

 

 

Voir les commentaires

<< < 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 > >>